Sergio Ferrari, El
Independiente, 11/9/2025
Traduit par Tlaxcala
Avec près de 14 points d’écart, le dimanche 7 septembre, le péronisme-kirchnérisme a infligé dans la province de Buenos Aires le premier coup politique d’envergure au gouvernement de Javier Milei et à son projet antisocial. « Une raclée électorale », ont titré divers médias nationaux et internationaux, en commentant des résultats qu’aucun institut de sondage n’avait prévus.
Près de deux
ans après la victoire de Milei en 2023, l’élection des parlementaires
provinciaux buenos-airiens constituait le test le plus significatif de l’état
d’esprit politique de la population dans son ensemble.
La province
de Buenos Aires, avec plus de 17 millions d’habitants – soit le double de la
population de la Suisse –, regroupe presque un tiers de l’électorat argentin.
Historiquement, les résultats de ce géant démographique de 307 000 km² (plus
vaste que l’Italie) constituent l’un des indicateurs de référence des tendances
électorales à l’échelle nationale.
Le prochain
26 octobre sera l’autre moment clé pour évaluer la marche du projet « anarcho-libertarien-antisocial
» de Milei : les élections parlementaires nationales. Y seront élus la moitié
des députés et un tiers des sénateurs. D’où l’importance du scrutin du 7
septembre dernier.
Des
résultats sans appel
Fuerza
Patria, qui regroupe les péronistes-kirchnéristes et leurs alliés, avec plus de
3 800 000 suffrages (47,3 % des voix), a été le grand vainqueur. Avec 2 700 000
voix (33,7 %), La Libertad Avanza de Javier Milei, qui a absorbé dans cette
élection la Proposition Républicaine (PRO) de l’ancien président de droite
Mauricio Macri, est arrivée en deuxième position. En d’autres termes, Milei a
rassemblé dans ce scrutin tout l’éventail de la droite et de l’extrême droite.
Très loin
derrière, avec un peu plus de 5 %, on trouve Somos Buenos Aires (un secteur de
l’ancien Parti radical du centre), suivi en quatrième position par le Front de
gauche et des travailleurs – Unité, qui a obtenu 4,7 % des voix. Une dizaine
d’autres petites forces se sont situées en dessous de 2 % chacune, sans
atteindre, ensemble, les 10 % des suffrages.
Deux
conclusions principales
Au-delà de
l’arithmétique et de la majorité parlementaire nette que les péronistes-kirchnéristes
conserveront pendant quatre ans dans la plus grande province d’Argentine, deux
principaux éléments d’analyse émergent comme conclusions provisoires.
En premier
lieu, et c’est le plus évident, la victoire incontestable des péronistes-kirchnéristes
sur La Libertad Avanza du président Milei. Plus globalement, on peut
l’interpréter comme un rejet clair, par une majorité d’électeurs de Buenos
Aires, du projet de rigueur antisociale radicale mis en œuvre par le dirigeant
libertarien avec l’aval du Fonds monétaire international.
Si Milei est
parvenu à un contrôle relatif de l’inflation, le coût social de son ajustement,
le démantèlement accéléré de l’État social, la dépendance totale vis-à-vis du
FMI, ainsi que son alignement aveugle sur Donald Trump et Benyamin Netanyahou
(principaux référents de sa vision géopolitique) lui valent une lourde facture
politique. À cela s’ajoutent le rejet populaire du négationnisme de Milei en
matière de droits humains et de changement climatique, ainsi que la
condamnation de la répression constante exercée par son gouvernement contre
toute forme d’opposition, notamment contre les retraités qui, depuis des mois,
mènent la contestation sociale dans les rues.
Par
ailleurs, le triomphe de Fuerza Patria conduit à analyser les dynamiques
internes de ce vaste ensemble politique péroniste-kirchnériste. Trois grands
secteurs s’y croisent : celui d’Axel Kicillof (53 ans), actuel gouverneur de
Buenos Aires, héritier du kirchnérisme mais revendiquant une autonomie de
gestion ; le secteur kirchnériste mené par Cristina Fernández de Kirchner (72
ans), aujourd’hui proscrite, assignée à résidence mais toujours présidente du
Parti justicialiste (péroniste) au niveau national ; et la mouvance centriste Renovación
Peronista de l’ancien candidat à la
présidentielle Sergio Massa (53 ans).
Cependant,
au-delà de ces forces structurées, le péronisme-kirchnérisme intègre une grande
diversité de secteurs sociaux, ce qui complexifie encore davantage la conduite
unifiée de ce large mouvement : les principales centrales syndicales du pays ;
les mouvements sociaux urbains et ruraux ; les gouverneurs provinciaux
péronistes – souvent porteurs de projets et d’intérêts propres, et disposés à
négocier avec le gouvernement national – ainsi que les maires. À titre
d’exemple, rien qu’à Buenos Aires, le péronisme a remporté le 7 septembre
dernier près d’une centaine des 135 municipalités de la province, où l’on
élisait également des conseillers municipaux et scolaires.
Une première
lecture laisse penser que le grand gagnant de cette dynamique interne est Axel
Kicillof, qui a imposé sa volonté d’avancer à septembre ce scrutin provincial,
séparé des élections législatives d’octobre prochain. Les urnes ont montré que
ce pari politique à haut risque était le bon. Cependant, la victoire du
péronisme-kirchnérisme livre aussi une leçon essentielle : sans unité dans la
diversité, il n’y a pas de victoire contre le projet de Milei.
Le grand défi des prochains mois et années consistera non seulement à maintenir cette fragile unité au sein du camp national et populaire, mais aussi à l’élargir à d’autres secteurs, afin que le succès enregistré à Buenos Aires puisse dépasser, à l’échelle nationale, les 50 % de soutiens électoraux – condition indispensable pour détrôner ce dangereux laboratoire de sociocide que met en œuvre le gouvernement Milei.