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20/10/2023

ANDREW MITROVICA
Joe Biden est responsable de la deuxième Nakba

Andrew Mitrovica,Aljazeera, 19/10/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Andrew Mitrovica est un chroniqueur d’ Al Jazeera vivant à Toronto.

Le président usaméricain est responsable de tous les aspects méprisables de la calamité qui s’abat sur Gaza et qui est perpétrée par le mandataire toujours fiable et obéissant de son pays, Israël.

   Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou salue le président usaméricain Joe Biden à son arrivée à l'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, le 18 octobre 2023 [Brendan Smislowski/AFP]

Le président usaméricain Joe Biden est descendu d'un gros avion à Tel-Aviv mercredi et a donné l’accolade à un criminel de guerre dont l'armée accro au crime de guerre avait, quelques heures auparavant, commis un autre crime de guerre d'une nature et d'une ampleur si horribles qu'il est destiné à se répercuter dans la mémoire et dans l'histoire.

Ce sera l'image malsaine et déterminante de la présidence de Biden : une accolade sur le tarmac d'un aéroport avec un premier ministre israélien qui s'est toujours délecté à tuer des Palestiniens, même des enfants, des femmes et des hommes désespérés qui pensaient être hors de portée de la malveillance de Benjamin Netanyaohu, dans l'enceinte d'un hôpital de la bande de Gaza assiégée qui, petit à petit, s'efface dans des actes flagrants de génocide.

Il convient de rappeler, au milieu de toutes ces scènes touchantes de fraternité, que Biden et le secrétaire d'État Antony Blinken ont passé la majeure partie des trois dernières années à prendre leurs distances - pour le dire charitablement - avec un homme politique dont beaucoup d'Israéliens pensent qu'il n'est pas seulement un escroc de carrière, mais aussi un autoritaire de haut vol.

Plutôt que de serrer Netanyahou contre leur poitrine aimante, à l'instar de Biden soudainement épris, des centaines de milliers d'Israéliens sont descendus dans la rue, semaine après semaine, pour exiger sa condamnation et sa démission en utilisant un langage brutal et difficile à oublier.

Il n'y a pas si longtemps, Biden et Blinken étaient si désireux de ne pas être vus avec l'escroc accusé devenu despote machiavélique qu'ils n'ont pas invité Netanyahou à la Maison Blanche, de peur, je suppose, d'être souillés par la puanteur de sa présence et de son caractère toxiques.

Mais les temps et les attitudes inconstantes ont bien sûr changé.

Biden a sauté dans Air Force 1 pour un rendez-vous présidentiel rapide en Israël afin de dire à sa belle de ne pas s'inquiéter, que tout est pardonné, tout en renforçant ses références de “dur à cuire” et son soutien auprès d'un électorat puissant dont il a besoin pour se faire réélire - au diable les milliers de Palestiniens mutilés, estropiés et tués.

Fidèle à sa forme indécente, il revient à un président uSaméricain sans tact d'invoquer une grotesque analogie sportive pour tenter, comme on pouvait s'y attendre, de détourner la responsabilité d'une atrocité qui s'ajoute à toutes les indignités mortelles, aux privations et à la violence gratuite déjà infligées à un peuple emprisonné par son occupant - non pas depuis des jours, des semaines, des mois ou des années, mais depuis des décennies.

Biden a déclaré que “l'autre «équipe” était responsable du massacre de centaines de Palestiniens sans défense enfermés dans l'hôpital Al Ahli Al Arabi mardi.

Apparemment, le commandant en chef octogénaire oublieux a besoin qu'on lui rappelle que son «équipe”a concocté des “preuves” à décharge et a menti encore et encore - je sais que cela doit le choquer - pour dissimuler sa complicité dans le meurtre d'innombrables Palestiniens, y compris le meurtre en 2022 d'Omar Abdulmajeed Asaad, âgé de 78 ans, dont lui et son acolyte diplomatique, Blinken, n'auraient pas pu se soucier moins, en dépit du fait que l'épicier à la retraite était porteur d’ un passeport usaméricain.

Je dois rappeler à Biden et Blinken ces autres faits flagrants :

Son “équipe” prive des millions de Palestiniens de Gaza des nécessités de la vie - nourriture, eau, carburant et électricité.

