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12/09/2025

SERGIO FERRARI
Argentine. : une victoire électorale contre le sociocide de Milei

Sergio Ferrari, El Independiente, 11/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Avec près de 14 points d’écart, le dimanche 7 septembre, le péronisme-kirchnérisme a infligé dans la province de Buenos Aires le premier coup politique d’envergure au gouvernement de Javier Milei et à son projet antisocial. « Une raclée électorale », ont titré divers médias nationaux et internationaux, en commentant des résultats qu’aucun institut de sondage n’avait prévus.

Retraités en résistance, bordel

Près de deux ans après la victoire de Milei en 2023, l’élection des parlementaires provinciaux buenos-airiens constituait le test le plus significatif de l’état d’esprit politique de la population dans son ensemble.

La province de Buenos Aires, avec plus de 17 millions d’habitants – soit le double de la population de la Suisse –, regroupe presque un tiers de l’électorat argentin. Historiquement, les résultats de ce géant démographique de 307 000 km² (plus vaste que l’Italie) constituent l’un des indicateurs de référence des tendances électorales à l’échelle nationale.

Le prochain 26 octobre sera l’autre moment clé pour évaluer la marche du projet « anarcho-libertarien-antisocial » de Milei : les élections parlementaires nationales. Y seront élus la moitié des députés et un tiers des sénateurs. D’où l’importance du scrutin du 7 septembre dernier.

Des résultats sans appel

Fuerza Patria, qui regroupe les péronistes-kirchnéristes et leurs alliés, avec plus de 3 800 000 suffrages (47,3 % des voix), a été le grand vainqueur. Avec 2 700 000 voix (33,7 %), La Libertad Avanza de Javier Milei, qui a absorbé dans cette élection la Proposition Républicaine (PRO) de l’ancien président de droite Mauricio Macri, est arrivée en deuxième position. En d’autres termes, Milei a rassemblé dans ce scrutin tout l’éventail de la droite et de l’extrême droite.

Très loin derrière, avec un peu plus de 5 %, on trouve Somos Buenos Aires (un secteur de l’ancien Parti radical du centre), suivi en quatrième position par le Front de gauche et des travailleurs – Unité, qui a obtenu 4,7 % des voix. Une dizaine d’autres petites forces se sont situées en dessous de 2 % chacune, sans atteindre, ensemble, les 10 % des suffrages.

Deux conclusions principales

Au-delà de l’arithmétique et de la majorité parlementaire nette que les péronistes-kirchnéristes conserveront pendant quatre ans dans la plus grande province d’Argentine, deux principaux éléments d’analyse émergent comme conclusions provisoires.

En premier lieu, et c’est le plus évident, la victoire incontestable des péronistes-kirchnéristes sur La Libertad Avanza du président Milei. Plus globalement, on peut l’interpréter comme un rejet clair, par une majorité d’électeurs de Buenos Aires, du projet de rigueur antisociale radicale mis en œuvre par le dirigeant libertarien avec l’aval du Fonds monétaire international.

Si Milei est parvenu à un contrôle relatif de l’inflation, le coût social de son ajustement, le démantèlement accéléré de l’État social, la dépendance totale vis-à-vis du FMI, ainsi que son alignement aveugle sur Donald Trump et Benyamin Netanyahou (principaux référents de sa vision géopolitique) lui valent une lourde facture politique. À cela s’ajoutent le rejet populaire du négationnisme de Milei en matière de droits humains et de changement climatique, ainsi que la condamnation de la répression constante exercée par son gouvernement contre toute forme d’opposition, notamment contre les retraités qui, depuis des mois, mènent la contestation sociale dans les rues.

Par ailleurs, le triomphe de Fuerza Patria conduit à analyser les dynamiques internes de ce vaste ensemble politique péroniste-kirchnériste. Trois grands secteurs s’y croisent : celui d’Axel Kicillof (53 ans), actuel gouverneur de Buenos Aires, héritier du kirchnérisme mais revendiquant une autonomie de gestion ; le secteur kirchnériste mené par Cristina Fernández de Kirchner (72 ans), aujourd’hui proscrite, assignée à résidence mais toujours présidente du Parti justicialiste (péroniste) au niveau national ; et la mouvance centriste Renovación Peronista de l’ancien candidat  à la présidentielle Sergio Massa (53 ans).

Cependant, au-delà de ces forces structurées, le péronisme-kirchnérisme intègre une grande diversité de secteurs sociaux, ce qui complexifie encore davantage la conduite unifiée de ce large mouvement : les principales centrales syndicales du pays ; les mouvements sociaux urbains et ruraux ; les gouverneurs provinciaux péronistes – souvent porteurs de projets et d’intérêts propres, et disposés à négocier avec le gouvernement national – ainsi que les maires. À titre d’exemple, rien qu’à Buenos Aires, le péronisme a remporté le 7 septembre dernier près d’une centaine des 135 municipalités de la province, où l’on élisait également des conseillers municipaux et scolaires.

Une première lecture laisse penser que le grand gagnant de cette dynamique interne est Axel Kicillof, qui a imposé sa volonté d’avancer à septembre ce scrutin provincial, séparé des élections législatives d’octobre prochain. Les urnes ont montré que ce pari politique à haut risque était le bon. Cependant, la victoire du péronisme-kirchnérisme livre aussi une leçon essentielle : sans unité dans la diversité, il n’y a pas de victoire contre le projet de Milei.

Le grand défi des prochains mois et années consistera non seulement à maintenir cette fragile unité au sein du camp national et populaire, mais aussi à l’élargir à d’autres secteurs, afin que le succès enregistré à Buenos Aires puisse dépasser, à l’échelle nationale, les 50 % de soutiens électoraux – condition indispensable pour détrôner ce dangereux laboratoire de sociocide que met en œuvre le gouvernement Milei.

10/09/2025

RUBÉN KOTLER
Mes amis et collègues ne sont pas antisémites

Rubén Kotler, 7/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Rubén Kotler est un historien argentin, juif antisioniste, spécialiste de l’histoire récente de Tucumán, cofondateur de l’Association d’Histoire Orale de la République Argentine et coadministrateur du Réseau latino-américain d’Histoire Orale, coscénariste et responsable de la recherche historique du documentaire El Tucumanazo (sur les révoltes ouvrières-étudiantes de Tucumán). https://www.deigualaigual.net/

 

Le récit sioniste affirme que quiconque ose remettre en question Israël surfe sur la vague de l’antisémitisme global, déguisé en l’occurrence en antisionisme. Selon le narratif du puissant lobby sioniste, l’étiquette « antisémite » s’applique même à ceux qui défendent le droit à l’existence d’Israël tout en critiquant les actions militaires contre le peuple palestinien.
Je me meus dans un monde qui va du militantisme pur et dur à l’académisme en tous genres. En général, le militantisme de gauche brandit l’étendard de l’antisionisme. De nombreuses organisations politiques et sociales comptent parmi leurs rangs des militants d’origine juive.


