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24/03/2025

Hommage au martyr Hossam Shabat, assassiné à Gaza

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Le dernier article de Hossam Shabat

Déposé quelques heures avant que son auteur soit tué par une frappe aérienne israélienne, le dernier article du journaliste Hossam Shabat décrit la reprise de la campagne israélienne de terre brûlée dans sa ville natale de Beit Hanoun.

Sharif Abdel Kouddous, Drop Site News, 24/3/2025

Hossam Shabat est mort. La rage et le désespoir m'envahissent au moment où j'écris ces mots. L'armée israélienne a bombardé sa voiture ce matin alors qu'il circulait à Beit Lahia. Mon écran est rempli de vidéos montrant son corps gisant dans la rue, transporté à l'hôpital, pleuré par ses collègues et ses proches. C'est le genre de scènes tragiques que Hossam lui-même documentait si souvent pour le monde entier. Il était un journaliste exemplaire : courageux, infatigable et dévoué à raconter l'histoire des Palestiniens de Gaza.

Hossam était l'un des rares reporters à être resté dans le nord de Gaza pendant la guerre génocidaire d'Israël. Sa capacité à couvrir l'une des campagnes militaires les plus brutales de l'histoire récente dépasse presque l'entendement. Pendant dix-sept mois, il a été témoin de morts et de souffrances indicibles presque quotidiennement. Il a été déplacé plus de vingt fois. Il a souvent souffert de la faim. Il a enterré beaucoup de ses collègues journalistes. En novembre, il a été blessé lors d'une frappe aérienne israélienne. Je n'arrive toujours pas à croire que je parle de lui au passé. Israël efface le présent.

Lorsque j'ai contacté Hossam en novembre dernier pour lui demander d'écrire pour Drop Site News, il s'est montré enthousiaste. « Je te salue habibi. Que Dieu te garde. Je suis très heureux d'avoir cette opportunité », a-t-il écrit. « Il y a tellement d'idées, de scènes, d'histoires ».

Sa première dépêche pour Drop Site était un compte rendu saisissant d'une campagne d'expulsion massive et vicieuse menée par l'armée israélienne à Beit Lahia, qui a contraint des milliers de familles palestiniennes à fuir l'un des derniers abris de la ville assiégée :

Certains blessés sont tombés sur la route sans espoir d'être soignés. « Je marchais avec ma sœur dans la rue », a déclaré Rahaf, 16 ans. Elle et sa sœur sont les seules survivantes dans leur famille d'une frappe aérienne qui a tué 70 personnes. « Soudain, ma sœur est tombée à cause du bombardement. J'ai vu du sang couler d'elle, mais je n'ai rien pu faire. Je l'ai laissée dans la rue et personne ne l'a retirée. Je criais, mais personne ne m'entendait ».

Son écriture était lyrique et saisissante. Je me suis efforcé de traduire et d'éditer ses textes, de leur rendre justice, de traduire son utilisation émotive de l'arabe en quelque chose de compréhensible en anglais. Dans le va-et-vient éditorial typique de la finalisation d'un article, je revenais souvent vers lui avec des clarifications et des questions, lui demandant des détails supplémentaires et des citations directes. Il a toujours répondu rapidement, malgré les circonstances extraordinaires dans lesquelles il se trouvait.

En janvier, Hossam a déposé un article sur les trois jours qui se sont écoulés entre l'annonce de l'accord de “cessez-le-feu” et sa mise en œuvre, période au cours de laquelle Israël a intensifié sa campagne de bombardements sur Gaza :

Ils ont pris pour cible l'école al-Falah ; ils ont bombardé tout un quartier résidentiel de Jabaliya ; ils ont tué des familles, comme la famille Alloush, dont les corps n'ont pas encore été retrouvés et gisent encore sous et sur les décombres. Les enfants que j'ai vus cette nuit-là semblaient heureux, mais ils ne vivaient plus, leurs visages étaient figés dans un mélange de sourire et de sang.

