14/07/2025

CHRIS HEDGES
Trump, Epstein et l’État profond
Un “Satyricon” du XXIème siècle


Le refus de l’administration Trump de divulguer les dossiers et les vidéos d’Epstein ne vise pas seulement à protéger Trump, mais aussi la classe dirigeante. Ils appartiennent tous au même club.

Chris Hedges, The Chris Hedges Report, 12/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Satyricon américain, par M. Fish

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Le refus de l’administration Trump de divulguer les dossiers et les vidéos accumulés au cours des enquêtes sur les activités du pédocriminel Jeffrey Epstein devrait mettre fin à la croyance absurde, embrassée par les partisans de Trump et les libéraux crédules, selon laquelle Trump démantèlera l’État profond. Trump est et fait depuis longtemps partie de la cabale répugnante composée de politiciens – démocrates et républicains –, de milliardaires et de célébrités qui nous considèrent, nous, et souvent des filles et des garçons mineurs, comme des marchandises à exploiter pour leur profit ou leur plaisir.

La liste des personnes qui gravitaient autour d’Epstein est un véritable bottin mondain. Elle comprend non seulement Trump, mais aussi Bill Clinton, qui aurait fait un voyage en Thaïlande avec Epstein, le Prince AndrewBill Gates, le milliardaire gestionnaire de fonds spéculatifs Glenn Dubin, l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique Bill Richardson, l’ancien secrétaire au Trésor et ancien président de l’université Harvard Larry Summers, le psychologue cognitif et auteur Stephen Pinker, l’avocat Alan Dershowitz, le milliardaire et PDG de Victoria’s Secret Leslie Wexner, l’ancien banquier de Barclays Jes Staley, l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, le magicien David Copperfield, l’acteur Kevin Spacey, l’ancien directeur de la CIA Bill Burns, le magnat de l’immobilier Mort Zuckerman, l’ancien sénateur du Maine George Mitchell  et le producteur hollywoodien déchu Harvey Weinstein, qui se délectaient des perpétuelles Bacchanales d’Epstein.

Parmi eux des cabinets d’avocats et des avocats coûteux, des procureurs fédéraux et d’État, des enquêteurs privés, des assistants personnels, des agents publicitaires, des domestiques et des chauffeurs. On trouvait aussi de nombreux fournisseurs et proxénètes, dont la petite amie d’Epstein et fille de Robert Maxwell, Ghislaine Maxwell. Parmi eux les médias et les politiciens qui ont impitoyablement discrédité et réduit au silence les victimes, et qui ont utilisé la force contre quiconque, dont une poignée de journalistes intrépides, cherchant à révéler les crimes d’Epstein et son cercle de complices.

Beaucoup de choses restent encore dans l’ombre. Mais certaines choses sont connues. Epstein avait installé des caméras cachées dans ses somptueuses résidences et sur son île privée des Caraïbes, Little St. James, afin de filmer ses amis influents se livrant à des orgies et à des abus sexuels sur des adolescentes et des adolescents mineurs. Ces enregistrements constituaient une mine d’or pour le chantage. Faisaient-ils partie d’une opération des services secrets israéliens, le Mossad? Ou bien étaient-ils utilisés pour garantir à Epstein une source stable d’investisseurs qui lui versaient des millions de dollars pour éviter d’être démasqués ? Ou bien étaient-ils utilisés dans les deux cas ? Il faisait voyager des mineures entre New York et Palm Beach dans son jet privé, le Lolita Express, qui aurait été équipé d’un lit à orgies. Son cercle d’amis célèbres, dont Clinton  et Trump, sont enregistrés comme ayant voyagé à plusieurs reprises à bord de cet avion dans les registres de vol publiés, bien que de nombreux autres registres aient disparu.

