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02/12/2024

JUDY MALTZ
Comment la guerre d’Israël contre Gaza a poussé les Israéliens de la Silicon Valley à sortir de leur bulle

NdT : ci-dessous le compte rendu d’une plongée hallucinante dans la bulle du Silicone Wadi, dont, de toute évidence, nos braves expats israéliens ne sont vraiment pas sortis, contrairement à ce qui est affirmé.

Judy Maltz, depuis Palo Alto, pour Haaretz, 1/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Après le 7 octobre, la vague d'antisémitisme [sic] qui a déferlé sur l'une des régions les plus progressistes des USA a poussé les expatriés israéliens à s'engager dans un militantisme de terrain en réponse à la diabolisation d'Israël et des Juifs [elle veut dire : des sionistes]. Pourtant, certains envisagent de partir pour de bon


Une bulle éclate à Palo Alto.Photo d’Arseniy Gutov/ Shutterstock, photoshopée par Jacob Boomsma. et Masha Zur Glozman

PALO ALTO - Comme de nombreux Israéliens qui se sont installés dans la Silicon Valley au début du boom de la haute technologie, Hagit et Oded Shekel avaient prévu de ne rester que deux ans. Près de 25 ans et quatre enfants plus tard, ils sont toujours là.
Et comme beaucoup d'Israéliens qui considèrent cette partie de la Californie du Nord comme leur maison - ou du moins, comme leur maison loin de chez eux - les Shekel ont vécu, la plupart du temps, dans une bulle israélienne. Ils parlent hébreu à la maison, fréquentent principalement d'autres Israéliens, envoient leurs enfants au mouvement des scouts israéliens et s'assurent d'assister à tous les spectacles israéliens qui viennent en ville.
« Les médias israéliens nous informent toujours de ce qui se passe aux USA », explique Hagit.
Il n'est pas surprenant qu'ils ne se soient jamais intéressés à la politique locale. « Nous vivons à Sunnyvale depuis 14 ans et nous ne savions même pas où se trouvait le bâtiment du conseil municipal ni à quoi il ressemblait », admet-elle.
Tout a changé quelques semaines après le 7 octobre, lorsque les Shekel ont découvert que leur maire, ainsi que plusieurs membres du conseil municipal, avaient signé une déclaration condamnant Israël pour ses actions à Gaza. Munis de drapeaux israéliens, ils ont organisé une manifestation lors de la réunion suivante du conseil municipal et y ont associé leurs amis et voisins israéliens. À partir de ce moment-là, ils ont commencé à se présenter à chaque réunion du conseil municipal.
« Rien de tel ne s'était jamais produit auparavant », raconte Hagit.


Oded et Hagit Shekel, fondateurs de la Jewish Bay Coalition. Photo Judy Maltz

Une bulle brisée
Plus d'un an après l'attaque meurtrière du Hamas contre Israël, les communautés juives du monde entier sont encore sous le choc. Mais pour les expatriés israéliens, le choc a été encore plus grand. Non seulement parce qu'ils sont plus susceptibles de connaître les victimes, mais aussi parce que, étant nés et ayant grandi dans un pays où les Juifs sont majoritaires, la plupart d'entre eux n'avaient jamais été confrontés à l'antisémitisme [resic] avant le 7 octobre.
On estime à 40 000 le nombre d'Israéliens vivant dans la Silicon Valley, les plus grandes concentrations se trouvant dans les villes de Sunnyvale, Mountain View, Palo Alto, Cupertino et Los Altos. Nombre d'entre eux, comme les Shekel, sont arrivés dans la région dans le cadre de missions de relocalisation à court terme et ont fini par y rester.
Parmi les communautés d'expatriés israéliens situées dans le monde entier, la Silicon Valley est peut-être la plus importante, la plus riche et la plus prospère. Les Israéliens sont devenus une telle force dans cette capitale mondiale de la haute technologie que les hébréophones l'ont surnommée « Silicon Wadi », en référence aux lits de rivières asséchées omniprésents en Israël [encore un mot arabe qu’ils ont volé].
La région de la baie de Californie, où se trouve la Silicon Valley, est également connue pour sa politique très progressiste, pratiquement synonyme aujourd'hui d'activisme pro-palestinien. Ce n'est d'ailleurs pas une coïncidence si les organisations antisionistes Jewish Voice for Peace et Students for Justice in Palestine, qui ont joué un rôle de premier plan dans les manifestations qui ont eu lieu sur les campus l'année dernière, ont fait leurs premiers pas dans cette région. Depuis le 7 octobre, un grand nombre de résolutions anti-israéliennes adoptées par les conseils municipaux dans tout le pays et un grand nombre de plaintes contre l'antisémitisme [reresic] dans le système scolaire public ont également vu le jour ici.
« En tant qu'Israéliens, nous connaissons bien le terrorisme, mais pas l'antisémitisme », note Guy Miasnik, un investisseur et entrepreneur en technologie qui siège également au conseil d'administration de la fédération juive locale. « Soudain, nous y sommes exposés dans les écoles de nos enfants, sur leurs campus et dans les conseils municipaux. Ainsi, pour la première fois dont je me souvienne, des Israéliens de la Silicon Valley participent activement à la vie politique locale.

Guy Miasnik : « En tant qu'Israéliens, nous connaissons bien le terrorisme, mais pas l'antisémitisme ». Photo Adva Ophir

Guy Miasnik, qui vit dans la région de la Baie depuis près de 25 ans, qualifie de « sans précédent » le niveau d'activisme local dont il a été témoin parmi les Israéliens de la région au cours de l'année écoulée.
« Ce sont des gens qui, avant le 7 octobre, n'avaient aucune idée de ce qu'était un district scolaire ou un conseil scolaire », explique-t-il. « Je veux dire que ces choses n'existent pas en Israël. Et soudain, ils se présentent aux réunions des conseils scolaires et des conseils municipaux et font beaucoup de bruit ».
Ronit Jacobs, qui dirige le département israélien du JCC (Centre communautaire juif) de Palo Alto, s'est installée à Mountain View avec son mari usaméricain et leurs trois enfants il y a 23 ans. Elle a participé à la création de l'école de langue hébraïque de l'après-midi au JCC, qui accueille aujourd'hui 650 élèves, principalement des enfants d'Israéliens, et qui a des antennes dans toute la région.