Son “équipe” est déterminée, en fait, à affamer et à déshydrater les Palestiniens de Gaza jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Son “équipe” bombarde les Palestiniens de Gaza avec des armes fournies par les USA afin de tuer le plus grand nombre possible d'entre eux, dans les plus brefs délais, en prévision d'une invasion terrestre qui entraînera inévitablement d'autres massacres effroyables.

Son “équipe” attaque des écoles abritant des Palestiniens qui n'ont nulle part où aller puisqu'il est impossible de s'enfuir.

Son“équipe” a arrosé Gaza de phosphore blanc destiné à défigurer et à brûler à vie des enfants, des femmes et des hommes jusqu'à l'os.

Son  “équipe” peut permettre à l'aide humanitaire d'atteindre les Palestiniens qui, même s'ils reçoivent un jour cette aide bloquée, seront probablement tués par son “équipe” de toute façon.

Son “équipe” retient des millions de Palestiniens en “otageS” à Gaza, en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est occupée depuis la création d'Israël.

Son“ équipe” tire à vue sur les Palestiniens de Cisjordanie qui osent résister à l'occupation et dénoncent le meurtre de leurs frères et sœurs de Gaza qui se sont réfugiés dans un hôpital.

Son “équipe” a décrit les Palestiniens comme des “animaux”, des “sauvages” et de la “vermine” qui doivent être éradiqués afin de les dépouiller de leur humanité et de justifier son nettoyage ethnique et ses plans visant à établir un “tampon” fortifié entre Gaza et Israël.

Résultat : Son “équipe”- dans une répétition de la funeste Nakba de 1948 - force des millions de Palestiniens à abandonner les ruines de leurs maisons et de leurs entreprises avec le canon d'un fusil de grande puissance pressé contre leur cœur et leur tête.

Joe Biden est responsable de tout cela, de chaque aspect méprisable de la calamité s’abat sur Gaza et qui est perpétrée par le mandataire toujours fiable et obéissant de l'USAmérique, Israël.

Le cataclysme dont le monde est témoin est le sous-produit du mantra, désormais familier, qui est au cœur de la soi-disant “politique étrangère” au Moyen-Orient de tous les présidents usaméricains modernes : Tuer d'abord, réfléchir ensuite.

Au lendemain de l'assaut impitoyable du Hamas, l'urgence exigeait un mélange tempéré d'indignation et de calme. Au lieu de cela, Biden a opté, comme il se doit, pour l'esbroufe et l'autosatisfaction.

Au lieu de comprendre que la poursuite d'une vengeance aveugle et l'utilisation d'une rhétorique incendiaire n'atténueraient pas la soif de sang ambiante, mais ne feraient qu'alimenter les pertes à couper le souffle et les scènes horribles de chagrin et de désespoir, Biden a choisi l'hystérie plutôt que les qualités d'homme d'État.

Au lieu d'être prudent dans ses paroles et ses actes, Biden s'est livré à d'affreuses fabrications lors de conférences de presse organisées à la hâte, qu'il a dû par la suite “retirer”.

Il n'en reste pas moins que les dommages profonds et sinistres ont été causés. Les Palestiniens - chacun d'entre eux - ont été déshumanisés une fois de plus afin d'excuser le fait de les tuer sans discernement et en masse.

Comme je l'ai dit : tuer d'abord, réfléchir ensuite.

Mais telle est la méthode usaméricaine : en Asie du Sud-Est, en Amérique centrale et du Sud, en Afrique, en Irak et en Afghanistan - autant de cimetières regorgeant de victimes innocentes de l'arrogance et de l'ignorance d'une succession de présidents arrogants qui se sont lancés dans la guerre sans prendre le temps d'en mesurer les conséquences désastreuses et, en fin de compte, humiliantes.

Faut-il s'étonner que Biden soit encensé par la même cavalerie évangélique impénitente du clavier qui a applaudi à la destruction massive de l'Irak et de l'Afghanistan hier, et qui applaudit à la destruction massive de Gaza aujourd'hui ?

Ils ne tireront jamais les leçons du passé parce qu'ils sont accaparés par l'instant présent.

