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13/02/2025

IGNACIO CEMBRERO
“Même avec trois rois, on ne pourra plus acheter de gaz” : une femme au foyer condamnée à 2 ans de prison pour une blague
On ne plaisante pas sur la monarchie marocaine

Rachida Jalali, mère de quatre enfants, purge une peine de deux ans de prison pour avoir écrit sur Facebook qu’avec un billet à l’effigie des trois derniers rois alaouites, on ne pourra plus acheter de bouteille de butane

 Ignacio Cembrero, El Confidencial, 10/2/2025

Quand elle a appris que le prix d’une bouteille de gaz de 12 kilogrammes allait dépasser les 50 dirhams (4,82 euros), Rachida Jalali, une femme au foyer marocaine, a fait une petite blague sur sa page Facebook. « Même avec trois rois, on ne pourra plus acheter de gaz », a-t-elle commenté. Elle a accompagné son message d’un billet de 50 dirhams illustré par l’effigie des trois rois que le Maroc a eus depuis son indépendance en 1956 : Mohamed V, Hassan II et l’actuel, Mohamed VI.

Son commentaire est devenu viral dans un pays où les manifestations contre la vie chère se multiplient et qui a connu mercredi 5 février son premier mouvement de grève générale en neuf ans, même s’il n’a pas été très suivi, sauf dans le secteur de l’éducation.


La popularité de la plaisanterie de Rachida Jalali a fini par éveiller, avant qu’elle ne la supprime, l’intérêt de la police qui s’est présentée à son domicile de Khouribga, dans le centre du pays, où vit désormais cette mère de quatre enfants. Elle a émigré en Italie il y a des années, mais avait décidé de revenir pour monter une entreprise dans sa ville natale. Les agents l’ont d’abord interrogée sur ses intentions en publiant ce message, pour savoir s’il s’agissait d’une critique des autorités. Ensuite, ils l’ont mise à la disposition de la justice.

La semaine dernière, Rachida Jalali a été condamnée par un tribunal de Khouribga à deux ans de prison pour « offense aux institutions de l’État », ce que le code pénal marocain punit, si elle est formulée en public, d’un à cinq ans de prison et d’une amende. Cela aurait été pire si les juges l’avaient condamnée, comme ils ont failli le faire, pour offense au roi.

« Ma cliente n’avait aucune intention malveillante », a expliqué l’avocat de Rachida Jalali aux quelques journalistes qui se sont intéressés au procès au Maroc. « Elle a fait une blague comme il s’en fait des centaines chaque jour sur les réseaux sociaux », a-t-il ajouté. « La condamner, c’est envoyer un message inquiétant à la société », a-t-il conclu.

Rachida Jalali a commencé à purger sa peine à la prison pour femmes d’Oukacha (Casablanca), d’où elle a réussi à faire passer un message audio le week-end, qui a également beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Elle y annonce qu’elle entame une grève de la faim pour protester contre une condamnation qu’elle juge injuste, mais finit par crier « Vive le roi » comme pour se faire pardonner.

La bouteille de gaz coûte désormais 50 dirhams au Maroc, mais après le ramadan, fin mars, elle passera à 60, selon les annonces de la presse, et à 70 l’année prochaine. Il s’agit d’« alléger les dépenses de la Caisse de compensation », selon le journal makhzénien Le 360, qui subventionne de nombreux produits de base. Aujourd’hui, près de la moitié du prix de la bouteille est à la charge de l’État.

Les tribunaux marocains continuent de prononcer des condamnations à caractère politique contre des militants, mais celle d’une femme au foyer est exceptionnelle. La plus légère des condamnations récentes a été infligée à IsmaelLghazaoui, un an de prison et une amende de 5 000 dirhams (482 euros) pour avoir manifesté devant le consulat des USA à Casablanca et contre un cargo MAERSK transportant des armes vers Israël et faisant escale à Tanger. La peine la plus sévère, cinq ans de prison, a été prononcée en avril contre Abderrahmane Zankad, coupable d’avoir dénoncé sur les réseaux sociaux les relations étroites entre le Maroc et Israël, dont il a imputé la responsabilité à Mohamed VI.

Les journalistes ne sont pas non plus épargnés, bien que trois d’entre eux aient été partiellement graciés par le roi en juillet et soient sortis de prison. Le dernier à avoir été condamné est Hamid El Mahdaoui, mais il pourrait peut-être échapper à la prison. Il a fait appel d’une décision qui l’a condamné en novembre à 18 mois de prison et à une lourde amende pour « diffusion de fausses allégations » et « diffamation », selon le Code pénal. Il aurait dû être jugé en vertu de la loi sur la presse et les publications, a souligné Reporters sans frontières dans un communiqué.

09/02/2025

Je prends Gaza, tu gardes le Sahara occidental : grandes manœuvres entre Washington et Rabat, via Tel Aviv et Abou Dhabi

L’intérêt des USA pour le Maroc passe maintenant par Gaza, au cas où celui-ci pourrait contribuer d’une manière ou d’une autre à imposer la Pax Americana dans ce territoire, pour lequel le président usaméricain a déjà esquissé un plan.

Ignacio Cembrero, El Confidencial, 09/02/2025
Traduit par 
Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala


Photo d’archives de Trump avec le président des Émirats arabes unis Mohammed bin Zayed al-Nahayan (Reuters/Jonathan Ernst).

Donald Trump est de retour à la Maison Blanche. Il a été le premier président d’une démocratie à reconnaître, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Rabat réfléchit actuellement à la manière de tirer le meilleur parti du magnat new-yorkais pour ce qu’il appelle sa « cause nationale », à savoir l’ancienne colonie espagnole.

En décembre 2020, Trump s’était engagé à ouvrir un consulat usaméricain à Dakhla, la deuxième ville du Sahara, mais son successeur, Joe Biden, a retardé l’ouverture de ce consulat. Rabat espère désormais qu’il franchira le pas, mais il s’agit d’une initiative mineure par rapport aux rêves que la diplomatie marocaine nourrit pour les terres dont elle s’est emparée il y a un demi-siècle grâce à la Marche verte.

Selon une source diplomatique au fait des intentions marocaines, le plan diplomatique du Maroc est de tenir une conférence internationale aux Émirats arabes unis (EAU), son principal allié arabe, sous l’égide des USA et des puissances européennes, à commencer par la France, qui donnerait sa bénédiction à la « marocanité » du Sahara occidental.

« Le Maroc espère maintenant obtenir le feu vert international final » sur le Sahara « lors d’une conférence qui se tiendra aux EAU en avril écrit. Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, dans un article publié par le think-tank barcelonais CIDOB [voir version française ci-dessous].  Rabat tenterait ainsi de « forcer les États européens récalcitrants [Royaume-Uni, Italie, etc.] et l’ONU elle-même à se rallier », prédit Lovatt, dans un entretien avec El Confidencial. « Il y a déjà eu des contacts diplomatiques en ce sens », affirme-t-il, tout en doutant que la date initiale d’avril soit respectée.

Le gouvernement socialiste espagnol pourrait difficilement éviter de participer à une telle conférence s’il souhaite continuer à entretenir des relations harmonieuses avec son voisin marocain. La conférence s’inscrirait également dans la lignée de la lettre que le Président Pedro Sánchez a adressée le 14 mars 2022 au roi Mohammed VI, s’alignant sur la solution d’autonomie que ce dernier préconise pour résoudre le conflit du Sahara.

Les autorités marocaines refusent de donner plus de détails sur ce plan d’autonomie de trois pages, qu’elles ont présenté en 2007, comme l’a souligné en octobre devant le Conseil de sécurité Staffan de Mistura, l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Elles s’efforcent cependant de promouvoir des associations sahraouies qui, aux yeux de l’Occident, pourraient faire de l’ombre au Front Polisario, le mouvement qui représente la majorité.