Ronit Jacobs : « Le 7 octobre, les Israéliens laïques ont soudain compris que nous étions juifs».

« Le 7 octobre, les Israéliens laïques d'ici ont soudain compris que nous étions juifs », dit-elle. Ce n'est pas comme grandir en Israël, où le judaïsme se transmet dans l'air et dans l'eau. En Israël, vous n'avez pas besoin de travailler pour être juif ».
Elle ajoute : « Le 7 octobre, nous avons compris, que nous soyons USAméricains ou Israéliens, que nous, les Juifs, sommes tous dans le même bateau. L'année dernière, nous avons vécu une grande prise de conscience ».
Une rencontre qui change la vie
Ella Segev, lycéenne de 16 ans, s'est installée à Palo Alto avec sa famille à l'âge de 9 ans. Quelques semaines après le 7 octobre, raconte-t-elle, une camarade de classe s'est approchée d'elle dans le couloir de l'école et, à son grand étonnement, lui a dit : « Fuck The Jews [ J'emmerde les Juifs] ».

Ella Segev : « Avant le 7 octobre, je n'étais qu'une jeune Israélienne ordinaire qui faisait la Pâque et jeûnait le Yom Kippour. Mais ce qui s'est passé ce jour-là a changé ma vie ». Photo Ido Segev

« J'ai été absolument choquée », se souvient-elle. « C'est à ce moment-là que j'ai décidé d'agir. J'ai donc commencé à me présenter aux réunions des conseils scolaires et des conseils municipaux pour tenter d'expliquer aux responsables politiques locaux ce que vivaient les étudiants juifs et israéliens comme moi ». Elle a fini par obtenir un entretien privé avec le maire.
« Je n'avais jamais été une activiste auparavant », dit Segev. « Avant le 7 octobre, je n'étais qu'une jeune Israélienne moyenne qui faisait la Pâque et jeûnait le jour de Yom Kippour. Mais ce qui s’est passé ce jour-là a changé ma vie ».
Jusqu’à l’année dernière, note Jacobs, elle n’avait jamais rencontré d’Israéliens qui envisageaient de cacher leur identité.
« La plupart d'entre nous sont fiers de ce qu'ils sont et n'ont jamais eu l'impression d'avoir à en avoir honte », explique-t-elle. « Nous n'hésitions pas à nous promener avec des t-shirts portant des inscriptions en hébreu. Mais soudain, j'ai commencé à recevoir des appels d'amis israéliens qui me demandaient si je pensais qu'ils devaient enlever leurs mezouzahs ou s'ils devaient arrêter de parler hébreu à l'extérieur. Cela m'a fait prendre conscience de l'impact considérable que le 7 octobre avait sur nous, Israéliens ».

Délier les cordons de la bourse
En période de crise pour Israël, les Juifs usaméricains ont généralement réagi en ouvrant leur porte-monnaie. Pour les Israéliens, cependant, même ceux qui sont basés aux USA, la charité et la philanthropie ne sont pas une seconde nature.
« Donner de l'argent ne fait pas partie de l'ADN israélien », fait remarquer Oded Hermoni, un investisseur en capital-risque qui s'est installé dans la Silicon Valley il y a 13 ans. « Pour les Israéliens, il a toujours été question de donner son sang ».

Oded Hermoni : « Donner de l'argent ne fait pas partie de l'ADN israélien.

Cela a également changé après le 7 octobre. Oded Hermoni est le cofondateur de J-Ventures, un fonds d'investissement dans les hautes technologies, surnommé le « kibboutz capitaliste », géré par un groupe de Juifs usaméricains et d'Israéliens.
Après l'attaque du Hamas, J-Ventures a créé un fonds d'urgence pour aider les victimes. « Nous avons recueilli autant d'argent auprès des Israéliens que des Juifs usaméricains, ce qui m'a surpris car je n'avais jamais vu d'Israéliens donner autant d'argent auparavant ».
Hermoni est probablement le rare exemple d'un Israélien basé dans la Silicon Valley qui, dès son arrivée dans le pays, a commencé à se lier d'amitié avec des Juifs usaméricains de la région.
C'est le choc du 7 octobre qui a incité Hagit et Oded Shekel - qui jusqu'alors s'étaient rarement mêlés à des juifs usaméricains - à rechercher leur compagnie. « Nous avons réalisé que nous étions tous dans le même bateau et qu'en unissant nos forces, nous pourrions changer les choses », explique Hagit.
Les Shekel sont les fondateurs de la Jewish Bay Coalition, une association locale d'Israéliens et de Juifs usaméricains qui s'est engagée à lutter contre les initiatives anti-israéliennes et antisémites [rereresic] dans les conseils locaux et les écoles publiques. Comme le veut la tradition israélienne, elle utilise des groupes WhatsApp pour mobiliser ses membres. Selon Hagit, des milliers d'Israéliens et de Juifs usaméricains ont rejoint ces groupes WhatsApp au cours de l'année écoulée.
« Il s'agissait d'un partenariat inédit entre des Juifs locaux et des Israéliens, les Israéliens montrant la voie », note Miasik, qui a contribué à obtenir un financement pour la coalition auprès de la fédération juive locale.
Avant les élections du 5 novembre, les bénévoles de la coalition ont interrogé les candidats aux élections locales dans la région de la baie afin de connaître leur position sur les questions qui préoccupent les Juifs et les Israéliens. Ils ont ensuite publié un « Guide de l'électeur » contenant des recommandations à l'intention des candidats en lice dans 200 scrutins à travers la région.
« Certains nouveaux membres de l'assemblée de l'État m'ont appelé pour me dire qu'ils avaient été élus grâce à nos recommandations », explique Oded Shekel.
Mais si le 7 octobre et ses conséquences ont créé de nouveaux liens entre les Israéliens et les USAméricains d'origine juive vivant dans la région de la baie, ils ont également mis en évidence une fracture croissante au sein de la communauté hébréophone.
Au cours des neuf mois qui ont précédé l'attaque du Hamas, de nombreux expatriés israéliens, répartis dans le monde entier, ont organisé des manifestations hebdomadaires de solidarité avec les Israéliens du pays qui protestaient contre le coup d'État judiciaire du gouvernement. Ces expatriés israéliens faisaient partie d'un réseau mondial, connu sous le nom d'UnXeptable, dont le siège se trouve dans la Bay Area.
Quelques semaines avant le 7 octobre, alors que Benjamin Netanyahou était en visite dans la Silicon Valley, des milliers d'entre eux sont venus protester contre le premier ministre israélien. Mais depuis, regrette Offir Gutelzon, l'entrepreneur israélien de haute technologie qui a fondé UnXeptable, il est difficile de mobiliser les Israéliens et de les amener à s'exprimer contre le gouvernement israélien.

