Ran Shimoni, Haaretz, 25/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
L’ “enquête”
sur l’incident survenu à la prison de Megiddo en août 2021, au cours duquel les
détenus ont déclaré avoir été menottés et battus sans raison apparente, a été
close sans qu’aucun gardien de prison ait jamais été interrogé.
Ayoub
Hassouna, l’un des détenus battus, mardi. Photo: Ilan Assayag
La procureure générale d’Israël a
classé une affaire dans laquelle des gardiens de prison masqués auraient battu
cinq détenus dans la prison de Megiddo, sans interroger aucun des gardiens qui
y travaillaient à l’époque.
L’incident survenu à la prison de
Megiddo en août 2021, au cours duquel cinq détenus ont déclaré avoir été
menottés et battus sans raison apparente, avait été initialement classé en
décembre de la même année. Lorsque les représentants légaux des victimes ont
demandé à voir les preuves, afin de pouvoir décider s’ils allaient faire appel
de la décision, l’affaire a été rouverte.
Au début du mois, cependant, l’affaire
a été à nouveau classée parce que la police a déclaré qu’elle n’était pas en
mesure d’identifier les auteurs. La direction de la prison a appris que l’affaire
avait été classée uniquement à la suite d’une enquête de Haaretz.
Une source au fait des détails de l’enquête
a déclaré que les images des caméras de sécurité de la prison ont été examinées, mais qu’aucune
image de l’agression n’a été trouvée. De plus, les gardiens portaient des
masques, de sorte que les détenus n’ont pas pu les identifier lorsqu’ils ont
été interrogés.
Ayoub avec son fils Moussa
mardi. Photo : Ilan Assayag
Une source de l’unité de police
chargée d’enquêter sur les fautes commises dans les prisons a déclaré que les
gardiens qui se trouvaient dans la prison à ce moment-là n’ont jamais été
interrogés parce qu’il n’y avait pas de soupçons concrets à l’encontre de l’un
d’entre eux. La police s’est contentée de recueillir les déclarations de tous
les gardiens présents à l’époque, ainsi que de plusieurs responsables de la
prison, mais ces déclarations n’ont fourni aucune piste.
La police a déclaré que le
ministère public aurait demandé un complément d’enquête s’il l’avait jugé nécessaire, mais
qu’il ne l’a jamais fait.
Les cinq victimes, toutes
originaires de la ville mixte judéo-arabe de Lod, dans le centre d’Israël,
étaient détenues à la prison de Megiddo dans l’attente de leur procès pour
avoir participé à des émeutes interethniques dans la ville en mai 2021. Les
émeutes, qui ont éclaté dans plusieurs villes mixtes
judéo-arabes ce mois-là,
ont coïncidé avec une série de combats dans la bande de Gaza entre Israël et le
Hamas.
Les gardiens qui les ont agressés
faisaient partie d’une équipe d’intervention envoyée dans leur bloc cellulaire
en raison de troubles survenus la nuit précédente dans une cellule voisine.
Selon les détenus, ils ont été battus par au moins cinq gardiens alors qu’ils
étaient menottés. L’un d’entre eux a dû être transporté à l’hôpital avec une
déchirure de la rétine de l’œil gauche.
Lorsque Haaretz a rendu
compte pour la première fois de l’enquête sur l’agression, l’administration
pénitentiaire a déclaré que les gardiens avaient fait un usage raisonnable de
la force contre les détenus parce qu’ils refusaient de quitter leur cellule. Mais
les parents des victimes qui leur ont rendu visite par la suite ont déclaré que
les hommes avaient été battus au point d’être méconnaissables.
« Nous ne les avons pas
reconnus, nous n’avons pas compris qui ils étaient », a déclaré la mère d’une
victime à Haaretz quelques jours après l’agression. « Mon fils a
des bleus sur tout le cou et les épaules, et il ne voit plus de l’œil droit ».
Ayoub Hassouna, dont le frère
Moussa a été tué par balle pendant les émeutes de Lod, était l’une des cinq
victimes. « Ils nous ont dit que dans la cellule voisine du bloc 4, il y
avait eu des émeutes la nuit précédente, de sorte qu’une force spéciale a été
amenée, et l’un des officiers nous a demandé de ne pas faire de bruit »,
a-t-il déclaré.
Véhicule incendié à Lod lors de l’opération “Gardiens des murs” en mai
2021. Les détenus
étaient accusés d’avoir participé à des émeutes dans la ville. Photo: Josh
Breiner
« Quelques minutes plus tard,
ils sont revenus vers nous, nous ont dit de nous allonger sur le sol, nous ont
passé trois menottes à chacun et ont commencé à nous frapper. Ils ne nous ont
rien dit ».
Ensuite, ils ont été emmenés dans
une autre cellule, près de l’entrée de la prison, et là, la violence s’est
intensifiée, raconte Hassouna. « Ils se sont mis en garde les uns les
autres de ne pas être filmés, puis ils m’ont emmené dans un endroit où il n’y
avait pas de caméra. Ils ne se sont pas arrêtés tant qu’ils n’ont pas notre sang gicler ».
Un avocat qui a représenté
deux des victimes au nom du Comité public contre la torture en Israël a déclaré
que le fait que les auteurs n’aient pu être retrouvés dans un cas de violence
aussi grave était scandaleux.
« Ils n’ont pas été agressés
dans la rue, mais dans une prison, alors qu’ils étaient sous la garde de l’État »,
a déclaré l’avocat, qui a demandé à rester anonyme. « Il est impossible d’accepter
l’affirmation selon laquelle l’auteur est inconnu. Les prisons tiennent des
rapports ordonnés sur les personnes présentes, il y a des caméras partout, il y
a un officier qui a donné l’ordre, et il y a tout un groupe de gardiens qui les
a traînés dans une autre cellule pour les frapper ».
La police a déclaré dans un
communiqué que l’unité chargée d’enquêter sur les fautes commises dans les
prisons « a pris un grand nombre de mesures d’enquête, notamment en
recueillant les déclarations des gardiens et en recueillant et en visionnant
les images des caméras de sécurité ». L’affaire a été transmise au
ministère public pour qu’il prenne une décision.
L’administration pénitentiaire a
déclaré qu’elle ne pouvait pas discuter des détails de l’enquête, mais que « nous
soulignons que l’administration pénitentiaire a coopéré et coopérera avec toute
enquête nécessaire ».
Le bureau du procureur du district
nord, qui a pris la décision de classer l’affaire, a publié une déclaration
disant : « Malheureusement, sur la base des preuves recueillies dans cette
affaire et en raison des circonstances de l’incident, l’enquête n’a pas permis
d’identifier les auteurs présumés. Il convient de noter que dans une autre
affaire reçue par notre bureau au même moment, impliquant des actes et des circonstances
similaires, dans laquelle des preuves suffisantes ont été rassemblées pour
identifier les agresseurs, nous avons déposé des actes d’accusation qui les ont
inculpés d’agression ».
La déclaration ajoute que des
personnes ne peuvent être interrogées en tant que suspectes que lorsqu’il
existe des soupçons à l’encontre d’une personne spécifique, « ce qui n’était
pas le cas dans cette affaire ». [Amen]