Il y a d’abord eu le Mouvement sahraoui pour la paix, dirigé par Hach Ahmed Barical, qui a été discrédité après qu’un rapport du Centre national du renseignement espagnol, révélé par El País en 2022, l’a décrit comme le chef d’une  « organisation-écran » des services de renseignement extérieur marocains.. Les services marocains ont maintenant parrainé à El Ayoun Initiative sahraouie, dirigée par une femme, Gasmula Ebbi, ancienne députée à Rabat, qualifiée par la propagande de "Pasionaria du Sahara".

En échange de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara en 2020, le roi Mohamed VI a dû offrir une contrepartie à Trump : établir des relations diplomatiques avec Israël. Il s’est ainsi rallié aux « accords d’Abraham » finolés par le gendre du président, Jared Kushner, auxquels d’autres pays musulmans (EAU, Bahreïn, Soudan) avaient déjà adhéré.

Aux yeux de l’administration Trump, le Maghreb n’a que peu d’importance. Pour le mobiliser en sa faveur, le Maroc doit lui offrir quelque chose en retour, comme il l’a fait en 2020 avec Israël. Que peut-il faire maintenant ? « Jouer un rôle quelconque dans la bande de Gaza post-conflit avec le consentement des parties », a répondu Hugh Lovatt dans son article. En mai dernier, l’administration Biden a déjà sondé le Maroc, l’Égypte et les Émirats arabes unis sur leur volonté d’intégrer une force de maintien de la paix à Gaza une fois la guerre terminée, comme l’a révélé le Financial Times.

08/02/2025

Dehors les journalistes, bienvenue aux influenceurs espagnols : la stratégie du Makhzen pour blanchir l’occupation de Dakhla

Pillage, surveillance extrême et blocage de l’information... Telle est la réalité de Dakhla, l’ancienne Villa Cisneros. Le Maroc utilise des influenceurs espagnols pour blanchir son image.

Sara S. Bas et Francisco CarriónEl Independiente, 8/2/2025
Traduit par Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala


 « Dakhla, jouez les Robinsons des sables », propose le site ouèbe Visit Morocco. Dakhla, l’ancienne Villa Cisneros espagnole, est un paradis de plages et de dunes vierges et de vagues qui font le bonheur des surfeurs les plus intrépides. Une destination que le régime alaouite veut faire figurer sur la carte, en essayant d’ignorer un immense détail : elle se trouve en effet au Sahara occidental, un territoire occupé « manu militari » par le Maroc depuis un demi-siècle et en attente de décolonisation, selon l’ONU. Un territoire interdit à la presse internationale où de graves violations des droits humains sont commises contre la population sahraouie et où, dans le même temps, les autorités occupantes déroulent le tapis rouge aux influenceurs et aux youtubeurs.

Ces dernières semaines, deux journalistes espagnols ont été expulsés de Dakhla. Ce mercredi, le Maroc a refusé l’entrée dans la ville à Francisco Carrión, reporter d’El Independiente. Il y a une semaine et demie, José Carmona, de Público, a été expulsé. Depuis janvier, en revanche, le régime de Mohamed VI a invité des dizaines d’influenceurs espagnols dans le but de promouvoir Dakhla comme une destination de vacances économique et proche de la péninsule, à seulement trois heures de vol. Selon nos informations, le gouvernement marocain organise des voyages pour promouvoir l’image de cette ville, située au sud du Sahara occidental. Dans le cadre du premier vol direct reliant Madrid à Dakhla, plusieurs influenceurs, se désignant eux-mêmes comme « créateurs de contenu », et des journalistes de voyage ont pu se rendre sur place et visiter la ville pendant plusieurs jours.

Une centaine de personnes - parmi lesquelles des agents de voyage, des journalistes et des influenceurs d’Espagne et du Portugal - ont été invitées à Dakhla par l’Office national marocain du tourisme (ONMT). Le « voyage de familiarisation » - « Fam Trip », comme on l’appelle dans le jargon des agents et des journalistes du tourisme - s’est déroulé du 8 au 11 janvier et avait pour objectif de « promouvoir Dakhla comme destination principale pour les marchés ibériques » en pleine offensive du régime alaouite pour obtenir un soutien international à sa revendication de marocanité de l’ancienne colonie espagnole, un territoire non autonome en attente de décolonisation, selon l’ONU.

Huîtres et dunes : un voyage royal

« Le Fam Trip offre une introduction complète au potentiel touristique de Dakhla, en mettant en avant ses atouts culturels, ses paysages naturels et ses opportunités d’investissement », expliquent les autorités touristiques marocaines. Selon le programme, les participants ont visité les principales attractions touristiques de l’enclave, ont assisté à des « sessions de réseautage » et à des « présentations conçues pour montrer l’attrait croissant de la région pour les visiteurs internationaux ». Rabat ne cache pas que son objectif est de positionner Dakhla comme « une porte d’entrée pour les touristes latino-américains via le centre d’opérations de Madrid ». Ryanair a rejoint trois autres compagnies aériennes proposant des liaisons internationales avec Dakhla : Royal Air Maroc (RAM), Binter Canarias et Transavia. Toutes opèrent sur des routes subventionnées par l’État marocain.

« Visit Morocco nous a contactés par l’intermédiaire de Bushido Talent, une agence d’influenceurs et de marketing digital basée à La Corogne, pour réunir un certain nombre de personnes et faire ce voyage », a expliqué à El Independiente l’une des personnes qui s’est rendue à Dakhla et qui préfère garder l’anonymat. Visit Morocco est la marque sous laquelle opère l’autorité touristique du pays voisin. L’objectif, détaille cette source, est de dissocier Dakhla du conflit découlant de l’occupation par le Maroc du Sahara occidental et d’en faire une destination touristique. « Je n’avais aucune idée de l’endroit où se trouvait Dakhla ni de ce à quoi elle ressemblait avant de voyager », admet-il. Depuis que le Front Polisario a rompu le cessez-le-feu en vigueur depuis 1991 en novembre 2020, les hostilités ont repris le long du mur de 2 720 kilomètres de long qui sépare le territoire occupé par Rabat de celui libéré par le Polisario.

04/02/2025

HÉCTOR BUJARI SANTORUM
Soukeina Yed Ahlou Sid : « L’ONU, pour nous, c’est pire que le Maroc »

Chacun de ses mots porte le poids d’un peuple qui résiste alors que le monde continue de regarder ailleurs.

Héctor Bujari SantorumNueva Revolución,   20/1/2025
Traduit par Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala

Au bout du fil, avec l’aide d’une traductrice, j’entends la voix de Soukeina Yed Ahlou Sid. Elle est grave, directe, chargée d’une fermeté qui ne laisse aucune place à la pitié.

Au bout du fil, avec l’aide d’une traductrice, j’entends la voix de Soukeina Yed Ahlou Sid. Elle est grave, directe, chargée d’une fermeté qui ne laisse aucune place à la pitié.

Elle parle sans fioritures, comme quelqu’un qui a raconté son histoire trop de fois, mais qui n’a pas encore réussi à s’en libérer. Militante sahraouie, survivante de 12 ans de prisons secrètes. Chacun de ses mots porte le poids d’un peuple qui résiste alors que le monde continue de regarder ailleurs.


Tu as subi de nombreux abus tout au long de ta vie, de la torture aux disparitions forcées. Comment as-tu réussi à rester fidèle à ton combat pendant si longtemps, malgré toutes les souffrances que tu as endurées ?

J’ai été emprisonné pendant 12 ans. Ils m’ont attrapée à l’âge de 24 ans et j’avais quatre enfants. L’aîné avait 6 ans et le plus jeune 5 mois. La plus grande souffrance a été la séparation d’avec ma famille. Dès que la séparation a commencé, ma famille est allée dans les camps [de réfugiés en Algérie, NdlT]. Je suis restée dans les territoires occupés avec la famille de mon mari. Je n’ai pas été emmenée dans une prison, c’était plutôt une disparition, on ne savait rien de nous. Je n’étais pas enregistrée et je n’avais aucune condamnation. J’avais 24 ans. Un an plus tard, ma fille cadette est décédée.