Offir Gutelzon, fondateur d'UnXeptable. Il affirme qu'il est difficile de mobiliser les Israéliens depuis le 7 octobre.

« Le 7 octobre a fait à de nombreux Israéliens de la Baie ce qu'il a fait aux Israéliens d'Israël », explique Offir Gutelzon. « Il les a rendus très défensifs à l'égard d'Israël. Ici aussi, ils sont plus divisés que jamais, et ils sont nombreux à soutenir Donald Trump. »
Comme l'écrasante majorité des Israéliens, Hanoch Eiron, cadre marketing retraité de la Silicon Valley, a soutenu l'offensive israélienne à Gaza immédiatement après l'attaque du 7 octobre. « Mais lorsque des informations ont commencé à être diffusées sur les atrocités commises là-bas, ainsi qu'en Cisjordanie, cela a rendu les discussions avec d'autres Israéliens très difficiles pour moi. Nous n'étions plus sur la même longueur d'onde qu'un an auparavant. »
Au cours de l'année écoulée, explique Eiron, nombre de ses amitiés avec des Israéliens locaux ont été mises à rude épreuve. « Je pense que la démocratie et l'occupation sont incompatibles, mais je ne peux plus aborder ce sujet dans les conversations sans créer des tensions ».
Il a également découvert qu'il n'était pas d'accord avec de nombreux Israéliens locaux sur ce qui constitue l'antisémitisme. Selon lui, ses voisins israéliens ont tendance à « sur-réagir » aux critiques légitimes des actions d'Israël.

 
Hanoch Eiron : « Je pense que la démocratie et l'occupation sont incompatibles ». Photo Lee Abel

Le projet sioniste n'est pas terminé
Pour de nombreux Israéliens qui se sont installés ici au cours des dernières décennies, la survie de leur patrie a toujours été considérée comme acquise. À bien des égards, le 7 octobre et ses conséquences ont fait voler en éclats cette hypothèse.
« La plupart d'entre nous ont grandi dans un monde où Israël était un pays fort et stable, et malgré tout l'amour que nous portions à ce pays et notre attachement à son peuple, nous ne pensions pas devoir continuer à investir dans le projet sioniste », explique Mme Miasik. « Ce que le 7 octobre nous a appris, c'est que le projet sioniste n'est pas terminé et qu'il y a encore beaucoup de travail à faire ».
Les événements de l'année dernière ont également amené de nombreux Israéliens à s'interroger sur leur avenir.
« D'un côté, il y a ceux qui veulent retourner en Israël parce que c'est là que se trouvent leur famille et leurs amis, et qui se sentent même coupables d'être si loin à un moment pareil », explique Miasik. « D'un autre côté, je parle aussi à des Israéliens qui sont absolument désespérés par ce qui se passe dans le pays et qui pensent qu'ils n'ont pas d'endroit où retourner ».
Oded Shekel ne connaît pas beaucoup d'Israéliens de la Silicon Valley qui envisagent de rentrer chez eux, mais il en connaît un certain nombre qui envisagent de s'installer dans d'autres régions des USA.
« La Californie est devenue trop progressiste pour eux », explique-t-il. « Les Israéliens que je connais et qui ont des enfants au collège ici dans la baie me disent qu'il est hors de question qu'ils les envoient au lycée ici.
« Je ne me souviens pas avoir entendu parler d'une telle situation auparavant », ajoute-t-il. « Je veux dire qu'il y a certainement des Israéliens qui sont partis parce que la vie est trop chère ici, mais parce que leurs enfants ont des difficultés à l'école vu qu'ils sont juifs ? » [donc, juif = israélien, sioniste = juif. Mon pauvre Oded, t’es vraiment pas sorti de ta bulle, NdT écœuré]


20/06/2024

JUDY MALTZ
“Papy plaque Mamie” : une nouvelle exposition à New York brise le mythe du “gentil mari juif”


Judy Maltz, Haaretz, 19/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pendant une soixantaine d’années à partir du début du XXe siècle, le Bureau national des désertions a traqué aux USA et à l’étranger les maris juifs qui avaient abandonné leur femme et leur famille. Une nouvelle exposition permet d’en savoir plus sur cette agence quasiment de détectives méconnue.

Runaway Husbands, Desperate Families: The Story of the National Desertion Bureau

NEW YORK - Nathan Goldfarb, un horloger qui vivait à Manhattan avec sa femme et ses deux enfants, était tombé amoureux d’une pensionnaire qui louait une chambre dans la maison familiale. Après que sa femme Lena les a surpris au lit, Goldfarb et sa maîtresse se sont enfuis en Californie, où ils ont rejoint une communauté pratiquant l’amour libre.

La maîtresse finit par le quitter pour un autre homme et, après avoir été menacé d’arrestation pour s’être introduit chez elle, Nathan retourne à Lena la queue entre les jambes.

Portrait de Jacob Rosenbloom et article du journal Forverts de juillet 1912 montrant un groupe de maris partis sans laisser d'adresse

Abraham Meyerson et sa femme Fannie ont connu une fin moins heureuse. Découpeur de tissus dans une usine de Chicago, Abraham abandonne sa femme et ses quatre enfants et s’enfuit sur la côte ouest, où il se met en ménage avec une autre femme.

