Réforme des retraites : après l’incendie de la marionnette à l’effigie d’un roi à Charleville-Mézières, la procureure ouvre une enquête
Ce jeudi, près de 200 manifestants avaient quitté le cortège pour rallier la place Ducale où une marionnette avait été brûlée.
Jeudi soir, Magali Josse, la procureure de la République de Charleville-Mézières annonçait l’ouverture d’une enquête : « À l’occasion des manifestations de ce jour,
un mannequin à l’effigie d’un Roi de France représentant symboliquement
le président de la République a été incendié. Une enquête judiciaire
est ouverte du chef d’outrages à personne dépositaire de l’autorité
publique. » La magistrate a rappelé les peines encourues : un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
Tout allait si bien !
Communiqué au sujet d’un pantin brûlé
Tout allait si bien, et c’est avec effroi que nous avons appris les
tragiques événements qui ont eu lieu ce jeudi 6 avril 2023 en notre
belle et sainte ville de Charleville-Mézières. Par voie de presse, nous
avons pu lire que lors de la manifestation contre la Réforme des
retraites, des individus (cents, deux cents ?) avaient eu l’incroyable
toupet de quitter le parcours décidé par les directions syndicales et
validé par Monseigneur le Préfet. Un si beau parcours, répété pour la
troisième fois, qui avait permis jusqu’ici aux manifestant·es de se
promener gaiement au milieu des champs et sur l’autoroute : là où
personne ne les entend ni ne les voit protester. La fin du parcours
était rêvée : nos valeureuses forces de l’ordre les accueillaient comme
on attend des sangliers d’élevage lors d’une battue de chasse. La police
pouvait ainsi gazer indistinctement jeunes et enfants, vieux et
vieilles, chiens et chats ; et arrêter arbitrairement qui bon lui
semblait. Soit-elle bénie, et rebénie.
À ce jour, en France, 76%
des arrestations liées au mouvement social contre la Réforme des
retraites ont été classées sans suite. L’Immaculée République peut enfin
se passer de justifier trois-quarts des privations de liberté qu’elle
décerne. À titre d’exemple : ce jeudi 6 avril, à Charleville-Mézières, 3
des 4 personnes arrêtées seront même jugées pour « attroupement » en
septembre ! Rendez-vous compte ! Qui sont ces barbares qui osent
s’attrouper lors d’une manifestation ? On vous le demande !!! Mais
rassurons-nous, ce jour-là, la police a également réussi à estropier
quelques manifestant·es, qui ont donné en offrande leur corps vulnérable
à la force virile de nos agents de la paix. Des éclats de grenades
désencerclantes ont joué leur rôle dissuasif en venant se loger dans la
chair de personnes qui n’avaient rien fait de mal. Une victoire !
Nous
répétons donc la question : qui sont ces individus qui ont osé quitter
le parcours syndical au lieu d’aller rencontrer amoureusement nos
illustres CRS ? Nous louons l’intelligence tactique de la procureure,
qui a eu la sagesse d’ouvrir une enquête pour « Outrage à personne
dépositaire de l’autorité publique ». Car non contents de s’égayer dans
ce qu’ils appellent une « manifestation spontanée », ces voyous de la
pire espèce ont eu l’affront de mettre le feu à un pantin, coiffé d’une
couronne de galette des rois. En outre, une fanfare les accompagnait, et
on a même pu entendre des chants comme « La Semaine sanglante », écrite
par un certain « Jean-Baptiste Clément » (qui renvoie, on le sait, à un
nom de rue de notre belle et sainte ville, et non à un personnage
central de la Commune de Paris).
D’après le Sacro-Ministère
Public, le personnage de papier mis au bûcher était censé représenter
« symboliquement » Monsieur le Président de la République (nous
insistons sur la gravité de ce point : « symboliquement »). L’acte
infâme a été réalisé devant la mairie de la grande et grandiose Place
Ducale, avec une banderole qui titrait « La violence, c’est eux ». Qui
est ce « eux » ? La Police ? L’État ? La Justice ? Nous n’osons y
croire, mais l’enquête le dira. De surcroît, cette action a été menée en
pleine période de carnaval, une fête traditionnelle et sacrée qui,
rappelons-le, consiste à défiler avec des masques de Mickey Mouse en
mangeant de la barbe à papa. Brûler symboliquement un dépositaire,
jamais de mémoire d’humain une telle mascarade n’avait été observée, un
tel renversement des valeurs ! Charleville-Mézières, fief des arts de la
marionnettes au rayonnement international ne peut tolérer de tels
agissements. Les marionnettes, on le sait, c’est pour rapporter de
l’argent à nos commerçant·es, pas pour faire de la politique !
Le
pouvoir en place ne tient que par sa brutalité, et on s’en félicite !
Nous espérons que la justice achèvera son éternelle mission en jugeant
sévèrement toutes celles et ceux qui s’attroupent ou se moquent de notre
Bon Président, jusqu’ici si bienveillant, et défendant si férocement
les besoins du peuple. On peut en juger par le ruissellement des
richesses qu’il a permis dans nos chères Ardennes, où tout le monde met
la clim’ en plus du chauffage tellement l’argent coule à flots. Nous
renouvelons notre fidélité à son mandat : d’un côté, moins de profs,
moins de soignant·es, moins de services publics, et de l’autre côté plus
de police, plus de police, et plus de police.
Si on ne peut plus
manifester sans se faire mutiler ou asphyxier, si on ne peut plus
déambuler pacifiquement en cramant des pantins de papier, si on ne peut
plus bloquer son lieu de travail ou d’études, nous savons, chères
autorités, que vous gardez sauve notre liberté fondamentale de nous
exprimer, de manifester notre désaccord et de nous opposer à la
tyrannie. Pour la suite du mouvement, nous vous demandons donc, s’il
vous plaît, la distribution gratuite d’un violon par foyer, pour que
nous puissions pisser rageusement dedans en pensant tendrement à votre
infinie bonté. Peut-être jugerez-vous que cela offensera les luthier·es
et leurs familles. Nous vous serions alors gré de nous communiquer les
modalités par lesquelles les opposant·es au gouvernement peuvent
exprimer leurs colères, dans le respect de l’ordre républicain, de nos
gentils patrons et de la divine Droite – et donc sans gêner personne.