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08/10/2024

GIANFRANCO LACCONE
Au milieu de guerres et de crise climatique, le G7 de l’Agriculture sous présidence italienne s’est payé de mots

Gianfranco Laccone, climateaid.it, 3/10/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Je crois que lorsqu’on parlera un jour de cette période de l’histoire de l’humanité, on parlera d’une époque où les images éphémères régnaient et les « apparences » primaient sur la réalité des faits. Lorsque la réalité reprendra le dessus sur l’apparence, on parlera d’une période où l’hypocrisie prévalait dans les relations internationales, à tel point que les causes et les effets des actions des gouvernements de l’époque étaient dissimulés dans les documents signés.


Parallèlement au G7, se tenait sur l'île d'Ortigia une expo de promotion du Made in Italy baptisée "DiviNation" où Giorgina et son ministre Lollobrigida ont fait leur show

Cette prémisse était nécessaire pour recadrer les résultats de la réunion du G7 de l’agriculture, l’une des nombreuses qui marquent chaque année les relations entre les États les plus puissants de la planète. Elle s’est déroulée dans un climat d’incertitude, tant en ce qui concerne la situation géopolitique que la situation spécifique de l’agriculture. Pour tout dire, les participants à la réunion étaient l’expression de gouvernements démissionnaires, démis ou nouvellement formés pour la plupart des États (pensons aux récentes élections en France ou à celles à venir aux USA) et n’étaient pas en état de prendre des engagements concrets. Comme ces réunions ont lieu tous les ans, la réunion italienne aurait été l’occasion de faire un travail de couloir, de développer les connaissances des nouveaux participants et de conclure par d’éventuels engagements concrets avec les autres.

Au lieu de cela, on a préféré en faire un cirque Barnum, en l’associant à une autre foire commerciale, comme l’ont souligné de nombreux organes de presse, avec un effet promotionnel qui, dans les intentions des organisateurs, aurait renforcé l’image du Made in Italy.

Personnellement, j’ai de sérieux doutes quant aux résultats futurs, en particulier parce que les conditions climatiques et de marché dans le secteur agricole ne sont pas parmi les plus favorables et sont combinées à des conditions géopolitiques qui ont conduit à certaines crises de marché et à la détérioration des conditions alimentaires dans certaines régions de la planète.

Tout cela parce que le monde poursuit la guerre globale « en morceaux », renforçant la pratique actuelle qui consiste à déclencher des attaques non pas contre les armées adverses, mais contre la population du camp opposé, en semant la terreur. Dans ces camps, les malheureux habitants sont coupables de vivre là et sont souvent tués sous prétexte que « l’ennemi les utilise comme boucliers humains ». Dans cette lente mais inexorable escalade, d’autres pratiques guerrières détestables, utilisées dans le passé, telles que le siège et l’affamement de l’ennemi - aujourd’hui appelées par euphémisme « crises humanitaires » - sont mises en œuvre.

Pendant ce temps, les pays du G7, tout en discutant de l’agriculture, se déchargent de toute responsabilité directe et tentent de trouver la « quadrature du cercle » entre l’augmentation de la productivité (et donc de la consommation d’énergie) d’une part, et la réduction de la pollution et la lutte contre le changement climatique d’autre part.

Le communiqué publié à l’issue des travaux ne dit rien de nouveau sur ce que toutes les grandes institutions internationales (ONU, FAO, OCDE) disent depuis des années sur la relation entre faim / protection de l’environnement / développement socio-économique. Le G7 arrive bon dernier en admettant cette relation, selon laquelle il semble évident qu’il ne sera pas possible d’éliminer la faim dans le monde si cela ne se fait pas en parallèle de la protection de l’environnement et du développement socio-économique.

Mais depuis une décennie, l’Agenda 2030 a été mis en place, qui a placé cette relation à la base de ses objectifs, signé par tous les pays de l’ONU, mais tous les États sont à la traîne dans leur réalisation et les résultats que l’on pensait possibles en 2030 sont toujours repoussés.