Clarisa Lita Alberstein, dirigeante du MST, Front de gauche et des travailleurs – Unité, lors d'un rassemblement de solidarité à Tucumán, 30/8/2025

Dans le vaste monde universitaire, surtout latino-américain, il se passe quelque chose de similaire. Avec une présence institutionnelle plus ou moins forte, les voix critiques proviennent souvent, comme dans mon cas personnel, de professionnels d’origine juive qui, au sein même de l’université, disent : pas en mon nom.

Quand je vois des camarades, des amis et des collègues brandir les drapeaux de la Palestine dans des manifestations, activités, etc., ils ne s’attaquent pas au judaïsme en tant que tel, et lorsque j’écoute attentivement leurs discours, je ne trouve pas la moindre trace d’antisémitisme dans ces déclarations ou positions.

Voir de l’antisémitisme dans toute expression de soutien au peuple palestinien ou de critique de l’État d’Israël finit par banaliser la véritable haine antijuive qui existe aujourd’hui mais qui reste marginale. Ceux qui soutiennent aujourd’hui le sionisme et l’État juif  autoproclamé sont des secteurs de l’ultradroite mondiale, autrefois haineuse des juifs, comme les « Liberfachos » argentins, les Vox espagnols, les partisans d’Orbán en Hongrie, etc., etc..

Quand le cauchemar prendra fin, peut-être que les jeunes générations de juifs, nées au sein de familles judéo-sionistes, se réveilleront et rompront leurs attaches pour dénoncer haut et fort la défense d’un peuple comme le peuple palestinien, qui subit depuis plus d’un siècle persécution, oppression et bombardements.

Bien sûr, nous sommes rejetés par un autre secteur académique d’origine juive qui, malgré tout ce que nous voyons chaque jour, soutient et appuie Israël de manière inconditionnelle. Y compris dans certains milieux progressistes.

En dehors de tout cela, la question qui m’assaille immédiatement est : comment l’establishment judéo-sioniste communautaire définit-il l’antisémitisme, et pourquoi, dans tous les cas, refuse-t-il le débat public avec ceux d’entre nous qui avons une vision diamétralement opposée ? Même au sein des communautés islamiques, syro-libanaises, etc. (le monde arabe, musulman, islamique, etc., est aussi vaste que le monde juif ashkénaze ou séfarade), il existe une multitude de positions autour de la question palestinienne qu’il est impossible de cataloguer comme « antisémites », puisque la défense du peuple palestinien est la défense d’un peuple autochtone sémitique.

Pour être francs, ceux qui soutiennent aujourd’hui Israël pratiquent l’islamophobie la plus débridée et associent tout ce qui est musulman, islamique, arabe, etc., au terrorisme. Un drapeau palestinien, pour les caciques du monde occidental et chrétien, est synonyme d’un drapeau « terroriste ».

Je le répète : si le lobby sioniste, qui aime se présenter sous le masque de victime éternelle, veut débattre, qu’il le fasse. Mais qu’il cesse de parler au nom de l’ensemble des juifs et d’amalgamer termes et concepts pour justifier son adhésion au pire génocide du XXIᵉ siècle auquel nous assistons.

Quand le cauchemar prendra fin, peut-être que les jeunes générations de juifs, nées au sein de familles judéo-sionistes, se réveilleront et rompront leurs attaches pour dénoncer haut et fort la défense d’un peuple comme le peuple palestinien, qui subit depuis plus d’un siècle persécution, oppression et bombardements.

08/09/2025

SERGIO FERRARI
Argentine : investissements ou envahissements ?
Un an après le lancement du RIGI, peu de résultats et de mauvaises perspectives

Sergio Ferrari, El Cohete a la Luna, 7/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Depuis son lancement, le projet économique du gouvernement de Milei a misé sur l’ouverture de l’Argentine aux investissements étrangers, avec deux objectifs : faciliter l’entrée de grands capitaux et accélérer les exportations à court terme.

Le levier destiné à promouvoir l’arrivée de cet argent est le Régime d’Incitation aux Grands Investissements (RIGI), l’un des piliers de la “Loi de Bases et de  Point de Départ pour la Liberté des Argentins”. Il s’agit d’un paquet d’avantages fiscaux, douaniers et juridiques, d’une durée de trente ans, destiné à l’investissement privé étranger ou national dans les mégaprojets dépassant 200 millions de dollars. Selon le décret 749, qui a établi ce dispositif, le gouvernement anarcho-libertarien de Milei conçoit le RIGI comme « un outil pour attirer des investissements significatifs pour l’économie nationale, qui autrement ne se développerait pas ».

Les secteurs prioritaires sont : l’industrie forestière, le tourisme, l’infrastructure, l’exploitation minière, la technologie, la sidérurgie, l’énergie, le pétrole et le gaz. Le décret soutient que, dans le contexte actuel, les incitations accordées dans le cadre du RIGI contribueront à rendre « la reprise économique plus rapide, durable et pérenne ». Le délai d’adhésion à ce régime spécial d’encouragement du capital transnational expire en juillet 2026, mais le gouvernement pourrait le prolonger.

Alliance pour un contrôle citoyen

À l’occasion du premier anniversaire du RIGI, cinq organisations et institutions argentines — la Fondation Environnement et Ressources Naturelles (FARN), le Centre d’Études Légales et Sociales (CELS), l’Espace de Travail Fiscal pour l’Équité (ETFE), le Centre de Politiques Publiques pour le Socialisme (CEPPAS) et l’École de Politique et Gouvernement de l’Université Nationale de San Martín (EPYG/UNSAM) —, en collaboration avec le Transnational Institute (TNI), basé à Amsterdam, ont réalisé un premier bilan pluridisciplinaire.

Celui-ci s’intéresse aux résultats de l’application du RIGI, mais en prenant pour boussole les droits humains, la justice environnementale et la souveraineté territoriale. Publié en août par l’Observatoire du RIGI, ce rapport représente une contribution scientifique à portée internationale.


Luciana Ghiotto

Luciana Ghiotto, chercheuse associée au TNI et au CONICET (Conseil National de Recherches Scientifiques et Techniques, à l’UNSAM), explique que cette synergie entre diverses organisations nationales et internationales est cohérente avec « la tradition de travailler en collaboration avec des organisations du Sud global ». Elle rappelle des expériences similaires, comme en Colombie, où le TNI participe à la campagne internationale #Stoppons le Pouvoir des Transnationales.

