Ana Ionova, The New York Times, 15/8/2023
Jack Nicas a contribué au
reportage à Rio de Janeiro.
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Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
Xuxa [prononcer “Choucha”] était autrefois la plus
grande star de la télévision brésilienne. Aujourd’hui, beaucoup se demandent si
une femme blanche, blonde et mince était l’idole idéale pour un pays aussi
diversifié.
Maria da Graça Xuxa Meneghel, 60 ans, connue sous le
nom de “Xuxa”, chez elle à Rio de Janeiro ce mois-ci. Photo : Maria
Magdalena Arrellaga pour le New York Times
Des millions de Brésilien·nes ont grandi en la regardant à la
télévision. Ses spectacles faisaient salle comble dans les plus grands stades d’Amérique
latine. Elle avait des films et des chansons à succès, ses propres poupées et
son propre parc d’attractions.
Dans les années 1980 et 1990, Maria da Graça Xuxa Meneghel,
connue universellement sous le nom de Xuxa était la plus grande star de la
télévision brésilienne. Des générations d’enfants passaient leurs matinées à la
regarder jouer, chanter et danser pendant des heures dans son émission de
variétés extrêmement populaire.
« J’étais une poupée, une baby-sitter, une amie pour ces
enfants », a déclaré Xuxa, 60 ans, lors d’une long entretien. « Une
Barbie de l’époque ».
« Elle était venue dans une voiture rose. Moi, je suis
venue dans un vaisseau spatial rose ».
Comme la célèbre poupée, Xuxa est mince, blonde, blanche et
aux yeux bleus. Dans son émission pour enfants, elle portait souvent des minijupes
et des cuissardes lorsqu’elle sortait d’un vaisseau spatial estampillé de
lèvres rouges géantes. Et comme Barbie, elle est devenue une idole pour ses
fans, qui ont grandi en voulant ressembler à Xuxa et à sa troupe de danseuses
adolescentes toutes blanches, les “Paquitas”.
Mais aujourd’hui, le Brésil est en train de vivre une sorte de
remise en question de la vraie Barbie, et Xuxa est au centre de cette remise en
question, en partie grâce à une nouvelle série documentaire sur elle qui est
devenue une sensation nationale et qui a relancé les débats sur la diversité,
les normes de beauté et la sexualisation dans son spectacle [Le journaliste
Bruno Ghetti, dans la Folha de S. Paulo,
voit dans cette série de GloboPlay une tentative plutôt ratée de “vendre l’ex-symbole sexuel
comme icone féministe”, NdT]
Beaucoup, y compris Xuxa elle-même, se demandent si l’idéal
étroit qu’elle représentait a toujours été une force positive dans un pays où
la population est majoritairement noire et où un débat national s’engage sur ce
qui est considéré comme beau et qui a été effacé de la culture populaire.
« À l’époque, je ne voyais pas ça comme une erreur.
Aujourd’hui, nous savons que c’est mal », dit Xuxa à propos de la norme de
beauté qu’elle représentait pour la jeunesse brésilienne.

Xuxa dans Xou de Xuxa, son émission de télévision sur le réseau Globo
dans les années 1980. Elle dit regretter aujourd’hui les
normes de beauté qu’elle représentait. Photo : 4Imagens/Getty
Images
Sous son règne, qui a coïncidé avec l’expansion économique du
Brésil, les taux de chirurgie plastique ont grimpé en flèche pour devenir les
plus élevés au monde, et de nombreuses personnes sont passées sous le bistouri
alors qu’elles n’étaient encore que des adolescentes. Mais le Brésil et ses sentinelles
culturelles adoptent de nouvelles définitions de la beauté qui célèbrent les
boucles naturelles, les corps galbés et les teintes de peau plus foncées.
L’absence de visages noirs dans les spectacles de Xuxa « a
infligé de profondes blessures à de nombreuses femmes au Brésil », dit
Luiza Brasil, qui a écrit un livre sur le racisme dans la culture, la mode et
la beauté brésiliennes.