C’est la deuxième femme et la deuxième famille qu’il abandonne. Bien qu’il ait finalement été retrouvé et qu’il ait accepté de verser une pension alimentaire à Fannie, les archives montrent qu’il n’a pas toujours respecté cet engagement.

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Cours de citoyenneté pour les immigrants juifs à la Hebrew Sheltering and Immigrant Aid Society of America [Société hébraïque d’hébergement et d'aide aux immigrants d’Amérique] dans le Lower East Side de New York, février 1920. Photo : Institut YIVO pour la recherche juive

Ces histoires et bien d’autres de maris juifs fugueurs font partie d’une exposition spéciale, inaugurée cette semaine à l’Institut YIVO pour la recherche juive à Manhattan, consacrée à une agence peu connue appelée le Bureau national des désertions.

Créé pour retrouver les milliers d’hommes juifs qui ont abandonné leurs femmes et leurs familles lors de la grande vague d’immigration vers les USA au tournant du siècle, il a fonctionné du début des années 1900 jusqu’aux années 1960 [en 1955, il a changé de nom, devenant Family Location Services, Services de localisation pour les familles, NdT]

« Nous aimons tous considérer la vague d’immigration juive en Amérique comme une immense success story », note Eddy Portnoy, directeur des expositions à YIVO. « Mais il y a aussi eu de nombreux cas comme celui-ci, où Zeidie [Papy en yddish] a plaqué Bubbie [Mamie en yidish] ».

Le Bureau national des désertions a été mis en place par le Jewish Board of Family and Children’s Services [Office juif de service aux familles et aux enfants], créé il y a 150 ans et qui est l’une des plus grandes agences de santé mentale et de services sociaux de l’État de New York.

17/06/2024

JUDY MALTZ
“Repousser les limites” : l'ancien élève de yeshiva devenu drag queen à l’origine de la ‘synagogue laboratoire avec dieu optionnel’ de New York, personnage du documentaire ‘Sabbath Queen’

Judy Maltz, Haaretz, 16/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le documentaire “Sabbath Queen”, dont la réalisation a pris 21 ans, a été présenté la semaine dernière au festival du film de Tribeca (New-York). Il retrace la vie extraordinaire d'Amichai Lau-Lavie, un rabbin sorti de l’ordinaire, issu d'une dynastie de rabbins vieille de mille ans.

Le rabbin Amichai Lau-Lavie et son alter ego la Rebbetzin [rabbine] Hadassah Gross, dans le documentaire “Sabbath Queen”. Photo : Simcha Leib Productions

NEW YORK - Il est issu d'une très longue lignée de rabbins, est le cousin germain du grand rabbin ashkénaze d'Israël, mais dirige une synagogue où Dieu est “en option”.

Fièrement homosexuel, il a eu trois enfants tout en étant drag queen.

Il a fréquenté une importante yeshiva de Cisjordanie, mais participe régulièrement aux manifestations hebdomadaires organisées à New York pour réclamer la fin de l'occupation israélienne et un cessez-le-feu à Gaza.

Son judaïsme réimaginé s'est traduit par des représentations théâtrales lors des offices du shabbat, des mariages entre juifs et bouddhistes zen de même sexe célébrés sous une houppa et des chants interconfessionnels lors des offices de Yom Kippour.

Est-il surprenant que l'expression “repousser les limites” revienne sans cesse dans le tout nouveau documentaire dédié au rabbin Amichai Lau-Lavie ?

C'est peut-être l'euphémisme de l'année, mais voici comment Lau-Lavie résume à l'écran son approche iconoclaste du judaïsme : « Tout ce dont nous avons hérité ne mérite pas d'être transmis ».


Après 21  ans de travail, “Sabbath Queen” a été présenté en première mondiale dimanche dernier au festival du film de Tribeca, à New York.

« Certains d'entre vous se demandaient s'ils allaient vivre assez longtemps pour me voir terminer ce film », a plaisanté le réalisateur Sandi DuBowski dans sa présentation  lors de la soirée d'ouverture.

08/09/2023

Exposition à New York sur le yiddish en Palestine d’avant 1948
Le yiddish, une langue qui a survécu au nazisme, au stalinisme et au sionisme

 Note du traducteur

13 des 17 millions de juifs du monde parlaient le yiddish en 1939. 85% des victimes de la “solution finale” parlaient cette langue. Interdite en URSS entre 1948 et 1955, combattue férocement par les sionistes qui voulaient imposer leur “hébreu moderne”, elle survit, de New York à Melbourne, en passant par Jérusalem et connaît un fort “revival”, grâce notamment à plusieurs séries Netflix, à commencer par “Unorthodox”, puis “Les Shtitsel” et “Diamants bruts”.

Lors d’une rencontre à Brooklyn en 1977 avec le prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer, le Premier ministre israélien de l’époque Menahem Begin lui avait reproché d’écrire en yiddish, «langue des morts, de ceux qui s’étaient laissés conduire à l’abattoir, la langue qui ne possède même pas la locution “Garde à vous”». Pince sans rire, Singer avait répondu : « Je reconnais que ce n’est pas une langue inventée pour des généraux».

Les trois articles ci-dessous, traduits par nos soins, évoquent une exposition qui vient de s’ouvrir à New York sous le titre “Palestinian Yiddish”, sur le rôle et la place des yiddishophones dans la Palestine d’avant 1948.


Fausto Giudice
, Tlaxcala

 

Quand parler yiddish pouvait vous valoir d’être tabassé par des Juifs à Tel-Aviv

Judy Maltz, Haaretz, 7/9/2023

L’exposition “Palestinian Yiddish”, qui vient d’être inaugurée à New York, met en lumière l’hostilité manifestée à l’égard des immigrants qui ont refusé d’abandonner la langue largement parlée par les Juifs européens lorsqu’ils se sont installés dans l’État d’Israël d’avant lindépendance. Son ouverture intervient à un moment tumultueux pour les amateurs de yiddish


Yiddishistes blessés après une attaque par des fanatiques de la langue hébraïque, Tel Aviv, 1928. Ilustrirte vokh, Varsovie, 30 novembre 1928. (YIVO)

NEW YORK - La photo, vieille de près de 100 ans, montre une demi-douzaine de jeunes hommes juifs, tous bandés. Ils semblent avoir été victimes d’un pogrom.

