Alors que la guerre fait rage, les invasions des maisons palestiniennes dans la vieille ville d’Hébron/Al Khalil par les colons et les soldats israéliens deviennent de plus en plus fréquentes et violentes.
Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz , 11/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Naramin al-Hadad avec ses petits-enfants. Il y a quelques semaines, des soldats sont venus chez elle, lui ont montré une photo de son fils Nasim, âgé de 7 ans, puis l’ont emmené avec eux. Ils l’ont relâché une demi-heure plus tard, terrifié.
La place du marché est déserte,
comme le dit la chanson emblématique d’une autre vieille ville, celle de
Jérusalem [Jerusalem of Gold -
Yerushalayim shel Zahav, Naomi Shemer, 1967]. Le principal
marché de Hébron est presque entièrement désert depuis des années. Pour
comprendre pourquoi, il suffit de lever les yeux : suspendus aux grilles
métalliques installées par les Palestiniens au-dessus des étals pour les
protéger des colons, des sacs poubelles remplis d’ordures et d’excréments que
ces derniers jettent sur les visiteurs.
Les maisons des colons du
quartier juif d’Hébron surplombent le marché désert et jouxtent celui-ci. De l’autre
côté du poste de contrôle, dans ce quartier, il ne reste plus un seul magasin
ou étal palestinien. Plus loin, la partie encore ouverte du marché était
également à moitié déserte cette semaine. Les produits sont abondants et les
étals colorés sont ouverts, mais il y a peu de clients.
Les Palestiniens n’ont pas d’argent,
dans une ville qui était autrefois le centre économique de la Cisjordanie jusqu’à
ce que la guerre éclate dans la bande de Gaza. Vous voulez savoir pourquoi ?
Regardez sa porte d’entrée principale. Elle a été cadenassée cette semaine. Une
ville de 250 000 habitants est fermée. Quelqu’un peut-il trouver quelque chose
de comparable sur la planète ?
Des soldats israéliens
surveillent l’entrée principale d’Hébron. Parfois, ils ouvrent le portail,
parfois non. On ne sait jamais quand il sera déverrouillé. Lundi dernier,
lorsque nous nous y sommes rendus, ils ne l’ont pas ouvert. Il existe des
itinéraires alternatifs, certains sinueux et vallonnés, mais il est impossible
de vivre ainsi. C’est précisément pour cette raison que le portail est fermé :
parce qu’il est impossible de vivre ainsi. Il n’y a aucune autre raison que la
volonté des Forces de défense israéliennes de maltraiter les habitants, ce qu’elles
font de manière encore plus violente depuis le 7 octobre, afin de les pousser
au désespoir – et peut-être même à la fuite. Définitivement.
En effet, peut-être qu’un petit
nombre choisira finalement de partir, réalisant ainsi le rêve de certains de
leurs voisins juifs. Pour sa part, l’armée israélienne coopère activement à ces
plans diaboliques, travaillant main dans la main avec les colons pour parvenir
au transfert de population tant souhaité. Sous le couvert de la guerre dans la
bande de Gaza, les exactions se sont également multipliées et sont désormais
presque totalement incontrôlées.
Cela n’est nulle part plus
évident que dans la zone H2, qui est sous contrôle israélien et comprend la
colonie juive de la ville, ainsi que les quartiers anciens qui l’entourent.
Ici, le transfert n’est pas progressif, il est galopant. Les seuls Palestiniens
encore visibles ici sont ceux qui n’ont pas les moyens de quitter cette vie
infernale, sous la terreur des colons et de l’armée, dans l’un des centres de l’apartheid
en Cisjordanie. On trouve ici d’anciens bâtiments en pierre, ornés d’arcades,
dans un quartier qui pourrait être un trésor culturel, un site patrimonial,
mais qui est abandonné, à moitié en ruine, jonché des ordures des colons et de
leurs graffitis ultranationalistes haineux.
Les
maisons des colons dans la vieille ville d’Hébron surplombent le marché
Après nous être garés – il y a
désormais beaucoup de place dans ce marché désert – nous entrons dans une cage
d’escalier étroite et sombre. À travers les fenêtres grillagées, on aperçoit
des tas d’ordures ; derrière, les institutions des colons : Beit Hadassah, le
centre d’études religieuses Yona Menachem Rennart et le bâtiment du Fonds
Joseph Safra. Les maisons des colons sont à portée de main. Il suffit de tendre
le bras.
