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19/02/2025

RONEN TAL
Le chercheur israélien Hani Zubida a une question pour les Mizrahim : “Quand allez-vous réaliser que vous êtes arabes ? ”

Le chercheur et activiste social Hani Zubida refuse d’accepter les stéréotypes sur les Mizrahim et aime jouer avec la double identité que suggère son nom tout en cherchant à promouvoir un nouveau discours ethnique israélien.


Hani Zubida. Photo : Ella Barak

Ronen Tal, Haaretz, 15/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Hani Zubida a l’habitude d’être automatiquement traité comme un suspect dans les aéroports à cause de son nom, mais lors de l’interrogatoire de sécurité auquel il a été soumis à son entrée en Israël lors de sa dernière visite, il a estimé que les émissaires de l’État avaient exagéré.

« Ils nous ont soumis à trois contrôles. Aviva, ma femme, a failli craquer d’angoisse », raconte-t-il. « Une fille de 21 ans pensait que je suis arabe. Elle est allée parler aux responsables et cela a pris des heures. Elle est partie, revenue, puis repartie. Zubida. Arabe. Terroriste. Elle a des tonnes de questions. « Êtes-vous mariés ? » Oui. « Avez-vous des enfants ? » Oui. « Comment s’appellent les enfants ? » »

Zubida a affirmé à maintes reprises qu’en tant que Juif né en Irak, il vivait en harmonie avec son identité arabe. Mais cela ne signifie pas qu’il veut qu’on lui rappelle à chaque fois la procédure humiliante que subissent 20 % des citoyens israéliens lorsqu’ils ont l’envie de partir en vacances à l’étranger.

« Ils nous rendent toujours fous. Je comprends la question de la sécurité. Avant, j’essayais de garder mon calme, mais cette fois-ci, je n’ai vraiment pas trouvé ça drôle. Ce qui me met en colère, c’est l’ignorance qui permet que cela se produise. Mais d’un autre côté, ça équilibre ma perception du monde. J’ai un doctorat en sciences politiques, j’ai fait de la télévision, je suis célèbre, mais au final, tu as un nom arabe, alors calme-toi, tu n’es pas vraiment Israélien. »

Quand il n’est pas en train d’attendre pour s’enregistrer, Zoubi aime en fait défier le public avec sa double identité. « Je vais parler dans les zones périphériques, et ils me voient et s’énervent. Tout de suite, ils me disent : « Tu aimes les Arabes. » Je leur dis [en chuchotant] : « Ne le dites à personne, mais [en criant] vous êtes aussi des Arabes. Quand vous rentrez chez vous, quelle langue parlez-vous ? » Je sors le téléphone et je mets de la musique de Farid El Atrache, et tout le monde apprécie. « Alors, ça suffit. Vous êtes arabes. Quand allez-vous réaliser que vous êtes arabes ? »

La routine automatique du contrôle de sécurité - un homme d’apparence moyen-orientale soupçonné d’être arabe - aurait pu faire l’objet d’un article dans le recueil d’essais récemment publié par Zubida, coédité avec le Dr Reut Reina Bendrihem, Brique noire : les Juifs mizrahim écrivent une nouvelle réalité israélienne (en hébreu). C’est un livre ambitieux, d’une ampleur sans précédent (557 pages), qui cherche à proposer un nouveau discours ethnique israélien, inclusif et ouvert, en lieu et place de l’approche actuelle, exclusive, qui encourage la haine et sert principalement les politiciens et les pourvoyeurs de poison. Les 80 articles du livre ont été écrits par des universitaires, des intellectuels, des artistes et des militants sociaux, parmi lesquels Yehouda Shenhav-Shahrabani, Merav Alush Levron, Ishak Saporta, Yifat Bitton et Carmen Elmakiyes.

Le livre couvre presque tous les aspects imaginables de la vie israélienne : de l’éducation à la télévision, du système judiciaire au logement social, de l’affaire des enfants yéménites à l’équipe de football Betar de Jérusalem, du Shas aux kibboutzim, de la féminité à la masculinité, de la nourriture au design. Parmi les auteurs figurent également des Ashkénazes, des membres de la communauté éthiopienne et des Arabes.

