Judy Maltz, Haaretz, 16/6/2024
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Le documentaire “Sabbath Queen”, dont la réalisation a pris 21 ans, a été présenté la semaine dernière au festival du film de Tribeca (New-York). Il retrace la vie extraordinaire d'Amichai Lau-Lavie, un rabbin sorti de l’ordinaire, issu d'une dynastie de rabbins vieille de mille ans.
NEW YORK - Il est issu d'une très longue lignée de rabbins, est le cousin germain du grand rabbin ashkénaze d'Israël, mais dirige une synagogue où Dieu est “en option”.
Fièrement homosexuel, il a eu trois enfants tout en étant drag queen.
Il a fréquenté une importante yeshiva de Cisjordanie, mais participe régulièrement aux manifestations hebdomadaires organisées à New York pour réclamer la fin de l'occupation israélienne et un cessez-le-feu à Gaza.
Son judaïsme réimaginé s'est traduit par des représentations théâtrales lors des offices du shabbat, des mariages entre juifs et bouddhistes zen de même sexe célébrés sous une houppa et des chants interconfessionnels lors des offices de Yom Kippour.
Est-il surprenant que l'expression “repousser les limites” revienne sans cesse dans le tout nouveau documentaire dédié au rabbin Amichai Lau-Lavie ?
C'est peut-être l'euphémisme de l'année, mais voici comment Lau-Lavie résume à l'écran son approche iconoclaste du judaïsme : « Tout ce dont nous avons hérité ne mérite pas d'être transmis ».
Après 21 ans de travail, “Sabbath Queen” a été présenté en première mondiale dimanche dernier au festival du film de Tribeca, à New York.
« Certains d'entre vous se demandaient s'ils allaient vivre assez longtemps pour me voir terminer ce film », a plaisanté le réalisateur Sandi DuBowski dans sa présentation lors de la soirée d'ouverture.
Amichai
Lau-Lavie dans le film “Sabbath Queen”. Photo : Simcha Leib Productions
Le long métrage documentaire suit son protagoniste depuis ses premières années à New York, où il était actif dans le mouvement de la contre-culture gay, jusqu'à sa décision surprenante d'entrer à l'école rabbinique, en passant par sa rupture avec le mouvement conservateur (qui l'a ordonné) et sa découverte de formes de judaïsme plus inclusives et plus novatrices.
Cette démarche a culminé avec la création de LabShul (“Lab” pour laboratoire, “Shul” -école en yiddish- pour synagogue), sa « communauté expérimentale dirigée par des artistes, accueillante pour tout le monde, avec Dieu en option, pop-up » à New York.
Le film fait des allers-retours entre Jérusalem, où Lau-Lavie est né et a grandi, et New York, où il s'est installé à la fin des années 1990 après avoir été démasqué dans un article de journal - à sa grande surprise et à son grand désarroi. Ces voyages transatlantiques comprennent un émouvant retour aux sources en Pologne, où le père de Lau-Lavie, ayant survécu comme adolescent à Buchenwald, est né.
Comme il apparaît de plus en plus clairement tout au long du film, la vision du monde de ce rabbin atypique - son attachement à l'universalisme plutôt qu'au particularisme et sa forte identification aux opprimés et à “l'autre” - a été influencée par les horribles expériences vécues par son père pendant l'Holocauste.
Lau-Lavie a grandi dans un foyer sioniste religieux, fils du diplomate israélien Naftali Lavie et de l'immigrante d'origine britannique Joan Lavie. Le frère cadet de Naftali, Yisrael Meir Lau, avec qui il a survécu à l'Holocauste, a été le grand rabbin ashkénaze d'Israël de 1993 à 2003. Ce poste est actuellement occupé par le fils d'Yisrael, David Lau.
Le frère de Lau-Lavie, le rabbin Benny Lau, est un éminent rabbin orthodoxe moderne de Jérusalem, une voix libérale inhabituelle dans le camp sioniste religieux de plus en plus extrémiste.
Le rabbin Benny Lau, frère du rabbin Amichai Lau-Lavie et parfait antagoniste dans “Sabbath Queen”. Photo : Ohad Zwigenberg/AP
Storahtelling
Dans le film, Lau-Lavie ne se souvient plus très bien s'il descend de 37 ou 38 générations de rabbins. En revanche, il est certain d'être le premier de cette longue lignée à s'écarter de la longue tradition familiale de “fidélité à la voie”.
Lorsqu'il débarque à New York, le jeune Israélien, qui vient de rompre avec l’hétéronormativité, rejoint un mouvement connu sous le nom de Radical Faeries [Fées radicales], qui cherche à « redéfinir la conscience queer par le biais de la spiritualité laïque ». C'est là qu'il rencontre le grand amour de sa vie : un catholique qui finira par succomber à une maladie liée au sida.