En Argentine, dit-elle, « nous avons participé à la campagne contre l’Accord de Libre-Commerce (ALCA) entre 2003 et 2005, et il existe déjà une tradition de travail et d’analyse conjointe avec plusieurs organisations sociales et académiques qui forment aujourd’hui l’Observatoire du RIGI ».

La diversité des membres de l’Observatoire est une richesse, ajoute Ghiotto : « L’alliance s’est construite grâce à l’action d’organisations comme la FARN et le CELS, qui, dès 2024, ont joué un rôle actif dans les débats sur la Loi de Bases, dont fait partie le RIGI ». Ces débats ont cherché à mettre en évidence les impacts négatifs potentiels du régime sur l’environnement et les territoires.

Une fois la loi approuvée, poursuit-elle, « nous avons constaté la nécessité d’agir ensemble, à partir d’approches différentes, pour analyser les implications du RIGI ». Ce régime cherche à attirer des capitaux en offrant « des avantages fiscaux, douaniers, de change et de sécurité juridique » aux investisseurs. Chaque organisation de l’Observatoire apporte ses connaissances propres et sa capacité d’analyse sur les divers aspects du décret.

Bilan préliminaire : un RIGI en retard

Durant sa première année, le Régime d’Incitation a reçu 19 projets totalisant plus de 30 milliards de dollars. Sept d’entre eux, pour une valeur de 13,067 milliards de dollars, ont été approuvés, un a été rejeté et les autres sont encore à l’étude. Des chiffres cependant très éloignés des 40 milliards de dollars que Milei espérait attirer initialement.

Parmi les projets approuvés : deux concernent les hydrocarbures, deux l’exploitation minière, deux les énergies renouvelables et un la sidérurgie. D’après l’Observatoire, et selon une étude de l’Institut de Recherches Politiques de l’UNSAM et du CONICET, les principales initiatives dans le secteur des hydrocarbures visent la construction d’infrastructures d’exportation, concentrant les montants les plus élevés. Dans le secteur minier, le cuivre et le lithium dominent, avec des projets situés surtout dans les provinces de San Juan, Salta et Catamarca.



Le RIGI, précise Ghiotto, reflète l’orientation du gouvernement vers une réduction de l’intervention de l’État dans la gestion des biens communs, en donnant un rôle prépondérant au secteur privé. Cette vision est « alarmante », souligne-t-elle, car l’expansion des droits des investisseurs aura des répercussions sur la vie quotidienne des habitants des territoires concernés.

De plus, le RIGI ne prévoit aucun mécanisme de planification industrielle, ni de dispositions pour la protection environnementale ou sociale des écosystèmes et des communautés locales.

Quant à la création d’emplois, la promesse reste non tenue. Même dans les prévisions les plus optimistes du gouvernement, les investissements approuvés ne généreraient qu’un peu plus de mille emplois directs. Un chiffre encore plus limité en l’absence de plan d’industrialisation ou de développement de chaînes productives permettant un véritable impact économique durable pour les régions concernées.

Tout au service du grand capital

Selon le CELS, le RIGI s’inscrit dans la stratégie de Milei visant à « attirer des investissements extractifs grâce au démantèlement des protections légales des communautés autochtones et des producteurs locaux ».

Ainsi, « l’appareil d’État de sécurité est mobilisé pour contrôler les conflits socio-environnementaux par la surveillance, le suivi et la répression des résistances ».

Un exemple est la suppression par Milei de l’architecture institutionnelle qui protégeait les droits territoriaux des peuples autochtones. La principale mesure fut l’abrogation de la loi 26.160, adoptée en 2006, qui déclarait l’urgence territoriale autochtone, imposait au gouvernement de réaliser un recensement national des territoires communautaires et suspendait les expulsions.

Lorsque la loi a été abrogée fin 2024, moins de la moitié des territoires avaient été recensés. Le décret reconnaît l’existence de plus de 250 conflits territoriaux en suspens.

Autre cas critique relevé par le CELS : l’agriculture familiale. Dès son arrivée au pouvoir, Milei a licencié presque tous les employés de l’Institut National de l’Agriculture Familiale. Résultat : l’abandon des producteurs vivant dans des zones isolées, où seul cet organisme intervenait. En juillet 2025, Milei a abrogé par décret la plupart des articles de la Loi d’Agriculture Familiale Paysanne Autochtone, qui visait à renforcer ce secteur.

Cet abandon fragilise les producteurs et réduit leur capacité à résister aux tentatives d’expulsion, généralement initiées par de grands entrepreneurs locaux.

Le TNI alerte sur un autre danger : le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États (ISDS), qui élargit les droits des investisseurs au détriment des États et ouvre la voie à des arbitrages internationaux coûteux. L’Argentine en a déjà fait les frais.

Plusieurs entreprises liées au RIGI (Rio Tinto, Chevron, Shell, Pan American Energy, entre autres) ont largement utilisé ce mécanisme pour exercer des pressions ou poursuivre des États au nom de leurs intérêts et profits potentiels.

« La combinaison du RIGI et de ces entreprises », souligne le TNI, « configure un scénario à haut risque pour la souveraineté réglementaire, les finances publiques et la capacité de l’État à prioriser les intérêts sociaux et environnementaux ».


Le lithium et le cuivre parmi les secteurs les plus convoités par les investissements étrangers. Photo Litium Triangle South America.

Gouvernement affaibli et conjoncture instable

Dans leur analyse du contexte politique argentin, les six organisations de l’Observatoire estiment que les investisseurs internationaux attendront probablement la fin des élections législatives d’octobre 2025 (renouvellement de la moitié de la Chambre des Députés et des deux tiers du Sénat) avant d’engager de gros capitaux.

Si le plan économique échoue et que les résultats électoraux sont défavorables, Milei aura du mal à attirer les investissements souhaités.

À cela s’ajoutent des tensions sociales, l’absence de participation citoyenne, le manque de mécanismes de reddition de comptes et la criminalisation des communautés locales. Un cocktail préoccupant pour des projets extractifs qui peuvent durer jusqu’à trente ans.

 « La liberté du capital »

Pour Ghiotto, le projet économique de Milei et de son parti anarco-libertaire est clair : « c’est le projet de la liberté du capital », dont l’objectif est de « drainer des investissements vers le secteur primaire-extractif, car [les dirigeants] considèrent que l’Argentine n’a rien d’autre à offrir au monde que ses ressources naturelles, à très bas prix et sans restrictions ».

