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31/03/2024

Pourquoi un occupant ne peut jamais gagner contre un peuple
Quand Moshe Dayan enquêtait dans les jungles du Viêt Nam

En juillet-août 1966, Moshe Dayan, le futur héros de la Guerre des Six-Jours, se rend au Viêt Nam, pour effectuer une “observation participante” de la guerre menée par l’armée US. Il en tire des conclusions logiques : les USA ne pourront jamais la gagner. L’histoire lui donnera raison. Netanyahou, Yoav Gallant en consorts feraient bien de lire ou de relire le journal du Vietnam de l’homme qui, avec un seul œil, y voyait très clair. Ci-après deux articles racontant ce “reportage” très spécial, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala
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Moshe Dayan tire la sonnette d’alarme au Viêt Nam

Marc Leepson, Historynet, 15/9/2011

Lors d’une tournée au Viêt Nam en 1966, le légendaire chef militaire israélien est parvenu à des conclusions étonnantes sur la stratégie de guerre des USA.

Le maréchal britannique Bernard Montgomery a même déclaré à Dayan que les USAméricains avaient mis en œuvre une stratégie erronée et “insensée”

Le 12 juillet 1966, au stade Busch de St. Louis, la Ligue nationale l’emporte sur la Ligue américaine, 2 à 1, en 10 manches, lors du 37e match des étoiles de la Ligue majeure de baseball. Nancy Sinatra, séduisante dans un pull moulant, fait la couverture du numéro du 12 juillet 1966 du magazine Look. Doris Day fait un tabac au box-office avec son film The Glass Bottom Boat (Le Bateau à fond de verre). Au Viêt Nam, le grand déploiement usaméricain est en cours ; quelque 276 000 soldats US sont sur le terrain.

Ce soir-là, le président Lyndon Johnson prononce un discours télévisé national sur la politique étrangère des USA en Asie - un discours dans lequel LBJ a des mots très durs pour les communistes vietnamiens.

« Tant que les dirigeants du Nord-Vietnam croiront vraiment qu’ils peuvent prendre le contrôle du peuple du Sud-Vietnam par la force, nous ne devons pas les laisser réussir », a déclaré LBJ. Les USA, a-t-il ajouté, « mènent une guerre de détermination » au Viêt Nam. « Cela peut durer longtemps. Mais nous devons continuer jusqu’à ce que les communistes du Nord-Vietnam réalisent que le prix de l’agression est trop élevé et qu’ils acceptent un règlement pacifique ou qu’ils cessent de se battre. Quel que soit le temps que cela prendra ».
Le 12 juillet 1966 également, l’ancien chef d’état-major des forces de défense israéliennes, Moshe Dayan, le flamboyant et controversé général combattant qui avait mené l’assaut victorieux dans la péninsule du Sinaï lors de la guerre de 1956 contre l’Égypte, a pris un avion commercial à Londres pour se rendre au Sud-Vietnam. Âgé de 51 ans, Dayan avait démissionné de son poste militaire en 1958, s’était lancé dans la politique l’année suivante et avait occupé pendant cinq ans le poste de ministre de l’Agriculture de son pays. Il vient de publier en 1965 son
Journal de la campagne du Sinaï, il est député au Parlement israélien (la Knesset) et un simple citoyen désireux d’aller là où se passe l’action.

Moshe Dayan était habitué à l’action. Né en 1915 dans le premier kibboutz de ce qui était alors la Palestine, il a rejoint l’organisation paramilitaire Haganah à l’âge de 14 ans pour aider à protéger les colonies juives des attaques arabes. Pendant la révolte arabe de 1936-1939, Dayan fait partie d’une équipe d’embuscade et de patrouille travaillant pour les Britanniques. Cette force d’opérations spéciales d’élite, les Special Night Squads, a été sélectionnée et entraînée personnellement par le légendaire Orde C. Wingate, qui a plus tard commandé les Chindits pendant la Seconde Guerre mondiale en Birmanie.

En 1941, Dayan sert d’éclaireur de la Haganah pour les Britanniques et participe à l’invasion du Liban et de la Syrie tenus par Vichy. Au cours de cette campagne, le 7 juin 1941, alors qu’il fait une pause de reconnaissance en s’occupant d’une mitrailleuse sur le toit d’un poste de police capturé dans une petite ville libanaise, une balle tirée par un tireur d’élite français déchire ses jumelles. Le verre brise l’œil gauche de Dayan et lui laisse le cache-œil distinctif qu’il portera jusqu’à la fin de sa vie.

Lorsque les armées arabes entrent en Israël en 1948, Dayan est membre de l’état-major de la Haganah et travaille dans les services de renseignements sur les Arabes. Pendant la guerre d’indépendance israélienne qui s’ensuit, il combat les Syriens en Galilée, dirige un bataillon de commandos lors de raids contre Lod et Ramallah, et commande le front de Jérusalem. Dayan devient chef d’état-major des forces armées israéliennes en 1953. À ce poste, il élabore et exécute le plan d’invasion du Sinaï en 1956.

Dix ans plus tard, Dayan est impatient de participer à une nouvelle guerre. Cela faisait « dix ans que je n’avais pas participé à une bataille, dix ans que je ne m’étais pas trouvé à l’extrémité opposée d’un char, d’un canon de campagne et d’un avion d’attaque ennemis, et à l’extrémité opposée des nôtres », écrit Dayan dans ses mémoires, qui ont été publiées aux USA en 1976. « Je voulais voir par moi-même, sur place, à quoi ressemblait la guerre moderne, comment les nouvelles armes étaient maniées, comment elles se comportaient dans l’action, si elles pouvaient être adoptées pour notre propre usage ».

Dayan, qui allait asseoir sa réputation militaire en menant Israël à la victoire lors de la guerre des Six Jours en 1967, a choisi de se rendre au Viêt Nam en 1966, dit-il, parce que c’était « le meilleur, et le seul, “laboratoire” militaire de l’époque ». Dayan, qui jouit d’un bon réseau de relations, met au point un plan visant à rédiger une série d’articles de presse pour trois publications : Maariv, le principal journal israélien, le Sunday Telegraph de Londres et le Washington Post.