Dans la série, Xuxa attribuait en grande partie les problèmes
de son émission à son patron de longue date et à la culture de l’époque. Mais
dans l’interview qu’elle a accordée au New York Times, elle a assumé une
plus grande responsabilité et a déploré la marque qu’elle a pu laisser sur les
jeunes téléspectatrices qui ne lui ressemblent pas. « Mon Dieu, quel
traumatisme j’ai mis dans la tête de certains enfants », dit-elle
« Ce n’est pas moi qui ai pris la décision. Mais je l’ai
approuvée. Je l’ai signée ».
Tout le monde était fasciné par elle
Lorsque Xuxa, âgée de 23 ans, a obtenu sa propre émission
nationale pour enfants en 1986, diffusée six matins par semaine, elle a connu
un succès immédiat. Son émission réunissait quelque 200 enfants dans un décor
coloré et endiablé, avec des numéros musicaux, des concours et des mascottes à
taille humaine, comme un moustique nommé Dengue.
La télévision « était une petite boîte magique », dit
Xuxa. « Je faisais partie de cette magie ».
En tant que vedette de Globo, la plus grande chaîne de
télévision brésilienne, elle est devenue l’un des visages les plus connus du
pays, surnommée “la reine des petits”.
« Il y avait beaucoup de gens qui regardaient la même
chose », dit Clarice Greco, professeure à l’université Paulista qui étudie
la culture pop brésilienne. « Xuxa est devenu une franchise ».
Elle s’est lancée dans la musique et le cinéma, vendant plus
de 26 millions de disques et près de 30 millions de billets de cinéma,
pulvérisant ainsi les records du box-office brésilien. Les enfants se sont
empressés d’acheter les bandes dessinées, les tenues et les poupées de Xuxa,
qui ressemblaient étrangement à une autre blonde en plastique.
Xuxa à la télévision dans les années 1980. Elle a été la
plus grande star de la télévision brésilienne. Photo : 4Imagens/Getty
Images
« Tout le monde était fasciné par elle », dit Ana
Paula Guimarães, qui a battu des milliers d’autres filles pour devenir une
Paquita.
Après avoir conquis le Brésil, Xuxa a appris l’espagnol et a
commencé à enregistrer des spectacles à Buenos Aires et à Barcelone. Au début
des années 1990, des dizaines de millions d’enfants regardent ses émissions en
portugais et en espagnol. Un journal français l’a classée parmi les femmes les
plus influentes du monde, aux côtés de Margaret Thatcher. Elle a eu une série d’amours
célèbres, dont Pelé et John
F. Kennedy Jr.
En 1993, Xuxa a tenté de créer une émission en anglais pour conquérir
le marché usaméricain, mais elle dit que ses difficultés avec la langue et son
emploi du temps chargé ont fait échouer le projet.
“Blanche, blonde, grande, longues jambes”
Alors qu’une grande partie de son public était composée de
Noir·es et de métis·ses, Xuxa était une descendante d’immigrés italiens,
polonais et allemands, ressemblant aux princesses et aux poupées qui inondaient
la culture populaire dans les années 1980.
« Je suis arrivée - blanche, blonde, grande, avec de
longues jambes. Je pense que c’est probablement la raison pour laquelle ça a
très, très bien fonctionné ».
Tout le monde n’était pas fan. Certains se sont plaints que
Xuxa était trop sexualisée pour être un modèle pour les enfants. Avant la
télévision pour enfants, elle avait posé pour Playboy. Des
universitaires et des militants noirs s’interrogeaient déjà sur le manque de
diversité de l’émission une fois qu’elle est devenue un succès, notamment dans un article du New York
Times de 1990.
Ces dernières années, l’internet a disséqué les pires moments
de Xuxa, comme le fait de dire que ses téléspectateurs préféraient les Paquitas
blondes, de porter une coiffe indigène et de dire à une fille qu’elle avait
perdu un concours dans son émission parce qu’elle avait “mangé trop de frites”.
Xuxa se produisant au carnaval de Rio de Janeiro en 2004.
Beaucoup, y compris Xuxa, se demandent si l’idéal
étroit qu’elle représentait a toujours été
une force positive dans un pays dont la population est majoritairement noire. Photo : Vanderlei
Almeida/Agence France-Presse - Getty Images
Xuxa dit qu’elle regrette ces commentaires, mais ajoute que le
problème le plus important était celui des normes de l’époque. « Dans les
années 1980, il était impossible de trouver un feuilleton où la femme de
chambre n’était pas noire », adit-elle.