Début décembre, en préambule à l'un de ses articles, je lui ai demandé de confirmer son âge. « Hahaha. Je suis jeune. 24 ans », a-t-il écrit. Quelques instants plus tard, il a apporté des précisions : « En fait, je n'ai pas encore 24 ans. J'ai 23 ans ». Je lui ai dit qu'il n'était jeune que par l'âge, mais qu'il était vieux par l'expérience (cela sonne mieux en arabe). « Il m'a répondu : “Je suis vraiment fatigué. Je jure que je n'ai plus de force. Je ne trouve pas d'endroit où dormir. J'ai été déplacé 20 fois”. Il a poursuivi : « Tu sais que je suis le seul de ma famille à vivre seul dans le nord ? » Le mois dernier, pendant le “cessez-le-feu”, il a été réuni avec sa mère pour la première fois depuis 492 jours.

En octobre, l'armée israélienne a inscrit Hossam et cinq autres journalistes palestiniens sur une liste de personnes à abattre. À l'époque, il a déclaré qu'il avait l'impression d'être “traqué”. Il a appelé les gens à s'exprimer en utilisant le hashtag #ProtectTheJournalists : « Je demande à tout le monde de partager la réalité des journalistes afin de faire connaître les véritables plans de l'occupation israélienne visant à cibler les journalistes afin d'imposer un black-out médiatique. Diffusez le hashtag et parlez de nous ! »

En décembre, après que l'armée israélienne a tué cinq journalistes lors d'une frappe aérienne sur leur véhicule, je lui ai envoyé un message pour prendre de ses nouvelles.

Il m'a répondu : « Notre travail consiste uniquement à mourir ». « Je déteste le monde entier. Personne ne fait rien. Je te jure que j'en suis venu à détester ce travail ». Au sujet de ses collègues survivants, il écrit : « Nous avons commencé à nous dire les uns aux autres : “Nos familles nous considèrent comme des martyrs” ».

Lorsqu'Israël a repris ses bombardements de terre brûlée la semaine dernière, j'ai envoyé un nouveau message pour prendre de ses nouvelles. Il m'a répondu par un seul mot : “Mort”.

Pendant tout ce temps, Hossam envoyait des messages avec des idées d'histoires, ou simplement pour relater ce qui se passait dans le nord. Dans ses messages et ses notes vocales, il parvenait souvent à rester chaleureux et drôle, une sorte de rébellion contre la mort qui l'entourait.

Après l'entrée en vigueur du “cessez-le-feu”, il est retourné dans sa ville natale de Beit Hanoun, à la limite nord-est de Gaza. Il ne restait pratiquement plus aucune structure debout, mais il était déterminé à rester et à documenter la destruction.

Il m'a envoyé un message tard dans la nuit de dimanche à lundi, quelques heures avant d'être tué. Il avait été contraint de quitter sa ville natale de Beit Hanoun le jour de la nouvelle attaque israélienne de la semaine dernière et avait été déplacé de force une nouvelle fois, cette fois à Jabaliya. Nous avions convenu qu'il écrirait un article sur l'attaque de la semaine dernière et sur ce dont il avait été témoin.

“Habibi”, a-t-il écrit, “Tu me manques”. Je lui ai demandé quelle était la situation à Jabaliya. “Difficile”, a-t-il répondu.

Il a envoyé son article, je l'ai lu et j'ai envoyé mes questions complémentaires. Il n'a répondu qu'à une seule avant de se déconnecter. Je lui ai envoyé un nouveau message dès mon réveil ce matin. Je ne savais pas encore qu'il avait été tué.

Ce que vous allez lire est le dernier article de Hossam. Je l'ai traduit en pleurant.

Rapport sur la ligne de front de la guerre d'anéantissement d'Israël

Récit de Hossam Shabat, traduit par Sharif Abdel Kouddous

BEIT HANOUN, GAZA - La nuit était sombre et prudemment calme. Tout le monde s'est endormi dans un sommeil anxieux. Mais la tranquillité est rapidement rompue par des cris assourdissants. Alors que les bombes pleuvent, les gémissements des voisins annoncent les premiers instants de la reprise de la campagne militaire israélienne. Beit Hanoun est plongée dans la panique et la terreur. Des cris de détresse s'élèvent au milieu du fracas des obus dans une scène qui reflète l'ampleur du désastre qui engloutit la ville. Ce n'est que le début. Le massacre de familles entières a rapidement suivi. Des colonnes de fumée s'élèvent partout. Les bombardements n'ont pas cessé un seul instant, noyant tout sous un déluge de feu et de souffrance.