Dans ton témoignage, tu mentionnes que tu as passé 12 ans dans des prisons marocaines secrètes. Quelle a été la partie la plus difficile de cette période et comment t’en souviens-tu maintenant que tant d’années se sont écoulées ?

Mes enfants ont souffert de la séparation. Certains sont allés chez leur père et d’autres sont restés ici. J’étais émotionnellement dévastée. J’étais une mère et j’avais laissé quatre enfants derrière moi. Je n’avais aucune sécurité, rien, aucun soutien de qui que ce soit. C’est l’incertitude que j’ai ressentie, c’était très dur. Je me consolais en me disant que ce que je faisais n’était pas vain. C’était pour le Sahara, pour voir ma terre libérée, pour la détermination. C’est la seule consolation qui m’a permis de tenir pendant cette période.

De toute façon, il n’y avait pas que moi ; dans chaque famille sahraouie, on a perdu un frère, un père, un fils, même des femmes pour cette cause...

Comment as-tu vécu le cessez-le-feu de 1991 et la trahison du processus de paix qui s’en est suivie ?

En 1991, lorsque l’accord de paix a été conclu, ils nous ont laissés partir. Je suis allée rejoindre ma famille, mes enfants. Il ne s’est même pas écoulé un an et j’ai été à nouveau emprisonnée, avec mon fils aîné, celui qui avait 6 ans la première fois qu’ils m’ont fait disparaître.

L’accord de cessez-le-feu était une trahison, une tromperie écrite sur le papier. Le peuple sahraoui y a cru, pensant que nous allions arrêter la guerre, que nous allions cesser de perdre des gens et vivre en paix. C’était une tromperie qui n’a rien changé. L’agresseur marocain a suggéré cette idée, c’était son plan. Tout ce qu’ils voulaient, c’était avoir tout le territoire du Sahara.

Je veux voir un Sahara libre. Demain, des générations vont vivre et elles ne peuvent pas trahir cette cause. C’est eux ou rien. Ils doivent la défendre.

29/01/2025

Le Révérend chanoine J Peter Pham,
le Mister Africa “réaliste” de Donald Trump II

 Ayman El Hakim, 29/1/2025

Cette fois-ci sera la bonne : en 2017, la nomination par Mike Pompeo de J Peter Pham comme Secrétaire d'État assistant aux Affaires africaines de Trump I avait été bloquée au Sénat par James Inhofe (Oklahoma), un défenseur acharné des droits du peuple sahraoui, qui avait invoqué la proximité du candidat avec le Makhzen marocain. Depuis, Inhofe a quitté le Sénat en 2023 et notre bas monde en juillet 2004. Il ne devrait donc plus y avoir d’obstacle à la nomination du Révérend chanoine Pham, 55 ans. Ci-dessous son curriculum, qui a de quoi donner le vertige.

J Peter Pham, célèbre pour les nœuds papillon qu’il arbore en toutes occasions, est arrivé à l’âge de 5 ans aux USA, où sa famille, liée au régime sud-vietnamien, avait fui après la chute de Saïgon. Il a effectué un double cursus d’études.

Après avoir obtenu une licence en économie à l'université de Chicago, Pham s'est orienté vers la prêtrise et a finalement obtenu un doctorat, rédigeant sa thèse de doctorat en théologie systématique à l'université pontificale grégorienne de Rome (université jésuite fondée en 1551 par Ignace de Loyola), sur la théologie de Hans Urs von Balthasar. Chercheur postdoctoral à l'Académie pontificale ecclésiastique, il a été diplomate au Vatican et assistant du Vicaire général de Sa Sainteté au Vatican et du président du Conseil pontifical pour la justice et la paix. Il a ensuite rejoint la faculté du Centre des sciences sociales libérales et appliquées de la JMU, l'université James Madison à Harrisburg (Virginie).

En 1995, Pham est ordonné prêtre de l’église épiscopalienne (catholiques anglicans) et exercera son ministère à l’église Saint-Paul de Washington, située dans la K Street, qui est au lobbying ce que Wall Street est à la finance, vu qu’elle est le siège de nombreuses firmes de lobbying, cabinets d’avocats et think tanks.

Nommé en août 2004 professeur associé en études de justice (sic) à la JMU, il y devient ensuite professeur de sciences politiques et d’« Africana Studies » et directeur du  Nelson Institute for International and Public Affairs, dissertant sur le Libéria, les relations entre Taiwan et la Chine et la terreur islamiste au Moyen-Orient, bien qu'il n'ait aucune qualification reconnue dans ces domaines.

Il se retrouve progressivement dans des postes de responsable dans une série d’organismes, tous liés au Parti républicain, notamment l’Acton Institute for the Study of Religion and Liberty, qui regroupe des catholiques libertariens, l’Atlantic Council, la Fondation pour la défense des démocraties et quelques autres.

En 2018, après son rejet comme secrétaire d’État assistant aux Affaires africaines, Pompeo le nomme Envoyé Spécial US pour la Région des Grands Lacs, avec rang d’ambassadeur, jusqu’en 2020, puis Envoyé Spécial pour la Région du Sahel africain jusqu’en 2021. En 2022, il a été élu membre de l’Académie diplomatique américaine.

Peter Pham a fait partie du groupe consultatif supérieur du Commandement militaire US pour l'Afrique (USAFRICOM) de 2008 à 2013 et est conseiller principal du Krach Institute for Tech Diplomacy à l'Université de Purdue. Depuis 2015, il est membre du conseil d'administration du Smithsonian National Museum of African Art à Washington, DC, dont il a été le vice-président (2016-2021) et dont il préside le comité des finances depuis 2022.

Le Révérend Pham a publié un nombre invraisemblable d’articles, d’essais et de livres sur tous les sujets possibles, de la doctrine sociale de l’Église au Liberia, la Sierra Leone, la Somalie et, last but not least, le Sahara occidental. Nous avons choisi de traduire son essai sur ce sujet [cliquer sur l'image en fin d'article], datant de 2010, qui donne une très bonne idée de ce à quoi les Sahraouis, les Marocains, les Mauritaniens et les Algériens peuvent s’attendre de la part de l’administration Trump II. Plus makhzénien que Pham, tu meurs !

Pour conclure ce portrait, nous présentons le quatrième volet du personnage, le volet business. En effet, notre bon chanoine n’est pas seulement prêtre, universitaire et diplomate. Il est aussi businessman, comme tout bon politicien usaméricain.

Business

J Peter Pham est actuellement directeur non exécutif d'Africell Global Holdings et de Rainbow Rare Earths, président non exécutif de HPX et conseiller stratégique de dClimate, bitt et de quelques autres entreprises.

Africell Global Holdings

La compagnie, fondée en 2000 et dirigée par le Libano-Américain Ziad Dalloul, est comme il se doit domiciliée sur l’île britannique de Jersey, petit paradis fiscal dans le Channel. C’est une des entreprises de téléphonie mobile à la croissance la plus rapide, avec plus de 11 millions d’abonnés en Gambie, Sierra Leone, RDC, Angola et Ouganda.