Les vidéos d’Epstein sont conservées dans les archives du FBI, ainsi que des preuves détaillées qui lèveraient le voile sur les penchants sexuels et la cruauté des puissants. Je doute qu’il existe une liste de clients, comme l’affirme la procureure générale Pam Bondi. Il n’existe pas non plus de dossier unique sur Epstein. Les documents d’enquête accumulés sur Epstein remplissent de nombreuses boîtes qui encombreraient le bureau de Bondi et, s’ils étaient rassemblés dans une seule pièce, occuperaient probablement la majeure partie de son bureau.

Epstein s’est-il suicidé, comme l’affirme le rapport d’autopsie officiel, en se pendant dans sa cellule le 10 août 2019 au Metropolitan Correctional Center de New York ? Ou a-t-il été assassiné ? Les caméras qui enregistraient l’activité dans sa cellule cette nuit-là ne fonctionnaient pas, nous ne le savons donc pas. Michael Baden, médecin légiste engagé par le frère d’Epstein, qui a été médecin légiste en chef de la ville de New York et qui était présent lors de l’autopsie, a déclaré qu’il pensait que l’autopsie d’Epstein suggérait un homicide.

L’affaire Epstein est importante car elle fait voler en éclats le mythe des divisions profondes entre les démocrates, qui n’avaient pas plus intérêt que Trump à divulguer les dossiers Epstein, et les républicains. Ils appartiennent tous au même club. Elle révèle comment les tribunaux et les forces de l’ordre s’entendent pour protéger les personnalités puissantes qui se livrent à des crimes. Elle met à nu la dépravation de notre classe dirigeante exhibitionniste, qui n’a de comptes à rendre à personne et qui est libre de violer, piller, saccager et exploiter les faibles et les vulnérables. C’est le bilan sordide de nos maîtres oligarchiques, ceux qui sont incapables de ressentir la honte ou la culpabilité, qu’ils se déguisent en Donald Trump ou en Joe Biden.

Cette classe de parasites au pouvoir a été parodiée dans le roman satirique du premier siècle, le Satyricon par Gaius Petronius Arbiter, écrit sous les règnes de Caligula, Claude et Néron. Comme dans le Satyricon, le cercle d’Epstein était dominé par des pseudo-intellectuels, des bouffons prétentieux, des escrocs, des petits délinquants, des riches insatiables et des dépravés sexuels. Epstein et son cercle restreint se livraient régulièrement à des perversions sexuelles dignes de Pétrone, comme le documente Julie Brown, journaliste d’investigation au Miami Herald, dont les reportages acharnés ont largement contribué à la réouverture de l’enquête fédérale sur Epstein et Maxwell, dans son livre “Perversion of Justice : The Jeffrey Epstein Story”.

Comme l’écrit Brown, en 2016, une femme anonyme, utilisant le pseudonyme “Kate Johnson”, a déposé une plainte civile devant un tribunal fédéral de Californie, affirmant avoir été violée par Trump et Epstein lorsqu’elle avait treize ans, pendant quatre mois, de juin à septembre 1994.

« J’ai supplié Trump à grands cris d’arrêter », a-t-elle déclaré dans le procès concernant son viol. « Trump a répondu à mes supplications en me frappant violemment au visage avec sa main ouverte et en criant qu’il pouvait faire tout ce qu’il voulait. »

Brown poursuit :

Johnson a déclaré qu’Epstein l’avait invitée à une série de « soirées sexuelles avec des mineurs » dans son manoir de New York, où elle a rencontré Trump. Séduite par des promesses d’argent et des opportunités de devenir mannequin, Johnson a déclaré avoir été contrainte d’avoir des relations sexuelles avec Trump à plusieurs reprises, dont une fois avec une autre fille de douze ans, qu’elle a surnommée « Marie Doe ».

Trump a exigé une fellation, selon la plainte, puis « a repoussé les deux mineures tout en les réprimandant violemment pour la « mauvaise » qualité de leurs performances sexuelles », selon la plainte déposée le 26 avril devant la cour fédérale de Californie centrale.