Nous sommes dans la rue Shalalah,
qui est en partie sous contrôle palestinien. Le vieux bâtiment en pierre dans
lequel nous sommes entrés a été rénové ces dernières années par le Comité
palestinien pour la réhabilitation d’Al Khalil, et il est impossible de ne pas
admirer sa beauté, malgré les conditions déprimantes qui l’entourent. Situé à
quelques dizaines de mètres du poste de contrôle menant au quartier juif, il s’agit
d’une structure étroite de trois étages qui abrite cinq familles. La famille
élargie Abou Haya – parents, enfants et petits-enfants, dont 15 jeunes et
tout-petits – reste ici en raison du loyer modique.
Après avoir croisé une foule d’enfants,
nous montons au troisième étage, dans l’appartement de Mahmoud Abou Haya et de
sa femme, Naramin al-Hadad. Mahmoud a 46 ans, Naramin 42, et ils ont cinq
enfants, dont certains ont déjà fondé leur propre famille. Naramin avait 15 ans
lorsqu’elle s’est mariée, raconte-t-elle avec le sourire.
Le père de famille, qui
travaillait autrefois dans le bâtiment à Ashkelon, est au chômage depuis le
début de la guerre, le 7 octobre 2023. Naramin cuisine à la maison et vend ses
plats aux habitants du quartier. C’est actuellement la seule source de revenus
de la famille. Avant la guerre, elle était également bénévole au sein de l’organisation
israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Avec une caméra fournie par
l’ONG dans le cadre de son projet « Camera Project », elle documentait ce qui
se passait dans la région. Mais Naramin n’ose plus participer au projet. Il est
beaucoup trop dangereux d’avoir une caméra ici. La dernière fois qu’elle l’a
utilisée, la seule fois depuis le début de la guerre, c’était il y a environ
cinq mois, lorsqu’elle a filmé un incendie allumé par des colons sur le toit du
marché. Il y a environ un mois et demi, des soldats sont venus à l’appartement,
ont montré à Naramin une photo de son fils Nasim, âgé de 7 ans, puis sont
repartis avec lui. Ils l’ont relâché, terrifié, environ une demi-heure plus
tard.
Les raids nocturnes contre les
habitations palestiniennes se sont multipliés au cours des 21 derniers mois. D’une
fréquence moyenne d’une fois par mois, l’armée fait désormais irruption dans
leurs maisons au moins une fois par semaine, selon Naramin, presque toujours au
cœur de la nuit.
Aucun Israélien ne connaît une
réalité dans laquelle, pendant des années, à tout moment, il ou elle se
réveille en sursaut à la vue et au bruit de dizaines de soldats armés et
masqués qui envahissent son domicile, parfois accompagnés de chiens, puis poussent
tous les occupants hébétés, y compris les enfants terrifiés, dans une seule
pièce. Dans certains cas, les envahisseurs procèdent à des passages à tabac et
à des fouilles violentes des lieux, laissant derrière eux une traînée de
destruction ; dans tous les cas, ils profèrent des insultes et des
humiliations.
Dans le passé, ces incursions
semblaient avoir un objectif précis : l’arrestation d’un suspect, la recherche
de matériel de combat. Mais depuis le début de la guerre, on a l’impression que
ces raids ont pour seul but de semer la peur et la panique, et d’empoisonner la
vie des Palestiniens. Ils ne semblent avoir aucune autre raison d’être.
Maher Abou
Haya sur la terrasse de sa maison, avec Beit Hadassah en arrière-plan, cette
semaine. Des caméras de sécurité l’ont filmé se tenant dans la rue, lorsque
soudainement des soldats sont apparus et ont fait irruption dans la maison.
Le dernier incident impliquant la
famille Abou Haya s’est produit il y a une semaine. Jeudi dernier, aux
premières heures du jour, Maher, le fils de Naramin, âgé de 24 ans, marié à
Aisha, 18 ans, et père de deux jeunes enfants, a quitté le domicile familial,
mais est revenu après avoir vu des soldats s’approcher de la porte d’entrée.
Les caméras de sécurité
installées par la famille à l’entrée montrent Maher debout innocemment dans la
rue et les soldats apparaissant soudainement. Ils lui ont ordonné de les faire
entrer et de les guider à travers le bâtiment. Maher les a conduits à l’autre
entrée, qui mène à l’appartement de son frère, Maharan, 23 ans, marié et père d’un
bébé de 6 semaines, afin de ne pas réveiller tous les autres enfants du
bâtiment, qui sont nombreux.