« Les articles traiteront de mes observations sur la situation politique dans ce pays », a déclaré Dayan aux journalistes alors qu’il quittait Londres. « Je suis également très intéressé par les combats. J’espère être affecté à une unité militaire américaine ».

Il s’est avéré que Dayan écrivait davantage sur la stratégie et la tactique militaires que sur la situation politique. Il se sentait d’autant plus à l’aise dans ce domaine qu’il avait passé la quasi-totalité de sa carrière en uniforme à se battre pour son pays. Mais Dayan, qui était également impliqué dans la politique israélienne au plus haut niveau, n’a pas ignoré la situation politique au Viêt Nam. Au cours des cinq semaines qu’il a passées dans le pays, Dayan a passé du temps sur le terrain avec plus d’une unité militaire usaméricaine et s’est plongé avec enthousiasme dans les entrailles de la guerre du Viêt Nam, comme peu de dignitaires en visite l’avaient fait ou le feraient un jour.

HAI DANG
La guerre contre Gaza vue du Vietnam
De la fraternité d’armes à la fascination pour la “nation start-up” israélienne

Hai Dang, Aljazeera, 30/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Vietnam connaît un rare activisme politique en faveur des Palestiniens alors que la guerre de Gaza rappelle la solidarité autrefois partagée dans la lutte pour la libération nationale.

Le président palestinien Yasser Arafat inspecte une garde d’honneur avec le président vietnamien Tran Duc Luong à Hanoi en avril 1999. Photo AFP


Hanoi, Vietnam - Dans un lieu privé niché dans une ruelle étroite du centre-ville de Hanoi, un groupe de plus de 20 personnes a écouté attentivement Saleem Hammad, un Palestinien charismatique de 30 ans, qui s’exprimait dans un vietnamien courant.

Hammad, qui dirige une entreprise au Viêt Nam, a raconté un incident survenu dans son enfance à Jénine, en Cisjordanie occupée.

Les personnes présentes l’ont écouté raconter le souvenir saisissant d’une nuit où il a été réveillé par des soldats israéliens qui encerclaient la maison familiale et y faisaient une descente.

Auparavant, il avait déclaré aux participants à la discussion que l’histoire de la lutte de libération du Viêt Nam contre les USA avait inspiré les Palestiniens dans leur lutte contre l’occupation de leurs terres par Israël.

«Le peuple vietnamien, avec son histoire douloureuse et glorieuse, a toujours été une source d’inspiration pour les Palestiniens dans leur lutte pour la justice », a dit Hammad à son auditoire.

« Nous vous considérons toujours comme un modèle ».

Horrifiés par la guerre d’Israël contre Gaza et le nombre croissant de victimes, les jeunes Vietnamiens ont commencé à élever la voix pour soutenir les Palestiniens. Ce faisant, ils découvrent les liens historiques entre le Viêt Nam et la Palestine et leurs luttes communes pour la libération nationale.


VICTOIRE
Vietnam-Palestine
OLP
Ismail Shammout, 1972

Mais les relations entre les deux nations, vieilles de plusieurs décennies, ont été éclipsées par la promotion plus récente de la culture d’entreprise israélienne auprès d’une jeune génération de Vietnamiens.

Soucieux de réussir dans l’économie de marché vietnamienne en pleine expansion, beaucoup ont été inspirés par la culture d’entreprise israélienne, tout en ne sachant pas grand-chose de la face cachée du succès d’Israël, à savoir sa longue occupation des terres palestiniennes.

Organisé à la fin de l’année dernière par les militants pro-palestiniens Trinh* et Vuong*, le rassemblement au cours duquel Hammad s’est exprimé a été inspiré par l’activisme étudiant que les deux hommes ont rencontré lorsqu’ils étudiaient aux USA.

Trinh et Vuong font partie d’un mouvement populaire en plein essor parmi la jeunesse vietnamienne qui a été attirée par la cause palestinienne depuis le début de la guerre contre Gaza en octobre.

Mais les politiques vietnamiennes strictes contre les assemblées publiques et l’activisme politique signifient que les militants pro-palestiniens doivent trouver des moyens discrets et créatifs d’organiser des événements sans attirer l’attention indésirable des autorités vietnamiennes.

À Ho Chi Minh Ville, Trinh et quelques amis ont organisé des discussions sur la Palestine et des cours de dessin sur le thème de la Palestine. Dessinateur de formation, Trinh a également travaillé avec d’autres créatifs pour concevoir des produits dérivés en faveur de la Palestine, des œuvres d’art politiques et des fanzines.

Des jeunes vietnamiens créent des œuvres d’art pour soutenir la Palestine. Photo Cat Nguyen/ Tu Ly

En novembre, une projection de documentaires et de films sur la Palestine, la Nakba et l’histoire de l’occupation israélienne de la Palestine a eu lieu sous le titre Films pour la libération : Palestine Forever dans le but, selon les organisateurs, d’annuler « les descriptions diaboliques des Palestiniens » par les acteurs « occidentaux et impérialistes ».

Sur les réseaux sociaux, une multitude de pages de fans en vietnamien ont vu le jour, présentant des poèmes palestiniens traduits, des œuvres d’art pro-palestiniennes et des analyses sur l’histoire du conflit, tandis que l’ambassade de Palestine au Vietnam a invité d’anciens vétérans de la guerre contre les USA, des universitaires, des activistes et des membres du public à une commémoration pour ceux qui ont été tués à Gaza.

Le 29 novembre, qui est la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien désignée par les Nations Unies, le gouvernement vietnamien a également publié un message du président de l’époque, Vo Van Thuong, dans lequel il parlait de la longue histoire de fraternité entre le Vietnam et la Palestine et du « soutien fort et de la solidarité du Vietnam avec les Palestiniens dans leur lutte pour la justice" »

Mais les relations entre le Vietnam et la Palestine ne sont plus ce qu’elles étaient.

Rue Kham Thien, Hanoï après le passage des B-52, 26 décembre 1972

Chaque jour à Gaza, il y a un nouveau Kham Thien

La destruction de Gaza par Israël rappelle aux Vietnamiens la campagne de bombardement américaine visant le quartier de Kham Thien à Hanoi en 1972.

