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05/12/2024

GIDEON LEVY
Même l'ancien chef de l'armée israélienne mérite un peu de pitié



Une femme palestinienne déplacée transporte son chat de Beit Lahia à Jabalya, à Gaza, mercredi.

Gideon Levy, Haaretz,  5/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


La haine de Benjamin Netanyahou fait des merveilles.
Elle rend les gens fous. Son effet est alchimique, transformant des personnes responsables de crimes de guerre en opposants aux crimes de guerre. Néanmoins, il faut les accueillir, quelles que soient leurs motivations. Quiconque découvre soudain la vérité sur ce qu'Israël fait aux Palestiniens et ose le dénoncer publiquement apporte une contribution importante à la lutte désespérée contre l'apartheid et l'occupation.
Même Moshe Ya'alon devrait être félicité pour ses remarques sur le nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza. Lorsque l'ancien chef d'état-major et ministre de la Défense, faucon par excellence, parle de nettoyage ethnique, c'est sensationnel. Il n'est pas facile de le qualifier de traître, mais la machine de propagande s'y emploie déjà.

Moshe Ya'alon lors d'une manifestation devant la résidence privée du premier ministre, en octobre. Photo Yair Gil

Mais Israël n'a pas besoin d'eux : même le président Isaac Herzog et le président de l'opposition Yair Lapid ont été mis à contribution pour insister sur le fait qu'aucune expulsion n'était en cours à Gaza. Nettoyage ethnique ? De quoi vous parlez ?
En fait, des centaines de milliers de personnes sont poussées dans des convois interminables de personnes déplacées et des ministres déclarent qu'ils ne retourneront jamais dans leurs maisons, qui ont été systématiquement détruites, de toute façon - mais il n'y a pas de nettoyage ethnique. Le sang, c’est de l'eau et les ruines un mirage.
Que ce soit parce qu'il n'a rien à perdre politiquement, parce que son dégoût de Netanyahou l'a rendu fou ou parce qu'il est réellement choqué par ce qui se passe à Gaza, le bref acte de bravoure de Ya'alon n'est allé qu'à mi-chemin.
Il a rapidement précisé qu'il n'accusait pas les militaires de nettoyage ethnique. Les ministres Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ainsi que l'activiste de droite Daniella Weiss sont les coupables. L'expulsion est de leur fait, pas de celui de l'armée.
Il a même écrit que « le gouvernement a le droit de décider d'évacuer les Arabes de Gaza et de la coloniser avec des Juifs ». Ya'alon est le dernier des vieux de la vieille, dont les valeurs n'ont pas changé : le gouvernement a le droit de commettre des crimes contre l'humanité.

Une femme porte le corps de son enfant tué lors d'une frappe israélienne sur le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Photo : Eyad Baba/AFP


Il en est ainsi pour quelqu'un dont la carrière a été fondée sur des crimes de guerre et des violations du droit international. Un homme qui a été commandant de la division de Judée et Samarie et chef du commandement central de l'armée - des fonctions dont l'objectif est de préserver et de renforcer une occupation qui est criminelle à la base - puis chef d'état-major et ministre de la défense d'une armée d'occupation ne peut pas se libérer de son passé.
Cela ne change pas, même lorsqu'il ose dire que « Tsahal n'est pas l'armée la plus morale aujourd'hui ». Soudain, Tsahal a chuté dans le classement moral de Ya'alon. Mais cela signifie qu'elle était la plus morale jusqu'à ce que Smotrich et Ben-Gvir arrivent et changent la donne. Quelle honte !

Des Palestiniens, déplacés de Beit Lahia, arrivent à Jabalya mercredi. Photo Omar Al-Qattaa/AFP

En 2015, alors que Ya'alon était ministre de la Défense, il a interdit les activités de l'ONG Breaking the Silence dans l'armée. Cela signifie que les soldats n'étaient plus autorisés à entendre les récits de crimes de guerre de leurs pairs. De là à l'épuration ethnique, le chemin est court. Ya'alon, qui admet que le nettoyage ethnique existe, accuse l'extrême droite. Non, Ya'alon, l'armée n'est pas innocente. Pas un instant.


Le ministre des finances Bezalel Smotrich s'exprime lors d'une conférence en octobre, destinée à encourager la colonisation future de la bande de Gaza, Photo Tomer Appelbaum

Les Smotrich poussent au crime, mais l'armée exécute allègrement, sans hésiter, sans poser de questions, des ordres contraires à l'éthique. Mais ce n'est pas seulement le cas aujourd'hui ou hier. Cela s'est produit sous le commandement de Yaalon lors de l'opération « Bouclier défensif » de 2002, et avant et après.
Il est vrai que l'ampleur des crimes a atteint cette fois-ci des niveaux sans précédent depuis au moins la première Nakba. Mais l'essence morale, qui veut que nous soyons autorisés à faire tout ce qu’on veut aux Palestiniens, est la même. Ya'alon leur a fait n'importe quoi, même sans Smotrich, et les militaires leur ont fait n'importe quoi avant Netanyahou.

Une enseignante donne un cours à des enfants dans une salle de classe très endommagée à Khan Younès. Photo Bashar Taleb/AFP

Vous ne pouvez plus prétendre qu'il n'y a pas moyen de séparer la responsabilité des dirigeants civils de celle des militaires. C'est un refuge pour les personnes qui se mentent bêtement à elles-mêmes et aux autres. Lorsque des soldats maltraitent régulièrement des Palestiniens innocents à Hébron, comme l'a révélé un récent rapport de B'Tselem, et que des commandants militaires le permettent, c'est toute l'armée qui est responsable, et pas seulement Smotrich. Et qui procède à l'expulsion que Ya'alon a découverte ? Les soldats.
Dieu est miséricordieux envers ceux qui se repentent. Ya'alon a reconnu une partie de sa culpabilité et a nié le reste, et c'est pourquoi on lui pardonnera un peu. Ses mains resteront tachées du sang de l'occupation, à moins qu'il ne trouve le courage de comprendre que tout ça n'a pas commencé avec Smotrich.