Annamaria
Rivera, Comune-Info, 2/10/2023
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Lorsqu'il s'agit de migrations, de droits des migrant·es, de racisme et d'antiracisme, le discours public italien, même dans ses variantes non racistes, semble souvent se déployer comme si chaque fois était la première : les antécédents et le développement de tel ou tel événement, de tel ou tel problème, de telle ou telle revendication, de tel ou tel concept sont tout simplement escamotés.
Cet oubli, pour ainsi dire, n'affecte pas seulement la rhétorique publique majoritaire, mais influence parfois l'attitude et le discours des minorités actives, se reflétant également dans le langage et le vocabulaire, influencés par la vulgate médiatique et même par le jargon du sens commun.
Alors qu'on les croyait remisés aux archives grâce à un long travail critique, les formules et le vocabulaire liés aux schémas interprétatifs, même spontanés, font leur retour. Faute de pouvoir en dresser le catalogue complet, nous nous attarderons sur quelques-uns d'entre eux.
Race-racial
Le racisme est avant tout une idéologie, donc une sémantique : il est constitué de mots, de notions, de concepts. L'analyse critique, la déconstruction et la dénonciation du système-racisme ont donc nécessairement un versant lexical et sémantique. Ainsi, si l'on parle de discrimination raciale au lieu de discrimination raciste, on peut finir par légitimer inconsciemment la notion et le paradigme de “race”, en suggérant l'idée que ce sont les personnes différentes par la “race” qui sont discriminées.
De telles maladresses lexicales peuvent également être commises par des locuteurs qui se considèrent comme antiracistes et, de surcroît, cultivés, voire par des institutions et associations chargées de lutter contre le racisme ou même de promouvoir le respect de codes éthiques dans le domaine de l'information. Cela apparaît d'autant plus paradoxal aujourd'hui que même en Italie, à l'initiative d'un groupe d'anthropologues-biologistes, puis d'anthropologues culturels, une campagne est en cours pour effacer le mot “race” de la Constitution.
Bien que la notion de “race” ait également été expurgée du domaine de la biologie et de la génétique des populations, son utilisation persiste dans les cercles intellectuels et/ou même “de gauche”, faisant l’objet d’un usage banal et dangereux que l'on ne peut ignorer.
Ethnie-ethnique-ethnicité
Comme le note l'anthropologue Mondher Kilani, coauteur avec René Gallissot et Annamaria Rivera de l'essai collectif L'Imbroglio ethnique en quatorze mots clés (Payot, Lausanne, 2000), l'adjectif “ethnique” a une consonance inquiétante dans des expressions telles que “nettoyage ethnique”, “guerre ethnique”, “haine ethnique”. En outre, le sens commun et une partie des médias et des intellectuels ont tendance à considérer les soi-disant “groupes ethniques” comme des entités quasi-naturelles, connotées par l'ancestralité et les liens de sang primordiaux, et par conséquent à les associer à une diversité insurmontable. Par conséquent, le terme “ethnie” est souvent utilisé comme un euphémisme pour "race".
Même dans les milieux antiracistes, l'utilisation abusive d'expressions telles que “société multiethnique”, “quartier multiethnique”, “parade multiethnique” est fréquente... Bien qu'elles soient parfois utilisées dans un sens se voulant positif, ces formules font toujours référence à l'“ethnicité” : une notion très controversée, puisqu'elle repose sur l'idée qu'il existe des groupes humains fondés sur un principe ancestral, sur une identité originelle.
En réalité, dans les contextes discursifs dominants, “ethnique” désigne toujours les autres, les groupes considérés comme particuliers et différents de la société majoritaire, considérée comme normale, générale, universelle. Il n'est pas rare que le terme “ethnicité” soit utilisé, en référence aux minorités, aux Rroms, aux populations d'origine immigrée, comme un substitut euphémique du terme “race”. À tel point que même dans la meilleure presse italienne, il est possible de rencontrer des expressions absurdes et paradoxales telles que personnes d'ethnie latino-américaine ou même chinoise, alors qu'il ne nous est jamais arrivé de lire ethnie européenne ou nord-américaine.