Lors d’une réunion de militants vietnamiens pro-palestiniens, deux images de guerre ont été projetées sur le mur : l’une de Gaza en 2023 après une attaque aérienne israélienne et l’autre des décombres laissés par le bombardement du quartier de Kham Thien à Hanoï il y a plus de 50 ans.

En 1972, Richard Nixon, alors président des USA, avait ordonné le bombardement de la capitale nord-vietnamienne pendant la période de Noël, et c’est le quartier de Kham Thien qui a été le plus gravement dévasté. Pendant 12 jours et nuits consécutifs à partir du 18 décembre, environ 20 000 tonnes de bombes ont été larguées sur Hanoi, ainsi que sur la ville portuaire très fréquentée de Hai Phong et sur plusieurs autres localités.



Tract français de 1967 sur la visite de Moshe Dayan au Sud-Vietnam en août 1966

 La juxtaposition des deux images et les échos historiques des deux guerres - qu’il s’agisse de « raser Gaza » ou de « bombarder le Nord-Vietnam jusqu’à l’âge de pierre » - font partie d’un réservoir de symboles partagés qui ont alimenté l’ambiance actuelle de solidarité Vietnam-Palestine parmi les jeunes Vietnamiens.

L’histoire se répète, dit Hung*, un étudiant de 20 ans dont le père et les grands-parents ont vécu les bombardements de Noël 1972 par les forces usaméricaines.

« En regardant ce qui se passe à Gaza, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à l’histoire que mon père m’a racontée, celle d’un jour de son enfance où il a assisté avec horreur au largage de bombes près du lac de l’Ouest [de Hanoï] et où, peu après, il a senti un coup de vent souffler dans sa direction et l’onde de choc presser sa poitrine », raconte Hung à Al Jazeera.

« Aujourd’hui, c’est précisément ce qui arrive à tout le monde à Gaza, jour après jour. Chaque jour à Gaza, il y a un autre Kham Thien », ajoute-t-il.

Dans les réunions pro-palestiniennes à travers le pays, des liens similaires entre la guerre d’Israël contre Gaza et la guerre USA contre le Viêt Nam sont établis et les analogies du temps de guerre sont utilisées par de jeunes militants pour présenter la cause palestinienne à de nouveaux publics.

Des images d’une combattante vietnamienne des années de guerre portant un foulard traditionnel “ran” et se tenant aux côtés d’une combattante palestinienne vêtue d’un keffieh sont imprimées sur des tote-bags et des autocollants. Les combattantes tiennent une clé de porte en l’air, symbolisant les maisons que les Palestiniens ont perdues en 1948 lors de leur déplacement forcé par les forces israéliennes au cours de la période connue sous le nom de Nakba, ou "catastrophe", au cours de laquelle au moins 750 000 Palestiniens ont été violemment déplacés et dépossédés.

Une œuvre d’art pro-palestinienne exposée à Hanoi représente une combattante de la lutte de libération nationale vietnamienne et une combattante palestinienne au-dessus des mots en arabe et en vietnamien : « Du fleuve à la mer ». Photo Cat Nguyen

Par l’art, la discussion et d’autres moyens d’expression, les militants pro-palestiniens au Viêt Nam aident leurs pairs à comprendre des concepts tels que le sionisme, la Nakba, les accords d’Oslo et le colonialisme de peuplement.

Et pas à pas, ils réaffirment le contexte et l’histoire de la perte et de l’enlèvement des Palestiniens que les récits au Vietnam dans les médias locaux et les livres omettent dans leur récit de l’émergence d’Israël en tant que succès économique.

Phuong, une peintre vietnamienne basée en Italie qui a lancé la page fan en ligne « Poèmes palestiniens », a déclaré qu’elle avait été profondément bouleversée par ce qui s’est passé depuis octobre dans la bande de Gaza.

Elle a expliqué qu’elle s’était tournée vers la traduction de poèmes comme moyen de protester et de canaliser son chagrin face à la guerre dans la bande de Gaza. À ce jour, elle a traduit de l’anglais au vietnamien plus de 50 poèmes d’auteurs palestiniens tels que Mahmoud Darwich, Fadwa Tuqan et Ghassan Zaqtan.

Phuong espère pouvoir aider ses lecteurs à apprécier l’humanisme universel de la culture et de la société palestiniennes, tel qu’il se reflète dans les poèmes de Darwish et d’autres auteurs.

« Les Palestiniens ne sont pas seulement des victimes de la guerre », a déclaré Phuong. « Ils sont aussi un peuple au patrimoine riche et magnifique, avec des philosophies et des arts sophistiqués. Les Vietnamiens doivent le savoi »r.

Nguyen Binh est un autre jeune traducteur qui s’est fait connaître pour ses traductions d’œuvres vietnamiennes, comme la traduction en anglais du classique Conte de Kieu.

Binh travaille actuellement à la traduction en vietnamien du livre de Rashid Khalidi, The Hundred Years’ War on Palestine [inédit en français], afin d’ «élever la voix de ceux que l’on n’entend pas » et de combler le manque de compréhension des questions palestiniennes par les Vietnamiens.

Vendre l’image de “startup” d’Israël

L’édition vietnamienne de Start-Up Nation : The Story of Israel’s Economic Miracle [Israël, la nation start-up, Maxima 2014] présente une image flatteuse de la réussite des entreprises israéliennes

Le Hong Hiep, chercheur et coordinateur du programme d’études sur le Vietnam à l’Institut ISEAS-Yusof Ishak de Singapour, a décrit le soutien du Vietnam au peuple palestinien et à sa lutte pour la libération comme « inébranlable » pendant la guerre froide et dans les années 1990.

« Cela s’explique en partie par le fait que les dirigeants vietnamiens étaient convaincus que la cause palestinienne reflétait leur propre lutte pour l’unification et l’indépendance contre les puissances étrangères », dit M. Hiep à Al Jazeera.