Le communiqué de clôture du G7 ne laisse rien transparaître de cet échec global. Le ton déclamatoire du communiqué cache en réalité un manque d’action et dans les commentaires de la plupart des médias italiens, on vante la nature même du document, véritable manifeste de l’agriculture que nous voulons : rentable, résiliente, équitable et durable. Mais ils omettent de noter ce que la rigueur des données montre : depuis 1970, si une partie du monde a été libérée de la faim, ce n’est pas grâce à l’intervention des grandes puissances et des institutions économiques qu’elles dirigent, mais grâce à l’effort que la Chine a fait en interne pour amener le pays à ce qu’il est aujourd’hui. Pour le reste, l’aide apportée aux pays dans le besoin a été anéantie par le changement climatique et les guerres.

On ne sait pas dans quelle mesure la transformation industrielle de l’agriculture dans les pays dits « pauvres » a été un vecteur d’amélioration ou, peut-être, d’affaiblissement structurel supplémentaire face aux changements géopolitiques. Mais un minimum d’autocritique, sous la forme d’un changement des méthodes et de la voie adoptée jusqu’à présent dans les relations avec les autres pays (notamment en Afrique), aurait été nécessaire, ne serait-ce que pour réduire la distance politique qui existe aujourd’hui entre les sept puissances et le reste du monde.

Par exemple, toutes les motions déposées à l’ONU sur les conflits impliquant la Russie et Israël, votées par les sept grands et visant à condamner l’agression et le terrorisme, ont vu 35 États africains voter systématiquement contre ; un signe de dissidence à l’égard des politiques développées par les « grands » pays qui, malheureusement, tend à augmenter.

Comment pensez-vous impliquer tous les pays africains dans des relations économiques stables s’ils ont vu précisément dans les deux conflits - en Russie et au Moyen-Orient - la cause principale de la hausse des prix du pétrole, qui est à son tour la cause principale de la hausse des prix des denrées alimentaires ? Et comment veut-on augmenter la capacité d’autosuffisance alimentaire si le changement climatique oblige à abandonner de nombreux territoires sur les différents continents et que le développement économique dépend du mécanisme d’exportation ?

Dans de nombreux pays dits pauvres, les produits agricoles et la main-d’œuvre sont les seuls produits commercialisés. Mais lorsque les sécheresses réduisent la production agricole et que les politiques des pays riches empêchent l’entrée légale sur le marché du travail, comment sommes-nous censés améliorer les relations entre les nations et les conditions économiques générales ? Trop d’inconnues se cachent derrière le mécanisme d’aide au développement mentionné dans le document. Un petit exemple est la contradiction entre la protection des produits italiens et la nécessité d’ouvrir le marché et la production agroalimentaire aux produits des pays tiers, en premier lieu africains et ukrainiens, qui suscite la révolte de nos agriculteurs.

Les pays touchés par la crise climatique sont souvent les plus pauvres et, si l’on regarde les autres, ce sont les régions les moins riches des pays industrialisés qui sont les plus touchées par la crise. La crise climatique dans les régions riches est facilement déguisée en faible croissance du PIB : si le monde dans son ensemble n’est plus en mesure de « croître », c’est parce que l’exploitation des ressources et des terres a atteint ses limites, mais vous ne trouverez pas cela dans le communiqué. On dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions...

04/06/2024

JAMIL CHADE
Le changement climatique double le risque d'inondations dans le Rio Grande do Sul

 Jamil Chade, UOL, 3/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une étude internationale indique que le changement climatique a doublé le risque d'inondations dans le Rio Grande do Sul, confirmant le rôle de la transformation de la planète dans la survenue de l'événement extrême enregistré au Brésil.



Inondations à Porto Alegre, Rio Grande do Sul, le 5 mai 2024. Photo Ricardo Stuckert / PR

Ces conclusions interviennent à un moment où une vague de fake news commence à déferler, niant que le chaos climatique que connaît la planète ait un quelconque impact sur le volume des précipitations dans le Sud du Brésil.

L'étude confirme que le phénomène El Niño a joué un rôle important dans l'intensification des pluies et que le manque d'investissement a également augmenté l'ampleur du drame, mais elle prévient que c'est le réchauffement de la planète qui a permis à l'événement extrême d'avoir plus de chances de se produire.