Sauf que, comme le révèle la légende, cette photo n’a pas été prise en Europe de l’Est. Les agresseurs n’étaient pas non plus des non-Juifs.

En fait, ces jeunes hommes ont été tabassés à Tel Aviv par des correligionaires. Leur crime ? Parler yiddish en public.

Publiée dans un hebdomadaire juif de Varsovie, cette photo en noir et blanc, prise en 1928, fait partie d’une exposition inaugurée cette semaine au YIVO [Yidisher Visnshaftlekher Institut/Yiddish Scientific Institute, créé à Wilno/Vilnius en 1925, transféré à New York sous le nom de YIVO Institute for Jewish Research, NdT], consacrée au “yiddish de Palestine”, c’est-à-dire le yiddish parlé avant 1948 dans le territoire du futur État d’Israël.

L’exposition met l’accent sur l’hostilité et le dédain manifestés par de nombreux colons juifs à l’égard de la langue yiddish. En créant un “nouveau Juif” dans ce qu’ils appelaient la Terre d’Israël (Eretz Israel), ces fervents sionistes hébréophones étaient déterminés à rompre avec tout ce qui pouvait évoquer la diaspora, et en premier lieu avec la langue largement parlée par les Juifs d’Europe.


L’affiche de l’exposition “Palestinian Yiddish”, à l’Institut YIVO de New York.

« La négation de la diaspora était au cœur de l’idéologie du sionisme du début du XXe siècle, et c’est pour cette raison que le yiddish devait être supprimé », explique Eddy Portnoy, conseiller académique à l’YIVO et commissaire de l’exposition. « Il s’agissait presque d’une haine juive de soi ».

L’exposition, qui sera visible tout au long de l’automne, comprend des photographies, des objets et des documents provenant des archives de l’YIVO ainsi que d’autres collections historiques. Son ouverture coïncide avec une tempête qui a éclaté à la suite d’un essai publié le week-end dernier dans le New York Times et intitulé « Le yiddish a le vent en poupe » [voir ci-dessous].

Son auteur, le professeur Ilan Stavans du Amherst College, s’étonne que « compte tenu de tout ce que le yiddish a traversé - comment il a été un outil de continuité transfrontalière, comment il a été poussé vers les crématoires par les nazis, comment, après la Shoah, il a prospéré dans certaines diasporas mais a été mis de côté dans d’autres - sa pure endurance n’est rien de moins que miraculeuse ».

Mais de nombreux lecteurs se sont offusqués de son attaque sournoise contre Israël dans le paragraphe suivant : « L’hébreu, qui est devenu officiellement la langue nationale de l’État d’Israël en 1948, est parlé par environ neuf millions de personnes dans le monde. Pour certains, cette langue symbolise le militarisme israélien d’extrême droite ». Stavans a également été critiqué pour avoir affirmé que les juifs ultra-orthodoxes qui parlent le yiddish « ne sont pas typiquement multilingues, comme l’ont toujours été les locuteurs laïques du yiddish ».


Le “Professeur arabe-yiddish” a été écrit par Getsl Zelikovitsh, un journaliste yiddish qui avait étudié la sémiologie et l’égyptologie à la Sorbonne. Il s’agit du premier texte destiné aux étudiants en arabe de langue yiddish. YIVO

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, environ 13 millions de Juifs, dont une écrasante majorité en Europe, parlaient le yiddish. Aujourd’hui, on estime qu’il n’en reste qu’environ 600 000, dont la grande majorité sont des survivants de l’Holocauste et des juifs ultra-orthodoxes.

Mais ces dernières années, le yiddish a connu une sorte de renaissance, la langue étant de plus en plus adoptée par les Juifs de la diaspora qui s’identifient comme non sionistes ou antisionistes et qui ne se sentent pas liés à Israël ou à la langue hébraïque.

Même en Israël, les mentalités ont changé et plusieurs universités locales proposent des programmes en yiddish qui sont devenus très populaires.

De telles initiatives n’auraient jamais été tolérées il y a un siècle. En effet, parmi les objets présentés à l’exposition figure un grand tract publié par un groupe de fanatiques de la langue hébraïque connu sous le nom de Gedud Meginei Hasafa - le Bataillon des défenseurs de la langue [hébraïque] - en riposte à des informations selon lesquelles la nouvelle université hébraïque de Jérusalem prévoyait de créer une chaire d’études de la langue yiddish.

Une carte en langue yiddish de la Palestine juive, créée à Berlin en 1923, montre la croissance de l’activité agricole, commerciale et industrielle juive dans la région. Institut de recherche juive. YIVO

« La chaire de yiddish est un désastre pour l’université hébraïque », avertissait le tract publié en 1927.

On y trouve également une brochure en yiddish dont le titre est la question suivante : « Le yiddish est-il persécuté en Palestine ? »  Cette brochure a été publiée en réponse à un rapport préparé par les dirigeants sionistes au début du 20e siècle, qui réfutait ces allégations. La brochure apporte la preuve que ce rapport n’était qu’une imposture.

En effet, ce bataillon d’hébraïsants fanatiques était connu pour harceler les personnes parlant le yiddish et pour perturber les événements culturels yiddish.

Outre les documents relatifs à cette campagne d’éradication du yiddish, l’exposition présente également des exemples de la culture yiddish florissante, bien qu’un peu clandestine, qui s’est épanouie avant l’instauration de l’État sioniste.

Parmi les objets exposés figurent diverses anthologies littéraires et publications politiques. La plus remarquable est une circulaire manuscrite, publiée en 1926 par un groupe de femmes activistes parlant le yiddish, qui se plaignait du sort des femmes qui travaillaient dans la Palestine mandataire britannique.

 

Le Gymnasia Herzliya était le premier lycée de langue hébraïque de Tel-Aviv. Il était dirigé par d’importants idéologues sionistes et ses élèves étaient endoctrinés dans la guerre linguistique entre l’hébreu et le yiddish.  YIVO

 

L’archétype de la mère juive

En faisant des recherches sur son sujet, le spécialiste du yiddish Portnoy a été surpris de découvrir à quel point la langue était parlée depuis longtemps dans des villes comme Jérusalem, Safed et Tibériade, même si ce n’était que par une infime minorité de la population.