Il est trop tard pour se retirer de l'abîme. L'orgueil démesuré, l'aveuglement et l'obstination de Biden ne le permettront pas. Le cap cruel a été fixé. Le ciment est posé. Les horreurs ne font que commencer.

Tel sera le legs infâme de Joe Biden.

GIDEON LEVY
La guerre contre Gaza doit cesser immédiatement

Gideon Levy, Haaretz, 19/10/2023
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

Ce bain de sang doit être arrêté immédiatement ; il ne mène à rien de bon. On peut répondre aux massacres par des massacres, mais même un terrible massacre comme celui perpétré dans le sud d’Israël ne peut justifier ce qui le suit, sans aucune limite.

 Des personnes fouillent les débris à l’extérieur du site de l’hôpital Al Ahli Al Arabi dans le centre de Gaza le 18 octobre 2023. Photo : Mahmud Hams / AFP

 Un terrible massacre pourrait même justifier un autre terrible massacre s’il a un but autre que la punition et la vengeance, et si ce but est à la fois légitime et réalisable. Mais ce n’est pas le cas de la guerre dans la bande de Gaza, qui n’a pas d’objectif clair et réaliste et qui n’a certainement pas de réponse à la question de savoir ce qui se passera le lendemain.

Mais même si elle avait un objectif clair, il faudrait limiter la dévastation. Le bain de sang qui se déroule actuellement à Gaza, et qui ne fait que commencer, montre qu’il n’y a pas de limites. Face à cela, il est impossible de rester silencieux. Cela ne peut être justifié.

Il est impossible de rester silencieux face aux terribles images de l’hôpital Al Ahli de Gaza Ville - des dizaines de corps alignés les uns après les autres, dont beaucoup d’enfants aux corps lacérés et aux membres manquants - tout comme il est impossible de rester silencieux face aux images de mort et de destruction qui se sont produites ici. Des centaines de Palestiniens désespérés ont été tués lundi après avoir tenté de s’abriter en plein air près de l’hôpital, croyant à tort qu’ils y seraient en sécurité même pendant cette guerre maudite.

Il n’est pas encore possible de déterminer qui est responsable de ce désastre, mais pour les victimes, cela n’a plus d’importance. L’identité du coupable ne doit pas non plus changer la suite de la campagne - elle doit cesser immédiatement. Le désastre de l’hôpital doit devenir le tournant de la guerre, tout comme le désastre de Kafr Kana lors de l’opération “Raisins de la colère” au Liban en 1996 est devenu le tournant qui a mis fin à cette opération.

Israël est actuellement poussé par une tempête d’émotions justifiée et compréhensible, et il est encouragé par la sympathie du monde. Mais celle-ci sera rapidement remplacée par une demande d’arrêt des tirs compte tenu des désastres causés par la guerre. La tragédie de l’hôpital a déjà changé l’état d’esprit de certains membres de la grande bande de pom-pom girls d’Israël.

Même avant ce désastre, les rapports en provenance de Gaza, dont la grande majorité ne parvient jamais aux Israéliens, menaçaient de faire basculer le monde contre la poursuite de la guerre. Environ 1 000 enfants morts, avant même de compter les enfants morts à l’hôpital - c’est une statistique qu’il est impossible d’ignorer, et il n’y a aucun moyen de la justifier. Un siège total sur 2 millions d’êtres humains et l’évacuation d’un million de personnes de leurs maisons en l’espace d’une journée sont également inacceptables, quelles que soient les circonstances.

Cette semaine, j’ai visité le kibboutz Be’eri, qui a été détruit, et je répète ce que j’ai dit alors : je n’ai jamais vu de ma vie des images aussi difficiles. Il est impossible de les laisser passer sans régler les comptes avec tous les responsables. Aucun pays ne se priverait de le faire. Mais il y a un vaste espace intermédiaire entre l’inaction et un bain de sang massif qui n’a ni raison d’être ni but.

Les images de Gaza sont bouleversantes et devraient briser le cœur de chacun : un convoi ininterrompu d’ambulances aux sirènes hurlantes et des parents terrifiés portant leurs enfants blessés ; des pères pleurant sur les corps de leurs enfants, placés à même le sol de l’hôpital faute de lits. J’ai également vu cinq enfants blessés dans un seul lit et des patients gémissant sans personne pour les soigner.