L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a établi des relations avec le Nord-Vietnam en 1968 et a mis en place un bureau de représentation résident après la fin de la guerre au Viêt Nam en 1975. Ce bureau est rapidement devenu l’ambassade de Palestine au Viêt Nam.

« Dans les années 1990, le Viêt Nam a également accueilli des dirigeants palestiniens, dont Yasser Arafat, à de nombreuses occasions. La position officielle du Viêt Nam sur le conflit israélo-palestinien a toujours été en faveur de l’autodétermination palestinienne et de la création d’un État palestinien », dit M. Hiep.

Du côté palestinien, ces liens d’ amitié ont été résumés par Darwich en 1973, alors que la guerre au Vietnam entrait dans sa phase finale avec la signature des accords de paix de Paris en 1973, qui mettaient fin aux combats militaires directs des USA dans le pays.

« Dans la conscience des peuples du monde, le flambeau a été transmis du Viêt Nam à nous », a déclaré le poète.

Mais les temps ont changé.

Il en va de même pour le souvenir de la solidarité du Viêt Nam avec la Palestine.

Les militants pro-palestiniens interrogés par Al Jazeera ont déclaré qu’ils avaient eu du mal à persuader leurs parents que la cause palestinienne était juste.

Hung raconte que ses parents ont d’abord réagi à la guerre contre Gaza en blâmant « ces terroristes» qui l’avaient "commencée les premiers ».

« J’ai dû moi-même passer du temps à leur expliquer l’histoire de la question, qui remonte à 1948. Ce n’est qu’après cela qu’ils ont changé d’avis », raconte Hung.

Saadi Salama, l’ambassadeur palestinien au Vietnam, a déclaré que les médias locaux avaient une grande part de responsabilité dans le manque de sensibilisation du public vietnamien aux événements en Palestine.

 

L’ambassadeur Saadi Salama prononce un discours à Hanoï lors d’un événement organisé en novembre pour commémorer les Palestiniens tués à Gaza. Photo Tu Ly

Ayant d’abord travaillé à la résidence de l’OLP à Hanoï en tant que secrétaire à l’information dans les années 1980, Salama a des décennies d’expérience au Viêt Nam. Mais depuis une dizaine d’années, dit-il, les informations sur la question palestinienne sont beaucoup moins fréquentes dans les médias locaux. Ce qui apparaît est présenté de manière superficielle.

« La plupart des gens n’ont qu’une vague idée de ce qui se passe réellement à Gaza et en Cisjordanie », dit M. Salama à Al Jazeera, expliquant que les journalistes locaux manquent souvent d’expertise sur les questions relatives à la Palestine et au Moyen-Orient.

« Par conséquent, ils hésitent à rédiger des analyses approfondies sur le sujet, optant plutôt pour un copier-coller non critique de sources occidentales sans fournir de contexte aux lecteurs », ajoute-t-il.

Il y a de rares exceptions, admet Salama, mais pas assez pour faire la différence avec une impression généralement négative de la Palestine à un moment où il y a une impression positive d’Israël au Viêt Nam.

Pour les Vietnamiens, Israël est aujourd’hui le symbole du développement, une « startup nation », explique M. Salama.

« Ils ne voient pas les dessous d’Israël ».

Dinh Le, un marché aux livres bien connu du centre de Hanoï, se trouve à quelques pas du lieu où Hammad a parlé de la Palestine et de son enfance.

S’il est difficile pour un visiteur de trouver ici des livres sur la Palestine, il ne manque pas d’exemplaires en langue vietnamienne de Start-Up Nation : The Story of Israel’s Economic Miracle, un livre publié en 2009 par Dan Senor et Saul Singer.

Republié par AlphaBooks, qui est surtout connu au Viêt Nam pour ses ouvrages sur les affaires et la science populaire, Start-Up Nation est devenu un best-seller au Viêt Nam.

Selon les chiffres disponibles sur le site du ministère vietnamien de l’information et de la communication, le livre a fait l’objet de plus d’une douzaine de réimpressions et a été publié à plus de 2 millions d’exemplaires.

Selon le ministère, plus d’un million d’exemplaires de Start-Up Nation ont été commandés pour être distribués par l’un des principaux entrepreneurs vietnamiens, qui dirige un projet de distribution gratuite de livres d’inspiration dans des domaines tels que les affaires, la science et la philosophie.

Certains considèrent que la popularité du livre au Viêt Nam est liée à l’image flatteuse d’Israël auprès du public et à la description souvent positive d’Israël dans les médias vietnamiens.

L’attrait populaire d’Israël coïncide également avec un moment critique de l’histoire moderne du Viêt Nam, selon les experts.

Depuis la fin des années 1980, le Viêt Nam a mené des réformes économiques, connues sous le nom de Doi Moi, qui ont vu le pays adopter un développement axé sur le marché libre et la promotion de l’esprit d’entreprise.

Dans le même temps, la politique étrangère du Viêt Nam a donné la priorité aux intérêts nationaux et à l’indépendance plutôt qu’à ce qui aurait été décrit comme une « pureté idéologique » à l’époque révolutionnaire.

Bien qu’officiellement appelé République socialiste du Viêt Nam, le pays accueille depuis longtemps des capitaux étrangers et s’est efforcé de normaliser ses relations, principalement sur la base de la coopération économique, avec des pays et des blocs autrefois considérés comme ennemis.


Le président usaméricain Joe Biden porte un toast avec le président vietnamien Vo Van Thuong à Hanoï, au Viêt Nam, le 11 septembre 2023, après que les deux pays, autrefois ennemis, ont porté leurs relations diplomatiques et commerciales à leur plus haut niveau. Photo Evelyn Hockstein/Reuters

 

L’approche politique du Viêt Nam, connue sous le nom de « diplomatie du bambou » en raison de sa flexibilité et de son pragmatisme, a permis au pays de forger un partenariat significatif avec Israël dans les « domaines de l’économie, de la technologie et de la sécurité », explique M. Hiep.

Et c’est probablement la crainte de mettre en péril les liens avec Israël qui explique pourquoi « le Vietnam a été plus hésitant à exprimer un soutien fort à la Palestine, même s’il conserve de la sympathie pour sa cause », ajoute-t-il.

