Juan Pablo Cárdenas S.,
Política y Utopía , 3/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
(À la
mémoire de Duncan Livingston)
Un célèbre
journaliste mexicain avait observé que le Chili était le pays des euphémismes,
car nous sommes habitués à appeler les choses par un autre nom et nous n’utilisons
pas les vrais adjectifs pour décrire par exemple les actes de corruption pure
et simple. Ainsi, aujourd’hui encore, certains préfèrent appeler la dictature pinochétiste
Gouvernement militaire, tout comme le coup d’État de 1973 a été connu pendant
des années sous le nom de “pronunciamiento militaire”.
Les livres d’histoire
continuent d’appeler la guerre et le génocide d’État contre le peuple mapuche
(1851-1883) “pacification de l’Araucanie” : son coût en vies humaines est
estimé à 60-70 000 indigènes, auxquels des milliers d’hectares ont été arrachés
pour être distribués à des colonisateurs nationaux et étrangers. Une vaste
dépossession qui a duré plusieurs décennies et dont les territoires sont
toujours dominés par des entreprises forestières et agricoles privées.
Les
gouvernements post-dictature ont fait quelques efforts pour restituer une
partie des territoires usurpés aux Mapuches, mais il ne fait aucun doute que ce
processus a été trop lent et qu’il a épuisé la patience des peuples natifs de
la région. Personne ou presque n’ignore, en tout cas, que la lutte des Mapuches
pour récupérer leurs terres ancestrales est juste, même si les derniers
gouvernements ont censuré la radicalité de leurs actions pour récupérer ce qui
leur a toujours appartenu.
Le
gouvernement de Gabriel Boric a décidé de prolonger les états d’exception dans
la macro-zone sud du pays, tout en mobilisant des milliers de militaires pour,
par euphémisme, imposer “l’État de droit” dans ces régions secouées par la
violence, les sabotages contre les entreprises usurpatrices et la récupération
de leurs propriétés ancestrales.
Depuis la
militarisation de la zone et la reconnaissance de l’incapacité des carabiniers
à imposer seuls l’“ordre public”, nous vivons une nouvelle guerre interne. La
confrontation de l’État avec les différents référents politiques de ce qui est
considéré comme une nation qui aspire à récupérer ce qui lui a été enlevé,
ainsi qu’à se donner des formes d’autonomie politique et administrative.
Héctor Llaitul
en prison avec la version espagnole de L’An V de la Révolution algérienne
de Frantz Fanon
Parmi ces
organisations figure la Coordination Arauco Malleco (CAM), dont le principal
dirigeant est emprisonné et fait l’objet de poursuites en vertu de la
législation antiterroriste. On ne peut ignorer le fait que de nombreux
dirigeants actuels reconnaissaient la pleine légitimité de la CAM et de son
principal dirigeant, Héctor Llaitul. Cette appréciation a changé depuis l’arrivée
à La Moneda des leaders étudiants qui ont marché avec les Mapuches dans les
mobilisations sociales.
Pour les
nouvelles autorités, aujourd’hui, Llaitul et ses partisans sont qualifiés de
terroristes par le ministère de l’Intérieur et les militaires comme les
policiers ont obtenu le droit de tuer s’ils le jugent nécessaire pour défendre
les entreprises et les propriétaires privés menacés par l’action des rebelles
ou des insurgés mapuches. Le CAM est même accusé d’actes tels que le vol de
bois et certains incendies criminels, dont on craint à juste titre qu’ils
soient souvent le fait des hommes d’affaires de la région eux-mêmes.
En ce sens,
il y a déjà une longue histoire de victimes de montages policiers qui ont
affecté les membres de la communauté du Wallmapu et les prisons se remplissent
de détenus qui aujourd’hui, par le biais de grèves de la faim, demandent un
traitement pénitentiaire digne et la reconnaissance de la jurisprudence
internationale en ce qui concerne les minorités indigènes.
La
répression brutale n’est pas reconnue comme un acte de guerre contre un groupe
ethnique qui, bien sûr, a dû s’armer et recourir à des actes de violence pour
faire reconnaître ses droits et persuader les entreprises de quitter la région
afin que leurs territoires soient restitués à leurs propriétaires légitimes et
ancestraux. Il faut également reconnaître que la cause mapuche est soutenue par
de nombreux Chiliens et groupes du nord au sud du pays qui sont prêts à
collaborer à leur résistance et à apporter des ressources pour faire face à l’occupation
militaire.
Cela
explique pourquoi, au cours des derniers mois, l’état d’urgence et les
mouvements de troupes n’ont pas eu l’effet escompté par les dirigeants actuels
et ont, au contraire, contraint les Mapuches à la lutte armée, au sabotage et à
d’autres actions qui constituent un véritable scénario de guerre qui ne veut
pas être reconnu comme tel et qui devrait l’être à l’avenir. Surtout si l’on
tient compte du fait que, depuis cinq siècles, la lutte des Mapuches n’a jamais
cessé et que leurs convictions n’ont jamais pu fléchir. Surtout maintenant que
des millions de personnes dans ce pays reconnaissent leur identité mapuche, avec
sa langue, ses valeurs et ses drapeaux. Et maintenant, des deux côtés de la
Cordillère des Andes, tout un peuple qui se reconnaît comme frères et sœurs,
attend de se rassembler et de revendiquer sa reconnaissance et ses droits.
Malheureusement,
la nouvelle génération d’hommes politiques, sur ce sujet comme sur d’autres, ne
fait rien d’autre que de prolonger les politiques et les mauvaises pratiques de
leurs prédécesseurs au gouvernement. Et nous pouvons y observer un discours
plus radical, même, que celui des dirigeants de la droite et du centre.
Si l’on
parle tant actuellement du risque d’une nouvelle Explosion
sociale, il serait bon de noter que cette fois-ci, c’est dans le sud que la
mèche du mécontentement général pourrait s’allumer.