Tuer des milliers de personnes, en mutiler des dizaines de milliers et les laisser sans rien ne fera avancer aucun intérêt israélien, même si l’on met de côté les questions de droit et de morale. Cela ne fera qu’engendrer une haine et une vengeance que même Satan n’aurait pas pu inventer, avec ou sans le Hamas.

Alors que les enfants de Gaza sont tués, les Israéliens se plaignent que l’armée “fait du surplace”. Le sentiment israélien dominant veut une opération terrestre et la fin du Hamas. Cette demande est justifiable, mais probablement irréaliste. En tout cas, elle ne peut se faire à n’importe quel prix, y compris celui de la destruction de la bande de Gaza.

Ce qui s’est passé le 7 octobre a ébranlé Israël au-delà de toute reconnaissance, en particulier la gauche et le centre. Mais même dans le feu de notre colère et de notre frustration, nous ne devons pas perdre ce qui reste de notre conscience et de notre sens moral. Nous ne devons pas laisser tout Israël devenir le Hamas.

15/10/2023

GIDEON LEVY
L’invasion terrestre de Gaza : un désastre annoncé

Gideon Levy, Haaretz, 15/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Israël est sur le point de lancer une invasion terrestre catastrophique de la bande de Gaza - ou l’aura déjà lancée au moment où cette chronique paraîtra. L’invasion risque de se terminer par un fiasco comme Israël et Gaza n’en ont jamais connu. Les images en provenance de Gaza ces derniers jours pourraient ressembler à une pub. Nous pourrions assister à un massacre de masse.

Des chars et des véhicules militaires israéliens près de la frontière de Gaza, samedi. Photo : Violeta Santos Moura/Reuters

Un grand nombre de soldats israéliens seraient tués inutilement. Les habitants de Gaza seraient confrontés à une seconde Nakba, dont les premiers signes sont déjà visibles sur le terrain. Personne ne sortirait grandi de ces horreurs.

D’heure en heure, les images de Gaza deviennent de plus en plus terrifiantes. Les médias israéliens, enrôlés dans le combat, trahissent leur rôle et empêchent leur public de voir les scènes. Ils se contentent des discours ennuyeux des généraux.

Mais le fait qu’Israël ne montre pas ce qui se passe à Gaza ne signifie pas que la catastrophe ne s’y déroule pas. Samedi, plus d’un million de personnes, dont la moitié sont des enfants, fuyaient pour sauver leur vie ou restaient dans leurs maisons détruites dans un acte suicidaire.

Les personnes âgées, les femmes, les enfants, les handicapés, les malades ont fui vers le sud, à pied, sur le capot des voitures, à dos d’âne ou sur des motos, avec seulement quelques maigres biens. Les gens se dirigent vers leur destruction, et ils le savent.

Dans l’immense cortège qui se dirige vers le sud, personne ne croit qu’il aura une maison où retourner. Il n’y a personne qui ne se rappelle pas les scènes de la Nakba que la génération précédente de leurs familles a vécues il y a 75 ans. Samedi, Gaza ressemblait au Nagorno-Karabakh.

Où iront les Palestiniens de Gaza ? Où se cacheront-ils ? Où trouveront-ils refuge ? Dans la mer, peut-être. Il n’y a ni électricité, ni eau, ni médicaments, ni Internet.

Cette expulsion est une punition collective de masse qui laisse présager ce qui va suivre. Israël affirme que le nord de la bande de Gaza doit être débarrassé du Hamas et qu’il se dirigera ensuite vers le sud. Deux millions de personnes, ou celles qui sont encore en vie, recevront alors l’ordre de fuir vers le nord pour nettoyer le sud.

La mission sera accomplie. Les forces de défense israéliennes prendront note des nombreux décès qu’elles auront causés et affirmeront que la plupart d’entre eux provenaient du Hamas. Chaque adolescent sera qualifié de membre du Hamas. Plus de 600 enfants palestiniens ont déjà été tués jusqu’à samedi après-midi, avant toute invasion terrestre. Ils n’appartenaient pas au Hamas.