Par la suite, lorsqu’Epstein a appris que Trump avait dépucelé Johnson, il aurait « tenté de la frapper à la tête avec ses poings fermés », furieux de ne pas avoir été celui qui lui avait pris sa virginité. Johnson a affirmé que les deux hommes avaient menacé de s’en prendre à elle et à sa famille si elle révélait ce qui s’était passé.

La plainte indique que Trump n’a pas participé aux orgies d’Epstein, mais qu’il aimait regarder, souvent pendant que « Kate Johnson », âgée de treize ans, lui faisait une fellation.

Il semble que Trump ait réussi à faire annuler le procès en achetant son silence. Elle a depuis disparu.

En 2008, Alex Acosta, qui était alors procureur fédéral pour le district sud de Floride, a négocié un accord de plaidoirie  pour Epstein. L’accord accordait l’immunité contre toutes les accusations criminelles fédérales à Epstein, à quatre complices nommés et à tout « complice potentiel » non identifié. L’accord a mis fin à l’enquête du FBI visant à déterminer s’il y avait d’autres victimes et d’autres personnalités influentes impliquées dans les crimes sexuels d’Epstein. Il a suspendu l’enquête et scellé l’acte d’accusation. Trump, dans ce que beaucoup considèrent comme un geste de gratitude, a nommé Acosta secrétaire au Travail lors de son premier mandat.

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Trump a envisagé de gracier Ghislaine Maxwell après son arrestation en juillet 2020, craignant qu’elle ne révèle des détails sur son amitié de plusieurs décennies avec Epstein, selon le biographe de Trump, Michael Wolff. En juillet 2022, Maxwell a été condamnée à 20 ans de prison.

« La relation la plus étroite de Jeffrey Epstein dans sa vie était celle qu’il entretenait avec Donald Trump... Ces deux hommes étaient inséparables depuis une bonne quinzaine d’années. Ils faisaient tout ensemble », a dit  Wolff à  Joanna Coles, animatrice du podcast The Daily Beast. « Et cela va du partage, de la conquête des femmes, de la chasse aux femmes, du partage d’au moins une petite amie pendant au moins un an dans ce genre de relation entre riches, avec les avions les uns des autres, jusqu’à Epstein conseillant Trump sur la manière de frauder le fisc. »

Les anomalies juridiques, notamment la disparition d’une grande quantité de preuves incriminant Epstein, ont permis à ce dernier d’échapper à des accusations fédérales de trafic sexuel en 2007, lorsque ses avocats ont négocié un accord secret avec Acosta. Il a pu plaider coupable dans des accusations moins graves au niveau de l’État, à savoir sollicitation d’une mineure à des fins de prostitution.

Les hommes éminents accusés d’avoir participé au carnaval pédocriminel d’Epstein, y compris l’avocat d’Epstein, Dershowitz, ont violemment menacé  quiconque chercherait à les exposer. Dershowitz, par exemple, affirme qu’une enquête qu’il a refusé de rendre publique, menée par l’ancien directeur du FBI Louis Freeh, prouve qu’il n’a jamais eu de relations sexuelles avec Virginia Giuffre, une victime d’Epstein qui a été livrée au prince Andrew alors qu’elle était âgée de 17 ans. Giuffre, l’une des rares victimes à avoir publiquement dénoncé ses agresseurs, a déclaré avoir été « passée de main en main comme un plateau de fruits » parmi les amis d’Epstein et de Maxwell, jusqu’à ce qu’elle parvienne à s’échapper à l’âge de 19 ans. Elle “s’est suicidée” en avril 2025. Dershowitz a envoyé plusieurs menaces à Brown et à ses rédacteurs en chef du Miami Herald.