« Ce n’est pas la faute du spectacle Xuxa »,
ajoute-t-elle. « Ce qui est en cause, c’est tout ce qui nous a été
transmis comme étant normal ».
Xuxa dit qu’elle était également soumise à des idéaux de
beauté cruels. « Depuis toute petite, j’ai été considérée comme un morceau
de viande », lance-t-elle. On lui a dit de perdre du poids, on l’a forcée
à recourir à la chirurgie plastique et on lui a interdit de se couper les
cheveux. « Une poupée doit avoir les cheveux longs », se
souvient-elle.
Lorsqu’elle est devenue mère, elle s’est coupé les cheveux en
signe de protestation. « Maintenant, je ne veux plus être une poupée »,
a-t-elle déclaré, arborant la coupe pixie platine qu’elle a depuis des années.
Xuxa ne s’est jamais considérée comme une féministe, mais elle
est tout de même devenue un symbole de l’émancipation féminine. Dans son
émission, qui était dirigée par une femme, elle disait aux filles qu’elles
pouvaient tout accomplir. Elle a dirigé un empire de plusieurs millions de
dollars tout en élevant sa fille en tant que mère célibataire. « Je n’ai
jamais pensé à me marier, je n’ai jamais cherché mon Ken », explique-t-elle.
Pour Xuxa, les parallèles avec Barbie ne s’arrêtent pas là. « Nous
étions deux gagnantes, deux femmes victorieuses à une époque où seuls les
hommes pouvaient faire quelque chose. Je pense que c’est plus qu’une question
de féminisme».
J’ai dû subir tout ça
Lorsque Xuxa est devenue célèbre, elle est devenue une
activiste par accident.
Elle aimait les animaux et s’est donc exprimée sur les droits
des animaux dans son émission. Elle a appris la langue des signes pour pouvoir
communiquer avec les téléspectateurs sourds. Et vêtue de costumes évoquant la
culture drag, elle est devenue une idole dans la communauté LGBTQ.
Aujourd’hui, après des décennies sous les feux de la rampe,
elle dit mieux comprendre l’influence qu’elle exerce et s’efforce de faire
progresser la représentation, la lutte contre le racisme et les normes de
beauté.
« J’ai commencé par défendre des causes sans
nécessairement savoir qu’il s’agissait de causes. Maintenant, j’ai vraiment
envie de le faire ».
Xuxa chez elle avec deux de ses animaux de compagnie. Photo : Maria
Magdalena Arrellaga pour le New York Times
La semaine dernière, lors d’un événement caritatif télévisé,
Xuxa est montée sur une scène illuminée avec ses deux successeures blondes de
la télévision brésilienne pour enfants. Les trois femmes ont entonné des
chansons qu’elles ont enseignées à des millions de personnes dans leur enfance.
Derrière elles, une douzaine de danseurs noirs tournoyaient et sautaient en
cadence.
La performance semblait être une démonstration d’inclusion
raciale. Mais sur la toile, les réactions ont été rapides, beaucoup
interprétant la réunion comme une célébration du blanchiment de la culture pop
brésilienne.
« Ces femmes sont toujours considérées comme l’idéal »,
commente Luiza Brasil, qui est noire. « Et nous sommes toujours en marge,
loin de cette beauté blonde, blanche, presque enfantine, qui nous blesse et
nous tourmente depuis si longtemps ».
Ces dernières années, la télévision brésilienne a fait des
progrès en matière de diversité. Les rôles principaux des trois principaux
feuilletons brésiliens sont tenus par des acteur·trices noir·es, et davantage
de programmes d’information et de politique sont animés par des présentateur·trices
noir·es.
Xuxa a déclaré que le débat sur son impact lui a appris
beaucoup de choses sur elle-même et sur la société. « Nous n’apprenons à
faire les choses correctement que lorsque nous voyons que nous sommes sur la
mauvaise voie. Je pense donc qu’il m’a fallu traverser tout ça pour en arriver
là ».