Le RIGI est donc un instrument central, accompagné d’un Commandement Unifié de Sécurité Productive qui garantit aux investisseurs non seulement la sécurité juridique, mais aussi la sécurité physique de leurs capitaux.

C’est pourquoi le plan de Milei n’admet aucune protestation qui pourrait entraver le libre déploiement du capital. La véritable épreuve viendra lorsque commenceront les mobilisations et résistances contre certains projets extractifs approuvés. Ce sera alors le moment de mesurer la pression et le chantage exercés par le grand capital pour préserver ses énormes perspectives de gains.

Enfin, la conclusion que tire Ghiotto pour la région est sans appel :

« De cette manière, le RIGI argentin peut servir d’avertissement pour le reste des pays latino-américains sur les risques de cette nouvelle vague de cadres normatifs “favorables” aux investissements, qui élargissent encore le champ de protection des Traités Bilatéraux d’Investissement. »

25/06/2025

JOSÉ STEINSLEGER
Les porte-flingues (idéologiques) de Javier Milei

José Steinsleger, La Jornada, 25/6/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

José Steinsleger est écrivain et journaliste, né en Argentine, mais installé au Mexique. Membre fondateur de la Fédération latino-américaine des  journalistes (FELAP, 1976), de l’Agence latino-américaine de services spéciaux d’information (ALASEI-UNESCO, 1984) et du mouvement « En défense de l’humanité » (Mexique, 2003). Depuis 1996, il tient une chronique régulière dans le journal mexicain La Jornada. Il est l’auteur et le coauteur de plusieurs ouvrages sur la situation politique en Amérique latine.

Un. Bien avant d’accéder à la présidence, Javier Milei avait annoncé ses « anti » : l’État, la démocratie, les politiciens et la politique, la justice sociale, les droits humains, la solidarité, la diplomatie et, surtout, sa haine des pauvres qui seraient responsables de leur pauvreté.

Deux. En 18 mois de mandat, Milei a gelé les dépenses publiques et sociales, privatisé les entreprises publiques, vendu aux enchères des ressources stratégiques, s’en est pris à la santé et à l’éducation publiques, à la recherche scientifique et universitaire et aux symboles nationaux, a offensé la mémoire populaire et ses héros, a poursuivi en justice les mouvements sociaux et le catholicisme rénovateur, a boycotté l’intégration et la coopération avec les pays voisins, et tout ce qui, à son sens, sentait le « progressisme » ou, tout simplement, le « communisme »...


Trois. Des fantaisies qui, naturellement, nécessitaient le soutien idéologique de certains pseudo-penseurs qui alimentent le discours du président. Parmi eux, le pamphlétaire Nicolás Márquez, le « théologien » Agustín Laje et l’« opérateur » Santiago Caputo. Fait intéressant : aucun d’entre eux n’occupe de fonction officielle.

Quatre. Le plus ancien, Márquez (1975), est diplômé de l’ultramontain William J. Perry Center for Hemispheric Defense Studies (où l’empire endoctrine les dirigeants en matière de « lutte contre le terrorisme »), collabore avec le Hispanic American Centre for Economic Research (dont l’objectif est « la défense de la liberté et du libre marché ») et donne des conférences dans lesquelles il revendique les coups d’État civico-militaires de 1955 et 1976.

Cinq. Les livres de Márquez (dont certains ont été tirés à de nombreux exemplaires) portent des titres suggestifs : El canalla (la véritable histoire du Che) ; El impostor Evo Morales ; El cuentero de Carondelet (Rafael Correa) ; Perón, el fetiche de las masas ; La máquina de matar (biographie définitive du Che Guevara), etc.

Six. Selon Márquez, la loi sur l’identité de genre stipule qu’« un homme déguisé en femme est une femme » (sic), l’homophobie est une « invention idiomatique » (sic) et que l’avortement est un crime. Cependant, sa deuxième épouse l’a dénoncé en 2013 lorsqu’il l’a forcée à avorter. Et en 2008, deux pédiatres ont porté plainte pour abus sexuel sur sa fille de quatre ans.

Sept. De son côté, Agustín Laje (1989) est également diplômé du William Perry Center et prépare actuellement un doctorat en philosophie à l’université de Navarre, temple académique de l’Opus Dei. Laje se présente comme victime d’une génération qui a vécu toute sa vie en démocratie, affirmant que les élèves du XXIe siècle ont été endoctrinés par un discours « manichéen et réductionniste » (sic) sur les droits humains. Il dirige la Fondation Faro, qui collecte des fonds pour les besoins électoraux du gouvernement.

Huit. Laje prône le respect de la loi et de l’ordre. Cependant, ses déclarations sont quelque peu contradictoires. Après l’une des nombreuses répressions contre les retraités qui se mobilisent pour protester, il a déclaré : « Chers policiers, visez bien. Chaque balle bien placée dans chaque gauchiste a été pour nous tous un moment de réjouissance ». Une opinion qui correspond à celle de son grand-oncle, le colonel (à la retraite) Raúl Fierro, l’un des répresseurs les plus redoutables du régime militaire dans la province de Córdoba.

Neuf. Laje a traité les mères et les grands-mères de la Plaza de Mayo de « putains » (sic) « pour avoir appris à leurs fils à tuer ». Avec 2,2 millions d’abonnés sur sa chaîne YouTube (et plus d’un million sur Instagram), il est devenu l’intellectuel vedette de la droite internationale et le croisé de la lutte contre le « marxisme culturel » (?) et le féminisme radical, tout en soulignant que la pensée politiquement correcte doit être combattue sur les réseaux sociaux, où réside « le pouvoir de notre époque ».

Dix. Enfin, « l’épée » qui a le plus d’influence sur Milei, Santiago Caputo (1984), formé par l’Équatorien Jaime Durán Barba, qui restera certainement dans l’histoire comme le consultant le plus cynique et amoral de notre époque.

Onze. Neveu du ministre de l’Économie Luis Caputo et de Nicolás Caputo (soupçonné d’avoir tenté d’assassiner Cristina Kirchner), Milei a rendu hommage à Santiago dans son discours d’investiture, le qualifiant d’« architecte » de sa victoire en 2023. Ce qui lui permet aujourd’hui de contrôler les services de renseignement, une partie du pouvoir judiciaire, la perception des impôts, les domaines techniques et juridiques de la présidence, ainsi que tout ce qui concerne les médias et la communication.

Douze. Entouré de gardes du corps partout où il va, Santiago Caputo ressemble beaucoup à un voyou de quartier. Sur son bras droit, il a tatoué la phrase en russe « Rien n’est vrai, tout est permis », qui apparaît dans le jeu vidéo Assassin’s Creed et est tirée du livre Russian Criminal Tattoo Encyclopedia.