Peu après, alors qu'il est artiste en résidence à la Congrégation B'nai Jeshurun de Manhattan, Lau-Lavie remarque que les fidèles « s'ennuient à mourir » pendant le service de lecture de la Torah de Shabbat. C'est de cette observation qu'est né “Storahtelling” [de storytelling -raconterd es histoires, narration - et torah], un projet qui utilise la narration et les arts de la scène pour redonner vie aux textes juifs anciens.
Ses interprétations dynamiques de portions de la Torah impliquent souvent de jouer le rôle des personnages de l'histoire, d'injecter de la musique dans les mises en scène et d'engager les fidèles dans des discussions plus interactives, tout en les incitant à tirer des leçons modernes de ces récits anciens.
Lau-Lavie canalise également son penchant pour les arts du spectacle dans son alter ego, la Rebbetzin Hadassah Gross, qui porte une grande sheitel [perruque] blonde ainsi que beaucoup de maquillage et de bijoux, et parle avec un fort accent hongrois.
Il décrit sa prédilection pour le travestissement comme « un moyen de gérer mon côté sombre ». En effet, parmi les nombreuses « transgressions » que ce rabbin non conformiste a commises depuis qu'il a rompu avec l'orthodoxie, celle-ci semble être la plus difficile à avaler pour sa famille.
Mais ils ne sont pas moins choqués lorsqu'il décide finalement d'engendrer trois enfants, après avoir donné son sperme à un couple de lesbiennes. Faire quelque chose d'aussi conventionnel que devenir père, note le rabbin, « signifie d'une certaine manière devenir membre du club ».
Le second rôle de “Sabbath Queen” est tenu par Benny, le frère aîné de Lau-Lavie, son opposé polaire. Benny est un homme conventionnel, à l'aise dans les courants dominants et dans le droit chemin - l'antagoniste parfait pour ce film.
Le
rabbin Amichai Lau-Lavie dans une scène de “Sabbath Queen”. Photo : Simcha Leib
Productions
Lorsque Lau-Lavie crée un nouveau choc en s'inscrivant à l'école rabbinique, il explique que l'une de ses principales motivations est d'acquérir davantage de connaissances afin de pouvoir mieux se défendre lors des fréquentes disputes sur le judaïsme qu'il a avec son frère Benny. « J'avais besoin d'entrer dans le système », dit-il.
Au fil des ans, nous observons les changements progressifs dans l'attitude de Benny à l'égard du mode de vie inhabituel de son jeune frère. D'une position de gêne et d'incompréhension, il passe lentement à l'amusement, puis à l'acceptation et à la compréhension. Bien que cela ne soit pas mentionné dans le film, Benny est devenu ces dernières années une des rares voix dans le monde orthodoxe à défendre les droits des LGBTQ.
Si DuBowski a eu besoin de tant d'années pour réaliser ce documentaire, c'est peut-être parce qu'il attendait depuis le début que Benny change d'avis.
Bien que Lau-Lavie finisse par être diplômé du Jewish Theological Seminary de New York (la principale école rabbinique de la dénomination conservatrice), il se fera bientôt expulser de son assemblée rabbinique pour avoir insisté sur la célébration de mariages interconfessionnels - ce qui est encore un grand tabou dans un mouvement qui suit à la lettre la halakha [la loi juive].
Ayant lutté pendant la majeure partie de sa vie d'adulte pour le droit de chacun d'aimer et de se marier comme il l'entend, quelle que soit son orientation sexuelle, il ne peut plus justifier le fait d'empêcher les gens d'aimer et de se marier comme ils l'entendent, quelle que soit leur identité religieuse. Pour Lau-Lavie, il s'agit également d'une question personnelle, puisqu'il a vécu le grand amour de sa vie avec un non-Juif.
C'est le deuxième film de DuBowski qui explore l'expérience des juifs et des homosexuels. Sorti il y a plus de 20 ans, “Trembling Before G-d” racontait les histoires personnelles d'un groupe de gays et de lesbiennes hassidiques et orthodoxes, pour la plupart usaméricains.
Lors de la séance de questions-réponses qui a suivi la projection de la semaine dernière, DuBowski a révélé qu'il avait voulu inclure Lau-Lavie dans ce premier film, mais que l'offre avait été immédiatement rejetée par l’intéressé.
Comme il l'a raconté, la star de son nouveau documentaire lui a alors dit qu'il ne voulait pas faire partie d'un “film de collage” et qu'il méritait un film sur lui tout seul.
Il avait raison.
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