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22/11/2025

Le “traitement” israélien pour un adolescent gravement malade : des menaces de déportation vers Gaza

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 21/11/2025
Traduit par Tlaxcala


Yamen Al Najjar, avec sa mère Haifa, devant l’hôpital Makassed à Jérusalem-Est, où il est soigné.

Yamen Al-Najjar, un adolescent de 16 ans atteint d’une grave maladie sanguine, est hospitalisé à Jérusalem-Est depuis deux ans. Cette semaine, Israël a tenté de le déporter à Gaza, où sa famille vit sous une tente après la destruction de leur maison. Sa mère est certaine qu’il ne survivrait pas un seul jour s’il y était renvoyé.

À 5 heures du matin, lundi, Yamen Al Najjar, 16 ans, était censé quitter son lit dans le service de médecine interne de l’hôpital Makassed à Jérusalem-Est, où il vit depuis deux ans avec sa mère, rassembler ses peintures et ses quelques vêtements, et retourner dans la bande de Gaza dévastée où il a grandi.
Quelques jours plus tôt, l’hôpital avait informé tous deux qu’Israël avait décidé d’expulser la plupart des Gazaouis hospitalisés ici vers la bande. Selon l’ONG Médecins pour les droits humains, des dizaines d’autres devaient être expulsés avec lui : environ 20 patients et leurs accompagnants du centre médical Sheba, à Ramat Gan ; 60 patients atteints de cancer et leurs accompagnants de l’hôpital Augusta Victoria à Jérusalem-Est ; et 18 patients et accompagnants de Makassed.
À la dernière minute, après un reportage de CNN, la décision a été suspendue – on ne sait pour combien de temps.

Yamen est né et a grandi à Khan Younis, un garçon en bonne santé avec un désir presque inné de peindre. En septembre 2017, il a souffert d’une blessure au nez et a saigné sans interruption pendant 21 jours. Des hémorragies se sont également produites dans son système digestif, et il souffrait d’hématomes sous-cutanés à divers endroits du corps.
Les services médicaux de Gaza n’ont pas pu établir de diagnostic et, après environ trois mois, Yamen a été transféré à Makassed, où l’on a découvert qu’il souffrait de la maladie de von Willebrand, qui affecte la capacité du sang à coaguler. La vie de Yamen – et celle de sa mère – a été bouleversée, mais ce n’était pas la fin de leurs épreuves.

Nous les avons rencontrés cette semaine dans un jardin municipal sale et négligé près de l’hôpital, au milieu de la misère de Jérusalem-Est. La mère du garçon, Haifa, élégante et charmante, oscille entre rires et larmes, et refuse de révéler son âge. Rien dans son attitude ne laisse deviner qu’elle partage un lit d’hôpital avec son fils depuis plus de deux ans, ni qu’elle n’a pas de maison. Elle et son mari, Ramzi, 50 ans, avocat travaillant pour l’Autorité palestinienne, ont quatre enfants – Yamen est le plus jeune.

Haifa et Yamen Al-Najjar à l’hôpital. Après que les médecins de Gaza n’ont pas pu établir de diagnostic, il a été transféré à Jérusalem-Est.

Yamen fait plus que son âge, avec de cheveux noirs épais, bien qu’un début de moustache signale qu’il reste un adolescent. Il porte des lunettes épaisses aux verres sombres depuis que sa vision a été affectée par la maladie. Il transporte un sac en plastique contenant des peintures et des feuilles de papier.
À peine assis sur un banc métallique du jardin, Yamen se met à créer une peinture acrylique aux couleurs vives, avec l’aide occasionnelle de sa mère, elle aussi peintre amateur. À la fin de notre conversation, il aura terminé son tableau du jour – une œuvre frappante et magnifique.

En décembre 2017, après le diagnostic, Yamen a été transféré à l’hôpital universitaire Hadassah à Aïn Karem, Jérusalem. Sa mère raconte l’histoire avec vivacité, se souvenant de chaque date, chaque nom de maladie et chaque symptôme.
Dans les mois suivants, ils se sont rendus à Hadassah tous les trois mois pour des examens ; les trajets depuis Gaza se passaient sans problème et l’état du garçon était stable. Mais en 2020, de nouveaux symptômes graves sont apparus, apparemment sans lien avec sa maladie d’origine. Sa température corporelle chutait brutalement à 32-33 °C, et sa tension sanguine à 70/40, voire moins.
Une IRM réalisée à l’hôpital d’amitié turco-palestinienne à Gaza a montré des dommages au thalamus. Il a été transféré à l’hôpital arabe Istishari à Ramallah, où l’on a également diagnostiqué une atteinte de son hormone de croissance. Puis il a été transféré pour traitement au service d’hématologie de Sheba, où il revenait tous les trois mois avec sa mère pour des contrôles.
Les résultats de ses tests ont été envoyés à des centres médicaux aux USA et au Canada, mais aucune maladie n’a encore été identifiée. L’étape suivante consistait à réaliser des tests génétiques sur toute la famille – puis est arrivé le 7 octobre 2023.