L'attaque israélienne se poursuit. L'occupation exerce sa brutalité par des bombardements sans précédent qui laissent derrière eux d'horribles scènes de destruction et d'effusion de sang. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, le nombre de martyrs au cours des six derniers jours a dépassé les 700, ce qui témoigne de l'ampleur de ces immenses souffrances humaines. L'OCHA rapporte également que Gaza souffre d'une grave pénurie de médicaments et d'aide médicale, ce qui aggrave une situation déjà désastreuse.

Au cours des six premiers jours de cette nouvelle opération militaire, le nord de Gaza a été le théâtre de quatre massacres sanglants. Le plus notable a été le massacre de la famille Moubarak, qui a eu lieu alors que la famille se réunissait en deuil pour présenter ses condoléances au Dr Salim Moubarak. En un instant, leur deuil collectif s'est transformé en une mer de sang et de morceaux de corps. Toute la famille a été tuée : le Dr Salim, sa femme, ses enfants, ses parents. Personne n'a survécu. Un témoin oculaire a résumé la situation en termes clairs : « Ils ont tous été tués. Les victimes ne se trouvaient pas sur un champ de bataille, mais dans une maison de deuil. Il s'agit d'un crime dans tous les sens du terme ».

Ce massacre n'a pas été le seul - il a été suivi d'attaques successives contre d'autres familles, dont la famille Abu Nasr, puis la famille Abu Halim - rappelant les bombardements vicieux du tout début de la guerre, après le 7 octobre. L'agression se poursuit, implacable, visant sans distinction des civils innocents, ne laissant derrière elle que destruction et mort.

Lorsque je suis arrivé sur les lieux, je n'étais pas préparé à l'horreur qui s'offrait à mes yeux. Les rues étaient remplies de morts. Sous chaque pierre se cachait un martyr. Des dizaines de personnes appelaient à l'aide sous les décombres de leurs maisons, mais personne ne répondait. Les cris emplissaient l'air tandis que tout le monde restait impuissant. Mes larmes n'ont pas cessé de couler. Les scènes étaient plus que ce qu'un être humain peut supporter. Les ambulances étaient remplies de cadavres, de corps et de membres empilés et entremêlés. On ne pouvait plus faire la différence entre les enfants et les hommes, entre les blessés et les morts.

A l'hôpital Al-Andalus, la scène est encore plus douloureuse. L'hôpital est rempli de martyrs. Les mères faisaient des adieux silencieux à leurs enfants. Le personnel médical travaille dans des conditions épouvantables, essayant de soigner les blessés avec les moyens les plus élémentaires. La situation était impossible, les morts et les blessés arrivant en masse à un rythme effrayant.

L'agression israélienne se poursuit. Massacre après massacre, ne laissant dans son sillage que les cris des mères et les rêves des enfants réduits en cendres. Il n'y a aucune justification à cela. Tout est écrasé : la vie d'innocents, leur dignité et leurs espoirs d'un avenir meilleur.


Déclaration de Drop Site News sur l'assassinat par Israël de notre collègue Hossam Shabat : nous tenons Israël et le gouvernement usaméricain pour responsables

Drop Site News, 24/3/2025

Aujourd'hui, 24 mars 2025, Israël a tué le journaliste Hossam Shabat, reporter pour Al Jazeera Mubasher et collaborateur de Drop Site News, dans ce que les témoins ont décrit comme une frappe ciblée. Hossam était un jeune journaliste extraordinaire qui a fait preuve d'un courage et d'une ténacité remarquables en documentant le génocide facilité par les USA contre les Palestiniens de Gaza. L'un des rares journalistes à ne pas avoir quitté le nord de la bande de Gaza, Hossam a été assassiné à Beit Lahia, où se déroulaient certains des bombardements israéliens les plus intenses et certaines des opérations de massacre les plus meurtrières.

Drop Site News tient Israël et les USA pour responsables de l'assassinat de Hossam. Le journaliste Mohammad Mansour, correspondant de Palestine Today, a également été tué lundi lors d'une attaque israélienne contre une maison à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Au cours des dix-sept derniers mois, plus de 200 de nos confrères des médias palestiniens ont été tués par Israël, qui est fournie en armes et bénéficie d'une impunité totale de la part de la plupart des gouvernements occidentaux.

