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05/12/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Pourquoi les Israéliens n’ont aucune excuse de ne pas savoir ce qui se passe à Gaza

Un garçon blessé est évacué après une frappe israélienne dans la ville de Gaza . Photo Omar Al-Qattaa/AFP

La couverture de la guerre par les médias dominants israéliens est remarquablement conformiste et repliée sur elle-même, mais ce n’est pas la seule raison qui explique le manque de couverture de la mort et de la destruction à Gaza. Le public israélien a également fait un choix

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 4/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La récente décision du gouvernement israélien de couper tout contact avec notre journal est un coup alarmant porté à la couverture médiatique critique.
Dans le même temps, le gouvernement Netanyahou fait avancer avec énergie la législation visant à dissoudre le radiodiffuseur public israélien, Kan, qu’il juge depuis longtemps trop critique et trop indépendant. Al Jazeera est interdite en Israël depuis le mois de mai.
Ces mesures représentent des attaques autoritaires importantes, mais familières, contre la presse libre. Mais d’une certaine manière, elles ne font que détourner l’attention. Le problème le plus profond de la couverture israélienne de la guerre vient des médias eux-mêmes - et du public israélien.
(In)fameusement, les grands médias israéliens ont laissé un trou béant là où ils auraient dû couvrir les horreurs de la guerre à Gaza. Certains pensent même que si les Israéliens avaient vu plus d’horreurs chaque soir, ils n’auraient peut-être pas toléré les combats aussi longtemps.
Mais les gardiens des médias ont fait ce choix volontairement, et non sous la contrainte du gouvernement. En outre, après plus d’un an (et bien avant), ce qui passe à la télévision n’a plus d’importance : les Israéliens n’ont aucune excuse pour ne pas savoir.

Un Palestinien inspecte une école abritant des personnes déplacées après qu’elle a été touchée par une frappe israélienne, dans la ville de Gaza, mardi. Photo Mahmoud Sameer/Reuters

Les médias au service du moral des troupes
La mobilisation volontaire des médias israéliens est bien antérieure à la guerre actuelle et résulte d’une histoire de collusion avec le gouvernement plutôt que d’un contrôle direct de l’État. Dans la Palestine mandataire, les rédacteurs en chef des journaux sionistes se sont réunis pour coordonner la manière de présenter aux autorités coloniales britanniques les meilleurs arguments en faveur de la création d’un État.
Ce que l’on a appelé le « comité des rédacteurs »  a perduré après l’indépendance. À l’époque, les rédacteurs travaillaient main dans la main avec les dirigeants politiques pour recevoir des secrets de choix, tout en décidant collectivement de ce qu’il valait mieux ne pas rendre public.
Le comité des rédacteurs n’existe plus, mais la télévision, la radio et les journaux israéliens sont remarquablement conformistes et repliés vers l’intérieur, vers Israël, dans leur couverture de la guerre. Le gouvernement n’a pas à dire aux rédacteurs en chef de la télévision ce qu’ils doivent faire. Même la censure militaire n’est qu’un obstacle modéré (voir l’enquête de Local Call et de +972 Magazine sur la sélection des cibles par l’IA  israélienne, qui a passé la censure et fait des vagues dans le monde entier).
Mais il est trompeur de conclure que les Israéliens ont simplement succombé à la négligence de Gaza dans les reportages télévisés grand public.
D’une part, les critiques israéliens ont eux-mêmes remarqué le problème. Les auteurs de Haaretz ont bien sûr abordé les échecs des médias en temps de guerre. Dans The Seventh Eye, une publication de surveillance des médias, Chen Egri a écrit sur le manque de couverture de Gaza https:/www.the7eye.org.il/520983, notant que c’est principalement Haaretz et Local Call qui publient une couverture extensive des dégâts à Gaza, en hébreu.

Une femme palestinienne est embrassée alors qu’elle réagit sur le site d’une frappe israélienne sur une école abritant des personnes déplacées, dans la ville de Gaza, mardi. Photo Mahmoud Sameer/Reuters