« Nous voulions donner une tribune aux écrivains issus de groupes marginaux qui ont été exclus de l’écriture de l’histoire collective d’Israël », écrivent les éditeurs dans l’avant-propos. Il en ressort un panorama critique qui élargit la discussion et l’ouvre également à des groupes qui ne sont pas mizrahim, c’est-à-dire des Juifs dont les origines se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. On y trouve une voix féministe prononcée, des expressions de solidarité avec les citoyens palestiniens d’Israël et un appel à une véritable égalité, le tout dans un contexte d’introspection, de reconnaissance des torts qui ont été commis et de volonté d’engager un dialogue sincère à leur sujet.

L’idée, explique Zubida, 58 ans, a vu le jour il y a six ans lors d’une rencontre sociale. « C’était à Nes Tziona, dans l’appartement de [l’intellectuel politique] Benny Nurieli et [de l’anthropologue] Reut Reina Bendrihem, qui étaient alors en couple. Une réunion autour d’un café et d’une bière, au cours de laquelle une conversation s’est engagée sur ce qui manquait à la société israélienne. J’ai dit que ce qui manquait, c’était un nouveau contenu, que nous utilisions des concepts obsolètes pour voir le monde contemporain, et que nous devions les mettre à jour.

J’ai suggéré de publier un recueil d’articles. Qu’il devrait contenir au moins 50 % de femmes et que je voulais également une représentation de l’Éthiopie, de l’ex-Union soviétique et des pays arabes. Le but de ce livre n’est pas de dénigrer davantage. Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec ce que je dis, mais parlons-en, et pas dans des cercles de dialogue où le fort vient vers le faible et lui dit : « Viens, assieds-toi, défoule-toi, puis retourne retrouver tes amis. »

03/10/2023

ANNAMARIA RIVERA
Mal parler, même à gauche

 Annamaria Rivera, Comune-Info, 2/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Lorsqu'il s'agit de migrations, de droits des migrant·es, de racisme et d'antiracisme, le discours public italien, même dans ses variantes non racistes, semble souvent se déployer comme si chaque fois était la première : les antécédents et le développement de tel ou tel événement, de tel ou tel problème, de telle ou telle revendication, de tel ou tel concept sont tout simplement escamotés.

Cet oubli, pour ainsi dire, n'affecte pas seulement la rhétorique publique majoritaire, mais influence parfois l'attitude et le discours des minorités actives, se reflétant également dans le langage et le vocabulaire, influencés par la vulgate médiatique et même par le jargon du sens commun.

 Alors qu'on les croyait remisés aux archives grâce à un long travail critique, les formules et le vocabulaire liés aux schémas interprétatifs, même spontanés, font leur retour. Faute de pouvoir en dresser le catalogue complet, nous nous attarderons sur quelques-uns d'entre eux.

Race-racial

Le racisme est avant tout une idéologie, donc une sémantique : il est constitué de mots, de notions, de concepts. L'analyse critique, la déconstruction et la dénonciation du système-racisme ont donc nécessairement un versant lexical et sémantique. Ainsi, si l'on parle de discrimination raciale au lieu de discrimination raciste, on peut finir par légitimer inconsciemment la notion et le paradigme de “race”, en suggérant l'idée que ce sont les personnes différentes par la “race” qui sont discriminées.

De telles maladresses lexicales peuvent également être commises par des locuteurs qui se considèrent comme antiracistes et, de surcroît, cultivés, voire par des institutions et associations chargées de lutter contre le racisme ou même de promouvoir le respect de codes éthiques dans le domaine de l'information. Cela apparaît d'autant plus paradoxal aujourd'hui que même en Italie, à l'initiative d'un groupe d'anthropologues-biologistes, puis d'anthropologues culturels, une campagne est en cours pour effacer le mot “race” de la Constitution.

Bien que la notion de “race” ait également été expurgée du domaine de la biologie et de la génétique des populations, son utilisation persiste dans les cercles intellectuels et/ou même “de gauche”, faisant l’objet d’un usage banal et dangereux que l'on ne peut ignorer.


