Gianfranco Laccone,
Climateaid.it,
11/5/2023
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Depuis quelque temps, on évoque à grands cris le
danger de disparition de la production agricole italienne : de ceux lancés
lors de la journée nationale des fruits et légumes (Adieu aux 100 millions de
plantes fruitières ! ), à l'appel au soutien de la production nationale de blé
dur lancé par une organisation d'agriculteurs des Pouilles, jusqu'aux
déclarations faites il y a quelques jours à Macfrut (une importante foire des
fruits et légumes qui se tient à Rimini), devant le président Mattarella auquel,
paradoxalement, on a exposé les problèmes causés par la sécheresse qui a frappé
l'agriculture de la région ces derniers mois, au moment même où se produisaient
des pluies diliuviennes qui auraient fait tomber en deux jours la quantité de pluie
qui aurait du tomber au cours des mois précédents.
Au cours des 15 dernières années, 100 000 hectares
de cultures fruitières auraient disparu. Mais quelle en est la cause ? On ne
parle pas de l'utilisation des terres agricoles à d'autres fins, de
l'urbanisation effrénée et, à la base, du système économique du marché libre
qui, en visant le profit maximum, concentre la production là où elle est la
plus rentable, souvent en dehors de l'Italie.
C'est cette même concurrence effrénée qui amène du
blé bon marché (et de moins bonne qualité) dans les produits de grande
consommation (pâtes, boulangerie et biscuits), qui met les agriculteurs
(italiens et polonais) en crise, mais pas l'industrie alimentaire - dominée par
les marques italiennes - qui, hier, exploitait les produits d'autres parties du
monde et qui, aujourd'hui, exploite les lots importés d'Ukraine. Vous
souvenez-vous de la campagne visant à libérer les céréales bloquées dans le
port d'Odessa ? Elles étaient censées être envoyées aux populations
nécessiteuses d'Afrique, mais il est presque certain qu'elles ont fini par
devenir un produit d'exportation pour le monde entier, y compris pour nous,
bien sûr.
Certaines questions telles que la disparition des
cultures ou la crise de certains secteurs sont dangereusement utilisées pour
protéger un système de marché (la véritable cause de la crise), même avec des
motifs “écologiques”, craignant une dégradation de l'environnement en raison de
la réduction de la capacité d'absorption du CO2 : une plante adulte capte
100/250 g de poussière et de smog par an, et moins de plantes signifie moins de
dépollution. Un discours valable s'il s'agissait de plantes sans intervention
humaine ; mais un verger ne naît pas avec un impact nul, car la quantité de
smog créée pour obtenir une production agricole (entre celle nécessaire aux
intrants productifs et celle nécessaire à leur distribution) réduit fortement
la capacité d'absorption : les agriculteurs et les populations vivant dans les
zones à plus forte concentration productive le savent bien. C'est pourquoi il est essentiel de développer
un discours agroécologique, dans lequel la réduction des intrants (et donc la
réduction des polluants) est combinée à une présence accrue des plantes sur le
territoire.
Motivées par de nobles objectifs “écologiques”, il
y a aussi les demandes très pressantes, aujourd'hui, de soutien aux zones
touchées par des “catastrophes environnementales”, de création de réservoirs
qui serviraient à collecter et à régimenter l'eau, et de subventions visant à
protéger l'agriculture, considérée comme la gardienne de la terre. Là aussi, il
y a des incohérences et des non-dits qu'il convient de clarifier, en
démystifiant certains clichés.
Les inondations d'il y a quelques jours ont touché
la région de l'Émilie-Romagne, à la pointe de la production agricole italienne.