Parmi ses découvertes remarquables figurent des fragments de plusieurs lettres écrites en yiddish par une femme de Jérusalem, datant des années 1560. Envoyées par Rokhl Zusman à son fils Moishe, qui vivait en Égypte, elles ont été découvertes dans la Genizah du Caire, une immense collection de manuscrits retraçant 1 000 ans de vie juive au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Dans ces lettres, dont des copies sont exposées, Rokhl tente de persuader son fils de revenir à Jérusalem et lui reproche de ne pas lui écrire suffisamment. « La mère juive qui sommeille en elle transparaît clairement dans ces lettres », plaisante Portnoy.

 


“Di yidishe shtot Tel Aviv” (La ville juive de Tel Aviv), guide en langue yiddish créé par le Keren Hayesod (Appel unifié pour Israël) à Jérusalem, 1933. YIVO

À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, lorsqu’un grand nombre de personnes parlant le yiddish se rendaient en Palestine, alors ottomane, les Arabes étaient beaucoup plus nombreux que les Juifs dans le pays et il était essentiel de parler l’arabe pour que l’atterrissage se fasse en douceur. L’exposition comprend plusieurs petits dictionnaires utilisés à l’époque pour enseigner les rudiments de l’arabe aux locuteurs du yiddish - des exemples rares, à n’en pas douter, d’arabe translittéré en yiddish.

Et tout comme le yiddish usaméricain comprend des mots anglais et le yiddish polonais des mots polonais, le yiddish parlé par de nombreux pionniers sionistes était parsemé d’arabe.

Une liste d’exemples accrochée au mur de la salle d’exposition comprend une phrase que de nombreux hébréophones comprendront certainement (après tout, l’arabe s’est également introduit dans la langue hébraïque). Cette phrase hybride yiddish-arabe, translittérée en anglais, se lit comme suit : “S’iz gor a’la ke’fak”. Ou, en anglais, "It’s really great" : “C’est vraiment génial”.

  

Exemples d’exercices tirés de l’ouvrage de Khayem Keler “Lern arabish : a laykhte sistem tsu erlernen di arabishe shprakh” (“Apprendre l’arabe : un système facile pour apprendre la langue arabe”). Tel Aviv, 1935. YIVO

« Ces exemples de pénétration de l’arabe dans le yiddish témoignent de la souplesse du yiddish et de sa capacité à absorber très facilement des éléments étrangers et à les intégrer dans le langage courant », note Portnoy.

 

Le yiddish a le vent en poupe

Ilan Stavans, The New York Times, 2/9/2023

Ilan Stavans (Mexico, 1961) est professeur de sciences humaines et de culture latino-américaine et latina au Amherst College, éditeur du livre “How Yiddish Changed America and How America Changed Yiddish” (Comment le yiddish a changé l’Amérique et comment l’Amérique a changé le yiddish) et consultant pour l’Oxford English Dictionary. CV. Bibliographie

Pour une langue sans adresse physique qui a frôlé l’extinction, la volonté de vivre du yiddish semble inépuisable. La leçon est simple et directe : La survie est un acte d’obstination.


Image Rachel Levit Ruiz

Le yiddish connaît une certaine renaissance. Grâce aux cours en ligne, n’importe qui, de Buenos Aires à Melbourne, peut apprendre à le parler. De nouvelles traductions d’œuvres oubliées depuis longtemps et de classiques de la littérature ont vu le jour. Une mise en scène de “Fiddler on the Roof” [Un violon sur le toit] a été jouée en yiddish dans le cadre de l’Off Broadway. Des plateformes de diffusion en continu comme Netflix ont publié des séries, notamment “Les Shtisel”, “Unorthodox” et “Diamants bruts”, entièrement ou partiellement en yiddish.

Avant la Seconde Guerre mondiale, environ 13 millions de Juifs, laïques et religieux, parlaient le yiddish. Aujourd’hui, on estime qu’il y a environ un quart de million de locuteurs aux USA, à peu près le même nombre en Israël et environ 100 000 de plus dans le reste du monde. De nos jours, la grande majorité de ceux qui parlent la langue sont des ultra-orthodoxes. Ils ne sont généralement pas multilingues, comme l’ont toujours été les locuteurs séculaires du yiddish.

Je suis né et j’ai grandi à Mexico, parlant le yiddish et l’espagnol. Alors que la partie de ma famille élargie qui a fui vers New York et Chicago a perdu le yiddish en cours de route, les Juifs mexicains sont restés davantage dans la communauté, continuant à utiliser la langue même s’ils sont restés laïques.

Il convient de noter que le yiddish a été calomnié par les gentils comme par les juifs. Les antisémites le considéraient comme le langage de la vermine, tandis que l’élite rabbinique le jugeait indigne d’une discussion talmudique sérieuse. Comme le dit le proverbe, mieux vaut une gifle honnête qu’un baiser non sincère. J’aime à penser que cette animosité a permis à la langue d’être agile, lucide et improvisée.

Le yiddish est né il y a au moins un millénaire. Les premiers documents historiques dont nous disposons remontent au XIIe siècle en Rhénanie, dans l’ouest de l’Allemagne. Il s’agissait d’une forme de communication par alternance de codes - appelée loshn ashkenaz, la langue d’Ashkenaz - juxtaposant le haut-allemand et l’hébreu. Selon une théorie savante, il s’agirait en fait d’une combinaison de haut allemand et d’araméen, utilisé par les juifs du Moyen-Orient. Quoi qu’il en soit, le yiddish était la langue des femmes, des enfants et des analphabètes.

À l’époque où le poète italien Dante Alighieri a composé “La Divine Comédie”, le “jargon”, comme il était appelé par dérision, avait atteint un pouvoir politique, économique et culturel, donnant aux Juifs d’Europe de l’Est un sentiment d’interconnexion. S’il est vrai que Shakespeare n’a pas imaginé que Shylock parlait yiddish, il est probable que des marchands juifs comme lui aient au moins entendu parler de di mame loshn, la langue maternelle.