Les critiques ne se limitent pas à la gauche. Amnon Levy, l’un des correspondants les plus influents et les plus appréciés de la télévision israélienne grand public, a récemment écrit dans Ynet - un portail d’information centré sur le grand public - que les journalistes « sont confrontés à un dilemme : montrer les atrocités de la guerre ? L’abandon des otages ? Les destructions que nous avons causées à Gaza ? Sur les jeunes qui quittent le pays ? ... Si nous ne les montrons pas, nous trahissons notre mission ». Mais il conclut que les grandes chaînes de télévision ont surtout choisi cette dernière voie.
Shai Lahav est un documentariste chevronné et un chroniqueur du Maariv, dont le travail comprend des séries télévisées diffusées sur Kan 11, la chaîne financée par l’État. Il écrit également des pièces de théâtre et des paroles de chansons et s’intéresse de près à la culture populaire et aux médias.
Dans un article publié en juin, il a reproché aux chaînes de télévision israéliennes de ne pas montrer davantage les destructions à Gaza. Il a souligné dans une interview qu’il se situait au centre de l’échiquier politique et qu’il n’était pas un « suspect habituel » de la gauche, et que sa foi en une résolution pacifique du conflit a été ébranlée après le 7 octobre.
Mais Lahav pense qu’Israël est handicapé par le fait de ne pas voir ce que le monde entier sait, comme la controverse mondiale sur le raid des Forces de défense israéliennes pour sauver quatre otages en juin, où des centaines de Palestiniens ont été tués.
Lundi, Lahav a attiré l’attention sur un rapport du New York Times exposant une importante base militaire en cours de construction dans le centre de la bande de Gaza, qui semble étrangement permanente. Haaretz a enquêté et publié cette histoire des semaines auparavant, mais où est le reste des grands médias israéliens ? Les Israéliens qui ne lisent peut-être pas le New York Times ne devraient-ils pas être informés par des sources locales ?
Lahav pense que les journaux télévisés devraient au moins inclure des émissions spéciales, peut-être dans les éditions les plus longues du week-end, sur la situation à Gaza. Il faut que cela vienne aussi des Palestiniens, et pas seulement de ceux qui disent « Nous détestons le Hamas » », a-t-il déclaré, faisant référence à la tendance des journaux télévisés israéliens à mettre l’accent sur les critiques palestiniennes du Hamas (ou sur la haine arabe du Hezbollah). Le fils de Lahav a effectué son service de réserve à Gaza et dans le nord du pays, tandis que lui-même a servi lors de la première intifada. Fort de ces expériences, il est convaincu que « l’obligation de connaître toutes les parties est plus importante que jamais ».

De nombreuses sources

Mais quelles que soient les faiblesses des grands médias israéliens, ils ne racontent tout simplement pas toute l’histoire. Selon les rapports d’évaluation, environ 40 % des Israéliens, dans le meilleur des cas, regardent les principaux programmes d’information télévisés. En revanche, l’Association israélienne de l’Internet a constaté que 89 % des Israéliens ont utilisé l’Internet en 2022 et 2023, et que 78 % utilisent les médias sociaux - Israël se classe cinquième sur 19 pays développés pour ce qui est de ces derniers, selon le prestigieux Pew Research Center. Il est impossible que les Israéliens soient exclusivement nourris à la cuillère par des informations télévisées maladroites.

Des Palestiniens déplacés s’abritent dans une école à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, mardi. Photo Hatem Khaled/Reuters

Tehilla Shwartz Altshuler, spécialiste du droit et de la politique des médias à l’Institut israélien de la démocratie, a noté que les Israéliens ne recherchent pas seulement des opinions en chambre d’écho sur ces applications, mais aussi des informations concrètes.
C’est particulièrement vrai pour Telegram, où les gens peuvent rejoindre des canaux qui sont personnalisés, notoirement non censurés et non régis par un algorithme. Les Israéliens les utilisent déjà largement pour renforcer leur attitude militante ou intransigeante. Au grand dam de l’armée, des soldats ont fièrement documenté leurs propres excès à Gaza sur leurs comptes de médias sociaux.
Mais les médias sociaux offrent tous les types d’informations, accessibles avec de la curiosité et quelques clics. Les juifs israéliens ne connaissent peut-être pas les Palestiniens de Gaza crédibles à suivre sur Instagram, et ne voient peut-être pas les articles les plus graphiques, mais beaucoup d’entre eux obtiennent des informations qui vont bien au-delà des news israéliennes traditionnelles.
Shwartz Altshuler est fascinée par une chaîne appelée Abu Ali Express, dirigée par un Israélien anonyme dont les informations sur le monde arabe - et les Palestiniens - se sont avérées fiables à plusieurs reprises. Il est également controversé, puisqu’il a été engagé pour conseiller les FDI sur leurs opérations psychologiques concernant ces questions. En 2022, Haaretz a révélé son nom [Gilad Cohen] et a indiqué que son contrat de consultant avec les FDI avait pris fin au début de l’année 2022. Lorsqu’il a finalement accordé une interview à Israel Hayom cet été (en insistant toujours sur l’anonymat), il n’avait rien d’un  gauchiste.
Elle note que les gens peuvent en apprendre beaucoup plus sur Gaza, le Liban et le Moyen-Orient ici que dans les journaux télévisés israéliens. « Vous êtes exposés à beaucoup plus de matière première, et donc à plus d’informations en provenance de Gaza qui sont basées sur des sources locales, des sources arabes, et qui ne dépendent pas uniquement des [reporters israéliens] embarqués ».
Avec plus d’un demi-million d’abonnés, explique-t-elle, son audience rivalise avec celle d’une chaîne de télévision traditionnelle. Malgré son implication dans les forces de défense israéliennes, l’objectif qu’il poursuit - y compris les informations détaillées en provenance de Gaza - est bien plus large que les informations télévisées du soir. « L’idée que les Israéliens ne connaissent Gaza que par les médias traditionnels n’est pas correcte », affirme-t-elle.
En conséquence, malgré le discours sur l’absence de couverture médiatique de Gaza, une enquête de l’Institut israélien de la démocratie réalisée en avril a révélé que 84 % des Israéliens ont déclaré avoir vu de nombreuses ou quelques « images ou vidéos montrant les destructions massives à Gaza ».