Israël sera victorieux. Gaza sera rasée. Le réseau de tunnels souterrains du Hamas sera détruit. Les animaux humains seront assassinés. La puanteur de la mort qui s’élèvera de la bande de Gaza se mêlera aux scènes de ceux qui meurent de faim et de ceux qui sont au bord de la mort dans les hôpitaux débordés.

Et le monde continuera à soutenir Israël. Israël a été attaqué de façon barbare et n’avait pas d’autre choix. Les otages israéliens risquent de payer le prix de leur vie.

Et le matin se lèvera sur une Gaza en ruines. Et après ? Qui prendra les rênes du gouvernement ? Les représentants de l’Agence juive ? Les collaborateurs de Gaza ? Et qu’en retirera Israël ? Sans parler d’une guerre sur plusieurs fronts qui pourrait également éclater et changer complètement la donne.

Israël se lance dans une opération militaire dangereuse et sans perspective de gain. Il peut demander à son allié à Washington ce qu’ont donné les guerres insensées menées par l’USAmérique pour changer de régimes à travers le monde. Combien de personnes ont été tuées inutilement et qui a pris le pouvoir par l’épée usaméricaine. Mais nous n’avons pas besoin de l’USAmérique ni même de penser à la catastrophe des Palestiniens pour comprendre que nous sommes au seuil d’un désastre historique pour Israël également.

Si cette mission est effectivement menée à bien et qu’Israël met sens dessus-dessous la bande de Gaza sur ses dirigeants et ses habitants, elle sera gravée pendant des générations dans la conscience du monde arabe, du monde musulman et du tiers-monde. Une deuxième Nakba empêcherait des centaines de millions de personnes dans le monde d’accepter Israël. Certains régimes arabes pourraient, dans un premier temps, faire preuve de retenue, mais l’opinion publique de leur pays ne permettrait pas que cette retenue se poursuive.

Le prix à payer le serait par  Israël, et il sera plus élevé qu’il ne le pense actuellement. Israël est sur le point de s’engager dans une guerre catastrophique - ou l’a peut-être déjà fait.

 

 

 

 

 

13/10/2023

TAREK SUBHI HAJJAJ
Lettre de Gaza : Israël nous impose un black-out pour cacher le massacre

Tareq Subhi HajjajMondoweissTraduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Tareq Subhi Hajjaj est le correspondant du site Mondoweiss à Gaza et membre de l’Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l’université Al-Azhar de Gaza. Il a commencé sa carrière dans le journalisme en 2015 en tant que rédacteur et traducteur pour le journal local Donia al-Watan. Il a fait des reportages pour Elbadil, Middle East Eye et Al Monitor. @Tareqshajjaj.

Israël coupe peu à peu les communications de Gaza avec le monde extérieur, car il veut nous empêcher de révéler les massacres qu’il commet.

J’emballe quelques-uns de mes vêtements, mes documents d’identité, mes affaires et des piles pour charger mon téléphone et rester en contact avec la situation autour de moi. Ma famille et moi évacuons notre maison dans le quartier d’Al Shuja’iyya, à l’est de Gaza. J’ai vraiment besoin d’un sac plus grand pour y mettre toute ma vie.

Des Palestiniens inspectent les dégâts causés par une frappe aérienne israélienne sur la mosquée Soussi, dans la ville de Gaza, le 9 octobre 2023. (Photo : Naaman Omar/APA Images)

Dans l’après-midi du deuxième jour de l’attaque, l’armée israélienne a envoyé un message à mon frère aîné - nous vivons tous dans le même immeuble - lui disant qu’il devait évacuer l’immeuble et se diriger vers le centre de la ville de Gaza.

J’habite au rez-de-chaussée. Ma mère âgée, qui est aveugle, vit avec moi et ma femme aux côtés de notre petit garçon de neuf mois, qui a déjà été témoin de deux guerres israéliennes au cours de sa courte vie.

Mon frère Hani me dit : « Nous devons évacuer tout de suite pendant qu’il en est encore temps. Si la nuit tombe et que nous sommes encore là, nous serons en danger ».