Rainbow Rare Earths

Le phosphogypse (parfois abrégé en PG) est un gypse non naturel, déchet industriel, issu du traitement industriel des minerais calciques fluorophosphatés utilisés pour la fabrication de l'acide phosphorique et des engrais phosphatés. De Salonique au Guadalquivir en passant par la Tunisie, l’Afrique de Sud et le Brésil, des centaines de millions de tonnes de ce résidu radioactif s’entassent, constituant une menace grave pour l’environnement. L’entreprise Rainbow Rare Earths, cotée à la Bourse de Londres, est engagée dans deux sites, Phalaborwa en Afrique du Sud et Uberaba au Brésil, où elle expérimente  un procédé -qu’elle présente comme « écologique » - consistant à extraire des oxydes de terres rares de ce phosphogypse. Selon Rainbow, « ce devrait permettre de produire des oxydes de terres rares séparés par le biais d'une seule usine hydrométallurgique sur le site, en se concentrant sur la récupération du néodyme, du praséodyme, du dysprosium et du terbium. Il s'agit de composants essentiels des aimants permanents à haute performance utilisés dans les véhicules électriques, les turbines éoliennes, la défense et de nouveaux marchés passionnants tels que la robotique et la mobilité aérienne avancée ».

dCLIMATE

C’est une entreprise de collecte et d’exploitation de données climatiques permettant de naviguer sur le marché des émissions de carbones et fournissant ce qui s’appelle « climate intelligence » (renseignement climatique), permettant entre autres d’évaluer les risques. dClimate se présente ainsi : « dClimate est un réseau décentralisé d'infrastructures de données climatiques qui transforme la façon dont les applications technologiques climatiques sont mises en œuvre pour favoriser un avenir résilient. » Son slogan publicitaire : « Libérer la puissance des données climatiques pour un avenir durable ». Pham siège au conseil consultatif de l’entreprise aux côtés de Mark Cuban, « investisseur, entrepreneur, star de l'émission Shark Tank sur ABC, propriétaire de l’équipe des Dallas Mavericks de la NBA (National Basketball Association) », de « SergeyNazarov, cofondateur de Chainlink » et de « D.J. Mbenga, 2 fois champion NBA de la RDC et éminent philanthrope congolais ». Du basket à la déforestation, il n’y a qu’un pas.

HPX
High Power Exploration Inc. (HPX) est une des entreprises du groupe minier dirigé par Robert Friedland, chargée de l'exploitation du gisement de minerai de fer du Mont Nimba, en Guinée.
Robert Friedland, fils d’un rescapé d’Auschwitz, a tout pour être le héros d’une série Netflix. À 19 ans – on est en 1970 – il est arrêté à Portland en possession de LSD pour une valeur de 100 000 $ qu'il avait vendu à...un agent du FBI. Il sera rapidement libéré et bénéficiera d’un non-lieu. Copain de Steve Jobs, dont il partage l’intérêt pour les philosophies orientales, il l’invite dans un verger de pommes appartenant à son oncle millionnaire en Oregon, où il créera une communauté. C’est là que Steve Jobs a trouvé le nom de son invention, Apple. Mais rapidement, Robert passe aux choses sérieuses et se lance dans les activités minières. De l'Oregon, il passe au Colorado, où il gagne le surnom de "Toxic Bob", après la catastrophe de pollution que provoque la mine qu'il a acquis à Summitville avant de se déclarer en faillite, de payer une petite amende de 20 millions de $ et de partir à la conquête de mines en Alaska, en Australie, au Myanmar, en Mongolie et en Afrique. [Lire TOXIC BOB, l’homme qui a trouvé mieux que le LSD : l’or, le cuivre et le fer. Un dossier Tlaxcala sur Robert Friedland, l’Elon Musk du sous-sol]
Frère Pham, comme président non exécutif de HPX, livre depuis quelques mois une bataille contre le monopole d’Arcelor Mittal sur les transports de minerai de fer provenant des mines du Mont Nimba sur la ligne de chemin de fer de Yekepa au port de Buchanan (360 km)  au Liberia, faisant pression sur le président Boakai pour qu’il fasse jouer la concurrence et brise le monopole du géant indien. Ce dernier a restauré et remis en route cette ligne de chemin de fer - construite par le consortium yankee/suédois LAMCO et mise en ruine par la guerre civile -, qu’il a pu refaire tourner grâce aux commandes de minerai de fer chinoises. HPX, argumente l’oncle Pham dans la presse libérienne, entend exporter 30 millions de minerai par an dans les 25 prochaines années, ce qui pourrait rapporter à l’État libérien, au tarif de 2,10 $ par tonne, la coquette somme d’ 1,6 milliard de dollars. Pourquoi laisser ce pactole entre les griffes de Tonton Lakhsmi (Narayan Mittal) ?  Bref, notre théologien sait aussi compter.

bitt

Et last but not least, en 2022, Brian Popelka, un p’tit gars du Nebraska qui vit à Salt Lake City, la capitale des Mormons (Utah),  PDG de l’entreprise bitt (Banking Innovation Through Technology) a recruté le Révérend chanoine Pham comme conseiller. Bitt propose aux banques centrales d’installer des système de monnaie numérique de banque centrale (CBDC en anglais), ce dont elle a déjà convaincu l’ Union monétaire des Caraïbes orientales et la Banque centrale des Caraïbes orientales, qui regroupent 6 États insulaires indépendants (Antigua-et-Barbuda, Dominique, Grenade, Saint-Christophe-et-Niévès, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et Sainte-Lucie) et 2 territoires d’outre-mer britanniques (Anguilla et Montserrat). Pham a ainsi commenté sa nomination comme conseiller : « « Je suis ravi de rejoindre le conseil consultatif de bitt.  Je suis impatient de mettre à profit mon expérience en Afrique et ma connaissance des défis et des opportunités présents sur le continent pour renforcer la relation existante de bitt avec la Banque centrale du Nigeria, et aussi pour aider à forger des partenariats similaires avec d'autres institutions africaines ; contribuant ainsi au développement de la région en faisant progresser l'inclusion financière et en facilitant les échanges panafricains. »  Ite, missa est.




18/01/2025

FRANCISCO CARRIÓN
“Le régime marocain n’est pas viable. Un soulèvement populaire est inévitable”
Entretien avec le journaliste marocain Aboubakr Jamaï


Francisco Carrión, El Independiente, 7 / 01 / 25
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala
                  
Il dit être « radioactif » dans les milieux du pouvoir espagnol et français, mais son analyse et sa connaissance des tenants et aboutissants du Maroc sont des trésors. Aboubakr Jamaï, journaliste et homme d’affaires marocain en exil, connaît bien le passé du régime alaouite, ses projets d’ouverture aujourd’hui enterrés et son engagement renouvelé en faveur de la répression et des privilèges d’une élite qui partage un avenir sur lequel planent de sombres nuages.

« Je n’ai rien à cacher. Je dis la même chose à la presse et derrière des portes closes », déclare-t-il au pied levé dans un long entretien accordé à El Independiente. En 1997, Aboubakr Jamaï (Rabat, 1968) fonde à 29 ans Le Journal Hebdomadaire et, un an plus tard, son pendant arabophone, Assahifa al-Ousbouiya. Son journalisme inconfortable, compris comme un appel à la démocratisation du royaume, est devenu la cible de la colère du gouvernement, en particulier après l’accession au trône de Mohammed VI en 1999. Il a résisté à la diffamation, à l’interdiction, à la censure et à l’asphyxie économique pendant plus d’une décennie. En février 2010, Jamaï a annoncé sa fin. « Le journalisme sérieux est devenu impossible au Maroc aujourd’hui », plaide-t-il devant la foule.

Lauréat du prix international de la liberté de la presse décerné par le Comité pour la protection des journalistes,  Jamaï réside aujourd’hui à Madrid, où il est doyen de la Donna Dillon Manning School of Global Affairs de l’American College of the Mediterranean.