Brown poursuit :

[Dershowitz] n’a cessé de faire référence à des informations contenues dans des documents scellés. Il a accusé le journal de ne pas rapporter les « faits » qui, selon lui, figuraient dans ces documents scellés. La vérité, ai-je tenté d’expliquer, c’est que les journaux ne peuvent pas écrire sur des choses simplement parce qu’Alan Dershowitz affirme qu’elles existent. Nous devons les voir. Nous devons les vérifier. Puis, parce que j’ai dit « montrez-moi les documents », il m’a publiquement accusée d’avoir commis un acte criminel en lui demandant de produire des documents qui étaient sous scellés judiciaires.

C’est ainsi que fonctionne Dershowitz.

Ce qui me dérange le plus chez ce bonhomme, c’est la façon dont les médias, à quelques exceptions près, ne le remettent pas en question de manière critique. Les journalistes ont vérifié les faits rapportés par Donald Trump et d’autres membres de son administration presque tous les jours, mais dans l’ensemble, les médias semblent laisser Dershowitz s’en tirer à bon compte dans l’affaire Epstein.

En 2015, lorsque les accusations de Giuffre ont été rendues publiques pour la première fois, Dershowitz est apparu dans toutes les émissions de télévision imaginables, jurant, entre autres, que les registres de vol d’Epstein le disculperaient. « Comment le savez-vous ? » lui a-t-on demandé.

Il a répondu qu’il n’avait jamais été dans l’avion d’Epstein pendant la période où Virginia était impliquée avec Epstein.

Mais si les médias avaient vérifié, ils auraient pu apprendre que, selon les registres, il était bien passager à bord de l’avion pendant cette période.

Il a ensuite déclaré sous serment qu’il n’avait jamais pris l’avion sans sa femme. Mais il figurait sur les listes d’embarquement comme ayant voyagé à plusieurs reprises sans sa femme. Lors d’au moins un voyage, il se trouvait dans l’avion avec une mannequin nommée Tatiana.

Epstein a fait don d’argent à Harvard et a été nommé chercheur invité au département de psychologie de Harvard, bien qu’il n’ait aucune qualification universitaire dans ce domaine. Il s’est vu remettre une carte magnétique et un code d’accès, ainsi qu’un bureau dans le bâtiment qui abrite le programme de dynamique évolutive de Harvard. Dans ses communiqués de presse, il se présentait comme « Jeffrey Epstein, philanthrope scientifique », « Jeffrey Epstein, militant pour l’éducation », « Jeffrey Epstein, évolutionniste », « Jeffrey Epstein, mécène des sciences » et « Jeffrey Epstein, gestionnaire de fonds spéculatifs non-conformiste ».

Epstein, reproduisant les prétentions et la vacuité des personnages parodiés dans le chapitre “Le dîner chez Trimalcion” du Satyricon, organisait des dîners somptueux pour ses amis milliardaires, parmi lesquels Elon Musk, Salar Kamangar et Jeff Bezos. Il imaginait des stratagèmes sociaux étranges, notamment un plan  pour ensemencer l’espèce humaine avec son propre ADN en créant un bébé composite dans son immense ranch au Nouveau-Mexique.

« Epstein était également obsédé par la cryogénisation, une philosophie transhumaniste dont les adeptes croient que les êtres humains peuvent être reproduits ou ramenés à la vie après avoir été congelés », écrit Brown. « Epstein aurait déclaré à certains membres de son cercle scientifique qu’il souhaitait inséminer des femmes avec son sperme afin qu’elles donnent naissance à ses enfants, et qu’il voulait que sa tête et son  pénis soient congelés”.

L’affaire Epstein est révélatrice de la faillite morale, de l’hédonisme et de la cupidité de la classe dirigeante. Cela transcende les clivages politiques. C’est le dénominateur commun entre les politiciens démocrates, tels que Bill Clinton, les philanthropes, tels que Bill Gates, la classe des milliardaires et Trump. Ils forment une seule et même classe de prédateurs et d’escrocs. Ce ne sont pas seulement les filles et les femmes qu’ils exploitent, mais nous tous.

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