Ce jour-là, Yamen était patient à l’hôpital ophtalmologique St. John de Jérusalem-Est, en raison de problèmes de vision. Le lendemain, il a recommencé à saigner et a été transféré à Makassed. Quelques jours plus tard, il a été transféré à Sheba puis renvoyé à Makassed. Il s’y trouve depuis lors. Pendant que sa mère parle, sa peinture progresse : il a déjà peint le ciel et un champ en bleu et vert intenses, et commence maintenant à peindre la silhouette d’un jeune ou d’un homme. Nous le découvrirons plus tard.


Haifa et Yamen. Pendant notre conversation, le dessin de Yamen progresse – il peint un ciel et un champ en bleu et vert vifs.

Son état se détériore, dit sa mère. Sa température corporelle descend sous les 32 degrés et sa tension chute à 60/23. Elle fait des cauchemars où celle-ci tombe à zéro. Il souffre de douleurs articulaires, d’éruptions cutanées et d’enflures. Il dort 18 heures par jour et le moindre effort l’épuise. Rien de tout cela n'est visible alors qu'il est assis sur le banc, entièrement absorbé par sa peinture.

Depuis quelques semaines, depuis le cessez-le-feu à Gaza, lui et sa mère ont été avertis que leur temps ici touchait à sa fin. Ils ont commencé à chercher un pays qui accepterait de les recevoir et de fournir des soins à Yamen. En janvier dernier, il devait se rendre avec des dizaines d’enfants blessés à Abou Dhabi pour traitement, mais le cessez-le-feu s’est effondré, les combats ont repris et la bande a de nouveau été scellée.

Haifa a contacté des organisations, dont l’OMS, PHR, la Croix-Rouge internationale, le Croissant-Rouge des Émirats et du Qatar, et d’autres. L’OMS a reconnu la gravité de son état, mais aucun pays n’a accepté de l’accueillir. Ses deux oncles, en exil en Grande-Bretagne et en Turquie, ont tenté d’aider, sans succès.
Les 22 000 enfants grièvement blessés dans la guerre à Gaza ont la priorité, dit-elle, même si l’état de Yamen n’est pas moins dangereux. Elle comprend aussi que sa situation serait meilleure s’il avait un diagnostic clair.

Dimanche dernier, il a été annoncé que tous les patients gazaouis, à l’exception des cas les plus graves, seraient renvoyés. Haifa a été rassurée, pensant que Yamen faisait partie des cas graves. Mais deux jours plus tard, on lui a annoncé que Yamen serait expulsé dans les deux jours – jeudi dernier.
Mercredi, on leur a dit que l’expulsion était repoussée à lundi matin, à 5 heures.
Elle a compris qu’elle devait agir vite pour renverser cette décision et sauver son fils. Pour la première fois, elle s’est tournée vers les médias internationaux. Abeer Salman, productrice et journaliste à CNN, a publié l’histoire et, immédiatement après, dimanche, la famille a été informée que leur expulsion était reportée sine die.


Les tentes des familles déplacées à Muwasi cette semaine. Lorsque l’armée israélienne est entrée à Khan Younis, la famille de Yamen a dû fuir à Muwasi sans rien. Photo  Mahmoud Issa / Reuters

C’est une vie dans l’angoisse, sous un nuage sombre et menaçant. « Yamen ne survivra pas un seul jour à Gaza », nous dit sa mère, des larmes apparaissant sur ses joues pour la première fois – vite essuyées. « Son seul péché est d’être né à Gaza. »
À présent, elle l’aide à achever sa peinture. Yamen a peint un homme tenant une branche d’arbre, avec des papillons voletant au-dessus. Sa mère ajoute un ou deux papillons. Ces dernières semaines, il peint beaucoup de papillons, dit-elle. Elle-même peint souvent des femmes tristes.
L’une des œuvres de Yamen, un dessin en noir et blanc datant de quelques semaines, montre un garçon agenouillé, du sang coulant de son doigt, une fleur poussant d’une terre fissurée, des maisons désolées en arrière-plan. Il a dit à sa mère que c’est ainsi qu’il imagine le retour à Gaza, avec son doigt blessé.