Question : Comment le Maroc est-il perçu de l’étranger ?
Réponse : L’État et le régime marocains nous disent que tout va bien, mais apparemment tout ne va pas bien. La raison pour laquelle je commence à m’inquiéter de la santé du monarque est qu’elle a des implications en termes de gouvernance du pays, parce que le roi est si important d’un point de vue constitutionnel que son bien-être est essentiel pour comprendre ce qui se passe dans le pays. S’il ne fonctionne pas pleinement, qui est responsable, qui prend les décisions ? Je pense que le roi a toujours été en charge. Il n’a peut-être pas prêté attention à certaines questions, mais c’est lui qui prend les décisions en dernier ressort. Je n’ai jamais cru que certaines décisions importantes avaient été prises sans son approbation, même lorsqu’il était à l’étranger. Je ne pense pas que de grandes décisions aient été prises sans qu’il en soit informé. La grande question est de savoir s’il est vraiment bien informé de ces décisions. Nous savons qu’il y a une sorte de division du travail autour de lui ; que le volet politique de sécurité, par exemple, était entre les mains d’Ali El Himma.
Q.- Où se place le chef de l’appareil policier, Abdellatif Hammouchi, dans cette division du travail ?
R.- C’est un des débats au Maroc, mais il est très peu probable qu’il ait pris la place d’El Himma. Il y a une constante dans le gouvernement du roi : les gens qui sont proches de lui sont des gens qui ont littéralement étudié avec lui à l’université. Ceux qui occupent encore les postes les plus importants sont des gens qui étaient avec lui dans ce que j’appelle sa zone de confort psychologique. Il est intéressant de les comparer à ceux qui entouraient Hassan II. La principale différence est que la plupart de ceux qui étaient avec Hassan II avaient une réputation bien établie en dehors du palais et avaient leur propre itinéraire politique. Ils étaient des personnalités à part entière. Aujourd’hui, ce sont ses amis. Au-delà du fait qu’ils sont autour de lui, ils sont inconnus. Je veux dire que si l’on retire de leur CV le fait qu’ils fréquentent le palais, qui sont-ils ? Ils n’ont aucune expérience professionnelle ou autre en dehors du palais.
Q.- Quel est le résultat de son gouvernement ?
R.- Je mentionne toujours les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale et c’est l’un des rares qui commence avant Mohamed VI. Vous pouvez voir l’évolution au cours des dernières années de Hassan II et immédiatement après en termes de corruption ou de libertés politiques. On peut voir qu’elle progresse positivement jusqu’en 2000 et qu’elle se dégrade depuis. Depuis le début de la monarchie de Mohammed VI, les droits humains et la liberté d’expression se sont dégradés par rapport aux dernières années de Hassan II.
Q.- Mais dans les premières années du règne de Mohammed VI, on projetait l’image d’un monarque compréhensif. On le surnommait « le roi des pauvres »...
R.- C’est une des raisons pour lesquelles, en tant que journaliste, j’ai eu des problèmes parce que dès le début nous avons commencé à tirer la sonnette d’alarme, parce que pour nous les signes avant-coureurs étaient déjà là. L’attitude de la monarchie à l’égard des entreprises est un indicateur important, car Hassan II, au cours de ses dernières années, a désengagé la monarchie du secteur privé. Un tournant important dans l’histoire politique récente du Maroc est ce qui s’est passé entre 2001 et 2003. Si l’on compare ce qui s’est passé dans la région dans les années 1990, on constate une régression en termes de droits humains et de démocratie. Il y a eu un proto-Printemps arabe. Les premières élections démocratiques dans le monde arabe ont eu lieu en Algérie en 1999. Elles ont débouché sur une guerre civile, mais il s’agissait d’élections démocratiques. Les élections les plus libérales de l’histoire de la Jordanie ont eu lieu en 1989, par exemple, et le Maroc a également rejoint la vague. La différence entre le Maroc et les autres pays est que le Maroc n’a pas reculé dans les années 1990. Hassan II a continué sur sa lancée. Je ne pense pas qu’il y ait eu un autre pays qui ait maintenu l’élan d’ouverture aussi dynamique que le Maroc, et le Maroc a été une bonne exception dans les années 1990. Il n’a jamais été une démocratie. Et cela a duré jusqu’au début des années 2020. Mon journal a été interdit à deux reprises en 2000. Hassan II ne l’a jamais interdit et j’ai été rédacteur en chef de novembre 1997 jusqu’à sa mort en juillet 1999 et nous n’avons jamais été interdits.
Q.- J’ai cru comprendre que pour vous, ce qui se passe au Maroc était prévisible ?
R.- Oui, bien sûr. Pour moi, les choses ont commencé à mal tourner très tôt. Tout d’abord, l’interdiction des journaux. Si vous regardez en arrière, vous vous rendez compte que les premières personnes qui ont été arrêtées sur la base des nouvelles lois antiterroristes étaient des journalistes, vous savez, après 2008. L’une des principales raisons pour lesquelles ce faux récit d’ouverture a persisté est liée au parti socialiste en France. Hassan II a nommé Abderrahmane Youssoufi premier ministre parce qu’il avait besoin du soutien des socialistes à l’étranger sur la question du Sahara. Cette nomination l’a aidé à s’entendre avec le Parti socialiste français.
Q.- Quel est l’héritage de Mohamed VI ?
R.- C’est une occasion manquée.
Q.- Je ressens une certaine méfiance à l’égard de l’Europe et de ses relations avec le Maroc...
R.- Lorsque nous avons été interdits de travailler en tant que journalistes et de publier, le seul pays où nous avons trouvé une société civile qui nous a soutenus ont été les USA. Je n’ai pas beaucoup d’espoir du côté de l’Europe en ce qui concerne les droits humains au Maroc. Leurs propos ne résonnent plus en moi. D’abord, la proximité entre les socialistes français et marocains a sacrifié les militants des droits humains et les démocrates. Ils ont acheté le discours des socialistes marocains. La deuxième raison est ce que j’appellerais la maladie française : le problème de l’islamisme. Il s’agit de la notion selon laquelle l’alternative aux socialistes et même au régime marocain est l’islamisme, ce qui, soit dit en passant, est conceptuellement stupide parce que la nature du régime actuel est islamiste. La raison pour laquelle le roi est roi est qu’il dit être un descendant du prophète et qu’il gouverne selon la loi de Dieu.
Lorsque vous parlez en ces termes, ceux d’entre nous qui, au Maroc, croient en la démocratie et aux libertés, s’entendent dire que nous sommes les idiots utiles de l’islamisme, que nous préparons le terrain pour l’islamisme. Et ceci est basé sur une vision très orientaliste selon laquelle nos sociétés sont des sociétés islamiques, ce qui n’est pas vrai. Nos sociétés sont très complexes. La preuve en est que les quelques ouvertures que nous avons eues dans la région en termes d’élections n’ont pas été balayées par les islamistes. Pas même en Tunisie. Et même si l’opposition était fracturée et brisée, elle n’a pas été en mesure d’obtenir de fortes majorités où que ce soit. La troisième raison concerne l’Espagne. Si vous me demandez pourquoi Pedro Sánchez fait ce qu’il fait vis-à-vis du Maroc, c’est parce que le Maroc est devenu beaucoup plus offensif dans sa diplomatie et utilise des arguments qu’il n’utilisait pas officiellement auparavant : « si vous ne jouez pas le jeu avec nous, nous vous ouvrons les portes de l’immigration ». C’est en mai 2022 que les Marocains ont envoyé des milliers de personnes à Ceuta, ce qui n’était pas arrivé auparavant.
Il y a aussi une nouvelle stratégie de diplomatie et de sécurité. Hammouchi est décoré en Espagne et en France. Il voyage aux USA et est proche du FBI et de la CIA. Il ne donne pas d’interviews, mais il publie des photos. Des gens écrivent des articles publicitaires sur eux. Ce n’était pas le cas auparavant.
Q.- Il semble que la diplomatie et l’appareil sécuritaire du Maroc gagnent la partie...
R.- Je ne sais pas, qu’avons-nous gagné exactement ? Si vous me demandez en termes d’efficacité, le jury n’a pas encore tranché. Le Roi a fait un discours et a dit que la lentille à travers laquelle nous allons juger nos partenaires dans le monde est leur attitude envers le Sahara Occidental. Quelle est votre mesure ? Quand on me dit que j’ai réussi, qu’avez-vous réussi à faire exactement ? Ce que le Maroc cherche, c’est la reconnaissance par l’ONU du fait que le Sahara occidental est marocain, donc pour moi c’est la mesure. Ce n’est pas le cas si Sanchez envoie une lettre et se contredit ensuite lorsqu’il s’exprime à l’ONU. Il en va de même pour les USA et la France, qui sont de plus gros poissons, car ils disposent d’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
Q.- Le plan marocain d’autonomie pour le Sahara a été présenté en 2007 et n’a pas été développé depuis.
R.- A l’époque, j’ai interviewé Mohamed Abdelaziz [le défunt leader du Polisario] pour lui demander ce qu’il pensait du plan d’autonomie et il n’a pas dit non. Il a dit que pour le moment, nous avions le processus de l’ONU : « voyons ce qui se passe et ensuite parlons ». Je l’ai interviewé à l’hôtel Mayflower à Washington. À la fin de l’entretien, l’un de ses conseillers est venu me voir et m’a dit : « Si le plan d’autonomie nous aide à sauver la face, pourquoi pas ? » Je l’ai écrit et personne n’a dit que c’était faux. Pour moi, le problème du plan d’autonomie n’est pas que le Sahara le rejette, c’est la hiérarchie des choses à faire pour avoir un plan d’autonomie acceptable. Le plan d’autonomie du Maroc n’est pas assez bon parce que nous n’avons pas les institutions pour le mettre en œuvre. Dans les déclarations de l’ambassadeur allemand à Rabat qui ont provoqué la crise avec l’Allemagne, il a dit quelque chose d’essentiel : si les Marocains pensent que les réformes de régionalisation qu’ils sont en train de faire sont suffisantes, ils se trompent. C’est mon attitude depuis le début.