J’essaie de lui dire que nous devrions rester - je pense qu’aucun endroit à Gaza n’est à l’abri des avions de guerre israéliens. Mais nous avons tous les deux raison.

Je passe des dizaines d’appels pour trouver un appartement pour ma famille, mais je ne veux pas aller dans une autre tour résidentielle - j’ai déjà rapporté que beaucoup d’entre elles sont les premiers sites à disparaître lors d’une frappe aérienne israélienne.

Toutes les personnes que j’appelle me disent que si je parviens à trouver un endroit sûr, je devrais les emmener avec moi. Tout le monde cherche désespérément un endroit, un lieu sûr.

Je mets ma valise dans la voiture et j’aide ma mère à s’asseoir à l’arrière. Nous nous rendons à la maison de mon beau-père, qui se trouve dans la partie ouest d’Al Shuja’iyya. Alors que le bombardement du quartier se poursuit, nous nous dirigeons vers l’ouest. La fumée s’élève derrière nous, remplissant l’air et nous plongeant dans l’obscurité.

Tout autour de nous, on dirait une nouvelle Nakba. Les gens portent des sacs sur le dos, attachent des meubles sur les voitures et fuient à pied dans toutes les directions. Ils ne savent même pas s’ils pourront revenir et retrouver leurs maisons intactes. Moi non plus. Avant de partir, je me suis tenu au milieu de ma maison et j’ai dit au revoir à chaque coin et à chaque pierre.

Lentement, la fumée commence à se dissiper, laissant place à la lumière. À l’odeur, on peut dire que nous nous sommes éloignés de la zone.

Pourtant, dans ces circonstances, je me considère comme chanceux. J’ai pu trouver un endroit pour ma famille. Des milliers de personnes à Gaza n’ont pas cette possibilité. Ils vont dans les écoles de l’UNRWA, qui ne sont pas équipées pour accueillir autant de personnes. Ils n’ont même pas d’endroit où utiliser la salle de bain ou la douche.

Mon beau-père, qui est journaliste et directeur retraité du ministère de l’information, connaît les circonstances de mon travail. Il m’a préparé un bureau pour que je puisse continuer à travailler.

Je vais sur Internet et je continue à suivre l’actualité. Mais parfois, j’aimerais ne pas avoir à le faire.

La première chose que je vois est une vidéo d’une femme à l’hôpital Al Shifa’, le principal hôpital de la ville de Gaza. Elle porte une blouse blanche, ce qui signifie qu’elle est médecin ou infirmière. Elle sort de l’hôpital en courant et en levant les deux mains en l’air, ses doigts dessinant le signe de la “victoire” en pleurant. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit d’un médecin qui est entrée dans la chambre d’un patient mourant et qui s’est rendue compte qu’il s’agissait de son mari, décédé alors qu’elle s’occupait d’autres patients. Sous le choc, elle a quitté l’hôpital en courant, en pleurant et en criant devant des dizaines de caméras.

« Mon mari a été tué, mon mari a été tué, mon mari a été tué », répète-t-elle, faisant toujours le signe V.

La vidéo suivante que je regarde est tellement horrible que je ne peux pas détourner le regard. À Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, un homme cherche sa famille sous les décombres de sa maison. Il tient dans ses mains des morceaux de corps coupés - une partie de la tête d’un enfant, quelques doigts et d’autres morceaux de chair mutilés au point d’être méconnaissables.

« C’est ma famille », dit l’homme en ouvrant la main, montrant les morceaux qu’il ramasse. « C’est ce qui reste de mes enfants. Je ne peux pas en trouver d’autres ». Il hurle.

Nous n’en sommes qu’au début d’une des guerres les plus longues et les plus brutales de l’histoire de Gaza. Je redoute les jours à venir. C’est peut-être le moment de quitter ce monde, déchiré par une frappe aérienne israélienne aléatoire.

Le lendemain, l’électricité, l’internet et l’eau sont coupés. Je commence à penser que, petit à petit, nous sommes coupés du monde extérieur jusqu’à ce qu’il n’existe plus. Israël veut délibérément provoquer un black-out, afin que nous ne puissions pas rendre compte des massacres qu’il commet à Gaza. Ils se préparent à quelque chose d’énorme, et sans moyen de le dire au monde, personne ne le saura avant qu’il ne soit trop tard.