Mais Maher a reçu l’ordre de
réveiller tout le monde et de rassembler tous les occupants de chaque étage
dans une seule pièce. Les soldats n’ont donné aucune explication sur les
raisons de cette opération. Maharan venait juste d’essayer d’endormir sa petite
fille lorsque les soldats ont fait irruption. Maher a frappé à la porte de l’appartement
de ses parents et les a réveillés. Son oncle, Hamed, 35 ans, a été tiré hors du
lit ; bien qu’on ait expliqué aux soldats qu’il se remettait d’une opération du
dos, il a été saisi à la gorge et traîné hors de son appartement.
Les trois familles du troisième
étage étaient regroupées dans le petit salon où nous avons été reçus cette
semaine. Naramin se souvient qu’elle s’inquiétait de ce qui se passait aux
étages inférieurs. Ils entendaient Maher crier, comme s’il était en train d’être
battu.
La maison
de la famille après le départ des soldats. Photo de la famille.
Un soldat a déchiré le rideau à l’entrée
du salon de Naramin, puis ses camarades ont brisé les objets en verre dans le
buffet. Sans raison. Les enfants se sont mis à pleurer. Naramin a voulu ouvrir
une fenêtre, car on étouffait à l’intérieur, mais un soldat, plus jeune que la
plupart de ses fils, l’en a empêchée.
Le lendemain, Manal al-Ja’bri,
chercheuse de terrain pour B’Tselem, a recueilli le témoignage de la femme de
Maharan. Elle a raconté que son bébé pleurait et qu’elle voulait l’allaiter,
mais que les soldats l’en empêchaient. Les demandes d’eau ont également été
refusées.
Au bout d’environ une heure, les
soldats ont ordonné à Naramin et aux autres membres de sa famille de se rendre
dans un autre appartement du même immeuble. Le sol était jonché d’éclats de
verre et elle avait peur pour ses enfants qui étaient pieds nus. Elle a ensuite
entendu des bruits de vaisselle qu’on brisait dans son appartement. Les soldats
ont également jeté le ventilateur par terre et l’ont cassé.
Ja’bri affirme avoir déjà recensé
une dizaine de cas similaires de destruction gratuite dans la même zone,
peuplée de Palestiniens défavorisés sur le plan économique.
Quel était l’objectif du raid de
la semaine dernière ? Voici la réponse donnée cette semaine par le porte-parole
de l’armée israélienne : « Le 2 juillet 2025, l’armée israélienne a mené une
opération dans la ville de Hébron, qui est [sous la supervision de] la brigade
de Judée, à la suite d’informations fournies par les services de renseignement.
L’opération s’est déroulée sans incident particulier et nous n’avons pas
connaissance d’allégations de destruction de biens. »
Le marché
fermé d’Hébron. Les Palestiniens qui y restent n’ont pas les moyens de quitter
cette vie infernale, dans l’un des centres de l’apartheid de Cisjordanie.
Vers 2 heures du matin, le
silence s’est abattu sur l’immeuble. Naramin a osé jeter un œil dehors pour
voir si les soldats étaient partis ; ils étaient partis sans prévenir les
occupants. Qui s’en souciait ? Les Palestiniens pouvaient rester où ils étaient
jusqu’au matin. Maher était couvert de bleus, mais il n’a pas voulu dire à sa
mère ce que les soldats lui avaient fait. Les trois voitures de la famille
avaient été forcées ; les clés ont été retrouvées dans la benne à ordures.
Alors qu’on nous servait le café,
la famille a découvert que le verre qui recouvrait la table était également
fissuré. Ont-ils l’intention de partir ? Naramrin bondit comme si elle avait
été mordue par un serpent et répond par un « Non » court et définitif.
La semaine dernière, quatre
familles ont quitté le quartier voisin de Tel Rumeida. Elles n’en pouvaient
plus. Au total, Ja’bri, la chercheuse, estime qu’au moins dix familles ont
quitté le quartier depuis le début de la guerre. La semaine dernière, selon les
habitants, il n’y avait apparemment aucun problème de sécurité sur lequel
enquêter, et à Tel Rumeida – où les Palestiniens ne sont autorisés à entrer
avec aucun type de véhicule, pas même une ambulance – un véhicule commercial a
été autorisé à entrer afin d’évacuer les biens des familles qui sont parties.
Certaines fins justifient apparemment tous les moyens.
Nous sommes ensuite montés sur la
terrasse pour admirer la vue. Des bâtiments anciens en pierre étaient
construits à flanc de colline. Mais la terrasse était étouffée de toutes parts
par les constructions des colons.
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