À l’époque des Lumières, les laïcs, appelés Maskilim, décrivaient le yiddish comme une langue déformée, incapable d’une pensée “civilisée”. Selon eux, pour être un citoyen européen à part entière, il fallait parler les langues de Goethe, Locke et Voltaire. En revanche, le hassidisme, mouvement religieux qui, au départ, s’opposait à l’establishment rabbinique, a prospéré en yiddish.

Les superbes histoires de son fondateur, le Baal Shem Tov, et de ses descendants, dont le rabbin Nahman de Bratslav, son arrière-petit-fils, ont été, pour la plupart, diffusées en yiddish. Le rabbin Nahman est considéré comme un précurseur de la vision du monde de Franz Kafka, selon laquelle le destin est façonné par des forces obscures, mystérieuses, voire divines. Kafka a étudié cette langue et a même prononcé un discours en yiddish en 1912.

La production littéraire yiddish du XIXe siècle, dont le plus aimé des écrivains yiddish, Cholem Aleichem, auteur de “Tevye le laitier”, qui raconte l’histoire d’un habitant d’un shtetl dont la vie est redéfinie par la sécularisation, la politique, l’antisémitisme et l’immigration, est la meilleure illustration de l’adhésion à la laïcité. Comme dans le cas de Tevye, le yiddish était la lingua franca des Juifs polonais, ukrainiens, russes, lituaniens et autres, leur permettant d’avoir un terrain de rencontre neutre tout en habitant la même culture apatride.

Ma grand-mère paternelle, originaire de Brodno, un quartier de Varsovie, parlait yiddish avec sa famille et polonais et russe avec les gentils. Cette universalité a servi le yiddish. Eliezer Zamenhof, créateur de l’espéranto et locuteur natif de yiddish, a conçu sa langue comme un “auxiliaire” ou une seconde langue, une approche qui permettrait aux gens de mettre de côté leurs différences sans perdre leur individualité. C’est ce que faisait déjà le yiddish pour les juifs ashkénazes.

Le sionisme est un autre ennemi du yiddish. À la fin du XIXe siècle, alors que l’espoir d’un État juif se concrétise, le yiddish est dépeint comme un jargon parlé par la diaspora - la langue des sans-abri, sans véritable voix nationale. Pour combler ce déficit, il fallait faire revivre l’hébreu. Rapidement, le mythe du pionnier hébraïque a vu le jour, contrastant fortement avec le juif bossu au grand nez que les sionistes eux-mêmes vilipendaient.

L’hébreu, qui est devenu officiellement la langue nationale de l’État d’Israël en 1948, est parlé par environ neuf millions de personnes dans le monde. Pour certains, cette langue symbolise le militarisme israélien d’extrême droite.

À l’inverse, le yiddish représente l’exil, la nostalgie d’un foyer. Le yiddish a été l’épine dorsale du mouvement ouvrier juif aux USA, et la féministe Emma Goldman a défendu l’égalité des femmes et l’amour libre en yiddish. Abraham Cahan, le fougueux et imposant rédacteur en chef de Forverts - The Forward, le quotidien yiddish de gauche de New York au tournant du siècle - voyait dans cette langue un outil d’éducation des immigrants juifs à leurs droits.

Compte tenu de tout ce que le yiddish a subi - comment il a été un outil de continuité transfrontalière, comment il a été poussé vers les fours crématoires par les nazis, comment, après la Shoah, il a prospéré dans certaines diasporas mais a été mis de côté dans d’autres - son endurance n’est rien de moins que miraculeuse.

Pourtant, la nostalgie ne peut à elle seule pousser un renouveau au-delà de ses moyens étroits. Cette langue reste une langue sans patrie, sans armée, sans drapeau, sans poste ni banque centrale, la langue d’un petit peuple dispersé. Ses locuteurs sont peut-être peu nombreux, mais comme le disait ma grand-mère maternelle, les mots doivent être pesés et non comptés.

 

L’hébreu israélien n’a pas tué le yiddish. Comme le montre une nouvelle exposition à New York, il lui a donné un nouveau nid où vivre

Ghil’ad Zuckermann, JTA, 5/9/2023

Ghil’ad Zuckermann  (Tel-Aviv, 1971ן) est un linguiste, professeur, titulaire de la chaire de linguistique et de langues en danger à l’université d’Adélaïde en Australie-Méridionale. Il conseille l’Oxford English Dictionary et parle couramment 13 langues. Il est président de l’Australian Association for Jewish Studies depuis 2017

Au début du XXe siècle, le yiddish et l’hébreu rivalisent pour devenir la langue du futur État juif.

Juste avant la fin du deuxième millénaire, Ezer Weizman, alors président d’Israël, s’est rendu à l’université de Cambridge pour se familiariser avec la célèbre collection de notes juives médiévales connue sous le nom de Genizah du Caire. Le président Weizman a été présenté au Regius Professor of Hebrew, qui aurait été nommé par la reine d’Angleterre elle-même.

En entendant “hébreu”, le président, qui était connu comme un sákhbak (un “frère” amical), a tapé sur l’épaule du professeur et lui a demandé “má nishmà ?”, la manière israélienne courante de dire “Comment ça va ?”, que certains interprètent comme signifiant littéralement “qu’allons-nous entendre ?”, mais qui est en fait un calque  de la phrase yiddish “vos hért zikh”, généralement prononcée vsértsəkh et signifiant littéralement qu’est-ce qu’on entend ?”

À la grande surprise de Weizman, l’éminent professeur d’hébreu n’avait pas la moindre idée de ce que demandait le président. Expert de l’Ancien Testament, il se demandait si Weizman faisait allusion au Deutéronome 6:4 : "Shema Yisrael" (Écoute, ô Israël). Ne connaissant ni le yiddish, ni le russe (Chto slyshno), ni le polonais (Co słychać), ni le roumain (Ce se aude), ni le géorgien (Ra ismis) - et encore moins l’hébreu rénové israélien - le professeur n’avait aucune chance de deviner le sens réel (“Quoi de neuf ?”) de cette belle expression concise.