Un bâtiment détruit à la suite d’une frappe israélienne dans le quartier Sabra de la ville de Gaza, mardi. Photo Omar Al-Qattaa/AFP

Savoir et ne pas savoir
Avec autant de sources d’information disponibles, le problème est peut-être plus psychologique que technique. Personne au monde ne serait capable de tourner la page sur le 7 octobre [ni sur la Nakba ni sur les innombrables guerres menées par Israël, NdT]. Les Israéliens peuvent voir des vidéos de Gaza sur Telegram et, en même temps, ils consomment beaucoup de médias grand public qui couvrent chaque Israélien blessée, l’histoire de chaque otage et les funérailles de chaque Israélien tué.
Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait que les journaux télévisés du soir pouvaient faire de mal, Lahav a fait remarquer que malgré certaines distinctions entre les chaînes d’information télévisées, « il n’est question que de nos souffrances... on n’entend pas un mot de la partie gazaouie. C’est absurde ». Et il a fait allusion à quelque chose que j’ai moi aussi expérimenté : une certaine aliénation par le chagrin. « Je connais beaucoup de gens qui ne peuvent plus regarder [les reportages sur le deuil], parce qu’ils n’en peuvent plus », dit-il.
Les émissions de radio du matin couvrent souvent les funérailles de la veille, tandis que les bulletins d’information de fin de soirée présentent les funérailles du jour même. Entre les deux, de longs entretiens avec les familles endeuillées donnent aux auditeurs moins de temps pour obtenir davantage d’informations. Je suppose qu’ils développent également une plus grande résistance personnelle à l’empathie envers les Palestiniens.
Les sondages montrent régulièrement que la majorité des Palestiniens n’ont pas vu les vidéos des atrocités du 7 octobre, ne croient pas qu’elles se sont produites et pensent que l’attaque du Hamas était justifiée. [le compte rendu du sondage par le Centre palestinien de recherche sur la politique et les sondages ne dit rien de tel. Lire un extrait de leur communiqué à la fin de cet article, NdT]
Mark Lilla, spécialiste des sciences humaines à l’université de Columbia, consacre un livre à paraître à « ne pas vouloir savoir » , ce qui est le sous-titre même de son ouvrage
[Ignorance and Bliss: On Wanting Not to Know - Ignorance et béatitude : De la volonté de ne pas savoir]. Dans un essai publié par le New York Times, il évoque la tendance moderne à s’accrocher à des opinions indiscutablement erronées ou à refuser de renoncer à notre ignorance. Son livre traite de l’humanité, et non d’Israël, de sorte que les Israéliens ne sont certainement pas uniques.
Mais Lilla insiste sur le fait qu’en matière de recherche de la vérité, « nos vies sont en jeu » - un argument qui est bien plus angoissant sur un champ de bataille ensanglanté. Les Israéliens doivent commencer à prendre la responsabilité de savoir, car quelque part, des vies en dépendent.