Treize. Márquez, Laje et Caputo refusent d’être qualifiés de ce qu’ils sont : des fascistes. Mais ils sont fiers d’être identifiés comme des ultradroitiers « durs et purs ».

02/06/2025

PATRICIA CHAINA
“Il n’y a pas de capitalisme possible sans racisme” : Mireille Fanon avec les Mapuches en Patagonie

La présidente de la Fondation Frantz-Fanon explique la relation de la discrimination raciale et de l’expulsion territoriale avec le développement du système capitaliste. Les cas des Mapuches et du peuple palestinien.

Patricia Chaina, Página/12, 2/6/2025


Journaliste argentine du journal Página/12 et professeure de communication sociale à l’Université de Buenos Aires. Meta

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Nous devons comprendre que, dans le monde, le système colonial a installé la question raciale et qu’il n’y a pas de possibilité de réaliser le système capitaliste sans racisme. Inversement, il ne peut y avoir de racisme sans capitalisme », a déclaré Mireille Fanon Mendès-France, célèbre militante des droits humains et présidente de la Fondation internationale Frantz- Fanon, devant un public enthousiaste dans la ville d’El Bolsón, dans le Rio Negro. Elle a ainsi expliqué la discrimination raciale, l’expulsion territoriale et la criminalisation du peuple mapuche. Et elle établit le paradigme de la colonisation comme origine des conflits territoriaux, que ce soit ici, au Moyen-Orient ou en Afrique. Une définition qu’elle a répétée dans chacune des récentes conférences qu’elle a données en Patagonie. Une définition qu’elle reprendra en détail dans une interview accordée à Página/12 à la fin de sa visite.

« Les colonisateurs ont commis un génocide, si l’on regarde l’histoire du système colonial dans les Caraïbes, en Amérique du Nord et du Sud, ou en Afrique, on peut le dire. Cela ne fait aucun doute », définit la fille de l’emblématique philosophe antillais Frantz Fanon lors de son passage dans la Comté des Andes. « Et le génocide se poursuit », affirme-t-elle, « non seulement en Palestine, mais aussi en République démocratique du Congo, au Yémen et dans d’autres pays d’Afrique, en utilisant d’autres méthodes pour éliminer les personnes qui dérangent. Ici, il s’agit du peuple mapuche ».

« Un peuple millénaire en lutte constante pour ses terres, même si elles sont protégées par la convention 169 de l’OIT », a-t-elle déclaré avant de se rendre en Patagonie, à Neuquén, Río Negro et Chubut. « Il est incompréhensible que non seulement on les empêche de vivre sur leurs terres, mais que s’ils résistent, ils soient criminalisés », dit-elle.

Maintenant qu’elle était là, avec eux, et avec son approche humaniste, Fanon a parlé aux communautés. Elle raconte des histoires de lutte et de résistance pour montrer que l’état actuel des conflits découle du génocide perpétré depuis « la soi-disant découverte ». Elle situe l’origine de l’asservissement des damnés de la terre « dans le génocide qui a commencé après 1492 ici, en Amérique du Nord, dans les Caraïbes ou en Afrique ».


Le droit d’être souverain

En cette froide après-midi d’automne qui l’accueillait à El Bolsón, Fanon, la prestigieuse juriste internationale, a déclaré qu’elle voyait « une situation parallèle entre le premier moment de la colonisation des peuples indigènes et africains, et entre les pays encore colonisés et le peuple mapuche qui est encore sous mandat colonial ». En même temps, elle a relevé des différences : « Le peuple mapuche a droit à sa souveraineté et reconnaît la nécessité de s’organiser en communautés, de préserver son patrimoine culturel et de s’opposer au racisme de l’État argentin ».

Fanon a également fait une distinction avec ce qui se passe « sur mon île », la colonie française de la Martinique. Là, « les Afrodescendants aliénés par la suprématie blanche ne peuvent s’unir en tant que peuple à travers un héritage culturel partagé. Et comme ici, en l’absence de titres fonciers, la revendication territoriale est complexe ».

En utilisant d’autres méthodes, le modèle se perpétue dans des endroits comme la Palestine. « Même si les Palestiniens ont des titres de propriété », explique-t-elle, « Israël ne les reconnaît pas et l’expulsion des Palestiniens aboutit à la situation de massacre dans laquelle nous nous trouvons actuellement ».

Le génocide peut être une tuerie massive, disproportionnée et intentionnelle, mais c’est aussi le fait de forcer violemment des personnes à quitter leur territoire. Ce qui arrive au peuple mapuche a été appliqué en Palestine pendant la première et la deuxième Intifada et aujourd’hui c’est devenu un massacre, devant le monde entier.

La suprématie colonialiste

Fanon explique l’ambition capitaliste pour les territoires et les ressources naturelles : « En Palestine, il y a de l’eau et du gaz, c’est pourquoi nous sommes arrivés à la situation actuelle, comme ici avec le peuple mapuche, où les droits élémentaires sont violés, parce que leur refuser l’eau est une façon de les expulser de leur terre et de leur vie ».

Lors de son intervention à El Bolsón, Fanon a été catégorique : »La volonté de l’Occident d’étendre sa modernité n’a pas de limites, bien qu’il existe une ONU qui prévient les guerres, préserve la paix et garantit le respect entre tous les États, petits et grands, il y a quelque chose de commun depuis le début du processus, c’est pourquoi nous devons revenir à l’histoire de la colonisation ».

Elle a rappelé que quelques décennies avant « ce qu’ils appellent la découverte », un pape avait émis un décret - la bulle de 1452 - autorisant le roi du Portugal « à conquérir et à coloniser tous les païens et les croyants non chrétiens ». Et une autre bulle, 20 ans plus tard, destine ces territoires aux colonisateurs ». La modernité européenne blanche, souligne-t-elle, l’a très bien compris et a appris qu’elle avait « le devoir de christianiser le monde ».

« Il n’y a pas de loi ou de droit international pour cela », dit-elle, « le droit international humanitaire est totalement délégitimé, c’est pourquoi ils peuvent tuer des gens dans nos pays ». Elle souligne : « Aujourd’hui, on a le droit de tuer des Mapuches. Et quand ça arrive, il n’y a pas de justice. En France, des Noirs ou des Arabes sont tués par la police, il y a de plus en plus de cas. Nous ne sommes pas comme les USA, mais quand des jeunes sont tués par la police, on déclare que la police a fait un usage excessif de la force pour se protéger ».