Q.- Et que pensez-vous actuellement du plan d’autonomie pour le Sahara ?
R.- Le Maroc n’est pas capable. Nous n’avons pas les institutions pour mettre en œuvre un plan d’autonomie. Nous n’avons pas de système judiciaire indépendant. Nous ne sommes pas constitutionnellement développés pour avoir un plan d’autonomie internationalement acceptable. C’est notre problème et j’ai souvent dit en plaisantant que si le Polisario voulait ennuyer les Marocains, il devrait dire : « Oui, discutons de votre plan d’autonomie de trois pages ». Le Maroc n’a pas de plan sérieux parce que nous n’avons pas les bonnes institutions. Nous sommes institutionnellement sous-développés pour ce genre de choses parce que nous ne sommes pas une démocratie et nous demandons au monde de reconnaître que ces gens sont des Marocains. Donnez-nous ces gens qui sont les nôtres. Hassan II a utilisé une formule intéressante : « Je veux que l’ONU me donne mon titre de propriété ». Si tel est l’objectif, je ne pense pas que nous ayons fait beaucoup de progrès car, en fait, nous sommes toujours dans les résolutions de l’ONU. Il y a un paragraphe sur la solution politique et le respect du droit à l’autodétermination des peuples. Tant que cette phrase existera, nous ne gagnerons pas.
Nous en sommes toujours au même point. L’une de mes questions est de savoir pourquoi le Polisario est aujourd’hui totalement opposé au plan d’autonomie. Il ne parle que du droit à l’autodétermination. Que s’est-il passé en 2000 pour que le Polisario change d’avis ? Le Maroc était perçu comme un pays en voie de démocratisation et le Polisario a pris peur, car il craignait que son peuple ne l’accepte. La stratégie du Maroc devrait être telle que le peuple du Sahara pèse essentiellement deux choses : la démocratie et la liberté ou l’indépendance. Parce que si vous avez l’indépendance, il n’est pas sûr que vous soyez une démocratie... mais si vous l’avez déjà, si vous êtes sous le gouvernement d’un État qui se démocratise vraiment et que vous pouvez voir que vos ressources sont investies dans votre partie du pays ; si vous voyez que vous êtes traités de manière égale, que vous avez la liberté d’expression, que vous avez toutes ces choses, alors vous pourriez vous demander pourquoi l’indépendance. Parce que l’Algérie n’est pas la plus grande démocratie du monde et je sais que mes dirigeants ont un lien très fort avec les Algériens. Qu’est-ce que cela signifierait pour mon gouvernement ? Je ne soutiens pas l’argument marocain selon lequel il s’agirait d’une dictature. Je n’en sais rien. Je ne préjuge pas.
Q.- Mais cette possible stratégie de séduction est complètement enterrée aujourd’hui ?
R.- Aujourd’hui, il ne semble pas y avoir d’autre voie que le système prédateur du business royal, la collaboration avec les puissances du monde en torturant les gens qu’ils pensent être des terroristes ; l’arrêt de l’immigration s’ils le veulent en échange de la propriété marocaine du Sahara. Les droits humains ne nous intéressent plus. Nous avons maintenant une diplomatie de la sécurité.
Q.- Y a-t-il encore de la place pour une démocratisation au Maroc ?
R.- Oui, bien sûr. Je n’ai pas de réponse à cette question, mais je vais vous dire ce que je ne sais pas avec certitude. Ce que je sais avec certitude, c’est que ce régime n’est pas disposé à se démocratiser et qu’à un moment donné, il y a eu un espoir que ce régime soit disposé à s’ouvrir. L’indice de Freedom House est très utile. Hassan II a laissé un régime sans journalistes en prison, à quelques exceptions près, mais sans prisonniers politiques majeurs. Aujourd’hui, nous avons des prisonniers politiques et la torture au Maroc.
Q.- Le Maroc actuel est-il viable à long terme ?
R.- Je ne pense pas que ce type de gouvernement soit viable, mais il y a une bonne nouvelle dans l’histoire récente du Maroc, qui pour moi est formidable : lorsque nous avons eu le printemps populaire et le soulèvement du Rif, cela a montré que nous avons un peuple pacifique. Nous avons des gens organisés et articulés qui ne travaillent pas dans le cadre de syndicats, qui ne travaillent pas dans le cadre de partis politiques. Il existe donc une société en dehors de la société politique publique officielle qui est en fait beaucoup plus mûre que je ne le pensais moi-même. Je n’ai pas grandi à Casablanca, mais je la connais très bien. Il y avait des dizaines de milliers de personnes qui manifestaient dans un quartier très populaire. Pas une seule vitre n’a été brisée. Et je connais ces quartiers, il n’y a pas un jour sans qu’il y ait des pleurs, sans qu’il y ait des bagarres. Dans le Rif, c’était exactement la même chose. La violence est toujours venue de l’État.
Q.- Y aura-t-il un nouveau soulèvement à l’avenir ?
R.- Je pense que c’est inévitable. Lorsque vous analysez ce qui s’est passé dans toute la région et que vous voulez identifier le secteur démographique qui a été le principal moteur du Printemps arabe et du soulèvement du Rif, il s’agit de la jeunesse urbaine qui est au chômage, plus éduquée que le reste de la population et plus active. Par rapport à 2010, la situation est pire au Maroc parce que le régime n’a pas réussi à résoudre le problème principal, qui est de donner des emplois aux jeunes, qui sont ceux qui se rebellent. Nous sommes dans un monde différent avec l’internet. Ils y ont accès. J’emmène des étudiants usaméricains au Maroc et chaque fois que j’y vais, je suis stupéfait par le nombre de jeunes que nous rencontrons et qui ont appris l’anglais en regardant YouTube. Les gens ont donc d’autres moyens d’augmenter leur QI et pour moi, le QI de la société a augmenté non pas à cause du système éducatif, mais parce qu’ils sont exposés au reste du monde. La contestation va continuer à se développer. Nous ne prêtons pas trop attention à ce qui se passe démographiquement au Maroc. Aujourd’hui, la pyramide des âges marocaine commence à ressembler à une femme enceinte. La majorité de sa population est la partie productive entre 20 et 40 ans. La croissance moyenne pendant les 25 ans de Mohammed VI est de 3,6%. Le taux de croissance dont le Maroc a besoin, selon les économistes, pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail se situe entre 6 et 7 %.
Je ne vois pas comment, s’il n’y a pas de relations appropriées, notamment avec l’Europe, organiser l’immigration de la manière la plus civilisée possible avec les pays qui ont besoin de l’immigration. L’Espagne a besoin de l’immigration. C’est un problème pour l’Espagne, mais surtout pour le Maroc. Le régime devrait avoir peur. Dans le Rif, ils ont réussi à mettre fin au soulèvement par la répression - ils ont rassemblé les leaders du mouvement et les ont condamnés à des peines de prison insensées et ils sont toujours en prison - et par l’ouverture du couloir de migration. Ils ont ouvert la porte : ils ont dit aux gens d’aller en Espagne. [Feront-ils avorter la prochaine révolte avec la même recette ?] Je ne sais pas, parce qu’ils sont entre le marteau et l’enclume.
Q.- Avec tous ces éléments, comprenez-vous la position de Sánchez au Maroc ?
R.- C’est très malheureux la façon dont cela s’est passé parce que je ne pense pas que ce soit un bon reflet des institutions espagnoles. Ce n’est pas non plus une bonne chose pour le Maroc. Je comprends la difficulté d’un chef de gouvernement espagnol et sa mission de stopper l’immigration illégale et de lutter contre le terrorisme en connaissant l’origine de ceux qui ont commis des attentats dans le passé. Et si les Marocains sont vraiment attachés au fait que le Sahara occidental devrait être marocain et qu’ils vont essentiellement évaluer toutes les autres politiques à mon égard à travers la lentille de cette question, qui est le Sahara occidental, alors j’aimerais les contenter. C’est logique. Mais la question est de savoir comment vous le faites, si c’est la bonne façon, s’il n’y a pas d’autre façon de le faire ? L’Espagne devrait prendre le Sahara occidental au sérieux et c’est difficile parce que le régime marocain est sourd et muet en ce moment. Nous sommes confrontés à une situation de fierté mal placée. Je n’aime pas ce chauvinisme venant du Maroc. Si je suis un partenaire du Maroc, je trouve qu’il est très difficile de parler au Maroc. Même à huis clos, je pense que les seules personnes que les Marocains écoutent sont les USAméricains. Les Marocains se moquent des Espagnols et des Français. Soyons clairs. Ils sont très arrogants en ce moment.
Il est très important de défendre les intérêts marocains, mais pas de cette manière. Ce n’est pas la bonne façon de le faire. Il y a d’autres façons d’être ferme, même sur la marocanité du Sahara, mais pas en menaçant d’être négligent dans la lutte contre le terrorisme et quand je dis lutte contre le terrorisme, je veux être clair ici. Je suis quelqu’un qui pense que la menace terroriste a été exagérée. Notre gouvernement ne doit pas être le gendarme des sociétés européennes. Il y a une très mauvaise perception de l’Islam, à la limite du racisme, dans ces sociétés. Par conséquent, lorsque je parle de terrorisme, je parle en fait de criminalité. Je ne parle pas d’arrêter quelqu’un qui porte une barbe. Mais pour moi, il est important que mon pays soit réellement impliqué dans la lutte contre cette criminalité. Il s’agit de ne pas laisser mes enfants risquer leur vie en essayant d’aller à Ceuta. J’ai mauvaise réputation lorsque j’utilise cela contre vous. Je sais que je vous contrarie. Je sais que c’est un outil contre vous, mais ce n’est pas bon. Ce n’est pas le pays dont je serais fier. Je me mets à la place de Pedro Sánchez. Si les Espagnols, les Français et les USAméricains sont vraiment sérieux sur la question du Sahara, ils devraient s’asseoir et dire que le plan d’autonomie a des conditions.

Q.- La perception interne qui est restée est que l’Espagne a été humiliée par le Maroc ?
R.- Oui, le paradoxe est que je pense que l’Espagne devrait soutenir l’autonomie, mais le Maroc a besoin de vrais partenaires. Le Maroc n’a pas besoin de partenaires faibles qui montrent la faiblesse dont Pedro Sánchez a fait preuve. Nous avons besoin de partenaires forts. Nous avons besoin d’amis forts qui nous soutiennent et qui soutiennent le fait que le Sahara est marocain [sic]. Nous parlions de la durabilité du Maroc. Quelle est la durabilité de ce type de relations diplomatiques lorsqu’il n’y a pas de gagnant-gagnant ? Les Marocains pensent avoir dompté la diplomatie espagnole et la diplomatie française, ce qui n’est pas le cas. Car Sánchez a envoyé la lettre et est ensuite allé à l’ONU pour dire autre chose. J’attends toujours que la France présente une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle a le droit de veto, alors j’attends qu’elle dise : « Vous devez agir parce que ce n’est qu’une étape vers la solution finale ». Et la seule façon de résoudre ce problème est de reconnaître la souveraineté du Maroc sur ce territoire. Dans le cas de l’Espagne, le Maroc veut que l’Espagne reconnaisse le Sahara marocain et je ne pense pas que l’Espagne le fera pour une raison très simple. Il y a un élément dans l’analyse que je ne pense pas que les diplomates marocains comprennent vraiment concernant le comportement de leurs alliés. Les plus grands bénéficiaires de l’ordre mondial sont les pays occidentaux. Il n’est pas dans leur intérêt de déstabiliser complètement le système. Mais la plupart du reste du monde occidental est complètement hypocrite quand il s’agit de la question palestinienne, mais cela ne signifie pas qu’ils n’ont aucun intérêt à faire fonctionner le système des Nations Unies et l’ordre international, parce qu’il fonctionne pour eux, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas trop l’affaiblir et la question du Sahara fait partie de cette histoire. Ils ne vont pas faire n’importe quoi.
Q.- Depuis plus d’un an, le Maroc défend ses relations avec Israël...
R.- Il y a des débats dans les milieux d’affaires marocains pour savoir qui bénéficie de la connexion israélienne et je sais qu’il y a du mécontentement parce que ce sont des gens proches du régime qui en profitent. Tout le monde n’en profite pas. Le Maroc et les USA en tirent un grand bénéfice. La société marocaine est très pro-palestinienne. L’un des dangers que je perçois dans la connexion israélienne est l’attitude à l’égard de l’Algérie. Il existe un concept dans les relations internationales appelé le dilemme de sécurité. Et le dilemme de sécurité dit que lorsque vous vous sentez menacé par moi, que faites-vous ? Vous achetez plus d’armes... Si vous achetez plus d’armes, vous le faites de manière défensive parce que vous avez peur. Mais comment vais-je le percevoir ? Je le percevrai comme si vous vouliez m’attaquer. Je suis donc également sur la défensive, je vais construire mon armée. Encore une fois, c’est un cercle vicieux qui pourrait conduire à la guerre. Budgets militaires : les budgets militaires marocains ont doublé il y a quelques années, la même année que le budget militaire algérien, et nous ne sommes pas dans une économie qui dispose de ce type de ressources pour construire une armée forte. Bien sûr, nous devons nous défendre, mais nous devons être dans un environnement où nous n’avons pas à payer des milliards et des milliards de dollars chaque année pour maintenir une armée énorme, car c’est quelque chose qui pèse sur l’économie.
Q.- Le scénario d’une guerre entre le Maroc et l’Algérie est-il probable ?
R.- Nous sommes dans un monde fou. Si vous m’aviez parlé il y a quelques mois, je vous aurais répondu par un non catégorique. Aujourd’hui, franchement, je ne suis sûr de rien. Ni les Européens ni les USAméricains ne veulent d’une guerre dans les pays frontaliers de l’Europe.