L'étude a été menée par 13 chercheurs du groupe World Weather Attribution, dont des scientifiques d’universités, d'organismes de recherche et d'agences météorologiques du Brésil, des Pays-Bas, de Suède, du Royaume-Uni et des USA. Certains des participants au processus travaillent en collaboration avec le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC).

Des représentants de l'Imperial College London, de l'Université fédérale de Santa Catarina, de l'Institut national de recherche spatiale (INPE), de l'Institut météorologique royal des Pays-Bas et de l'Université de Princeton, entre autres, ont participé à l'enquête.

Selon le rapport, « pour comprendre l'effet du réchauffement d'origine humaine sur les inondations, les scientifiques ont analysé les données météorologiques et les modèles climatiques afin de comparer l'évolution de ces types d'événements entre le climat actuel, avec un réchauffement global d'environ 1,2 °C, et le climat préindustriel plus froid, en suivant des méthodes évaluées par des pairs ».

« Entre le 26 avril et le 5 mai 2024, de fortes pluies dans le Rio Grande do Sul ont provoqué d'importantes inondations qui ont touché plus de 90 % de l'État », expliquent les chercheurs.

 

Aperçu des inondations dans le Rio Grande do Sul , pour la période du 10 au 16 mai 2024. Source : OCHA

Pour eux, les fortes pluies représentent un événement extrêmement rare, qui ne devrait se produire qu'une fois tous les cent à 250 ans dans le climat actuel.

« Cependant, sans l'effet de la combustion des énergies fossiles, cet événement aurait été encore plus rare. En combinant les observations météorologiques et les résultats des modèles climatiques, les chercheurs ont estimé que le changement climatique a rendu l'événement deux fois plus probable et environ 6 à 9 % plus intense ».

Rapport du groupe World Weather Attribution

Selon les chercheurs, ces phénomènes deviendront « plus fréquents et plus destructeurs » à mesure que le réchauffement s'accentuera.

20/07/2023

GIANFRANCO LACCONE
Nous qui continuons à avoir un rêve, sachons le partager

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 20/7/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


En cette semaine où tous les records de température maximale sont battus en Italie (comme si on était dans une compétition d’athlétisme), à Rome, les discussions s’entremêlent dans un style qu’Ennio Flaiano a très bien décrit, lorsqu’il a dit que même un Martien s’adapterait ensuite aux règles et au scepticisme de ses habitants [Un marziano a Roma, 1954]. Les prédictions populaires sur l’avenir immédiat annoncent des températures de plus en plus extrêmes, pour conclure que nous finirons par les surmonter aussi, en appliquant la règle du scepticisme romain qui rend les discussions dans cette ville irritantes et irrésistibles.

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Au-delà des exagérations des propos de comptoir, ceux qui suivent depuis de nombreuses années le débat sur la pollution de la planète et ses conséquences sont frappés par la régression qu’a connue la prise de conscience de nos comportements et, par conséquent, le débat sur le sujet. Ce que j’exprime peut apparaître à certains comme une sorte de nostalgie d’une époque révolue, où l’on parlait du changement climatique en plein boom de la consommation, mais il ne me semble pas que ce soit le cas. Pour en témoigner, je me réfère à la lecture d’essais écrits il y a trente ans, et peut-être même de nombreux essais antérieurs, comme le merveilleux The Sea Around Us [La Mer autour de nous], écrit par Rachel Carson au début des années 1950, qui raconte l’histoire de la mer pour comprendre comment elle a changé et comment elle changera. Nous pourrions être surpris de constater qu’il y a trente ans, des chercheurs de différentes disciplines (écologistes, biologistes, chimistes, physiciens, éthologues, agronomes, économistes, philosophes, anthropologues) ont convergé vers certaines prédictions, en partant de points différents et en suivant des chemins différents. Ils ont surtout convergé sur la causalité de la relation “développement industriel/changement climatique/modification du comportement des êtres vivants”.

 

À l’époque, on discutait beaucoup et on réfutait les idées des autres avec des arguments et non avec des moqueries ou des invectives. Tout cela sans adhérer nécessairement à la théorie de James Lovelock, connue sous le nom d’“hypothèse Gaia”, sans devoir partager les positions de l’écopacifisme, dont Barry Commoner était l’un des plus grands représentants, sans être, enfin, des théoriciens de l’écomarxisme comme James O’Connor ou des théoriciens de la décroissance comme Serge Latouche.