Quand tout a commencé

Interrogée par Página/12 sur l’état d’exception auquel est soumis le peuple mapuche, Fanon estime qu’il ne s’agit pas d’une conséquence du génocide perpétré lors de la Conquête du Désert : « Les peuples indigènes, comme les Africains et les Afrodescendants, sont en tout cas victimes des conséquences de la colonisation qui a commencé en 1492. Celle-ci a été systématisée. Et elle s’est radicalisée au 19ème siècle. Mais la doctrine de la découverte a introduit l’esclavage, c’est ainsi que tout a commencé ».

Dans le contexte de l’actuel gouvernement national argentin aligné sur la droite internationale, comment évaluez-vous le processus de revendication identitaire et territoriale du peuple mapuche en Argentine ?

Le gouvernement de Milei poursuit la politique mise en place depuis le XVe siècle, avec des pics tragiques dans les différents génocides, l’accaparement des terres et le pillage des ressources naturelles. Ces événements jalonnent l’histoire des peuples indigènes, notamment celle des Mapuches en Argentine et au Chili. Mais cela s’est produit et se produit encore en Afrique. Ce moment inaugure cette politique basée sur le racisme et soutient la guerre institutionnalisée et permanente contre les personnes qui dérangent. Nous le voyons aujourd’hui contre les personnes qui résistent ou dénoncent les politiques d’exploitation, de criminalisation ou de répression, partout dans le monde.

Sur le processus de récupération de l’identité du peuple mapuche, Fanon met en garde : « Si nous voulons parvenir à la récupération de l’identité et du territoire, nous nous épuisons si nous le faisons chacun de notre côté. Nous nous fatiguons les uns les autres, à demander, à exiger réparation pour que les crimes contre l’humanité soient condamnés pour ce qu’ils sont, nous nous épuisons à le faire ainsi, de manire isolée ».

Que suggérez-vous alors ?

Je me demande si ceux d’entre nous qui partagent cette histoire tragique ne devraient pas unir leurs luttes. Exiger la réparation, la revendication et la restitution de tous les territoires volés par les colonisateurs, qui représentent aujourd’hui l’Etat des colonisateurs. Les luttes isolées menées uniquement par les peuples concernés, compte tenu du bulldozer qu’est le système capitaliste libéral et de la militarisation que ces gouvernements utilisent aujourd’hui, sont vouées d’une certaine manière à l’échec.

Comment renforcer la lutte pour ces revendications ?

Dans un processus de rapport de force inégal, si nous ne changeons pas cela, nous ne pourrons jamais faire entendre nos droits. Plutôt que d’analyser les demandes du peuple mapuche de manière individuelle, nous devrions penser à quelque chose qui est à la fois local, mais aussi international, global, avec d’autres peuples impliqués dans ces processus.

Pourquoi pensez-vous que le système judiciaire argentin, en général, ne tient pas compte de la voix du peuple mapuche lorsqu’il applique la jurisprudence sur les conflits territoriaux qui l’impliquent, ou qu’il fait des déclarations erronées, trompeuses ou mensongères lorsqu’il expose les cas qui deviennent publics ?

Le rapport de force n’est pas en faveur du peuple mapuche. Quand il y a une jurisprudence qui n’est pas respectée, la jurisprudence ne sert à rien. On l’oublie parce que la répression est institutionnalisée. La voix du peuple mapuche est la plupart du temps entendue à partir d’une position qui le sous-estime. Le problème est que les Argentins sont, à l’égard du peuple mapuche, le plus souvent et au mieux, paternalistes, mais à partir d’une supériorité coloniale. Sinon, ils sont racistes. Comment, dès lors, un peuple ancestral peut-il se faire entendre si la suprématie blanche domine à tous les niveaux, qu’ils soient juridiques ou culturels ?

Fanon précise : « Dans le meilleur des cas, les Mapuches deviennent une attraction touristique et dans le pire des cas, un peuple à éliminer, à criminaliser, à emprisonner ou à tuer. Il s’agit d’un sociocide, d’un ethnocide et, en fait, d’un terricide. Car qui dit peuple mapuche dit terres ancestrales, et ce sont ces terres qui intéressent le plus les transnationales, le gouvernement et les grands propriétaires terriens ».

La racine du mal

À El Bolsón, expliquant que le problème a une racine commune « et vient de la colonisation », Fanon pointe « la question raciale » mise en place par le capitalisme pour soutenir son existence. « Inversement, il n’y a pas de racisme sans capitalisme », affirme-t-elle.

Pour le confirmer , elle évoque son père : « Fanon - qui était psychiatre - a essayé de faire comprendre que, dans le domaine de la santé mentale, il n’est pas seulement nécessaire de traiter la personne. Si vous ne traitez pas le contexte social, la personne n’ira pas mieux. Il faut d’abord comprendre comment fonctionne le contexte politique et social et identifier les lieux de dysfonctionnement ».

Où ces dysfonctionnements peuvent-ils être identifiés aujourd’hui ?

Dans les différents types de violence auxquels nous sommes confrontés. En particulier dans le déni de justice. C’est le cas du peuple mapuche, du peuple palestinien et d’autres peuples encore colonisés. Nous devons identifier le type d’aliénation auquel nous sommes soumis et ne pas avoir peur d’essayer de résister à cette aliénation. Nous n’avons rien à perdre à résister car le système essaie de nous tuer. Les Mapuches, les Noirs ou les Palestiniens, partout dans le monde, des personnes racisées, pauvres, marginalisées.

Pour Fanon, le système cherche à « avoir des gens qui ne valent rien », qui ne tiennent pas compte de leur propre existence. « Si nous ne mettons pas le génocide sur la table, le système continuera à l’utiliser pour nous contrôler, pour susciter la peur. Mais si nous le mettons sur la table, nous devons demander des réparations. Et pour nous, à la Fondation Frantz- Fanon, il ne s’agit pas d’une compensation monétaire individuelle, mais d’un processus collectif de décolonisation ».

La colonisation a brisé « la perception de l’altérité », d’un autre, de l’intersubjectivité collective de l’humanité, a rappelé la juriste alors que la nuit tombait sur la région andine. « C’est pourquoi la réparation cherche à reconstruire ce sens de l’humanité et de l’altérité. Et comme hypothèse de résolution, elle n’a évoqué qu’une seule option : “Lutter et résister”. Et même si les autorités refusent l’application de la justice : « Utiliser la justice pour que le droit positiviste soit acculé et que nous jouions avec ce que nous pouvons tordre dans le système judiciaire pour avancer ».

Pensez-vous qu’il soit possible qu’un État plurinational voie le jour, en pensant à des processus comme celui de la Bolivie ?