 Ethnie-ethnique-ethnicité

Comme le note l'anthropologue Mondher Kilani, coauteur avec René Gallissot et Annamaria Rivera de l'essai collectif L'Imbroglio ethnique en quatorze mots clés (Payot, Lausanne, 2000), l'adjectif “ethnique” a une consonance inquiétante dans des expressions telles que “nettoyage ethnique”, “guerre ethnique”, “haine ethnique”. En outre, le sens commun et une partie des médias et des intellectuels ont tendance à considérer les soi-disant “groupes ethniques” comme des entités quasi-naturelles, connotées par l'ancestralité et les liens de sang primordiaux, et par conséquent à les associer à une diversité insurmontable. Par conséquent, le terme “ethnie” est souvent utilisé comme un euphémisme pour "race".

Même dans les milieux antiracistes, l'utilisation abusive d'expressions telles que “société multiethnique”, “quartier multiethnique”, “parade multiethnique” est fréquente... Bien qu'elles soient parfois utilisées dans un sens se voulant positif, ces formules font toujours référence à l'“ethnicité” : une notion très controversée, puisqu'elle repose sur l'idée qu'il existe des groupes humains fondés sur un principe ancestral, sur une identité originelle.

En réalité, dans les contextes discursifs dominants, “ethnique” désigne toujours les autres, les groupes considérés comme particuliers et différents de la société majoritaire, considérée comme normale, générale, universelle. Il n'est pas rare que le terme “ethnicité” soit utilisé, en référence aux minorités, aux Rroms, aux populations d'origine immigrée, comme un substitut euphémique du terme “race”. À tel point que même dans la meilleure presse italienne, il est possible de rencontrer des expressions absurdes et paradoxales telles que personnes d'ethnie latino-américaine ou même chinoise, alors qu'il ne nous est jamais arrivé de lire ethnie européenne ou nord-américaine.

En tout cas, qu'il s'agisse de préjugés ou d'intentions discriminatoires, d'incompétence ou de négligence, lorsqu'il s'agit de qualifier les citoyens d'origine immigrée ou appartenant à des minorités, le critère neutre, ou du moins symétrique, de la nationalité ne semble pas s'appliquer.

La guerre des pauvres

C'est l'une des rhétoriques les plus abusives, même à gauche, même dans la gauche supposée éduquée. Elle est généralement utilisée en référence à deux catégories de belligérants supposés, imaginés comme symétriques, dont l'une est une collectivité de migrants ou de Rroms.

L'usage abusif de cette formule est révélateur d'un tabou ou d'un retrait : on a du mal à admettre que le racisme puisse s'insinuer dans les classes subalternes pour déclencher des guerres contre les plus pauvres. Guerres asymétriques, non seulement parce que les agresseurs sont généralement les nationaux, mais aussi parce que ceux-ci, aussi défavorisés soient-ils, jouissent encore du petit privilège de la citoyenneté italienne, qui leur donne quelques droits supplémentaires.

Ce racisme - que la littérature sociologique appelle le racisme “ordinaire” ou “des petits Blancs” - prend souvent racine chez ceux qui souffrent d'une certaine forme de difficulté sociale et/ou de marginalité, voire de marginalité spatiale. Favorisé par des politiques malavisées en matière de logement, d'urbanisme et, plus généralement, de politique sociale, il est aussi souvent habilement fomenté par des entrepreneurs politiques du racisme.

 Parfois, la formule passe-partout de “guerre entre les pauvres” n'a pas le moindre fondement pour justifier son utilisation, comme cela s'est produit dans le cas notoire des assauts armés répétés contre le centre de réfugiés Viale Morandi, dans la banlieue romaine de Tor Sapienza, en novembre 2014. La tentative de pogrom contre des adolescents fuyant les guerres et autres catastrophes a été présentée comme l'expression spontanée de la colère de résidents exaspérés par la “dégradation”, et donc comme un épisode de la “guerre entre les pauvres”. En réalité, les agressions, auxquelles un nombre limité de résidents a participé, ont été dirigées par une escouade de “fascistes du troisième millénaire”, eux-mêmes exécutants probables de commanditaires liés à la Mafia de la capitale.

Peu de temps auparavant, on avait parlé de “guerre entre les pauvres”, même à gauche, à propos d'un crime particulièrement odieux survenu le 18 septembre 2014 à Marranella, un quartier romain de Pigneto-Tor Pignattara : le massacre à coups de pied et de poing de Muhammad Shahzad Khan, un Pakistanais de 28 ans, doux et malchanceux, par une brute du quartier, un garçon romain de 17 ans, à l'instigation de son père fasciste.