Vietnam et Palestine : « Des luttes similaires »

« Plus j’en apprends sur l’histoire de la Palestine, plus je réalise à quel point nos luttes sont similaires », déclare l’activiste vietnamien Trinh.

Hoang Diep Anh, 7 ans, écrit un message de soutien lors d’une veillée pour les Palestiniens organisée à l’ambassade de Palestine à Hanoi le 4 novembre 2023 à Hanoi, Vietnam. Photo Chris Trinh/Getty Images

Depuis octobre, le Viêt Nam a dénoncé les atrocités commises contre les civils dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas.

Lors d’une conférence de presse peu après le début de la guerre, une porte-parole du ministère vietnamien des Affaires étrangères a déclaré que le Vietnam « condamne fermement les attaques violentes contre les civils, les travailleurs humanitaires, les journalistes et les infrastructures essentielles ».

Avant cela, lors d’une session d’urgence de l’Assemblée générale des Nations unies le 27 octobre, le Viêt Nam s’est joint à la majorité des États membres pour voter une résolution exigeant un cessez-le-feu humanitaire immédiat, la protection des civils, la libération inconditionnelle des captifs et l’accès de l’aide humanitaire.

Hanoi a toutefois veillé à ne pas mettre en péril ses relations avec Israël en nommant ouvertement ce pays dans ses critiques. Malgré cela, un ancien ambassadeur israélien au Viêt Nam a qualifié la position de Hanoi sur Gaza de « décevante » lors d’une interview.

Pour certains, ces gestes en faveur de la Palestine ne sont pas suffisants pour honorer les dettes historiques du Viêt Nam envers les Palestiniens et le soutien de l’OLP à Hanoï pendant la guerre froide.

Yasser Arafat, commandant du mouvement palestinien Al Fatah, reçoit un album sur la création de l’armée nord-vietnamienne avec une photo de Ho Chi Minh sur la couverture de la part du ministre de la Défense nord-vietnamien, le général Giap, lors de sa visite au Nord-Vietnam le 8 avril 1970. Photo RADIOPHOTO / AFP

 Vu Minh Hoang, historien diplomatique du Vietnam du XXe siècle et de l’Asie-Pacifique, a noté que l’OLP faisait partie de la petite minorité de groupes et de pays du Sud qui ont ouvertement pris la défense de leurs amis vietnamiens et condamné la Chine pour son invasion du Vietnam en 1979.

Selon M. Vu, cette décision a coûté à l’OLP l’aide et le soutien politique dont elle avait tant besoin de la part de la Chine. L’OLP avait entretenu des relations amicales avec la Chine pendant 14 ans, jusqu’à ce qu’elle prenne parti pour le Viêt Nam à la suite de l’invasion chinoise de ce pays en 1979.

« L’OLP a courageusement défendu le Viêt Nam au moment où il en avait le plus besoin », a déclaré M. Vu, qui est actuellement basé à l’université de Columbia à New York, à Al Jazeera.

Bien que les déclarations et les votes vietnamiens aient soutenu la Palestine, Vu a déclaré que, dans l’ensemble, la position du Vietnam dans la pratique semble être plus « pro-israélienne ».

Pour comprendre pourquoi, il faut « suivre l’argent », a-t-il ajouté.


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27/05/2023

GREG GRANDIN
Henry Kissinger, un criminel de guerre, est toujours en liberté à 100 ans

Greg Grandin, The Nation, 15/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Greg Grandin (1962), membre du comité de rédaction de The Nation, est un historien usaméricain, professeur d’histoire à l’université de Yale et auteur de nombreux ouvrages. Il a notamment écrit Kissinger’s Shadow: The Long Reach of America’s Most Controversial Statesman (Metropolitan Books, 2015) et The End of the Myth : From the Frontier to the Border Wall in the Mind of America (Metropolitan Books, 2019), qui a reçu le prix Pulitzer 2020 pour la non-fiction générale.

Nous savons aujourd’hui beaucoup de choses sur les crimes qu’il a commis quand il était en fonction, qu’il s’agisse d’aider Nixon à faire échouer les négociations de paix de Paris et à prolonger la guerre du Viêt Nam, ou de donner son feu vert à l’invasion du Cambodge et au coup d’État de Pinochet au Chili. Mais nous savons peu de choses sur les quatre décennies qu’il a passées au sein de Kissinger Associates.

Henry Kissinger aurait dû tomber avec les autres : Haldeman, Ehrlichman, Mitchell, Dean [les plombiers du Watergate, NdT] et Nixon. Ses empreintes digitales étaient partout dans le Watergate. Pourtant, il a survécu, en grande partie en jouant sur la presse.


Illustration de Steve Brodner

Jusqu’en 1968, Kissinger avait été un républicain de Nelson Rockefeller, bien qu’il ait également été conseiller au département d’État dans l’administration Johnson. Selon les journalistes Marvin et Bernard Kalb, Kissinger a été stupéfait par la défaite de Richard Nixon face à Rockefeller lors des primaires. « Il a pleuré », écrivent-ils. Kissinger pensait que Nixon était « le plus dangereux de tous les hommes en lice à avoir comme président ».

Kissinger n’a pas tardé à ouvrir une voie détournée vers l’entourage de Nixon, en proposant d’utiliser ses contacts à la Maison Blanche de Johnson pour divulguer des informations sur les pourparlers de paix avec le Nord-Vietnam. Encore professeur à Harvard, il traite directement avec le conseiller en politique étrangère de Nixon, Richard V. Allen, qui, dans une interview accordée au Miller Center de l’université de Virginie, déclare que Kissinger, « de son propre chef », a proposé de transmettre des informations qu’il avait reçues d’un assistant qui participait aux pourparlers de paix. Allen a décrit Kissinger comme agissant de manière très discrète, l’appelant depuis des téléphones publics et parlant en allemand pour rendre compte de ce qui s’était passé pendant les pourparlers.

Fin octobre, Kissinger déclare à la campagne de Nixon : « Ils sabrent le champagne à Paris ». Quelques heures plus tard, le président Johnson suspend les bombardements. Un accord de paix aurait pu permettre à Hubert Humphrey, qui se rapprochait de Nixon dans les sondages, de prendre le dessus. Les collaborateurs de Nixon ont réagi rapidement en incitant les Sud-Vietnamiens à faire échouer les pourparlers.