Je ne connais pas suffisamment l’État plurinational bolivien. Mais dans l’état actuel du capitalisme, je ne pense pas qu’il soit possible de parler d’un État plurinational parce que la politique capitaliste est basée sur la domination des autres peuples. Le plurinationalisme n’est pas compatible avec le capitalisme. Si vous regardez les accords de 1967 sur la Palestine, vous voyez qu’aujourd’hui il n’y a même pas d’État palestinien parce que l’État israélien veut génocider tout le peuple palestinien pour éliminer le problème.

« Dans l’état actuel du monde », poursuit Fanon, « avec les rapports de force qui se dessinent, avec la façade du monde, je me demande ce que signifie un État plurinational. C’est une question philosophique, philopolitique. Même si le capitalisme cessait d’exister, un Etat plurinational ne serait pas la fin de la domination. Car la plurinationalité est un fait pensé par les Blancs dominants comme une “interculturalité”. Ils intègrent des mandats qui masquent les désirs coloniaux de s’approprier les processus culturels des peuples qui résistent ».

Son engagement est « pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. À leur souveraineté. Et y réfléchir ensemble, c'est possible. À une autre définition de ce que pourrait être l’humanité, l’humain, dans un cadre de rupture totale avec le capitalisme et la modernité eurocentrique. On pourrait ainsi penser à une structure plurinationale, ontologique et épistémologique. Il s’agit pour l’instant d’inductions paradoxales du monde blanc, avec lesquelles le monde blanc sait jouer parfaitement ».


20/11/2024

RODOLFO WALSH
La Revolución palestina
Edición bilingüe/Édition bilingue


En 1974, Rodolfo Walsh, écrivain et journaliste révolutionnaire, militant des Montoneros argentins, est chargé par son organisation d’établir des relations avec le Fatah de Yasser Arafat, alors principal mouvement de résistance palestinien. De son voyage à Alger, Le Caire et Beyrouth, il rapporte un reportage publié par le quotidien Noticias.  50 ans plus tard, ce texte exemplaire, enfin disponible en français, est une lecture obligatoire pour tous les activistes, étudiants et chercheurs concernés par la cause des peuples, de l’Argentine sous « Mi Ley » à la Kanaky sous Macron.
Ce livre est publié à l’occasion de deux anniversaires :
Le 20 novembre en Argentine est la Journée de la Souveraineté nationale, commémorant la bataille de 1845, au cours de laquelle les combattants de la Confédération Argentine repoussèrent les envahisseurs franco-anglais qui entendaient coloniser le pays.
Le 29 novembre 1947, l’ONU adopta le Résolution 181, décrétant le partage de la Palestine entre les sionistes et les Palestiniens. Ce jour-là, les représentants de 33 pays déclenchèrent une catastrophe qui dure à ce jour.

En 1974, Rodolfo Walsh, escritor y periodista revolucionario, militante de los Montoneros argentinos, recibió de su organización el encargo de establecer relaciones con el Fatah de Yasser Arafat, entonces principal movimiento de resistencia palestino. De su viaje a Argel, El Cairo y Beirut, trajo un reportaje publicado por el diario Noticias. 50 años después, este texto ejemplar, por fin también disponible en francés, es una lectura imprescindible para todos los militantes, estudiantes e investigadores que se interesan por la causa de los pueblos, desde la Argentina bajo “Mi Ley” hasta Kanaky bajo Macron.
Publicamos este libro con ocasión de dos aniversarios:
El 20 de noviembre se celebra en Argentina el Día de la Soberanía Nacional, en conmemoración de la batalla de 1845 en la que los combatientes de la Confederación Argentina rechazaron a los invasores anglo-franceses que pretendían colonizar el país.
El 29 de noviembre de 1947, la ONU adoptó la Resolución 181, decretando la partición de Palestina entre sionistas y palestinos. Ese día, los representantes de 33 países desencadenaron una catástrofe que continúa hasta nuestros días.

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Índice
Nota del editor
Prólogo (Ángel Horacio Molina)
La Revolución palestina
Terror en Medio Oriente
La Embajada de Israel replica
Respuesta del autor a la embajada
Bio-bibliografía
Nota autobiográfica
Anexo Carta abierta de un escritor a la Junta Militar
Table des matières
Note de l’éditeur
Avant-propos (Ángel Horacio Molina
La Révolution palestinienne
Terrorisme au Moyen-Orient
L’ambassade d’Israël réplique
Réponse de l’auteur à l’ambassade
Biobibliographie
Notice autobiographique
Annexe Lettre ouverte d’un écrivain à la junte militaire
Nota del editor
En Argentina, bajo el gobierno del loco de la motosierra cuyo apellido podría leerse como «Mi Ley», uno se pregunta si Rodolfo Walsh es algo más que el nombre de una estación de la línea E del subte bonaerense para la generación más joven -los menores de 29 años-, la mayoría de los cuales votaron a un hombre que planea hundirlos aún más en el precariado y, si se insurgen, masacrarlos.
En la llamada América Latina del siglo XX, era un milagro que un revolucionario llegara vivo a los 50 años. Desde Emiliano Zapata hasta Ernesto Che Guevara, era habitual caer víctima de las balas antes de cumplir los 40.
Rodolfo acababa de cumplir 50 cuando, cerca de la estación Entre Ríos, cayó bajo las balas del capitán Astiz y sus gorilas. Corrió la misma suerte que su hija María Victoria, «Vicky», que había caído poco antes, a los 26 años. Pero a diferencia de muchas de las 30.000 personas forzosamente desaparecidas durante la dictadura militar, Rodolfo Walsh nos dejó una extraordinaria obra escrita, que desgraciadamente se ha traducido muy poco. Fue el inventor tanto del periodismo de investigación como del periodismo narrativo, en forma de «novelas de no ficción», nueve años antes que Truman Capote, generalmente presentado como su padre fundador por su libro A sangre fría. Pero Rodolfo no se limitó a escribir. Actuó, organizó y luchó, aunque lo único que tenía para defenderse de los esbirros que lo rodearon el 25 de marzo de 1977 era una ridícula pistolita que no le daba la medida. El día anterior acababa de empezar a difundir su 
Carta abierta de un escritor a la Junta Militar, con la que firmó su sentencia de muerte.
Rodolfo fue uno de los fundadores de la agencia de prensa cubana Prensa Latina. Fue uno de los pilares de Noticias, diario revolucionario que sólo duró el tiempo de un embarazo antes de ser prohibido por Isabelita por orden de la camarilla fascista reclamándose peronista que la rodeaba. Y en 1976 inventó ANCLA, la Agencia de Noticias Clandestina, que empezó a difundir información censurada sobre los crímenes de la dictadura.
Rodolfo, que murió como montonero, no siempre había sido peronista; incluso había sido furibundamente antiperonista y luego, en el curso de su labor investigadora, se había acercado a posiciones revolucionarias de izquierda, terminando con los Montoneros, esos extraños peronistas/marxistas/foquistas a los que se apresuraba a criticar por sus concepciones militarista-golpistas de la lucha, ya que aborrecía los métodos sumarios de ejecución de verdaderos o supuestos enemigos.
No he mencionado al Che al azar. Lo que ambos tenían en común era que eran argentinos por cuyas venas corría sangre irlandesa (véase más adelante la nota autobiográfica de Walsh). Los proletarios campesinos irlandeses que habían huido de la opresión de la pérfida Albión no habían encontrado un paraíso terrenal cuando desembarcaron en el Río de La Plata. La Plata no era para ellos. Tuvieron que laburar duro y dejar a su prole al cuidado de curas y monjas que sabían cómo adiestrar a esos zapallos, potencial carne de horca.
Al ir al encuentro de los palestinos, de Argel a Beirut, nuestro irlandés-argentino sabía que encontraría hermanos. De hecho, los Montoneros le habían pedido que estableciera contacto con Al Fatah. En un campo de refugiados, tuvo la impresión de volver a la Villa 31, en el conurbano bonaerense, donde trabajaba el padre Carlos Mugica, un luchador de la teología de la liberación que también fue asesinado y cuyo nombre lleva ahora la barriada.
Argentina e Israel no sólo tienen banderas similares. Sus historias de asentamientos son paralelas. Un chiste sudamericano dice: «El hombre desciende del mono, el argentino desciende del barco». Basta reemplazar argentino por israelí. Y bajo la ley de la motosierra, los argentinos corren serio peligro de sufrir un destino similar al de los palestinos. Las páginas de Rodolfo Walsh no han envejecido nada en cincuenta años. Tiempo para (re)leerlas. «El hombre del futuro es el que tendrá la memoria más larga» (Nietzsche)            