 

Nous discutions en étant conscients que nous devions trouver des solutions, car face à des cas comme Seveso et la dioxine, Otrante et le plomb tétraéthyle dans la mer, Tchernobyl et la contamination radioactive, nous essayions de comprendre les causes profondes, les liens qui ont rendu ces événements possibles et, pour nous à l’ACU [Association Consommateurs Usagers, les raisons qui ont rendu possibles les morts au Viêt Nam avec les produits mortels répandus sur les forêts, les champs et les villages, et ceux dus au méthanol pour nos consommateurs habituels de vin bon marché. Nous essayions de relier les aspects économiques et sociaux aux aspects scientifiques, et de construire un discours utile pour développer des alternatives et des comportements appropriés aux dangers auxquels nous étions confrontés.

 

Aujourd’hui, après tant d’années, certaines vérités sont incontestables : la relation entre nous, l’environnement et les changements structurels du climat sont indéniables. On peut même discuter du moment et des possibilités de réagir aux catastrophes climatiques, que beaucoup considèrent encore comme lointaines et donc gérables. Ils disent : « après tout, il fait toujours chaud en été, les torrents ont toujours débordé, il a suffi d’une année de pandémie et d’abandon des activités polluantes pour que les valeurs remontent ».

 

06/07/2022

MAURO RAVARINO
L’effondrement du glacier de la Marmolada : explications

Mauro Ravarino, il manifesto, 5/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Avec la canicule, nous avons un mois d’avance. Cela signifie que la neige disparaît plus tôt et que la fonte des glaces commence plus tôt. Et ainsi nous érodons la mémoire des glaciers.

Mauro Ravarino, journaliste, travaille au bureau de presse de l'université de Turin et collabore au quotidien il manifesto depuis 2008, notamment avec des articles et des reportages sur les questions sociales et environnementales. Il a travaillé comme rédacteur à l'agence de presse LaPresse et au quotidien Il Secolo XIX. Il est également l'auteur de deux livres : Terzo valico. L'altra TAV (Round Robin Editrice, 2015) et Al di sotto della legge (Edizioni Gruppo Abele, 2015). Il a édité la nouvelle édition de La guerra in casa (Einaudi, 2020) de Luca Rastello. Également vidéaste, il a réalisé les documentaires Mare Mosso, présenté à CinemAmbiente, et Lontano dai confini (un webdoc interactif sur le droit à la mobilité). @mauroravarino

 

Une centaine de mètres en deux ans. C'est le bilan négatif du front glaciaire de la Marmolada. En 2020, le Comité glaciologique italien (CGI) s'était rendu sur le site de la tragédie de dimanche pour l'une des étapes de la Caravane des glaciers de Legambiente [Ligue Environnement, association écologiste, NdT]. Marco Giardino, vice-président du CGI et professeur de géographie physique et de géomorphologie à l'université de Turin, était également présent. « Nous avions documenté la régression de ce glacier de pente, avec une inclinaison de 25 degrés, qui en moins d'un siècle a vu sa surface réduite de 70% et son volume de 86%. Une situation qui s'est accélérée ces dernières années. En montant vers l'avant, nous avions remarqué une instabilité, mais l'observation des crevasses n'avait pas indiqué de danger particulier. Un aspect qui, en revanche, serait apparu ces derniers jours, comme la quantité d'eau s'écoulant du front. Il s'agit d'informations qu'il faut recueillir afin de comprendre ce qu'il faut faire ».

La caravane des glaciers 2021

Nous avons de fait besoin d'une gestion consciente du territoire et d'une surveillance continue. « Il y a beaucoup de glaciers et il est donc impensable de les surveiller tous avec des instruments. Des choix doivent être faits, en se concentrant sur ceux connus pour être à risque ou fragiles et sur les zones très fréquentées. Et d'encourager l'observation extensive des corps glaciaires par des experts capables d'identifier les signes prémonitoires », explique Marta Chiarle, spécialiste des risques glaciaires, chercheuse au CNR-IRPI et coordinatrice pour le CGI des campagnes glaciologiques dans le Nord-Ouest de l’Italie.