En réponse à une demande de Haaretz, le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) a déclaré :
« Contrairement aux affirmations, la coordination pour le retour des résidents de Gaza soignés en Israël vers la bande n’a été effectuée qu’après avoir reçu le plein consentement de chaque patient et de sa famille, conformément à leurs souhaits. Les patients ont commencé leur traitement en Israël avant la guerre et, en raison de la fermeture des points de passage, leur retour n’a pas été possible jusqu’à présent, bien qu’ils aient terminé leurs soins. Le processus a été coordonné professionnellement, avec la sensibilité requise, et en toute transparence avec toutes les parties concernées. »
En d’autres termes, une « déportation volontaire ». Difficile de croire que des dizaines de patients et leurs proches souhaitent réellement rentrer dans une Gaza dévastée et ensanglantée, où il ne reste aucun hôpital fonctionnel et où nul ne sait s’ils ont encore une maison.

Concernant Yamen, une source au COGAT a déclaré ne connaître aucun plan pour l’expulser. Pourtant, Yamen et sa famille affirment qu’ils ont déjà été informés deux fois de préparer leurs affaires pour une expulsion imminente, dont encore ce lundi. Dans les deux cas, l’administration de l’hôpital leur a dit agir sur instruction du COGAT.

Après l’article de CNN, une ONG sud-africaine a exprimé sa volonté d’aider à lui trouver un lieu de traitement dans ce pays, mais rien encore n’a abouti. Pour Haifa et Yamen, il est vital que Yamen puisse être soigné quelque part et aussi retrouver, après plus de deux ans, son père, ses sœurs et son frère.
La ligne téléphonique entre eux est ouverte presque en permanence, malgré les difficultés de connexion dans la zone de tentes de Muwasi où la famille vit. Ramzi et le frère de Yamen, Yusef, ont été blessés dans un bombardement.
Le 8 octobre 2023, la famille a quitté sa maison à Khan Younis et s’est installée dans sous tente dans la cour d’une école servant d’abri pour déplacés. Mais le site a bientôt été bombardé et la tente a pris feu. Pendant quelques jours, ils ont dormi dans la rue, jusqu’à pouvoir acheter une nouvelle tente et la monter à Rafah, où ils sont restés jusqu’en juin 2024.

Lorsque l’armée israélienne a envahi Rafah, ils ont dû fuir vers Muwasi. Ils ont tout laissé derrière eux et acheté une nouvelle tente. Lors du cessez-le-feu en janvier dernier, ils ont tenté de revenir aux ruines de leur maison. Une pièce se tenait encore debout, alors ils l’ont entourée de bâches plastifiées et s’y sont installés. Mais lorsque le danger s’est accru, ils ont dû fuir de nouveau et retourner à Muwasi avec une autre tente.

À quelle fréquence parlez-vous à votre famille ? demandons-nous.
« Chaque fois qu’ils se disputent et crient, ils appellent », dit Haifa. Et Salman, la journaliste, proche de la famille, ajoute en riant : « Et ça arrive souvent. » Ils se battent dans la tente de Muwasi pour une tranche de pain, une place sur un matelas, pour savoir qui se lavera ou qui aura quelque chose à boire, dit Haifa. Elle dit à chacun qu’il a raison.
Il y a eu de longs jours sans aucun contact, et tous deux vivaient dans la terreur. Haifa appelait quiconque elle connaissait à Gaza pour retrouver son mari et ses enfants, et écoutait chaque bulletin d’information, tremblante. « C’était une période très dure », dit-elle, et les larmes reviennent. Son mari avait besoin d’un déambulateur les premiers mois après sa blessure. Son cœur s’arrêtait à chaque mention de bombardements ou d’incendies à Muwasi.

Quand Yamen est éveillé, il peint ou joue en ligne à des jeux vidéo avec ses oncles en Turquie et à Londres. La vie à l’hôpital est difficile. « Il n’y a ni intimité, ni confort », dit Haifa, encore souriante.
Depuis qu’il a 3 ans, Yamen gardait tous ses jouets dans leurs boîtes d’origine. Lorsque son père et ses frères et sœurs ont dû quitter la maison le 8 octobre, tous les jouets ont été laissés derrière. Son père lui a demandé quel jouet sauver, et Yamen lui a dit d’emporter un jeu de cartes doré. Elles ont survécu jusqu’à ce que la famille doive fuir de la tente à Rafah, puis ont été perdues aussi.
Le personnel de l’hôpital remplace désormais la famille, dit Haifa, mais elle essaie de ne pas trop s’y attacher, sachant qu’ils devront partir. La semaine dernière, quand elle a appris l’expulsion, elle s’est dit qu’elle avait finalement fait ce qu’il fallait. Tout ce qu’elle veut maintenant, c’est que Yamen reçoive le meilleur traitement possible et que la famille soit réunie. Il saigne presque chaque jour, dit-elle, ce qui le plonge dans la dépression.

Maintenant, il a fini sa peinture et l’a signée en bas.