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30/10/2025

Tucumán, Argentine : la pieuvre sioniste étend ses tentacules dans toutes les directions, de la communauté juive aux institutions de l’État

 Rubén Kotler, 30/10/2025

Rubén Kotler (né en 1974) est un historien argentin, juif antisioniste, spécialiste de l’histoire récente de Tucumán, cofondateur de l’Association d’Histoire Orale de la République argentine et coadministrateur du Réseau latino-américain d’Histoire Orale. Il est aussi coscénariste et responsable de la recherche historique du documentaire El Tucumanazo (sur les révoltes ouvrières et étudiantes de Tucumán). https://www.deigualaigual.net/

L’historien israélien Ilan Pappe définit un lobby comme « l’influence exercée pour modifier la politique gouvernementale d’un pays ou altérer l’opinion publique ». Dans son récent ouvrage[1], il analyse l’histoire du lobby sioniste entre les USA et le Royaume-Uni. La pénétration sioniste en Amérique latine plonge ses racines dans la première moitié du XX siècle ; elle est essentielle au soutien de l’État dIsraël et de ses politiques de génocide, de nettoyage ethnique, dapartheid, de colonialisme, dexpansionnisme, de racisme et d’islamophobie — les colonnes vertébrales sur lesquelles s’édifie cet État juif autoproclamé au détriment du peuple palestinien.
Ce dispositif colonial est soutenu par les communautés judéo-sionistes du monde entier. On le constate aisément, à la loupe, dans des communautés comme celle de Tucumán, en Argentine.
 



La plus petite province d’Argentine abrite une petite mais influente communauté judéo-sioniste, mêlant héritages ashkénaze et séfarade. On y trouve diverses institutions : synagogues, écoles, un club nommé Unidad Sionista, et un cimetière.
L’école principale de la communauté — celle où moi-même j’ai étudié — offre une double scolarité ; sa formation judéo-sioniste constitue un pilier central du soutien à Israël. Les programmes d’enseignement juif, loin de l’orthodoxie religieuse, visent à forger une identité sioniste très marquée. On y célèbre avec un même enthousiasme les fêtes nationales argentines et les fêtes juives, les deux étant enveloppées d’un récit nationaliste comparable à celui enseigné dans les écoles de la colonie israélienne elle-même.
La pénétration sioniste dans le monde juif religieux est telle que, dans certaines communautés réformées, on a ajouté une prière demandant à Dieu de protéger l’armée israélienne.

 

Photos d’une cérémonie scolaire de “patriotisme israélien” à Tucumán
(Archives de l’auteur)

Un système de bourses finance des voyages initiatiques vers l’État juif autoproclamé — comme un pèlerinage à Disneyworld — et toutes les institutions locales entretiennent une identité soudée autour de la défense d’Israël, considéré tantôt comme seconde patrie, tantôt comme refuge eschatologique face à la crainte d’un nouvel « holocauste ».

Les attentats contre l’ambassade d’Israël (1992) et contre l’AMIA (1994) à Buenos Aires ont nourri cette peur. Depuis 1994, les institutions judéo-sionistes argentines maintiennent des murs anti-voitures piégées ; depuis trente ans, la communauté attend son « troisième attentat » comme le Messie.
Le serment des soldats israéliens à Masada, jurant que Sion ne tombera plus, est reproduit dans les écoles judéo-sionistes avec la même ferveur.

La DAIA (Délégation des Associations israélites d’Argentine) est une institution de lobbying prosioniste dont la mission initiale était de protéger les intérêts juifs en Argentine ; elle défend en réalité les intérêts sionistes et propage la confusion entre antisionisme et antisémitisme.


Le kirchnériste José Jorge Alperovich (1955) a été trois fois gouverneur de la province de Tucumán entre 2003 et 2015. En novembre 2019, il a fait l'objet d'une plainte pénale et a été inculpé pour abus sexuels. En 2024, il a été condamné à 16 ans de prison pour abus sexuels et a été déchu à vie de ses droits civiques.

Mais revenons à la pénétration du sionisme dans la province de Tucumán ces dernières années, en tant que soutien d'une cinquième colonne qui justifie et accompagne le génocide. Les différents gouvernements provinciaux depuis 2003 ont maintenu des liens économiques, culturels, politiques et sociaux solides avec Israël. 

