Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 20/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
En cette semaine où tous les records de température maximale sont battus en Italie (comme si on était dans une compétition d’athlétisme), à Rome, les discussions s’entremêlent dans un style qu’Ennio Flaiano a très bien décrit, lorsqu’il a dit que même un Martien s’adapterait ensuite aux règles et au scepticisme de ses habitants [Un marziano a Roma, 1954]. Les prédictions populaires sur l’avenir immédiat annoncent des températures de plus en plus extrêmes, pour conclure que nous finirons par les surmonter aussi, en appliquant la règle du scepticisme romain qui rend les discussions dans cette ville irritantes et irrésistibles.
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Au-delà des exagérations des propos de comptoir, ceux qui suivent depuis de nombreuses années le débat sur la pollution de la planète et ses conséquences sont frappés par la régression qu’a connue la prise de conscience de nos comportements et, par conséquent, le débat sur le sujet. Ce que j’exprime peut apparaître à certains comme une sorte de nostalgie d’une époque révolue, où l’on parlait du changement climatique en plein boom de la consommation, mais il ne me semble pas que ce soit le cas. Pour en témoigner, je me réfère à la lecture d’essais écrits il y a trente ans, et peut-être même de nombreux essais antérieurs, comme le merveilleux The Sea Around Us [La Mer autour de nous], écrit par Rachel Carson au début des années 1950, qui raconte l’histoire de la mer pour comprendre comment elle a changé et comment elle changera. Nous pourrions être surpris de constater qu’il y a trente ans, des chercheurs de différentes disciplines (écologistes, biologistes, chimistes, physiciens, éthologues, agronomes, économistes, philosophes, anthropologues) ont convergé vers certaines prédictions, en partant de points différents et en suivant des chemins différents. Ils ont surtout convergé sur la causalité de la relation “développement industriel/changement climatique/modification du comportement des êtres vivants”.
À l’époque, on discutait beaucoup et on réfutait les idées des autres avec des arguments et non avec des moqueries ou des invectives. Tout cela sans adhérer nécessairement à la théorie de James Lovelock, connue sous le nom d’“hypothèse Gaia”, sans devoir partager les positions de l’écopacifisme, dont Barry Commoner était l’un des plus grands représentants, sans être, enfin, des théoriciens de l’écomarxisme comme James O’Connor ou des théoriciens de la décroissance comme Serge Latouche.
Nous discutions en étant conscients que nous devions trouver des solutions, car face à des cas comme Seveso et la dioxine, Otrante et le plomb tétraéthyle dans la mer, Tchernobyl et la contamination radioactive, nous essayions de comprendre les causes profondes, les liens qui ont rendu ces événements possibles et, pour nous à l’ACU [Association Consommateurs Usagers, les raisons qui ont rendu possibles les morts au Viêt Nam avec les produits mortels répandus sur les forêts, les champs et les villages, et ceux dus au méthanol pour nos consommateurs habituels de vin bon marché. Nous essayions de relier les aspects économiques et sociaux aux aspects scientifiques, et de construire un discours utile pour développer des alternatives et des comportements appropriés aux dangers auxquels nous étions confrontés.
Aujourd’hui, après tant d’années, certaines vérités sont incontestables : la relation entre nous, l’environnement et les changements structurels du climat sont indéniables. On peut même discuter du moment et des possibilités de réagir aux catastrophes climatiques, que beaucoup considèrent encore comme lointaines et donc gérables. Ils disent : « après tout, il fait toujours chaud en été, les torrents ont toujours débordé, il a suffi d’une année de pandémie et d’abandon des activités polluantes pour que les valeurs remontent ».
Ce qui frappe dans cette argumentation, c’est la superficialité et la tendance à oublier le passé et ses erreurs déjà soulignées à l’époque. Il ne sert à rien, face à un tel discours, d’argumenter scientifiquement comme on le faisait il y a trente ans : la réaction de ceux qui sont censés comprendre ce qui s’est passé va jusqu’à l’invective, sans autre argument que de croire que les arguments de ceux qui revendiquent l’origine humaine du changement climatique sont une « attaque contre notre façon d’être et notre économie, soumise à des puissances obscures ».
En 1993, Edward Goldsmith, dans l’introduction de son livre Le défi du XXIe siècle, commençait par cette phrase : « La société moderne détruit à un rythme étonnant le monde naturel dont dépend la survie de l’homme ». Que dire de plus ? J’ajouterai que l’absence de réflexion de ceux qui se moquaient autrefois des écologistes et qui discutent aujourd’hui du changement climatique sans honte et sans un peu d’autocritique humble est surprenante. Et que dire de ceux qui s’élèvent contre l’“écologisme extrême”, comme le fait notre présidente du Conseil, Giorgia Meloni : l’une de ces personnes a-t-elle jamais dit ce qu’est un écologisme non extrême ? Et vous, le savez-vous ?
Le pragmatisme de la Commission européenne (il faudrait beaucoup de courage pour la qualifier d’“écologiste extrême”) fixe des délais et des règles de comportement. Les entreprises qui ne veulent, ne peuvent ou ne savent pas se renouveler crient au scandale et à l’extrémisme, entraînant dans leur sillage une masse de consommateurs qui préfèrent ne pas changer leurs habitudes.
Mais quelle est l’alternative ? En 2029, nous ne devrons plus produire de chaudières à gaz, en 2035, nous ne pourrons plus vendre de voitures à moteur à combustion, d’ici cinq ans, nous devrons réhabiliter nos maisons. Continuer aujourd’hui comme hier ? Prolonger de quelques années l’agonie du moteur à combustion interne ? Le problème, c’est que nous ne voulons pas admettre que nous avons perdu du temps et que nous ne sommes pas préparés au changement climatique ; nous préférons crier au complot, sous le masque de sages du juste milieu.
Et pourtant, dans l’esprit d’il y a cinquante ans, les échéances proposées par l’UE auraient suscité une réaction populaire vive et joyeuse, car de grandes réformes auraient été envisagées, les jeunes auraient rêvé de leur avenir autre que la misérable vie de gratte-papier assujetti à la TVA jusqu’alors envisagée. Aujourd’hui, seuls Greta Thunberg et quelques autres demandent que l’on fasse quelque chose, tandis que les masses regardent le changement climatique comme si elles regardaient un film réalisé par d’autres, dans lequel elles ne figurent pas parmi les protagonistes.
Aujourd’hui, le changement climatique est suffisamment évident et motivé, mais le comportement de la masse des Italiens est inexplicablement immotivé. Il y a une perte de mémoire, un manque de références qui empêche la plupart des gens de relier la situation actuelle aux choix passés, les leurs et ceux des autres.
Pour nous, qui avions déjà prévu il y a trente ans ce que nous voyons aujourd’hui, c’est l’occasion d’agir pour réaliser des alternatives à ce qui se profile à l’horizon.
Nous sommes les seuls à avoir un rêve et nous devons savoir le partager.
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