Grâce aux écoutes téléphoniques et aux interceptions, le président Johnson a appris que la campagne de Nixon disait aux Sud-Vietnamiens de « tenir jusqu’après les élections ». Si la Maison-Blanche avait rendu cette informationpublique, l’indignation aurait pu faire basculer l’élection en faveur de Humphrey. Mais Johnson hésite. « C’est de la trahison  », a-t-il déclaré, cité dans l’excellent ouvrage de Ken Hughes, Chasing Shadows : The Nixon Tapes, the Chennault Affair, and the Origins of Watergate. « Ça ébranlerait le monde ».

Johnson a gardé le silence. Nixon a gagné. La guerre a continué.

Cette surprise d’octobre a donné le coup d’envoi d’une série d’événements qui allaient conduire à la chute de Nixon.

Kissinger, qui a été nommé conseiller à la sécurité nationale, conseille à Nixon d’ordonner le bombardement du Cambodge afin de faire pression sur Hanoi pour qu’il revienne à la table des négociations. Nixon et Kissinger étaient prêts à tout pour reprendre les pourparlers qu’ils avaient contribué à saboter, et leur désespoir s’est manifesté par la férocité. L’un des collaborateurs de Kissinger se souvient que le mot “sauvage” a été utilisé à maintes reprises lors des discussions sur les mesures à prendre en Asie du Sud-Est. Le bombardement du Cambodge (un pays avec lequel les USA n’étaient pas en guerre), qui allait finir par briser le pays et conduire à la montée des Khmers rouges, était illégal. Il fallait donc le faire en secret. La pression exercée pour garder le secret a fait naître la paranoïa au sein de l’administration, ce qui a conduit Kissinger et Nixon à demander à J. Edgar Hoover de mettre sur écoute les téléphones des fonctionnaires de l’administration. La fuite des Pentagon Papers de Daniel Ellsberg a fait paniquer Kissinger. Il craignait qu’Ellsberg, ayant accès aux documents, puisse également savoir ce que Kissinger combinait au Cambodge.

Le lundi 14 juin 1971, le lendemain de la publication par le New York Times de son premier article sur les Pentagon Papers, Kissinger a explosé en s’écriant : « Ça va totalement détruire la crédibilité américaine pour toujours.... Ça détruira notre capacité à mener une politique étrangère en toute confiance.... Aucun gouvernement étranger ne nous fera plus jamais confiance ».

« Sans la stimulation d’Henry », écrit John Ehrlichman dans ses mémoires, Témoin du pouvoir, « le président et le reste d’entre nous auraient pu conclure que les documents étaient le problème de Lyndon Johnson, et non le nôtre ». Kissinger « a attisé la flamme de Richard Nixon ».

Pourquoi ? Kissinger venait d’entamer des négociations avec la Chine pour rétablir les relations et craignait que le scandale ne sabote ces pourparlers.

Pour attiser les rancœurs de Nixon, il a dépeint Ellsberg comme un homme intelligent, subversif, aux mœurs légères, pervers et privilégié : « Il a épousé une fille très riche », a dit Kissinger à Nixon.

« Ils ont commencé à s’exciter l’un l’autre », se souvient Bob Haldeman (cité dans la biographie de Kissinger par Walter Isaacson), « jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux dans un état de frénésie ».

Un artiste du subterfuge : Bien que le Watergate ait été autant son œuvre que celle de Nixon, Kissinger s’en est sorti indemne grâce à ses admirateurs dans les médias. Ici, avec Lê Đức Thọ, le dirigeant du FNL du Sud-Vietnam, avec lequel il a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1973. Lê Đức Thọ a refusé le prix, et Mister K. ne l'a jamais réceptionné. (Photo Michel Lipchitz / AP)

Si Ellsberg s’en sort indemne, dit Kissinger à Nixon, « Cela montrera que vous êtes un faible, Monsieur le Président », ce qui incite Nixon à créer les Plombiers, l’unité clandestine qui a procédé à des écoutes et à des cambriolages, y compris au siège du Comité national démocrate dans le complexe du Watergate.

Seymour Hersh, Bob Woodward et Carl Bernstein ont tous publié des articles accusant Kissinger d’être à l’origine de la première série d’écoutes téléphoniques illégales mises en place par la Maison Blanche au printemps 1969 pour garder le secret sur les bombardements du Cambodge.

Atterrissant en Autriche en route pour le Moyen-Orient en juin 1974 et découvrant que la presse avait publié davantage d’articles et d’éditoriaux peu flatteurs à son sujet, Kissinger a tenu une conférence de presse impromptue et a menacé de démissionner. Tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agissait là d’un coup d’éclat. « Lorsque l’histoire sera écrite », a-t-il déclaré, apparemment au bord des larmes, « on se souviendra peut-être que certaines vies ont été sauvées et que certaines mères peuvent dormir plus tranquilles, mais je laisse cela à l’histoire. Ce que je ne laisserai pas à l’histoire, c’est une discussion sur mon honneur public ».

La manœuvre a fonctionné. Il « semblait totalement authentique », s’extasie le New York Magazine. Comme s’ils reculaient devant leur propre acharnement à dénoncer les crimes de Nixon, les journalistes et les présentateurs de journaux télévisés se sont ralliés à Kissinger. Alors que le reste de la Maison Blanche se révèle être une bande de voyous à deux balles, Kissinger reste quelqu’un en qui l’Amérique peut croire. « Nous étions à moitié convaincus que rien ne dépassait les capacités de cet homme remarquable », a déclaré Ted Koppel, d’ABC News, dans un documentaire de 1974, décrivant Kissinger comme « l’homme le plus admiré d’Amérique ». Il était, ajoutait Koppel, « le meilleur atout que nous ayons eu ».