Le fait que cette région ait été touchée en dit long sur la faiblesse du
système mis en place. De même que le Covid a frappé de plein fouet la région de
Lombardie, dotée du système de santé le plus “avancé”, montrant ainsi
l'incapacité à protéger la masse des populations avec un tel système,
aujourd'hui les dégâts causés par un événement qui n'était en rien
imprévisible, montrent l'incapacité des systèmes hautement productifs à
protéger le territoire et, avec lui, les populations qui y habitent. Il s'agit
de repenser l'ensemble du système de production, en éliminant de la perspective
la présence de territoires avec des zones cultivées avec un seul type de
culture, voire avec une seule variété, pire, avec des plantes toutes dérivées
d'un seul clone. La solution proposée
par les partisans de cette planification consiste, en se déchargeant de toute
responsabilité, à augmenter les investissements et la dépendance vis-à-vis de
mécanismes gérés par d'autres (comme dans le cas de la gestion de l'eau et des
réservoirs) en augmentant leur présence sur le territoire : c'est comme si,
face à un plafond troué, on augmentait le nombre de bassins sous les trous.
Il serait nécessaire de réduire la pression de la
production, de différencier la production et les cultures, en insérant dans la
même zone des plantes aux systèmes racinaires plus ou moins profonds, aux
comportements différents face aux précipitations et aux températures, capables
d'atteindre concrètement la résilience ; au lieu de cela, nous sommes toujours
à la recherche de quelque chose qui représente la solution finale, à vendre aux
agriculteurs par le biais d'une marque brevetée.
Le discours économique est encore plus déformé.
Une région, un secteur productif, entre en crise : on en cherche alors les raisons
parmi les causes “naturelles” (une maladie, une sécheresse, une inondation) et
il est inutile d'ajouter que dans ces cas-là, on classe la région comme “touchée
par une catastrophe naturelle”, ce qui est suivi par la déclaration de l'état
d'urgence et le décompte des dommages, sans aucune autre mesure qui tende à
supprimer les causes profondes. Pour les situations de crise qui ne peuvent
être attribuées à des causes “naturelles”, on cherche frénétiquement le
coupable, presque toujours un agent extérieur, un ennemi de nos productions
qui, il va sans dire, sont les meilleures ; enfin, tout cela est une attaque
contre notre façon d'être, contre le label “Made in Ital”, fleuron de nos
exportations, et contre la culture italienne.
Même si le discours semble paradoxal et peut faire
sourire, il est proposé dans des termes similaires par des représentants
autorisés du monde agroalimentaire qui, face au changement climatique, ne
savent pas comment mieux manifester leur surprise face à ce soi-disant “événement
tragique” auquel, de temps en temps, même les animaux contribueraient,
expression de cette “nature sauvage” que notre civilisation cherche à dominer.
Sans la moindre ironie, certains ont attribué ces
derniers jours l'effondrement des digues en Émilie-Romagne aux ragondins et aux
porcs-épics qui, par leurs tunnels, auraient sapé les travaux de remise en
état. Les entreprises, le système de la chaîne d'approvisionnement, la
recherche frénétique de l'exportation de la production sont les outils proposés
au lieu de garantir une meilleure qualité et une sécurité des revenus pour la
vente locale des produits. Quant à la propension écologique des entreprises, elle
se réduit souvent à la recherche de compensations adéquates par des
contributions extraordinaires ou des “titres” pour pouvoir nettoyer ou polluer
ailleurs.
L'agriculture italienne n'a pas d'ennemis
extérieurs qui la mettent en danger, elle est elle-même, conduite de manière
hyper-productive et exportatrice, la cause des dangers qui la minent. C'est ce
type d'agriculture qui est le danger, et pour en éliminer les causes, il faut
au moins avoir l'humilité d'admettre les erreurs du passé, les sous-estimations,
le manque de prévision et de planification et, enfin, le manque d'entretien,
principal élément de conservation de ce qui existe. La situation d'alternance
de périodes de sécheresse et d'épisodes nuageux est une manifestation du
changement climatique, et il est nécessaire de pouvoir vivre avec de telles
situations, qui devraient se succéder au cours des prochaines décennies.
Les seuls qui semblent s'en préoccuper sont les jeunes de Fridays
For Future ou Ultima Generazione [Last Generation] dont les
actions, même si on ne les partage pas entièrement, sont les seules à signaler
l'absence, sur ce terrain, des institutions et des organisations sociales
(syndicats de travailleurs et de patrons).