24/06/2022

MAURO RAVARINO
Comment et pourquoi un affluent du Pô a disparu en un seul jour
Interview du professeur Stefano Fenoglio

 Mauro Ravarino, il manifesto, 17/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Mauro Ravarino, journaliste, travaille au bureau de presse de l'université de Turin et collabore au quotidien il manifesto depuis 2008, notamment avec des articles et des reportages sur les questions sociales et environnementales. Il a travaillé comme rédacteur à l'agence de presse LaPresse et au quotidien Il Secolo XIX. Il est également l'auteur de deux livres : Terzo valico. L'altra TAV (Round Robin Editrice, 2015) et Al di sotto della legge (Edizioni Gruppo Abele, 2015). Il a édité la nouvelle édition de La guerra in casa (Einaudi, 2020) de Luca Rastello. Également vidéaste, il a réalisé les documentaires Mare Mosso, présenté à CinemAmbiente, et Lontano dai confini (un webdoc interactif sur le droit à la mobilité).

Interview. Le professeur Stefano Fenoglio d'Alpstream, le Centre d'étude des rivières alpines situé dans le parc du Monviso, déclare : « Il ne s'agit pas d'une anomalie passagère, nous sortons de huit années d'hivers chauds, avec une réduction des précipitations. Nous devons intervenir en pensant à l'avenir, pas au jour suivant ».

Situation d'urgence due à la sécheresse dans la vallée du Pô où, dans certaines municipalités, il n'a pas plu depuis 110 jours – Photo Ansa

La surveillance quotidienne des rivières alpines, qui constituaient autrefois une riche source d'eau, révèle une situation dramatique. Et ce n'est pas seulement une question de quantité d'eau, la qualité et la survie des écosystèmes fluviaux sont en jeu. Avec Alpstream, point de référence pour l'étude, la gestion durable et la protection des systèmes fluviaux dans les Alpes, Stefano Fenoglio, zoologiste et enseignant au département des sciences de la vie et de biologie des systèmes de l'université de Turin, en fait l'expérience sur le terrain.

Professeur Fenoglio, nous parlons d'une urgence de sécheresse, mais cela dure depuis trop longtemps. Qu’en est-il exactement ?

Dans un certain sens, c'est l’étonnement que cela suscite qui est étonnant, malheureusement cette situation de sécheresse extrême était prévisible depuis des mois, compte tenu de l'anomalie thermique et pluviométrique enregistrée au cours de l'hiver. Si les rivières étaient dans un état d'épuisement en février, les conditions sont maintenant pires. Bien sûr, il y a aussi des aspects qui nous impressionnent. Il y a quelques matins, nous sommes passés par la rivière Varaita, un affluent du Pô dans la province de Cuneo, et si le matin il y avait un filet d'eau, lorsque nous sommes revenus dans l'après-midi pour faire quelques prélèvements, nous avons trouvé une étendue de blocs rocheux avec seulement un peu d'humidité résiduelle. La rivière a disparu en une journée, en raison de la chaleur et du prélèvement exceptionnel de l'agriculture. Il existe des causes mondiales et locales.

Nous sommes confrontés à trois mois d'été cruciaux. Comment pouvons-nous faire un meilleur usage de l'eau ?

Ce que nous vivons n'est pas l'anomalie de cette année, nous sortons de huit années d'hivers chauds, avec une nette diminution des précipitations. Et nous devons agir en pensant à l'avenir, pas au jour suivant. Nous devons laisser plus d'eau dans les rivières car cela dilue les rejets des épurateurs. Nous devons sélectionner des cultures moins gourmandes en eau, améliorer l'efficacité du système qui gère et distribue l'eau. Les rivières sont des écosystèmes et non des conduits. Nous avons un pendule qui oscille entre une sécheresse extrême et des précipitations intenses, en exploitant ces dernières nous devons retenir l'eau sur le territoire pour mieux la distribuer. Il s'agit d'une pratique méditerranéenne qui, dans le nord de l'Italie, ne semblait pas être une obligation mais qui l'est désormais. Ces interventions doivent être écologiquement durables, en harmonisant leur présence.