NdT
« Soutien à l'attaque du 7 octobre : une fois de plus, les résultats montrent un déclin du soutien global à l'offensive du Hamas du 7 octobre. La baisse, de 13 points de pourcentage, est significative à la fois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais plus encore dans cette dernière où la baisse est de 18 points, s'établissant aujourd'hui à 39%. Dans notre précédent sondage, la baisse de l'opinion positive sur l'attaque du 7 octobre s'élevait à 14 points de pourcentage. Il est important de noter que le soutien à cette attaque ne signifie pas nécessairement un soutien au Hamas et ne signifie pas non plus un soutien aux meurtres ou aux atrocités commises contre les civils. En effet, près de 90 % du public estime que les hommes du Hamas n'ont pas commis les atrocités décrites dans les vidéos prises ce jour-là. Le soutien à l'attentat semble toutefois provenir d'un autre motif : les résultats montrent que plus de deux tiers des Palestiniens estiment que l'attentat a placé la question palestinienne au centre de l'attention et a mis fin à des années de négligence aux niveaux régional et international. »
Source :
Palestinian Center for Policy and Survey Research,
Press Release: Public Opinion Poll Nr. 93, 17/9/2024 

13/06/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Une véritable opposition va-t-elle se lever ? Y aura-t-il quelqu’un pour essayer de sauver* Israël de Netanyahou, de la guerre sans fin et de l’isolement ?

 Dahlia Scheindlin, Haaretz, 10/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le départ sans surprise de Benny Gantz du gouvernement Netanyahou ne renforcera pas l’opposition, car Israël en possède à peine une digne de ce nom. C’est une mauvaise nouvelle pour qui veut mettre fin à la guerre à Gaza et au conflit israélo-palestinien


L’ancien ministre israélien Benny Gantz après avoir annoncé sa décision de quitter le cabinet de guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou, dimanche à Ramat Gan. Photo : Nir Elias/Reuters

Benny Gantz a fait les dernières unes politiques en Israël en annonçant dimanche soir son départ de la coalition d’urgence de guerre, sans surprendre personne.

Le pays est encore sous le choc – cette fois de bonheur – après le sauvetage de quatre otages de Gaza samedi. Les médias israéliens sont occupés à rendre compte du sauvetage triomphal tout en se contorsionnant pour éviter de mentionner que les forces israéliennes ont tué des centaines de Palestiniens lors du raid , dont de nombreux civils. Lundi, l’actualité s’est déplacée vers le projet de loi sur le service militaire pour les Haredim [orthodoxes religieux] et Gantz est devenu un thème de une parmi d’autres,  , distrayant Israël des plus grands dilemmes d’aujourd’hui et de demain.

Gantz voulait rendre les élections inévitables, surtout avant le vote clé sur le projet Haredi de lundi. Il a tenté de déclencher une dynamique politique en appelant le ministre de la Défense Yoav Gallant à se joindre à lui et à se rebeller contre le Premier ministre Netanyahou au sein du Likoud, car le départ de Gantz ne peut à lui seul provoquer des élections anticipées.

Mais même si les factions se rapprochent, cela aura-t-il une quelconque importance ? Si Gantz est l’espoir, il n’y a pas de véritable opposition en Israël aujourd’hui : pas de compétition sur les idées ou les voies pour l’avenir, ni sur les principes du type de pays qu’Israël devrait être.

Gantz s’est présenté lors de cinq scrutins, mais n’a réussi à rien promettre concernant le plus grand problème du pays : l’occupation [des territoires palestiniens depuis 1967] et le conflit israélo-palestinien. Honte à quiconque estime que cela aurait été une erreur stratégique de la part de Gantz de clarifier ses positions au cours de ses cinq années dans la politique israélienne. Personne n’aurait dû avoir besoin de la guerre actuelle pour savoir à quel point c’était une erreur mortelle et impardonnable de « gérer le conflit » et de mettre la question de côté pendant toutes ces années.


Morad Kotkot, Palestine, 2022

Quel est aujourd’hui l’attrait électoral de Gantz auprès du public ? Dimanche, il a déclaré qu’il quittait le gouvernement parce que Netanyahou a donné la priorité à sa survie politique avant le bien du pays et n’a donc pas réussi à prendre les bonnes décisions – ou aucune des décisions fondamentales – en conséquence.

02/02/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Les alliés de Netanyahou veulent utiliser l’aide à Gaza comme rampe de lancement pour l’occupation et l’annexion de la bande de Gaza

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 1/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Dre. Dahlia Scheindlin est une chercheuse usaméricano-israélienne en opinion publique  et une conseillère politique qui a travaillé sur huit campagnes nationales en Israël et dans 15 autres pays. Elle est actuellement chargée de mission à la Century Foundation, co-animatrice du podcast The Tel Aviv Review, et du podcast Election Overdose au journal Haaretz. Son plus récent ouvrage s’intitule The Crooked Timber of Democracy in Israel : Promise Unfulfilled [Le bois tordu de la démocratie en Israël : promesses non tenues] (De Gruyter, 2023).@dahliasc

Permettre à Israël de distribuer de l’aide humanitaire par la mise en place d’un gouvernement militaire, c’est aller tout droit vers la reproduction du cauchemar en Cisjordanie, la fusion de la violence des colons et de la violence militaire contre les Palestiniens par un État autoritaire.