L'élection du gouverneur José Alperovich, fils d'une famille judéo-sioniste de Tucumán appartenant à une élite commerciale économiquement puissante, s'est avérée paradigmatique dans un pays dont la religion officielle majoritaire est le catholicisme romain. L'élection d'Alperovich était novatrice, tout comme l'étaient ses alliances avec le sionisme à l'échelle mondiale. Ces alliances existaient déjà avant cette élection, mais elles ont été renforcées par l'inclusion dans le cabinet provincial de membres de la communauté juive locale. Des membres éminents de la communauté ont embrassé le péronisme comme parti où ils ont ancré leur influence politique et ont lié l'État provincial à l'État d'Israël par le biais de divers accords économiques.

Juan Luis Manzur (1969), le fonctionnaire le plus riche de l’administration nationale

Son successeur, le gouverneur Juan Manzur, qui entretenait des liens étroits, voire affectifs, avec une partie de la communauté judéo-sioniste - Chabad Lubavitch-, a poursuivi cette ligne de soumission au sionisme. Manzur a rapidement conclu des accords commerciaux avec Israël dans l'un des domaines où l'enclave coloniale excelle, à savoir la sécurité. Vers la fin de l'année 2018, le gouvernement provincial a acheté 4 000 pistolets semi-automatiques Jericho 9 millimètres avec un cadre en polymère, développés par la société IMI (Israel Military Industries), privatisée en 2018 et intégrée à Elbit Systems. L'accord conclu pour un montant de neuf millions de dollars a permis à la province d'acquérir ces armes et d'autres utilisées notamment dans la répression des Palestiniens en Cisjordanie. L'une de ces armes, utilisée par la police de Tucumán, a tué Luis Espinoza dans le contexte répressif de la pandémie, lorsque la police de Tucumán est intervenue lors d'une réunion sociale le 15 mai 2020, réunion au cours de laquelle Espinoza a été enlevé et a disparu pendant sept jours, jusqu'à ce que son corps sans vie soit retrouvé dans une autre province.

Mais les accords ne s'arrêtent pas là. Deux ans avant la disparition suivie du décès de Luis Espinoza, le 13 août 2018, l'Orchestre symphonique de Jérusalem donnait un concert dans l'un des principaux théâtres de la province, sous l'égide du gouvernement provincial lui-même. Ce que j'ai alors intitulé « Un concert de mitraille » rendait compte de la manière dont on embrassait l'État sioniste à travers un événement culturel qui normalisait l'oppression du peuple palestinien. La normalisation de la structure coloniale par le biais de la culture et du sport sont des caractéristiques distinctives de ce type d'alliances et de cette pénétration à l'échelle mondiale. Je pourrais remonter beaucoup plus loin dans le temps, mais ces faits relatés sur l'influence sioniste suffisent à illustrer mon propos. Surtout dans ce qui a suivi, avec une série d'accords commerciaux et autres, qui n'ont fait que renforcer ces liens avec le lobby sioniste dans la province.

Les péronistes, alliés des sionistes

Aujourd'hui, on évoque le gouvernement d'extrême droite de Javier Milei, allié stratégique du sionisme et partisan du génocide palestinien, mais avec beaucoup d'hypocrisie, une partie des péronistes se taisent ou regardent ailleurs lorsqu'il s'agit des accords entre l'État et l'entité sioniste. Les voyages en Israël des fonctionnaires argentins se répètent d'un gouvernement à l'autre. Au niveau provincial, les accords signés tant par le gouvernement local que par les autorités universitaires se répètent d'une administration à l'autre.

Il faut rappeler que le premier voyage à l’étranger du président péroniste Alberto Fernández, dans les mois qui ont précédé la pandémie, l'a conduit en Israël pour serrer la main du criminel de guerre Netanyahu ; et rappelons que c'est l'un de ses ministres, Wado de Pedro, fils de disparus pendant la dernière dictature civilo-militaire en Argentine, qui a fait venir l'entreprise israélienne Mekorot en Argentine pour contrôler une ressource stratégique comme l'eau. De Pedro ne pouvait ignorer les accusations internationales qui pèsent sur l'entreprise israélienne dans le cadre du régime d'apartheid contre les Palestiniens dans le contrôle des ressources en eau de la Palestine occupée. Ces accords sont aujourd'hui renforcés grâce aux tentatives du gouvernement ultralibéral de Milei de privatiser Agua y Saneamiento Argentino - AYSA. Est-ce Mekorot qui bouffera AYSA ? C'est très probable.