Les précédents de ce schéma interprétatif paresseux sont nombreux. Il a été appliqué de temps à autre aux pogroms contre les Rroms à Scampia (2000) et Ponticelli (2008), fomentés par la camorra et les intérêts spéculatifs ; au massacre de Castelvolturno par la camorra (2008) ; aux graves événements de Rosarno (2010), également fomentés par les intérêts mafieux et patronaux.

Tout cela est révélateur d'une aversion croissante pour les interprétations complexes, favorisée par le bavardage des médias sociaux, qui contribue à son tour au conformisme croissant qui caractérise le débat public. Le racisme, on le sait, repose sur une montagne de gros mots. Les déconstruire et les abandonner n'est pas se livrer à un exercice abstrait de “politiquement correct” (bien que ce dernier ne soit pas aussi méprisable qu'il a longtemps été de bon ton de le faire croire), mais plutôt saper son système idéologique et sémantique.

29/03/2023

ANNAMARIA RIVERA
Dans le cercle vicieux du racisme

Annamaria Rivera, Comune-Info, 28/3/2023 
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

2022 a été une année désastreuse, selon le dernier rapport d’Amnesty International. Agnès Callamard, sa secrétaire générale, ne fait pas dans la demi-mesure lorsqu’il s’agit de l’Italie. Elle est convaincue que le gouvernement « criminalise honteusement ceux qui aident les réfugiés et les migrants » [voir p. 273 du  rapport). Elle ne peut s’empêcher d’être consciente que le racisme contemporain montre son profil systémique encore plus que par le passé. Surtout lorsque son trait institutionnel - celui que réitère le premier décret-loi de 2023, trompeusement intitulé « Sur la gestion des flux migratoires » - se mêle de manière particulièrement perverse aux offensives médiatiques. Lorsque, quelques jours après l’hécatombe de Cutro en Calabre, Vittorio Feltri - l’un des experts italiens les plus influents de ces dernières décennies, élu en Lombardie avec le parti de la Première ministre et, par le passé, même candidat à la présidence de la république de Meloni et Salvini - explique qu’ « aux citoyens non européens, je rappelle un vieux dicton italien : partir, c’est mourir. Restez chez vous », il n’y a pas vraiment de quoi rire. Ce n’est pas un vieux monsieur au goût de la provocation et au taux d’alcool élevé qui déclare : « Je n’ai jamais fréquenté les plages ni mis un pied dans la mer. Mais si je devais affronter les vagues, je choisirais un vrai bateau, pas une épave semi-flottante conduite par des passeurs délinquants ». Non, Feltri est un leader d’opinion qui fait autorité et qui illustre l’axe des politiques migratoires italiennes auprès de très larges publics. S’agit-il vraiment de politiques racistes ou s’agit-il plutôt de la pantomime habituelle entre les camps politiques dans laquelle le gagnant est celui qui tire le plus fort et ensuite tout glisse dans le marais boueux des médias sans laisser de trace concrète ? Annamaria Rivera tente, une fois de plus, de redonner tout son sens à l’époque que nous vivons, une époque où l’expression politique « cercle vicieux du racisme » devient chaque jour plus mortelle et terriblement concrète (Rédaction de Comune-info).

La vie à bord d’un navire négrier. Image de afrofeminas.com

Pour commencer, il convient de proposer une définition du racisme, même si elle est imparfaite. Celle que je propose est un résumé de l’entrée que j’ai rédigée pour le Grand dictionnaire encyclopédique de l’UTET. Le racisme - écrivais-je - peut être défini comme « un système de croyances, de représentations, de normes, de discours, de comportements, de pratiques et d’actes politiques et sociaux, visant à stigmatiser, discriminer, inférioriser, subordonner, ségréguer, persécuter et/ou exterminer des catégories de personnes altérisées ». A mon avis, le terme “racisme”, au singulier, est préférable à celui de “racismes” (très en vogue, même à gauche), si l’on veut définir le caractère unitaire du concept, au-delà des variations empiriques du phénomène.