« Si vous lisez ceci, c'est que j'ai été tué - très probablement pris pour cible - par les forces d'occupation israéliennes », a écrit Hossam dans un communiqué. posté à titre posthume par ses amis sur ses comptes de médias sociaux. « Au cours des 18 derniers mois, j'ai consacré chaque instant de ma vie à mon peuple. J'ai documenté minute par minute les horreurs commises dans le nord de Gaza, déterminé à montrer au monde la vérité qu'ils tentaient d'enterrer. J'ai dormi sur des trottoirs, dans des écoles, sous des tentes, partout où je le pouvais. Chaque jour était une bataille pour la survie. J'ai souffert de la faim pendant des mois, mais je n'ai jamais quitté les côtés de mon peuple ».

Hossam, qui n'avait que 23 ans, a rédigé des dépêches poétiques et douloureuses depuis Gaza. Il ne s'est jamais séparé des personnes dont il a documenté la vie et la mort. « Aujourd'hui, le temps ne se mesure pas en minutes, mais en vies entières de douleur et de larmes », alors que les habitants de Gaza attendent la mise en œuvre du cessez-le-feu, écrvaiit Hossam dans un article pour Drop Site en janvier. « À chaque instant, l'anxiété et la tension des gens ici augmentent, car ils se demandent s'ils resteront en vie assez longtemps pour que les tirs cessent ».

Alors que les journalistes palestiniens de Gaza continuent de documenter le génocide perpétré contre leurs familles et leur peuple, la plupart des gens ne découvrent leur travail qu'à travers leurs reportages vidéo sur les réseaux sociaux. Ils sont bien plus que ces vidéos. Hossam est né dans une période d'escalade de l'annexion, du siège et du génocide israéliens. Inébranlable face aux privations et à la violence constantes, Hossam a résumé l'engagement de sa vie lors d'une interview: « Je dis au monde que je continue. Je couvre les événements avec l'estomac vide, avec constance et persévérance. Je m'appelle Hossam Shabat et je viens du nord de la bande de Gaza ».

Quelques heures avant d'être tué, Hossam avait rédigé un article pour Drop Site sur la reprise des bombardements israéliens sur Gaza la semaine dernière, qui ont tué plus de 400 personnes, dont près de 200 enfants, en l'espace de quelques heures. Il était impatient de publier son article. « Je veux partager ce texte de toute urgence », a-t-il écrit en arabe. Il a toujours voulu faire connaître l'histoire, rapporter ce qui se passait sur le terrain. Il y a environ un an, Hossam écrivait : « Avant que le génocide ne commence, j'étais un jeune étudiant qui étudiait le journalisme. J'étais loin de me douter qu'on me confierait l'un des emplois les plus difficiles au monde : couvrir le génocide de mon propre peuple ».

En octobre 2024, l'armée israélienne a inscrit Hossam et cinq autres journalistes palestiniens sur une liste de personnes à abattre. Hossam a régulièrement reçu des menaces de mort par téléphone et par SMS. Depuis près d'un an et demi, nous assistons à une campagne systématique de l'armée israélienne visant à tuer des journalistes palestiniens et des membres de leur famille. Hossam laisse derrière lui sa sa mère bien-aimée et son peuple, dont il s'efforçait inlassablement de représenter et de protéger la vie.

Au cours de cette campagne d'assassinats sans précédent contre les journalistes, le silence de tant de nos collègues des médias occidentaux est une tache sur la profession. La Fédération internationale des journalistes a publié une liste nominative des nombreux journalistes et professionnels des médias qui ont été tués ou blessés dans la bande de Gaza. Dans un monde juste, ceux qui ont aidé à tuer Hossam - et tous nos collègues palestiniens - seraient traduits en justice et jugés pour leurs crimes. Nous appelons tous les journalistes à élever la voix pour exiger la fin de l'assassinat de nos collègues palestiniens qui ont risqué, et souvent donné, leur vie pour que la vérité elle-même puisse vivre.

Le dernier message de Hossam était le suivant : « Je vous le demande maintenant : ne cessez pas de parler de Gaza. Ne laissez pas le monde détourner le regard. Continuez à vous battre, continuez à raconter nos histoires, jusqu'à ce que la Palestine soit libre ».