Nous en savons aujourd’hui beaucoup plus sur les autres crimes de Kissinger, sur les immenses souffrances qu’il a causées pendant les années où il a occupé des fonctions publiques. Il a donné son feu vert à des coups d’État et permis des génocides. Il a dit aux dictateurs de tuer et de torturer rapidement, a vendu les Kurdes et a dirigé l’opération bâclée d’enlèvement du général chilien René Schneider (dans l’espoir de faire échouer l’investiture du président Salvador Allende), qui s’est soldée par l’assassinat de Schneider. Après le Vietnam, il s’est tourné vers le Moyen-Orient, laissant cette région dans le chaos, ouvrant la voie à des crises qui continuent d’affliger l’humanité.

En revanche, nous savons peu de choses sur ce qui s’est passé plus tard, au cours de ses quatre décennies de travail avec Kissinger Associates. La « liste des clients » de la société est l’un des documents les plus recherchés à Washington depuis au moins 1989, lorsque le sénateur Jesse Helms a demandé en vain à la voir avant d’envisager de confirmer Lawrence Eagleburger (un protégé de Kissinger et un employé de Kissinger Associates) au poste de secrétaire d’État adjoint. Plus tard, Kissinger a démissionné de son poste de président de la Commission du 11 septembre plutôt que de soumettre la liste à l’examen du public.

Kissinger Associates a été l’un des premiers acteurs de la vague de privatisations qui a suivi la fin de la guerre froide dans l’ex-Union soviétique, en Europe de l’Est et en Amérique latine, contribuant à la création d’une nouvelle classe oligarchique internationale. Kissinger avait utilisé les contacts qu’il avait noués en tant que fonctionnaire pour fonder l’une des entreprises les plus lucratives au monde. Puis, ayant échappé à la bavure du Watergate, il a utilisé sa réputation de sage de la politique étrangère pour influencer le débat public - au profit, on peut le supposer, de ses clients. Kissinger a été un ardent défenseur des deux guerres du Golfe, et il a travaillé en étroite collaboration avec le président Clinton pour faire passer l’ALENA au Congrès.

L’entreprise a également profité des politiques mises en place par Kissinger. En 1975, en tant que secrétaire d’État, Kissinger a aidé Union Carbide à installer son usine chimique à Bhopal, en travaillant avec le gouvernement indien et en obtenant des fonds des USA. Après la catastrophe provoquée par la fuite de produits chimiques de l’usine en 1984, Kissinger Associates a représenté Union Carbide, négociant un règlement à l’amiable dérisoire pour les victimes de la fuite, qui a causé près de 4 000 décès immédiats et exposé un demi-million d’autres personnes à des gaz toxiques.

Il y a quelques années, la donation par Kissinger de ses documents publics à Yale a fait grand bruit. Mais nous ne connaîtrons jamais la plupart des activités de son entreprise en Russie, en Chine, en Inde, au Moyen-Orient et ailleurs. Il emportera ces secrets dans la tombe. [il n’est donc pas immortel ?, NdT]


 

 

27/04/2023

SERGIO RODRIGUEZ GELFENSTEIN
Vietnam, 48 ans après la défaite de l'impérialisme US


Sergio Rodríguez Gelfenstein, 27/4/2023
Original:
Vietnam, a 48 años de la derrota del imperialismo estadounidense
English:
Vietnam, 48 years after the defeat of US imperialism

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 6 juin 1969, le Front national de libération du Sud-Vietnam (FNL) et d'autres organisations politiques et sociales ont convoqué un congrès des représentants du Sud qui a donné lieu à la création du Gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud-Vietnam (PRG), qui allait commencer à jouer un rôle décisif dans la formation du pouvoir révolutionnaire dans cette partie du pays.

Congrès national des députés


L'architecte Huynh Tan Phat (au centre) est élu président du GRP


Le GRP

Il faut dire que depuis 1970, la lutte au Laos et au Cambodge, également occupés par les USA, a gagné en force et les patriotes de ces pays ont commencé à coordonner leurs efforts avec le FNL pour le développement de la guerre révolutionnaire.


En 1972, le Parti communiste vietnamien (PCV) ordonne la préparation d'une offensive stratégique pour remporter des victoires militaires majeures, perturber la stratégie impérialiste de “vietnamisation de la guerre” et obliger les USA à recourir à la négociation.

Mais, au vu des succès militaires vietnamiens, Washington, sous l'administration de Richard Nixon, ordonne un renforcement de ses forces en mobilisant une importante force aéronavale afin de renforcer l'agression contre le Sud et de déclencher ce que l'on a appelé la deuxième guerre d'agression contre le Nord. Dans le même temps, le président usaméricain a été contraint de faire une volte-face surprise à l'approche des élections de novembre 1972, de sa réélection et du rejet croissant de la guerre du Viêt Nam dans l'opinion publique usaméricaine. Il tentait manifestement d'obtenir des succès militaires qui lui permettraient de négocier en position de force à Paris.

Cependant, n'ayant pas atteint les objectifs qu'il s'était fixés dans la guerre et face aux brillantes propositions de la diplomatie vietnamienne qui recueillaient un large soutien dans le monde et en particulier dans l'opinion publique usaméricaine elle-même, Nixon a été contraint d'accepter les propositions vietnamiennes afin de faire gagner du temps à ses troupes tout en renforçant l'armée fantoche. Mais une fois élu, Nixon a ouvertement rejeté les accords qu'il avait signés, déclenchant des bombardements génocidaires sur les principales villes vietnamiennes.

L'assaut aérien infernal des USA sur Hanoi et Haiphong a été repoussé avec succès par les forces armées vietnamiennes, obligeant Nixon, le 27 janvier 1973, à signer les accords de Paris sur la cessation de la guerre et le rétablissement de la paix au Viêt Nam.

Les accords de Paris signifiaient que les USA devaient retirer leurs troupes et celles de leurs satellites et respecter l'indépendance du Viêt Nam. Ils devaient également cesser d'intervenir dans les affaires intérieures du pays et reconnaître le droit à l'autodétermination du peuple et le statu quo du Sud-Vietnam. Le Viêt Nam a ainsi remporté une nouvelle grande victoire contre une puissance étrangère, qui n'était toutefois pas encore totalement consommée.