 

12/10/2023

Union Sacrée : le gouvernement israélien d’urgence comprendra un cabinet de guerre spécial pour la “guerre au Hamas”

Michael Hauser Tov, Haaretz, 11/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Premier ministre Netanyahou, le ministre de la Défense Yoav Gallant et Benny Gantz - qui a précédemment occupé les fonctions de chef d’état-major des FDI et de ministre de la Défense - formeront un gouvernement d’urgence et dirigeront un cabinet de guerre. Le ministre des Affaires stratégiques Ron Dermer et le député Gadi Eisenkot siègeront en tant qu’observateurs.

Netanyahou, Gantz et Gallant annoncent la formation d’un gouvernement d’urgence, mercredi soir. Photo : Service de presse du gouvernement israélien

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le président du Parti de l’unité nationale, Benny Gantz, se sont mis d’accord mercredi pour former un gouvernement d’urgence pendant la guerre en cours contre le Hamas.

Le gouvernement établira un cabinet de guerre spécial et n’adoptera aucune législation non liée à la guerre, selon l’accord. Les membres du cabinet de guerre spécialisé seront Netanyahou,  Gantz et le ministre de la Défense Yoav Gallant.

« Nous mettons de côté toutes les autres considérations, car le sort de notre pays est en jeu », a déclaré  Netanyahou lors d’une annonce commune publiée mercredi soir.

Gallant a dénoncé la “barbarie” du Hamas, qu’il a qualifiée de “sans précédent depuis l’Holocauste”, tandis que Gantz a souligné l’unité du peuple israélien, qui « se serre les coudes pour envoyer un message clair à nos adversaires ».

Gantz a déjà été ministre de la Défense et chef d’état-major de Tsahal. Le ministre des Affaires stratégiques Ron Dermer (Likoud), proche allié de Netanyahou, et l’ancien chef des forces de défense israéliennes Gadi Eisenkot, membre du parti de Gantz, seront des observateurs. Dermer n’a pas servi dans l’armée.

Le cabinet de guerre fonctionnera sous les auspices du comité ministériel pour la sécurité nationale. Selon les termes de l’accord, quatre membres du parti de Gantz rejoindront le comité ministériel en tant que membres à part entière et un en tant qu’observateur. Le comité est notamment chargé de présenter des recommandations et des directives concernant la situation des otages israéliens.

Lors de sa première réunion, le cabinet de guerre élaborera un plan stratégique qui sera soumis à l’approbation du comité ministériel. Il devra se réunir au moins toutes les 48 heures pour faire le point et prendre des décisions.

Selon les termes de l’accord signé par Netanyahou et Gantz, le nouveau gouvernement n’adoptera aucune loi ou résolution qui ne soit pas liée à la situation d’urgence actuelle sans le consentement des deux parties. Cela signifie que la réforme judiciaire très controversée du gouvernement est morte, du moins pour l’instant.

L’accord stipule que tous les hauts responsables resteront en fonction jusqu’à la fin de la guerre. Toute nouvelle nomination rendue nécessaire par la situation d’urgence sera faite avec le consensus de Netanyahou et de Gantz.

Selon l’accord, si le principal parti d’opposition, Yesh Atid, rejoint le gouvernement d’urgence, le leader du parti, Yair Lapid, fera également partie du cabinet de guerre.

Gantz, Eisenkot et leurs collègues de parti, Gideon Sa’ar, Chili Tropper et Yifat Shasha-Biton, seront les cinq législateurs qui rejoindront la coalition et le cabinet de sécurité en tant que ministres sans portefeuille. Shasha-Biton et Eisenkot serviront d’observateurs. Le ministre des Affaires stratégiques, Ron Dermer, siégera également en tant qu’observateur au sein du cabinet de guerre.

Plusieurs sources du Likoud ont déclaré précédemment que Sara Netanyahou, l’épouse du Premier ministre, avait tenté de retarder la mise en place du gouvernement d’urgence. « Il y a une personne dans l’État d’Israël qui n’est pas intéressée par l’unité - Sara Netanyahou », a déclaré l’une des sources. En réponse, le porte-parole du Likoud a publié une déclaration au nom de Sara Netanyahou : « L’unité est à l’ordre du jour ».

