Gideon Levy, Haaretz, 24/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Naeema, une mère palestinienne de 30 ans, est assise avec son fils de 2 ans, Yazan, souffrant de malnutrition, dans leur maison endommagée du camp de réfugiés d’Al-Shati, à l’ouest de Gaza, cette semaine. Photo Omar El- Qatta /AFP
Le plan
israélien de nettoyage ethnique de la bande de Gaza progresse à un rythme
soutenu, peut-être même mieux que prévu. Outre les succès significatifs déjà
enregistrés en matière de massacres et de destructions systématiques, ces
derniers jours ont vu une autre réalisation cruciale : la famine délibérée
a commencé à porter ses fruits.
Les effets
de cette politique se propagent rapidement, faisant des victimes en nombre
comparable à celui des décès causés par les bombardements. Ceux qui ne meurent
pas en attendant de la nourriture ont de fortes chances de succomber à la faim.
L’arme de la
famine délibérée fonctionne. La Fondation « humanitaire » de Gaza,
quant à elle, est devenue un succès tragique. Non seulement des centaines de
Gazaouis ont été abattus alors qu’ils
faisaient la queue pour recevoir les
colis distribués par la Fondation, mais d’autres ne parviennent pas à atteindre
les points de distribution et meurent de faim. La plupart sont des enfants et
des bébés.
Rien que
mercredi, 15 personnes sont mortes de faim, dont trois enfants et un bébé de
six semaines. Cent deux personnes sont mortes depuis le début de la guerre,
dont 80 enfants, et le nombre de morts est en hausse ces derniers jours.
Les images
cachées au public par les médias locaux criminels israéliens, dont le manque de
couverture de Gaza ne sera jamais oublié ni pardonné, sont vues par le reste du
monde. Ces images rappellent les survivants des camps de concentration, des
images de l’Holocauste. Les dissimuler revient à nier le phénomène.
Les
squelettes de bébés et de nourrissons, vivants et morts, dont les os dépassent
à travers des tissus adipeux brûlés ou des muscles flétris, leurs yeux et leurs
bouches grands ouverts, leurs expressions mortes.
Des
Palestiniens réagissent en demandant de la nourriture à une association
caritative, en pleine crise alimentaire, à Gaza, en juillet. Photo Mahmoud Issa/Reuters
Ils gisent
sur le sol des hôpitaux, sur des lits nus ou transportés sur des charrettes
tirées par des ânes. Ce sont des images de l’enfer. En Israël, nombreux sont
ceux qui rejettent ces photos, doutant de leur véracité. D’autres expriment
leur joie et leur fierté de voir des bébés affamés. Oui, c’est aussi ce qui
nous est arrivé.
Transformer
la famine délibérée en une arme légitime et acceptable pour les Israéliens, que
ce soit par un soutien ouvert ou par une indifférence glaçante, est l’étape jusqu’à
présent la plus démoniaque dans la guerre lancée par Israël contre la bande de
Gaza.
C’est aussi la
seule pour laquelle on ne peut inventer aucune justification, excuse ou
explication. Même l’appareil de propagande débordant d’Israël ne parvient pas à
en trouver. La famine est devenue une arme légitime puisqu’elle constitue un
autre moyen d’atteindre l’objectif : le nettoyage ethnique.
Il faut
intérioriser ce fait et considérer la poursuite de la guerre sous cet angle. De
même qu’Israël profite des morts causées par les armes, il profite aussi de la
faim qui tue des centaines de personnes. C’est seulement ainsi qu’il sera
possible de transformer Gaza en un lieu invivable , et c’est seulement ainsi
que ses habitants partiront « de leur plein gré », d’abord vers la ville « humanitaire
» , puis vers la Libye, ou Dieu sait où.
Des
Palestiniens fuient leurs maisons avec leurs biens après que l’armée
israélienne a ordonné l’évacuation de l’est de Khan Younès, dans le sud de la
bande de Gaza, en mai. Photo Hatem
Khaled/Reuters
La famine
est désormais visible partout. Les journalistes palestiniens de Gaza qui n’ont
pas encore été abattus par l’armée israélienne rapportent qu’ils n’ont rien
mangé depuis deux ou trois jours.
Même des
médecins étrangers ont parlé mercredi de ce qu’ils avaient mangé, et surtout de
ce qu’ils n’avaient pas mangé. Une médecin canadienne de l’hôpital Nasser a
déclaré n’avoir mangé qu’un petit bol de lentilles au cours des deux jours
précédents. Elle ne pourra plus continuer à soigner les malades
et les blessés de cette façon. C’est
aussi une bonne chose pour Israël.
Une équipe
d’Al-Jazeera a accompagné un jeune homme parti à la recherche de nourriture
pour ses enfants. Il a cherché, cherché, jusqu’à trouver deux sacs de farine
israélienne et une bouteille d’huile sur un étal de marché. Le prix était de
plusieurs centaines de shekels le sac, et il est rentré chez lui les mains
vides, auprès de ses enfants affamés. Le studio de télévision a ensuite
détaillé les trois étapes menant à la mort par inanition. Les
enfants de cet homme se trouvaient à la deuxième étape.
Cette famine
délibérée a fait de cette guerre la plus horrible des guerres israéliennes, et
certainement la plus criminelle d’entre elles. Jamais deux millions de
personnes n’avaient été affamées de cette façon.
Mais une
chose est pire que la famine délibérée : l’indifférence avec laquelle elle
est accueillie en Israël. À une heure et demie de route de l’endroit où un
autre bébé, Yussef al-Safadi, est mort mercredi, sa famille n’a pas trouvé de
substitut au lait maternel.
Au moment de sa mort, Canal 12 diffusait une émission de cuisine et le taux d‘audience était excellent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire