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09/02/2025

Je prends Gaza, tu gardes le Sahara occidental : grandes manœuvres entre Washington et Rabat, via Tel Aviv et Abou Dhabi

L’intérêt des USA pour le Maroc passe maintenant par Gaza, au cas où celui-ci pourrait contribuer d’une manière ou d’une autre à imposer la Pax Americana dans ce territoire, pour lequel le président usaméricain a déjà esquissé un plan.

Ignacio Cembrero, El Confidencial, 09/02/2025
Traduit par 
Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala


Photo d’archives de Trump avec le président des Émirats arabes unis Mohammed bin Zayed al-Nahayan (Reuters/Jonathan Ernst).

Donald Trump est de retour à la Maison Blanche. Il a été le premier président d’une démocratie à reconnaître, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Rabat réfléchit actuellement à la manière de tirer le meilleur parti du magnat new-yorkais pour ce qu’il appelle sa « cause nationale », à savoir l’ancienne colonie espagnole.

En décembre 2020, Trump s’était engagé à ouvrir un consulat usaméricain à Dakhla, la deuxième ville du Sahara, mais son successeur, Joe Biden, a retardé l’ouverture de ce consulat. Rabat espère désormais qu’il franchira le pas, mais il s’agit d’une initiative mineure par rapport aux rêves que la diplomatie marocaine nourrit pour les terres dont elle s’est emparée il y a un demi-siècle grâce à la Marche verte.

Selon une source diplomatique au fait des intentions marocaines, le plan diplomatique du Maroc est de tenir une conférence internationale aux Émirats arabes unis (EAU), son principal allié arabe, sous l’égide des USA et des puissances européennes, à commencer par la France, qui donnerait sa bénédiction à la « marocanité » du Sahara occidental.

« Le Maroc espère maintenant obtenir le feu vert international final » sur le Sahara « lors d’une conférence qui se tiendra aux EAU en avril écrit. Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, dans un article publié par le think-tank barcelonais CIDOB [voir version française ci-dessous].  Rabat tenterait ainsi de « forcer les États européens récalcitrants [Royaume-Uni, Italie, etc.] et l’ONU elle-même à se rallier », prédit Lovatt, dans un entretien avec El Confidencial. « Il y a déjà eu des contacts diplomatiques en ce sens », affirme-t-il, tout en doutant que la date initiale d’avril soit respectée.

Le gouvernement socialiste espagnol pourrait difficilement éviter de participer à une telle conférence s’il souhaite continuer à entretenir des relations harmonieuses avec son voisin marocain. La conférence s’inscrirait également dans la lignée de la lettre que le Président Pedro Sánchez a adressée le 14 mars 2022 au roi Mohammed VI, s’alignant sur la solution d’autonomie que ce dernier préconise pour résoudre le conflit du Sahara.

Les autorités marocaines refusent de donner plus de détails sur ce plan d’autonomie de trois pages, qu’elles ont présenté en 2007, comme l’a souligné en octobre devant le Conseil de sécurité Staffan de Mistura, l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Elles s’efforcent cependant de promouvoir des associations sahraouies qui, aux yeux de l’Occident, pourraient faire de l’ombre au Front Polisario, le mouvement qui représente la majorité.

Il y a d’abord eu le Mouvement sahraoui pour la paix, dirigé par Hach Ahmed Barical, qui a été discrédité après qu’un rapport du Centre national du renseignement espagnol, révélé par El País en 2022, l’a décrit comme le chef d’une  « organisation-écran » des services de renseignement extérieur marocains.. Les services marocains ont maintenant parrainé à El Ayoun Initiative sahraouie, dirigée par une femme, Gasmula Ebbi, ancienne députée à Rabat, qualifiée par la propagande de "Pasionaria du Sahara".

En échange de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara en 2020, le roi Mohamed VI a dû offrir une contrepartie à Trump : établir des relations diplomatiques avec Israël. Il s’est ainsi rallié aux « accords d’Abraham » finolés par le gendre du président, Jared Kushner, auxquels d’autres pays musulmans (EAU, Bahreïn, Soudan) avaient déjà adhéré.

Aux yeux de l’administration Trump, le Maghreb n’a que peu d’importance. Pour le mobiliser en sa faveur, le Maroc doit lui offrir quelque chose en retour, comme il l’a fait en 2020 avec Israël. Que peut-il faire maintenant ? « Jouer un rôle quelconque dans la bande de Gaza post-conflit avec le consentement des parties », a répondu Hugh Lovatt dans son article. En mai dernier, l’administration Biden a déjà sondé le Maroc, l’Égypte et les Émirats arabes unis sur leur volonté d’intégrer une force de maintien de la paix à Gaza une fois la guerre terminée, comme l’a révélé le Financial Times.

Le Secrétaire d’État Marco Rubio a appelé son homologue marocain, Nasser Bourita, le 27 janvier. Il ressort clairement des informations fournies par le département d’État sur cette conversation, que Rubio n’a pas tant discuté des relations bilatérales que de la « mise en œuvre du cessez-le-feu à Gaza » et du rôle des accords d’Abraham qui incluent le Maroc.

Le plan de Trump pour Gaza n’est pas de déployer une force arabe de maintien de la paix, mais plutôt d’expulser les plus de deux millions de Palestiniens qui y vivent encore vers d’autres parties du monde afin que les USA puissent s’emparer du territoire et peut-être le transformer en une luxueuse « riviera » en Méditerranée orientale. C’est là que le Maroc intervient à nouveau, après que l’Égypte et la Jordanie ont clairement fait savoir qu’elles n’accepteraient pas de réfugiés palestiniens.

La reconnaissance en échange de l’accueil des Palestiniens

La chaîne de télévision israélienne N-12 a révélé que Washington envisageait trois autres destinations pour la population de Gaza : le Maroc, le Puntland et le Somaliland : l’idée a même été reprise par des diplomates israéliens lors d’interventions publiques. Ces trois pays ont besoin du soutien des USA pour diverses raisons. Le voisin marocain pour affirmer son autorité sur le Sahara et les deux autres, situés dans la Corne de l’Afrique, pour obtenir une forme de reconnaissance internationale qui leur fait défaut.

Contrairement à d’autres capitales arabes, Rabat reste silencieuse sur le plan de Trump pour Gaza. « Malgré cela, je doute qu’il puisse s’écarter du consensus arabe et approuver le vidage de Gaza comme Trump pourrait l’exiger », déclare Hugh Lovatt. Le Maroc a été le pays arabe, avec l l’Irak où ont eu lieu le plus de manifestations, parfois massives, contre l’invasion israélienne de Gaza et, par ricochet, contre les relations diplomatiques établies avec l’État hébreu il y a un peu plus de quatre ans.

Un autre risque pour la stabilité de la région est que le Maroc, enhardi par le soutien de l’administration Trump, décide d’envahir cette cinquième partie du territoire sahraoui, la bande orientale, qu’il ne contrôle pas et où la guérilla du Polisario opère quand les drones marocains ne perturbent pas ses mouvements. Une invasion à la portée de son armée.

Personne ne le propose à Rabat, bien qu’en 2022 le Maroc ait déjà menacé « de prendre le contrôle de la zone , évoquant même la possibilité queles troupes marocaines affrontent l’armée algérienne le long de la frontière du Sahara occidental » avec l’Algérie, rappelle Ricardo Fabiani dans un article publié dans Diplomacy Now. Malgré cette mise en garde de longue date, les ministères des affaires étrangères et les groupes de réflexion européens considèrent qu’il est très peu probable que les deux « poids lourds » du Maghreb en viennent aux mains.

Donald Trump est déjà de retour à la Maison Blanche. Il a été le premier président d’une démocratie à reconnaître, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Rabat réfléchit maintenant à la manière de tirer le meilleur parti du magnat new-yorkais pour ce qu’il appelle sa « cause nationale », c’est-à-dire l’ancienne colonie espagnole.

Trump peut-il obtenir un accord sur le Sahara occidental ?

Hugh Lovatt, CIDOB, janvier 2025
Traduit par Ayman El Hakim

Comme lors de son premier mandat présidentiel, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait avoir un impact sur le conflit latent entre le Maroc et le Front Polisario indépendantiste du Sahara occidental, qui remonte à 1975. Depuis la fin du cessez-le-feu en 2020, les tensions se sont accrues dans la région, mais un accord négocié sous l’égide des Nations unies est toujours possible. Cependant, il faudrait que les USA et l’Union européenne exercent une pression efficace pour encourager le Maroc et le Polisario à trouver un compromis.

À l’approche de son cinquantième anniversaire, le conflit du Sahara occidental se poursuit sans relâche. Le Maroc a réussi à obtenir un soutien international accru pour ses revendications sur ce territoire désertique. Pourtant, cela n’a pas permis de rapprocher le conflit d’une fin, le mouvement de libération nationale sahraoui, le Front Polisario, menaçant désormais d’étendre sa lutte armée pour l’indépendance Alors que le conflit continue d’alimenter une recrudescence de l’insécurité régionale et d’exacerber les tensions entre le Maroc et l’Algérie (parrain du Polisario), un accord de paix au Sahara occidental reste vital pour l’avenir de la région. Le retour du président Trump à la Maison Blanche pourrait contribuer à catalyser un accord. Pour réussir, l’engagement futur des USA devra toutefois tenir compte de l’autodétermination des Sahraouis conformément au droit international.

Trump a déjà donné une grande victoire au Maroc lors de son premier mandat présidentiel en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en décembre 2020. Cette décision a permis la normalisation ultérieure des relations entre le royaume nord-africain et Israël. Elle a également ouvert la voie à d’autres avancées diplomatiques marocaines, notamment de la part du président français Emmanuel Macron qui a déclaré que le « présent et l’avenir » du Sahara occidental relevaient de la souveraineté marocaine Le président français a également encouragé les investissements français sur le territoire, suivant l’exemple de l’Espagne qui a également stimulé les investissements dans le cadre de ses propres efforts pour améliorer les relations avec le Maroc.

Parallèlement, le Maroc bénéficie d’un soutien de plus en plus large pour sa proposition d’autonomie du Sahara occidental. Présentée en 2007, elle envisageait la création d’une administration régionale locale - la région autonome du Sahara (RAS) - sous souveraineté marocaine Si la RAS aurait le pouvoir de créer ses propres lois et de réglementer les questions nationales telles que les infrastructures et la politique sociale, Rabat conserverait le contrôle des ressources naturelles du Sahara occidental, des relations étrangères, de la monnaie, ainsi que de la sécurité extérieure et intérieure. Le gouvernement marocain continue d’insister sur le fait que son plan d’autonomie est la seule solution qu’il acceptera pour le Sahara occidental. Il espère maintenant obtenir le sceau d’approbation international final à ce sujet lors d’une conférence internationale qui se tiendra aux Émirats arabes unis en avril.

Mais le Polisario, qui administre une grande partie de la moitié orientale du Sahara occidental, continue de rejeter le plan d’autonomie du Maroc, tout comme de nombreux Sahraouis. Bien que le mouvement sahraoui ait publié sa propre proposition en 2007 pour une coopération économique et sécuritaire entre le Sahara occidental et le Maroc, il continue d’exiger la pleine indépendance comme seul moyen de réaliser l’autodétermination sahraouie. Après des années d’impasse dans le processus de paix mené par l’ONU, la frustration croissante a finalement conduit le Polisario à reprendre les attaques armées contre les forces marocaines au Sahara occidental en novembre 2020.

Alors que la diplomatie menée par l’ONU reste bloquée, un accord négocié est toujours possible. Mais il faudra une pression efficace des USA et de l’Europe pour encourager le Maroc et le Polisario à faire des compromis dans le but de les entraîner dans ce que les négociateurs appellent une zone d’accord.

À ce jour, le Maroc a rejeté les demandes visant à élargir sa proposition de 2007 avant la reprise des négociations. Mais comme l’a déclaré Staffan de Mistura, envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental, au Conseil de sécurité des Nations unies en octobre 2024, les pays ont le droit de comprendre ce que le plan d’autonomie qu’on leur demande de soutenir implique. Cela inclut par exemple des garanties pour assurer le respect des droits nationaux et de l’autonomie des Sahraouis.

Il y a également des raisons de se demander si Rabat est vraiment engagée dans son propre plan. À ce jour, elle n’a pris aucune mesure pour mettre en œuvre sa vision de l’autonomie du Sahara occidental. Cela peut s’expliquer en partie par la volonté de la monarchie marocaine de centraliser le pouvoir. Néanmoins, le Maroc devra faire preuve d’une plus grande flexibilité pour avancer.

Compte tenu de son passé pro-marocain, l’administration Trump peut influencer positivement les calculs marocains pour soutenir un accord avec le Polisario. Pour ce faire, la nouvelle administration usaméricaine devrait faire pression sur le Maroc pour qu’il s’engage sur les détails de sa proposition d’autonomie afin de fournir une forme crédible d’autodétermination au peuple du Sahara occidental.

Le Polisario devra lui aussi faire preuve d’un plus grand pragmatisme. Le groupe sahraoui a également rejeté les demandes internationales visant à développer sa proposition de 2007, misant plutôt sur la pression militaire pour forcer les concessions marocaines. Avec le Maroc qui gagne en puissance sur la scène régionale et internationale, cette stratégie militaire ne réussira pas. Une voie plus prometteuse a été tracée par les contestations judiciaires réussies du Polisario contre l’inclusion du Sahara occidental dans les relations du Maroc avec l’UE Mais malgré son grand potentiel, cette stratégie juridique a peu de chances de surmonter complètement les facteurs géopolitiques, économiques et idéologiques profondément enracinés qui sous-tendent le contrôle continu du Maroc.

Avec les questions croissantes sur l’avenir de la MINURSO, la mission de maintien de la paix des Nations unies au Sahara occidental, et la menace de démission de M. de Mistura s’il n’y a pas d’engagement diplomatique positif de la part des parties, la fenêtre diplomatique actuelle pour un accord pourrait bientôt se refermer. Cela jouera en faveur du Maroc, tout en laissant potentiellement aux Sahraouis une voie étroite vers l’indépendance. Comme l’a récemment reconnu un haut diplomate du Polisario : « le temps ne joue pas en notre faveur ».

Le Polisario n’a pas besoin d’abandonner son rêve d’autodétermination sahraouie Tout accord relatif à l’avenir du Sahara occidental devra en fin de compte être soumis au peuple sahraoui dans le cadre d’un référendum national. Mais il doit repenser la meilleure façon de parvenir à l’autodétermination compte tenu des réalités géopolitiques actuelles. Là aussi, les USA pourraient fournir des incitations économiques et politiques importantes pour encourager le Polisario à accepter un modèle négocié d’autonomie qui se situe entre l’indépendance pure et simple et l’intégration complète au Maroc. Cela pourrait prendre plusieurs formes. Dans son briefing au Conseil de sécurité, de Mistura a cité l’exemple du Groenland, qui est un territoire autonome du Danemark. Les Sahraouis pourraient également se tourner vers des îles du Pacifique telles que les îles Cook et Niue, qui sont des États autonomes en libre association avec la Nouvelle-Zélande.

Il pourrait également y avoir un accord potentiel entre les USA et l’Algérie qui réduirait les tensions avec le Maroc tout en générant une pression algérienne sur le Polisario pour qu’il accepte une solution de compromis. Lors de réunions, les responsables algériens ont exprimé le désir d’apaiser les tensions avec le Maroc et de faire progresser les normalisations régionales, mais soulignent que cela nécessitera une évolution positive de la voie politique menée par l’ONU vers la garantie de l’autodétermination sahraouie sous quelque forme que ce soit.

La résolution du conflit du Sahara occidental offrirait des avantages considérables à l’Union européenne, qui se trouve prise entre son désir politique d’approfondir son partenariat économique avec le Maroc, d’une part, et son obligation légale de traiter le Sahara occidental comme un pays distinct et de respecter le droit des Sahraouis à l’autodétermination, d’autre part. Il serait particulièrement important de conclure un accord de coopération économique qui permettrait au Sahara occidental de continuer à faire partie des relations commerciales de l’UE avec le Maroc , avec le consentement du Polisario.

En travaillant avec l’administration Trump et l’ONU pour établir une nouvelle relation commerciale avec le Sahara occidental conforme à l’arrêt de la CJUE, l’UE pourrait contribuer à créer une dynamique diplomatique importante en vue d’une solution négociée qui puisse répondre aux aspirations des Sahraouis et des Marocains. Mais cela exigera de Bruxelles qu’elle adopte une réflexion stratégique, ce qu’elle s’est montrée réticente à faire jusqu’à présent en ce qui concerne ce conflit.

 

 

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