Netanyahou et Gantz se sont rencontrés mercredi matin dans le cadre des négociations sur la mise en place d’un gouvernement d’urgence. Les deux hommes devaient se rencontrer mardi soir, mais la rencontre a été reportée en raison des réunions en cours avec le cabinet de sécurité.

Gantz et Netanyahou se sont rencontrés juste après une réunion entre les chefs de la coalition, et plus de trois jours après l’offre initiale de Gantz sur la formation d’un gouvernement d’urgence.

Des sources du Likoud ont admis mardi que Netanyahou avait refusé de faire avancer les pourparlers avec Gantz avant de se coordonner avec les chefs de la coalition. Lors de la réunion qui s’est tenue hier au quartier général de Tsahal, un accord presque total a été exprimé au sein de la coalition pour la mise en place d’un cabinet de guerre - la seule opposition exprimée l’a été par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir.

 

08/10/2023

AMOS HAREL
Guerre Israël-Gaza : un fiasco catastrophique qui provoquera une onde de choc politique

Amos Harel, Haaretz, 8/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

L'échec du renseignement et la mauvaise préparation israéliens n'étaient pas les seuls problèmes : il semble que la conception défensive opérationnelle d'Israël face à Gaza ait volé en éclats Netanyahou devra payer un prix politique pour sa politique à l'égard du Hamas après la guerre.

 

Un soldat de Tsahal regarde une voiture en flammes dans la ville d'Ashkelon, dans le sud d'Israël, samedi. Photo : Ilan Assayag

 

Vendredi à la mi-journée, un officier supérieur de l'état-major général s'est entretenu avec un invité dans son bureau de Tel-Aviv. Quelques minutes après que l'horloge électronique du bureau a affiché 14 heures, tous deux ont remarqué qu'ils avaient raté l'heure exacte à laquelle la guerre du Kippour avait éclaté il y a 50 ans. La conversation a naturellement dérivé sur les leçons de 1973.

 

« Dans les territoires occupés », dit l'officier, « nous sommes à cinq minutes d'une intifada ». Il dit cela sans savoir qu’il est en train de prophétiser. L'hôte, comme l'ensemble des FDI, était principalement préoccupé par ce qui pouvait se passer en Cisjordanie. Mais au nez et à la barbe de l'establishment de la défense, une attaque sans précédent du Hamas prenait forme au même moment, le long de la frontière de Gaza.

 

Il faut se méfier de l'hystérie excessive. Mais il ne faut pas minimiser la gravité de la calamité qui s'est produite. Israël est en guerre depuis samedi matin. L'attaque du Hamas, qui a pris les services de renseignement israéliens par surprise, a complètement démoli la conception défensive opérationnelle à la frontière de la bande de Gaza. On dénombre plus de 250 morts du côté israélien et plus de 1 590 blessés, un chiffre qui pourrait augmenter de manière significative une fois que tous les sites attaqués auront été fouillés.

Selon des informations en provenance de Gaza, des dizaines de prisonniers et de corps ont été emmenés d'Israël à Gaza. Même en termes d'otages [sic] et de personnes disparues, cette situation n'est pas comparable à l'enlèvement de Gilad Shalit en 2006. On voit mal le gouvernement modérer les frappes aériennes sur Gaza par souci de protéger la vie des prisonniers israéliens. Il est probable que dans le feu de l'action, de telles considérations ne seront pas prises en compte.

 

Israël a parlé de la “doctrine Dahiya”, qui implique la destruction systématique des infrastructures dans les zones fortement peuplées, comme d'une leçon tirée de la deuxième guerre du Liban en 2006. C'est ce qui se passe actuellement à Gaza, avec une grande intensité.

 

Les FDI, le Shin Bet et la police se sont livrés à des combats maison par maison pendant dix heures dans des communautés et des bases militaires où s'étaient retranchés des Palestiniens armés. Dans quelques endroits, comme la ville d'Ofakim et le kibboutz Be'eri, les terroristes se sont retranchés avec des otages [resic].