Nous parlons à juste titre de la réduction de la quantité d'eau, mais peu de la qualité. Pourquoi, au contraire, serait-il important de le faire ?

Ces jours-ci, nous menons une campagne de surveillance de la biodiversité et du débit des rivières du Piémont : la situation est dramatique. Il existe des rivières en sécheresse totale dans de nombreux environnements de piémont de l'arc occidental. Je parle de la Varaita, la Maira, la Grana et la Pellice, qui sont déjà à sec sur plusieurs kilomètres en juin. Elles ont un tiers de l'eau qu'elles devraient avoir en ce moment. Et avec Alpstream, nous étudions l'aspect de la qualité de l'eau : avoir moins signifie avoir pire. Nous continuons à déverser dans le cours d'eau les mêmes eaux usées provenant des stations d'épuration, des engrais et des pesticides. Cependant, le volume d'eau qui permettait de les diluer fait désormais défaut et augmente de manière disproportionnée la concentration de polluants et de bactéries. Si les rejets des épurateurs prévalaient, nous ne pourrions même plus l'utiliser pour l'irrigation. Avec moins d'eau et plus de vagues de chaleur, la température moyenne des rivières a augmenté de plusieurs degrés au-dessus de la moyenne. Les eaux plus chaudes sont moins oxygénées, ce qui affecte la biodiversité et la vie des poissons, favorisant les processus de croissance des algues, comme en ville (à Turin par exemple), ou la prolifération des bactéries, qui profitent de la rareté de l'eau.

Alpstream est basé à Ostana, sur le Mont Viso, non loin de l'endroit où le Pô prend sa source. Quelle est la situation ?

Dans les zones de haute montagne, la neige a fait défaut et la quantité d'eau a diminué, les lacs alpins sont plus bas que d'habitude. Cet hiver, nous avons eu un isotherme 0 °C  au-dessus de 4 000 mètres pendant plusieurs jours. Les sources du Pô sont restées à sec pendant un certain temps au cours des mois d'hiver. À l'embouchure, l’intrusion salée avance beaucoup : l'eau saumâtre risque de s'infiltrer dans la nappe phréatique, ce qui est également un problème pour l'agriculture. Les problèmes sont généralisés en Europe du Sud, l'Espagne est plus mal lotie que nous, mais c’est toujours impressionnant de voir nos zones alpines, si riches en eau, dans un tel état.

 

13/03/2022

TIM FLANNERY
Dans des eaux chaudes
Recension de deux livres sur les récifs coralliens, leur histoire et leur déclin

Tim Flannery, The New York Review of Books, 12/3/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Tim Flannery (Melbourne, 1956) est un mammalogiste (zoologiste spécialisé dans les mammifères) australien, paléontologue et militant écologiste, particulièrement connu pour son combat contre le réchauffement climatique. Son livre le plus récent est Europe: A Natural History (mars 2022).  Bibliographie

 « Le déclin des récifs coralliens s'accélère si rapidement que nous pourrions en voir la fin de notre vivant »

 


 

Recension de :

Coral Reefs: A Natural History (Les récifs coralliens, une histoire naturelle)
by Charles Sheppard

Princeton University Press, 240 pp., $35.00

Life on the Rocks: Building a Future for Coral Reefs (La vie on the rocks : Construire un avenir pour les récifs coralliens)
by Juli Berwald
Riverhead, 336 pp., $28.00

Faire de la plongée en apnée ou en scaphandre autonome au-dessus d'un récif corallien, avec ses couleurs exceptionnellement vives et sa prolifération de vie sous des formes totalement inconnues, est ce qui ressemble le plus à la visite d'un monde étranger. La tentation est grande d'essayer d'appréhender le récif dans son ensemble, mais la véritable merveille réside dans l'observation de près. Plus on s'approche, plus les couches de complexité et de brillance vivante se révèlent : suivez un minuscule poisson, dont la moitié avant est bleu électrique et l'arrière orange brillant, et vous vous retrouverez dans la gueule violette d'une palourde géante si étendue qu'elle ressemble à première vue à une chaîne de montagnes. La variété la plus exquise de tubes, de vrilles, d'étoiles et d'épines forme un objet si grand qu'on peut le voir de l'espace.