Aide humanitaire au compte-gouttes, par Amorim, Brésil

Lorsque le ministre des Finances Bezalel Smotrich a accordé une interview à Channel 12 la semaine dernière, il ne lui a fallu que quelques secondes pour exposer l’étonnante voie qu’Israël - ou du moins certains décideurs influents - est en train de tracer pour l’avenir.

« Nous ne devons pas laisser l’aide entrer par l’intermédiaire de l’UNRWA... afin de respecter le droit international... nous ferons entrer l’aide et la distribuerons nous-mêmes ».

Lorsque les animateurs ont fait valoir le danger que cela représenterait, il a déclaré, en ralentissant pour faire effet : « Écoutez ce que je dis : Il. y. aura. Un gouvernement militaire à Gaza. Parce que tout le monde est d’accord pour dire que nous devons rester à Gaza et la contrôler militairement, et qu’il n’y a pas de contrôle militaire sans contrôle civil ». Cette dernière partie a été prononcée si rapidement que c’est comme si Smotrich espérait qu’elle allait nous échapper.

Cet échange d’une dizaine de secondes contient de nombreux éléments. Tout d’abord, Smotrich affirme qu’Israël devrait se conformer au droit international en trouvant un moyen d’acheminer l’aide humanitaire à Gaza. Le monde entier considérera probablement qu’il s’agit là d’un pas dans la bonne direction.

Mais ce qui se passe aujourd’hui détermine le cours de l’avenir ; c’est une règle empirique en ce qui concerne les relations israélo-palestiniennes.

La proposition de distribution de l’aide par Israël semble bonne à première vue, jusqu’à ce que l’on considère les trois objectifs déclarés de Smotrich : premièrement, le contrôle permanent d’Israël sur Gaza après la guerre ; deuxièmement, le contrôle israélien sera mis en œuvre par le biais d’un régime militaire ; troisièmement, ce gouvernement militaire exercera un contrôle à la fois militaire et civil.

Comme je l’ai déjà fait remarquer, il n’existe pas, dans la pratique, de contrôle militaire israélien sur les Palestiniens qui n’entraîne pas, en fin de compte, un contrôle civil. La fiction des zones A, B et C en Cisjordanie - qui veut que les Palestiniens contrôlent les affaires civiles dans environ 40 % de la région (A et B) conformément aux accords d’Oslo - signifie simplement qu’Israël influence tous les aspects de la vie des Palestiniens, mais refuse de ramasser les ordures ou de fournir des services de santé et des prestations sociales.

Smotrich tente donc de tirer parti de la catastrophe humanitaire à Gaza, des ordonnances de la Cour internationale de justice et de quelques cajoleries usaméricaines pour faire entrer l’aide humanitaire, pour lancer l’occupation-annexion future de Gaza, avec une forte probabilité d’exode massif des Palestiniens dans l’intervalle.

Il n’est pas membre du cabinet de guerre - mais pensez à l’effet de ruissellement. Il a planté la graine et, comme le rapporte Haaretz aujourd’hui, Smotrich affirme maintenant que Netanyahou a demandé à l’armée d’examiner cette possibilité.

En début de semaine, des fuites concernant une réunion d’information du ministre de la Défense Yoav Gallant pour la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset ont révélé des positions contradictoires : la chaîne publique Kan a rapporté que Gallant avait déclaré qu’un “acteur gazaoui dirigerait la bande de Gaza après la guerre. Mais Ynet a rapporté qu’il avait déclaré : « Il est tout à fait clair que le Hamas ne gouvernera pas à Gaza, Israël gouvernera militairement, mais pas civilement ». Peut-être que Gallant s’est convaincu lui-même de la fausse séparation. Son bureau n’a pas répondu aux demandes de clarification.


Des femmes palestiniennes déplacées se rassemblent sur une dune au-dessus d’un camp de fortune à la frontière égyptienne, à l’ouest de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en janvier.

La colonie juive de Migdalim près de Naplouse en Cisjordanie, 2022. Photo : Ariel Schalit /AP

Cette semaine, la raison pour laquelle les marginaux-radicaux ne devraient jamais être rejetés est apparue clairement. Historiquement, c’est une bande de danseurs et d’activistes divinement inspirés qui se sont installés au Park Hotel d’Hébron pour un seder de Pessah en 1968 et qui ont formé le noyau de ce qui est devenu plus tard Kiryat Arba, et le mouvement de colonisation.