Fausto Giudice, Túnez, noviembre de 2024


Note de l’éditeur    
Dans l’Argentine sous la coupe du fou furieux à la tronçonneuse dont on peut traduire le nom par « Ma Loi » (Mi Ley), on peut se demander si, pour les jeunes générations -les moins de 29 ans - qui ont en grande partie voté pour un homme planifiant de les enfoncer encore plus dans la précarité et, s’ils se révoltent, de les massacrer - Rodolfo Walsh est autre chose que le nom d’une station du métro de la ligne E de Buenos Aires.
Dans l’Amérique dite latine du XXe siècle, arriver à l’âge de 50 ans et être encore en vie, pour un révolutionnaire, tenait du miracle. D’Emiliano Zapata à Ernesto Che Guevara, il était d’usage de tomber sous les balles avant d’avoir atteint les 40 ans. Rodolfo venait d’avoir 50 ans lorsque, près de la station Entre Ríos, il est tombé sous les balles du capitaine Astiz et de ses sbires. Il a ainsi connu le même sort que sa fille María Victoria, « Vicky », tombée peu de temps auparavant à 26 ans. Mais à la différence d’une bonne partie des 30 000 disparus forcés de la dictature militaire, Rodolfo Walsh nous a laissé une œuvre écrite extraordinaire, qui n’a malheureusement été que trop peu traduite. Il été l’inventeur à la fois du journalisme d’investigation et du journalisme narratif, sous forme de « romans de non-fiction », neuf ans avant Truman Capote, généralement présenté comme son père fondateur pour son livre De sang froid. Mais Rodolfo n’a pas fait qu’écrire. Il a agi, organisé, combattu, même s’il n’avait pour se défendre contre les sbires qui l’ont encerclé le25 mars 1977 qu’un ridicule petit calibre qui ne faisait pas le poids. La veille, il venait de mettre en circulation sa fameuse 
Lettre ouverte d’un écrivain à la junte militaire, par laquelle il a signé son arrêt de mort.
Rodolfo fut l’un des fondateurs de l’agence de presse cubaine Prensa Latina. Il fut l’un des piliers de Noticias, un quotidien révolutionnaire qui ne dura que temps d’une grossesse avant d’être interdit par Isabelita sur les ordres de la camarilla fasciste se réclamant du péronisme qui l’entourait. Et il fut l’inventeur, en 1976, de l’ANCLA, l’Agencia de Noticias Clandestina (Agence de nouvelles clandestine), qui commença à diffuser des informations censurées sur les méfaits de la dictature.
Mort comme Montonero, Rodolfo n’avait pas été péroniste « depuis toujours », il avait même été furieusement antipéroniste puis avait, au fil de ses travaux d’enquête, évolué vers des positions révolutionnaires de gauche pour finir chez les Montoneros, ces drôles de péronistes/marxisants/guévaristes qu’il ne se fit pas faute de critiquer pour leurs conceptions militaro-putschistes de la lutte, lui qui avait en  horreur les méthodes expéditives consistant à abattre sommairement les ennemis ou supposés tels.
Je n’ai pas évoqué le Che au hasard. Tous deux avaient en commun d’être des Argentins dans les veines desquels coulait du sang irlandais (lisez en page 80 la notice autobiographique de Walsh). Les paysans prolétarisés irlandais qui avaient fui l’oppression de la perfide Albion n’avaient pas trouvé un paradis terrestre en débarquant sur le Rio de La Plata. La Plata (l’argent, le pèze), ça n’était pas pour eux. Il leur avait fallu turbiner et confier leur progéniture aux curés et aux bonnes sœurs qui savaient comment s’y prendre pour dresser ces sauvageons, gibiers de potence en puissance.
En allant à la rencontre des Palestiniens, d’Alger à Beyrouth, notre Irlando-Argentin savait retrouver des frères. Il avait en fait été chargé par les Montoneros d’établir un contact avec le Fatah. Dans un camp de réfugiés, il a l’impression de retrouver la Villa 31 de la banlieue de Buenos Aires, où travaillait le père Carlos Mugica, combattant de la théologie de libération, lui aussi assassiné et dont le bidonville porte aujourd’hui le nom.
L’Argentine et Israël n’ont pas seulement en commun d’avoir des drapeaux similaires. L’histoire de leur peuplement est parallèle. Une blague sud-américaine dit : « L’homme descend du singe, l’Argentin descend du bateau ». Il suffit de remplacer Argentin par Israélien. Et sous la loi de la tronçonneuse, les Argentins risquent sérieusement de connaître un destin similaire à celui des Palestiniens. Les pages de Rodolfo Walsh n’ont donc pas pris une ride en cinquante ans. Il est temps de les(re)lire.
« L'homme de l'avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue » (Nietzsche)

Fausto Giudice, Tunis, novembre 2024