Une étoile de mer bleue s'accroche à une tête de corail où poussent des algues coralliennes, des tuniciers et des coraux-cuir mous, île de Batanta, Indonésie, 2012. Photo Ethan Daniels/Alamy.


La genèse des récifs coralliens du monde s'est produite il y a 54 millions d'années, dans une mer disparue depuis longtemps, surnommée Téthys, dans ce qui est aujourd'hui l'Europe du Sud. À l'époque, le monde se remettait d'un réchauffement climatique dévastateur causé par le dioxyde de carbone et le méthane qui s'échappaient de la croûte terrestre, et qui ont à la fois réchauffé et acidifié les océans, précipitant une extinction et réorganisant la circulation des courants océaniques. Lorsque les gaz à effet de serre ont été progressivement absorbés par les roches au cours de centaines de milliers d'années, les océans se sont refroidis et ont retrouvé leur alcalinité, créant ainsi des conditions favorables à la formation de récifs coralliens. La biodiversité caractéristique du récif corallien moderne est apparue si rapidement qu'elle semble avoir été presque entièrement formée, comme Dionysos jaillissant de la cuisse de Zeus. Et à travers toutes les périodes glaciaires et les dérives des continents qui ont suivi, la composition essentielle des récifs coralliens est restée inchangée.

L'ouvrage de Charles Sheppard, Coral Reefs : A Natural History, ne se contente pas d'expliquer ce que sont les coraux et comment ils vivent, mais révèle, à travers des photographies exquises, les splendeurs des récifs à toutes les échelles. En feuilletant ses pages, j'ai été à la fois émerveillé et attristé, car peu de récifs aujourd'hui possèdent une beauté aussi intacte. Beaucoup de ceux sur lesquels j'ai plongé récemment ont commencé à se dégrader et à mourir. C'est une tendance mondiale qui s'accélère si rapidement que nous pourrions voir la fin des récifs coralliens de notre vivant. Une étude scientifique publiée cette année indique que lorsque le réchauffement de la planète atteindra 1,5 degré Celsius, presque aucun corail n'évitera un blanchiment sévère, qui le rend vulnérable aux maladies et à la mort par inanition[1].

Si la tendance actuelle se poursuit, nous atteindrons cette température au début des années 2030. Seuls 0,2 % des récifs échapperont au blanchiment, un résultat qui, selon les chercheurs, sera catastrophique.

La cause de cette catastrophe, et ce que l'on peut faire pour y remédier, est au centre du splendide nouveau livre de Juli Berwald, Life on the Rocks. La grande force de Berwald est de révéler une catastrophe mondiale complexe et en évolution rapide au moyen d'études de cas faciles à comprendre, et peu d'entre elles sont aussi troublantes que celle de la Grande Barrière de Corail d'Australie. Le plus grand système récifal du monde s'étend sur 2 250 km du nord au sud et couvre une superficie équivalente à celle de l'Italie. À la fin des années 1920, la Royal Geographical Society of Australasia a organisé une expédition pour l'étudier en profondeur pour la première fois, en envoyant un jeune chercheur en huîtres, Maurice Yonge, et sa femme médecin, Mattie, dans les Low Isles, dans la partie nord du récif. Dans le monde interconnecté d'aujourd'hui, où l'environnement est endommagé, il est difficile de comprendre l'aventure que le jeune couple a dû vivre pendant des mois avec vingt autres chercheurs sur une île tropicale, dans un jardin d'Eden maritime.

Ne disposant pas d'équipement de plongée, l'équipe travaillait à marée basse, documentant l'état et la diversité du corail. En février 1929, Maurice fut étonné de constater que l'eau de mer dans les bassins laissés par la marée descendante était « littéralement chaude au toucher » et, lors de la marée basse suivante, il remarqua que de grandes parties du corail pierreux et ramifié qui dominait le récif sain étaient devenues blanches - c'était le premier cas enregistré de blanchiment du corail dû à l'élévation de la température de la mer. Mais lors de la marée basse extrême suivante, en avril, les coraux avaient retrouvé leur couleur habituelle. Nous savons maintenant que ce blanchiment et ce rétablissement sont une réponse normale des coraux au stress. Le blanchiment ne devient mortel que lorsque les températures élevées persistent.