Au début du XXe siècle, le yiddish et l’hébreu rivalisaient pour devenir la langue du futur État juif. À première vue, il semble que l’hébreu l’ait emporté et qu’après l’Holocauste, le yiddish était destiné à être parlé presque exclusivement par les juifs ultra-orthodoxes et quelques universitaires excentriques. Pourtant, un examen plus approfondi remet en cause cette perception. L’hébreu victorieux pourrait, après tout, être en partie yiddish dans l’âme.

En fait, comme le suggère l’histoire de Weizman, l’énigme de l’hébreu rénové israélien nécessite une étude exhaustive des multiples influences du yiddish sur cette “altneulangue” (“vieille langue nouvelle”), pour reprendre le titre du roman classique “Altneuland” (“vieille terre nouvelle”), écrit par Theodor Herzl, le visionnaire de l’État juif.


Le journal yiddish australien “Australier Leben”, numérisé. NATIONAL LIBRARY OF AUSTRALIA)

Le yiddish survit sous la phonétique, la phonologie, le discours, la syntaxe, la sémantique, le lexique et même la morphologie israéliens, bien que les linguistes traditionnels et institutionnels aient été très réticents à l’admettre. L’hébreu rénové israélien n’est pas “rétsakh Yídish” (l’hébreu pour “l’assassinat du yiddish” en hébreu) mais plutôt "Yídish redt zikh" (en yiddish, “le yiddish parle de lui-même” sous l’hébreu israélien).

Une langue sujette au linguicide

Cela dit, le yiddish a clairement fait l’objet d’un linguicide (mise à mort de la langue) par trois grands ismes : le nazisme, le communisme et, bien sûr, le sionisme, mutatis mutandis. Avant l’Holocauste, on comptait 13 millions de locuteurs du yiddish parmi les 17 millions de Juifs du monde entier. Environ 85 % des quelque 6 millions de Juifs assassinés pendant l’Holocauste parlaient yiddish. Le yiddish a été interdit en Union soviétique de 1948 à 1955.

Il est grand temps qu’une institution juive se penche sur la question de la tentative de linguicide du sionisme contre le yiddish. Je suis donc ravi d’apprendre que le YIVO organise à Manhattan une exposition fascinante aux multiples facettes, intitulée “Palestinian Yiddish :  Un regard sur le yiddish en terre d’Israël avant 1948” [sic], qui s’ouvre aujourd’hui. Je félicite Eddy Portnoy, conseiller académique et directeur des expositions de l’YIVO, pour cette exposition exceptionnelle sur un sujet brûlant. 

Caractérisés par la négation de la diaspora (shlilát hagalút) et poursuivant le mépris du yiddish généré par les Lumières juives du XIXe siècle, les idéologues sionistes ont activement persécuté la langue. En 1944, Rozka Korczak-Marla (1921-1988) a été invitée à prendre la parole lors de la sixième convention de la Histadrout, l’Organisation générale des travailleurs, en Terre d’Israël. Survivante de l’Holocauste, elle fut l’une des dirigeantes de l’organisation juive de combat dans le ghetto de Vilna, collaboratrice d’Abba Kovner et combattante de l’Organisation des partisans unis (connue en yiddish sous le nom de Faráynikte Partizáner Organizátsye).

Elle a parlé, dans sa langue maternelle, le yiddish, de l’extermination des Juifs d’Europe de l’Est, dont une grande partie parlait yiddish. Immédiatement après son discours, elle a été suivie sur scène par David Ben-Gourion, premier secrétaire général de la Histadrout, dirigeant de facto de la communauté juive de Palestine et, par la suite, premier ministre d’Israël. Ce qu’il a dit est choquant dans la perspective d’aujourd’hui :

...זה עתה דיברה פה חברה בשפה זרה וצורמת

ze atá dibrá po khaverá besafá zará vetsorémet...

Une camarade vient de s’exprimer ici dans une langue étrangère et cacophonique...

Dans les années 1920 et 1930, le Bataillon pour la défense de la langue (Gdud meginéy hasafá), dont la devise était “ivrí, dabér ivrít” (“Hébreu [c’est-à-dire juif], parle hébreu !”), avait l’habitude d’arracher les affiches écrites dans des langues “étrangères” et de perturber les rassemblements de théâtre yiddish. Cependant, les membres de ce groupe ne cherchaient que des formes (mots) yiddish plutôt que des modèles dans le discours des Israéliens qui choisissaient de parler “hébreu”. Les défenseurs de la langue n’auraient pas attaqué un locuteur de l’hébreu revivifié israélien prononçant le "má nishmà" susmentionné.

Étonnamment, même l’hymne du Bataillon pour la défense de la langue comprenait un calque du yiddish : “veál kol mitnagdénu anákhnu metsaftsefím”, littéralement “et sur tous nos adversaires nous sifflons”, c’est-à-dire “nous nous moquons de nos adversaires”. L’expression “siffler sur” est ici un calque du yiddish fáyfn af, qui signifie à la fois “siffler sur” et, familièrement, “se ficher de” quelque chose ou quelqu’un [en all. Ich pfeife darauf, je m’en tape , NdT].

En outre, malgré l’oppression linguistique qu’ils ont subie, les yiddishistes de Palestine ont continué à produire des œuvres créatives, dont un certain nombre sont exposées par YIVO.

Comme Sharpless, le consul américain dans l’opéra “Madama Butterfly” de Giacomo Puccini (1904), “non ho studiato ornitologia” (“je n’ai pas étudié l’ornithologie”). Je me permets donc d’utiliser une métaphore ornithologique : d’un côté, l’hébreu israélien est un phénix qui renaît de ses cendres. D’autre part, c’est un coucou qui pond son œuf dans le nid d’un autre oiseau, le yiddish, en lui faisant croire qu’il s’agit de son propre œuf. Mais il présente aussi les caractéristiques d’une pie, volant à l’arabe, à l’anglais et à de nombreuses autres langues.

L’hébreu israélien revivifié est donc un rara avis [oiseau rare], un hybride inhabituel et glorieux.