Bien que les accords de Paris aient constitué une étape importante dans le processus de libération du Viêt Nam, l'impérialisme usaméricain a continué à soutenir le régime fantoche de Saigon (désormais dirigé par Nguyen Van Thieu). Il entendait ainsi maintenir sa domination coloniale et préserver la division du pays. Mais Washington a mal diagnostiqué la situation, pensant que les accords avaient paralysé l'élan libérateur du peuple vietnamien. Au contraire, le prestige du FNL et du GRP s’accrut de jour en jour, tant sur le plan intérieur qu'international.

Pour donner une idée de l'ampleur de l'intervention militaire usaméricaine au Viêt Nam, la puissance de feu de ses soldats était six fois supérieure à celle qu'ils possédaient pendant la Seconde Guerre mondiale. Les USA ont dépensé 400 000 dollars pour chaque Vietnamien tué, soit 75 bombes et 150 obus d'artillerie par cadavre.

Le régime de Van Thieu devait faire face non seulement à la puissance et à la force révolutionnaires dans les zones libérées, mais aussi à une résistance populaire croissante dans les zones sous son contrôle. En outre, l'aide de Washington avait été considérablement réduite par rapport aux années précédentes. De même, une profonde crise économique a débuté au second semestre 1973 et s'est aggravée l'année suivante, caractérisée par une forte inflation, une forte dévaluation et la perte de devises étrangères.

Dans ces conditions, le GRP et le FNL ont réagi en multipliant les actions armées et en décidant d'appliquer sans délai les accords de Paris. Dès juillet 1973, le PCV a estimé qu'il était nécessaire de préparer les forces à une offensive pour s'emparer définitivement du pouvoir. À la mi-1974, le cours de la guerre avait changé de manière significative en ce qui concerne la croissance des forces armées révolutionnaires, les actions offensives en cours, la consolidation des routes d'approvisionnement logistique du nord au sud et l'augmentation des actions dans les villes.

Tous ces éléments, ainsi que d'autres conditions favorables, ont permis au PCV, en octobre 1974, de conclure qu’un rapport de forces favorable aux révolutionnaires avait été créée, et il a donc pris la décision historique de mobiliser le parti, l'armée et le peuple pour mener une attaque générale afin d'anéantir et d'écraser les troupes du régime de Van Thieu, de renverser le pouvoir ennemi tant au niveau régional que national, de prendre le pouvoir pour le peuple et de libérer le sud. Le PCV et sa commission militaire centrale se sont attelés à la tâche de planifier et d'organiser les futurs combats.

L'offensive et le soulèvement général débutent le 10 mars 1975 sur le plateau occidental du pays. Les premiers succès permettent d'avancer vers la plaine côtière centrale. La campagne de Hué-Da Nang, deuxième ville du Sud-Vietnam, où la plus puissante base militaire des forces armées du régime pro-yankee est anéantie, marque un tournant. L'offensive s'est poursuivie par des attaques et des soulèvements au nord et au nord-ouest de Saigon. Le 25 mars, 16 provinces avaient été libérées, laissant au F.L.N. le contrôle des trois quarts du territoire et de la moitié de la population du Sud-Vietnam. L'effondrement de l'armée ennemie est jugé total et les USA sont impuissants face à la forte offensive vietnamienne. Les conditions sont réunies pour la bataille finale : la bataille de Saigon.

La bataille pour la libération de Saigon a été appelée la “campagne Ho Chi Minh”. Le président et fondateur de la République démocratique du Viêt Nam était décédé le jour où le pays commémorait le 24e  anniversaire de son indépendance, le 2 septembre 1969. Il avait été décidé que la dernière ville libérée porterait son nom.

Des groupes militaires colossaux sont mobilisés pour renforcer ceux qui se trouvent déjà dans la zone de combat. Pendant ce temps, l'ennemi se prépare à conserver son dernier bastion, tandis que les USA déploient toutes sortes de manœuvres diplomatiques pour empêcher ou retarder l'issue évidente des événements. Le 18 avril, le président usaméricain Gerald Ford ordonne l'évacuation urgente de tous les USAméricains du Viêt Nam. Le 21 avril, alors qu'il tente de sauver la situation, Washington limoge Van Thieu tout en cherchant à négocier un cessez-le-feu bilatéral.

Mais il est trop tard. Le 26 avril est déclenchée la “campagne Ho Chi Minh”, un plan d'attaque à partir de cinq directions, coordonné avec les forces armées locales et le peuple insurgé. Les 28 et 29 avril, les colonnes révolutionnaires avancent impétueusement, encerclant les forces ennemies sur le périmètre de Saigon. 

Le premier tank vietnamien à entrer dans l'enceinte du palais présidentiel fantoche

Les colonnes d'attaque ont occupé les cibles les plus importantes de la ville et, à 11h30 le 30 avril, au milieu de la ruée du personnel du gouvernement et de l'ambassade usaméricaine, le drapeau de la révolution a été hissé sur le palais du gouvernement. Le 1er mai, l'ensemble de la partie continentale du Sud-Vietnam était sous contrôle. Au cours de la campagne, 400 000 soldats ennemis ont été anéantis, désintégrant une armée de plus d'un million d'hommes, ainsi que les forces de sécurité et de police.


La fin de la “campagne Ho Chi Minh” et la libération totale du Viêt Nam, dont nous commémorons aujourd'hui le 48e  anniversaire, sont le fruit d'une brillante opération militaire menée par les forces armées et le peuple vietnamiens sous la direction du parti communiste. L'impérialisme usaméricain a été vaincu dans ce qui a été qualifié de plus grand désastre militaire et politique de son histoire. De même, l'ensemble de l'appareil militaire, politique et administratif du régime créé par Washington au Viêt Nam a été détruit. Cinq administrations usaméricaines ont déployé des efforts colossaux pour empêcher la victoire du peuple vietnamien et n'y sont pas parvenues, couronnant ainsi vingt années de lutte glorieuse contre l'agression usaméricaine et pour la réunification du pays.


Départ du dernier hélicoptère yankee de Saïgon au petit matin le 30 avril 1975.F ilm super8 pris de l'hôpital Grall par le Dr Bourdais, réanimateur