16/01/2025

Copenhague, 13 janvier 2025 : attentat terroriste contre des défenseurs du peuple sahraoui

 L’attentat qui a détruit les bureaux de l'ONG danoise Global Aktion à Copenhague le lundi 13 janvier 2025 est un acte extrêmement grave : c'est à notre connaissance la première fois que les partisans de l’occupation marocaine du Sahara occidental recourent à des méthodes d'une telle violence sur le territoire européen. Est-ce le début d’une campagne organisée visant les défenseurs du peuple sahraoui à travers l'Europe et le monde ? On peut le craindre. En attendant, voici les informations dont nous disposons à ce jour.-SOLIDMAR

Le bureau d’une ONG attaqué au Danemark pour son travail avec le peuple sahraoui : « Ils ne nous feront pas taire »

Francisco Carrión, El Independiente, 14/1/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala

« Le Sahara appartient au Maroc « ou “Arrêtez de soutenir le terrorisme”. Ce sont les graffitis laissés par l’attaque du bureau de l’ONG danoise Global Aktion à Copenhague pour son travail d’assistance au peuple sahraoui et de dénonciation de l’occupation marocaine de l’ancienne colonie espagnole. La direction de l’ONG a dénoncé « une attaque sans précédent » sur le sol danois.

« Il s’agit d’une escalade sans précédent d’un conflit politique, utilisant des méthodes que nous n’avons pas vues au Danemark depuis des décennies », a déclaré Morten Nielsen, responsable de la politique et des campagnes de Global Aktion. Le bureau de l’ONG a été attaqué tôt lundi matin et entièrement brûlé. « Il est fort probable qu’une bombe incendiaire ait été lancée à travers une fenêtre, brûlant et endommageant tous nos biens », a déclaré le groupe dans un communiqué.

« Une tentative d’arrêter notre travail »

Selon les responsables, « le message était sans équivoque ». « Nous y voyons une tentative claire d’arrêter notre travail pour les droits humains, la liberté et l’opposition à l’occupation brutale du Sahara occidental par le Maroc », disent-ils. Sur ses médias sociaux, l’ONG assure que l’attaque « ne les fera pas taire ». « « Nous soutenons leurs demandes d’indépendance et de décolonisation. Mais nous sommes profondément choqués par ce qui s’est passé la nuit dernière. Nous n’avons jamais imaginé que quelqu’un pourrait intensifier les attaques contre nous d’une manière qui mettrait nos vies en danger. C’est tout à fait inacceptable et nous espérons que l’affaire sera résolue de manière approfondie », admettent-ils.

Global Aktion souligne que les auteurs ne parviendront pas à « affaiblir le mouvement de solidarité mondiale pour le Sahara occidental ». « Cela ne fait que souligner l’importance de rester unis. Un exemple de ce que nos camarades au Sahara Occidental vivent au quotidien. L’attaque contre notre organisation nous oblige à reconsidérer la façon dont nous mènerons notre travail politique à l’avenir, afin d’assurer la sécurité de nos militants. En même temps, elle souligne le besoin urgent de notre voix et notre forte solidarité avec la lutte du peuple sahraoui contre l’occupation ».

« Le feu et la fumée ne nous feront pas taire. Nos pensées et notre solidarité vont au peuple du Sahara occidental occupé et aux camps de réfugiés qui, depuis 50 ans, luttent chaque jour pour les droits humains, la justice et la décolonisation. Ce que nous vivons aujourd’hui ne peut être comparé à l’oppression que le peuple du Sahara Occidental subit depuis 50 ans », affirment-ils.

L’ONG dénonce également la connivence des pays de l’Union européenne avec le Maroc dans une conjoncture marquée par l’annulation par la Cour de justice de l’UE des accords agricoles et de pêche entre Bruxelles et Rabat pour avoir ignoré les droits du peuple sahraoui.

Le Polisario accuse le Maroc

Le Front Polisario a condamné « l’attentat atroce qui a visé les bureaux de Global Aktion au Danemark, où les flammes ont englouti son siège et des graffitis ignobles ont souillé ses locaux avec des messages incitant à la haine contre le peuple sahraoui, ce qui représente une attaque directe contre les valeurs de la justice, de la liberté et de la solidarité internationale ». Par la voix de sa représentation à Bruxelles, le Polisario considère qu’il s’agit d’une « tentative délibérée de faire taire les voix de ceux qui osent contester l’occupation illégale du Sahara occidental par le Maroc et dénoncer ses violations flagrantes des droits humains » et qui s’inscrit dans « un contexte plus large de campagne systématique du Maroc pour réprimer la dissidence et éliminer toute forme de résistance à ses ambitions coloniales ».

« Dans les territoires occupés du Sahara occidental, le régime marocain a employé des mesures brutales pendant des décennies, y compris le meurtre de civils sahraouis, les arrestations arbitraires, les disparitions forcées et la torture des défenseurs des droits humains. Ces méthodes de répression ont maintenant été étendues pour cibler les mouvements de solidarité internationale, alors que le Maroc cherche à exporter sa campagne d’intimidation et de violence au-delà des frontières du Sahara occidental », déplorent-ils.

« L’attaque à la bombe incendiaire contre Global Aktion est un rappel brutal des limites que le Maroc est prêt à franchir pour maintenir son occupation illégale et étouffer le soutien mondial croissant à la cause sahraouie. Cet acte criminel est emblématique d’un régime qui a constamment montré son mépris pour le droit international et les droits humains, encouragé par le silence et la complicité de certains acteurs puissants sur la scène mondiale », concluent-ils.
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Asria Mohamed après l’attentat de Copenhague : « Cet attentat est la preuve que notre travail est important »

Héctor Bukhari Santorum, Nueva Révolución,  15/01/2025
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala

L’attaque contre les bureaux de Global Aktion à Copenhague n’était pas seulement un acte de vandalisme, c’était une attaque délibérée contre ceux qui défendent la liberté et les droits humains du peuple sahraoui. En plus de la destruction des locaux de Global Aktion, l’attaque visait aussi directement la délégation du Front Polisario au Danemark, le représentant légitime du peuple du Sahara occidental.

« Il ne s’agit pas simplement d’une agression de plus », ont déclaré les militants après l’incident. C’est une attaque directe contre le seul représentant du peuple sahraoui, le Front Polisario, qui partage le bâtiment avec Global Aktion. Cela montre jusqu’où les ennemis de l’autodétermination sont prêts à aller pour faire taire notre lutte.

À la suite de l’attaque, l’activiste sahraouie Asria Mohamed Taleb a publié un message plein d’indignation. « L’attaque d’hier n’était pas seulement une attaque contre un bureau, c’était une attaque contre les principes que nous défendons : les droits humains, la liberté et la justice pour le peuple du Sahara occidental. Cette attaque est la preuve que votre travail compte, que votre travail est visible, et qu’il met nos ennemis mal à l’aise », a déclaré Mohamed.

Dans son intervention, l’activiste a rappelé les 50 années d’occupation marocaine, marquées par l’oppression et les violations systématiques des droits humains, et a souligné comment le travail d’organisations telles que Global Aktion a permis à la cause sahraouie d’atteindre un public international.

La plus grande mobilisation pro-sahraouie de l’histoire du Danemark

Au lendemain de l’attentat, le Danemark a connu une mobilisation sans précédent. Hier mardi 14 janvier, la plus grande manifestation pro-Sahara occidental jamais enregistrée dans le pays a eu lieu.

Des centaines de personnes ont rempli les rues en scandant des messages tels que « L’occupation doit cesser », montrant clairement que la lutte pour l’autodétermination du Sahara Occidental n’est pas seule.

« Lorsque les gouvernements privilégient leurs intérêts politiques au détriment du respect du droit international, c’est la société civile qui doit faire entendre sa voix », a souligné Asria Mohamed. Cet événement massif n’a pas seulement montré la solidarité, mais aussi que le message gagne du terrain dans l’opinion publique.

Malgré les tentatives d’intimidation, la récente mobilisation est le signe que la cause sahraouie est plus vivante que jamais. « Aujourd’hui plus que jamais, notre voix résonne fort. Nous n’abandonnerons pas », a conclu Asria Mohamed.

https://globalaktion.dk

Déclarations de solidarité à travers le monde

NdlT
Suite à lattentat, la police a interpellé deux membres d’un gang criminel du quartier de Nørrebro, déclaré illégal par la justice danoise en 2018. Appelé Loyal to Familia, le gang a été créé en 2013 par Shuaib Khan - condamné plus tard à 8 ans de prison pour meurtre - et a été l’un des protagonistes de la guerre des bandes qui a ensanglanté les rues de Copenhague [pour le contrôle du trafice de drogue] en 2017. Le nombre de ses membres, qui avait atteint 225 en 2018, a baissé à une centaine en 2021. Après l’emprisonnement de Khan, deux frères marocains natifs de Nørrebro  et mêlés à une longue série d’actions criminelles ont tenté de prendre la direction de la bande : Abderrazak et Abdessamad Benarabe. Le premier, surnommé « Grand A », a défrayé la chronique danoise, entre autres pour avoir combattu dans les rangs du groupe djihadiste Ahrar El Sham à Idlib en Syrie. Nous ignorons leurs faits et gestes récents.