En tout cas, qu'il s'agisse de préjugés ou d'intentions discriminatoires, d'incompétence ou de négligence, lorsqu'il s'agit de qualifier les citoyens d'origine immigrée ou appartenant à des minorités, le critère neutre, ou du moins symétrique, de la nationalité ne semble pas s'appliquer.
La guerre des pauvres
C'est l'une des rhétoriques les plus abusives, même à gauche, même dans la gauche supposée éduquée. Elle est généralement utilisée en référence à deux catégories de belligérants supposés, imaginés comme symétriques, dont l'une est une collectivité de migrants ou de Rroms.
L'usage abusif de cette formule est révélateur d'un tabou ou d'un retrait : on a du mal à admettre que le racisme puisse s'insinuer dans les classes subalternes pour déclencher des guerres contre les plus pauvres. Guerres asymétriques, non seulement parce que les agresseurs sont généralement les nationaux, mais aussi parce que ceux-ci, aussi défavorisés soient-ils, jouissent encore du petit privilège de la citoyenneté italienne, qui leur donne quelques droits supplémentaires.
Ce racisme - que la littérature sociologique appelle le racisme “ordinaire” ou “des petits Blancs” - prend souvent racine chez ceux qui souffrent d'une certaine forme de difficulté sociale et/ou de marginalité, voire de marginalité spatiale. Favorisé par des politiques malavisées en matière de logement, d'urbanisme et, plus généralement, de politique sociale, il est aussi souvent habilement fomenté par des entrepreneurs politiques du racisme.
Parfois, la formule passe-partout de “guerre entre les pauvres” n'a pas le moindre fondement pour justifier son utilisation, comme cela s'est produit dans le cas notoire des assauts armés répétés contre le centre de réfugiés Viale Morandi, dans la banlieue romaine de Tor Sapienza, en novembre 2014. La tentative de pogrom contre des adolescents fuyant les guerres et autres catastrophes a été présentée comme l'expression spontanée de la colère de résidents exaspérés par la “dégradation”, et donc comme un épisode de la “guerre entre les pauvres”. En réalité, les agressions, auxquelles un nombre limité de résidents a participé, ont été dirigées par une escouade de “fascistes du troisième millénaire”, eux-mêmes exécutants probables de commanditaires liés à la Mafia de la capitale.
Peu de temps auparavant, on avait parlé de “guerre entre les pauvres”, même à gauche, à propos d'un crime particulièrement odieux survenu le 18 septembre 2014 à Marranella, un quartier romain de Pigneto-Tor Pignattara : le massacre à coups de pied et de poing de Muhammad Shahzad Khan, un Pakistanais de 28 ans, doux et malchanceux, par une brute du quartier, un garçon romain de 17 ans, à l'instigation de son père fasciste.
Les précédents de ce schéma interprétatif paresseux sont nombreux. Il a été appliqué de temps à autre aux pogroms contre les Rroms à Scampia (2000) et Ponticelli (2008), fomentés par la camorra et les intérêts spéculatifs ; au massacre de Castelvolturno par la camorra (2008) ; aux graves événements de Rosarno (2010), également fomentés par les intérêts mafieux et patronaux.
Tout cela est révélateur d'une aversion croissante pour les interprétations complexes, favorisée par le bavardage des médias sociaux, qui contribue à son tour au conformisme croissant qui caractérise le débat public. Le racisme, on le sait, repose sur une montagne de gros mots. Les déconstruire et les abandonner n'est pas se livrer à un exercice abstrait de “politiquement correct” (bien que ce dernier ne soit pas aussi méprisable qu'il a longtemps été de bon ton de le faire croire), mais plutôt saper son système idéologique et sémantique.