Le 13 octobre 2021, alors que la pandémie de Covid-19 sévissait encore, le ministère provincial de la Santé a signé un accord avec le « Réseau de santé Hadassah » d'Israël. L'accord a été signé par la ministre de la Santé de l'époque, Rossana Chahla, aujourd'hui mairesse de la capitale provinciale, et dont nous parlerons dans le dernier chapitre de cette saga de capitulation de la province face au sionisme. Mais pour en revenir à l'accord de « coopération » avec l'institution israélienne, celui-ci n'a pas été suffisamment diffusé. Selon le site web du ministère provincial de la Santé, « cet accord a pour objectif de partager les connaissances médicales développées à l'hôpital Hadassah Medical Center en Israël afin de donner accès à des formations, des ateliers, des journées médicales animées par des professionnels, ainsi qu'à la coopération et à l'intégration des hôpitaux et des centres de santé de Tucumán au réseau de santé Hadassah, afin que les professionnels puissent bénéficier des connaissances les plus modernes et les plus qualifiées ».

L'objectif est clairement énoncé : partager les informations de la province avec l'entité coloniale israélienne, ce qui est sans précédent dans un domaine aussi sensible que la santé publique. Il est également précisé que la relation entre le gouvernement provincial et le réseau Hadassah remonte à plus de 15 ans, précisément à l'époque du gouvernement Alperovich.

Le milieu universitaire local renforce le discours sioniste

Le discours sioniste a besoin de scribes. La « Hasbara »[1] déploie toute une série de ressources allant du financement des médias de masse à l'inondation des réseaux sociaux par des personnalités qui instaurent un sens commun, entre autres. Comme l'a récemment déclaré le criminel Netanyahou, Israël doit acheter Tik Tok. Mais dans ce schéma où la Hasbara cherche à toucher tous les domaines possibles, le monde universitaire joue un rôle fondamental. Les accords conclus entre les universités publiques argentines et des institutions sionistes ou prosionistes sont remarquables.


Revenons à Tucumán. Le 23 juillet dernier, la faculté de droit de l'université nationale de Tucumán a accueilli une activité de hasbara dans le but clair de renforcer le discours sioniste. Il s'agissait de la présentation du livre d'Ariel Gelblung, « Antisémitisme : définir pour combattre ». Gelblung est directeur du controversé Centre Simon Wiesenthal, partisan du discours sioniste. De plus, l'activité a été soutenue par la DAIA locale et les autorités universitaires et judiciaires de la province, puisque des membres de la Cour suprême de justice de Tucumán, Claudia Sbdar et Daniel Posse, le journaliste du principal quotidien local, La Gaceta, Álvaro José Aurane, et les fonctionnaires du gouvernement provincial Raúl Albarracín et Hugo Navas y ont participé. Il convient de souligner que la présentation des travaux de Gelblung s'inscrivait dans le cadre des activités du diplôme de troisième cycle sur le génocide et les crimes contre l'humanité, dispensé par la faculté de droit elle-même, et dans lequel le génocide contre le peuple palestinien n'est pas mentionné.

Le 25 juillet, une conférence a également été organisée pour les étudiants de la province, au cours de laquelle il a également été fait référence à l'association entre antisémitisme et antisionisme. Dans une interview accordée au journal local, Gelblung a déclaré que « nous vivons actuellement la pire période d'antisémitisme dans le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le conflit au Moyen-Orient, dont nous ne parlons pas ici, a mis en danger les communautés juives qui vivent dans chacune de ces régions. Le fait de ne pas séparer certaines choses et d'avoir laissé tomber certains masques en se rangeant dans certains cas du côté du terrorisme est vraiment dangereux ».

Pour ce propagandiste, « sionisme n'est pas un mot péjoratif. Le sionisme est le mouvement d'autodétermination nationale du peuple juif sur sa terre ancestrale. Et personne ne peut venir dire : « Je suis d'accord avec l'autodétermination de tous les peuples du monde sauf un ». C'est vraiment de la discrimination. On ne peut donc pas dire : « Je ne suis pas antisémite, je suis antisioniste. C'est une erreur ». Pour le directeur du Centre Wiesenthal, comme pour toute la communauté judéo-sioniste, il n'y a pas de génocide en cours à Gaza, contrairement à ce qu'affirment les rapports sur le sujet élaborés par des organismes de défense des droits hiumains d'Israël même, tels que B'Tselem. Ni Gelblung, ni les autorités de l'université ou du pouvoir judiciaire de la province n'ont manifestement lu le rapport intitulé « Notre génocide » et, se faisant l'écho de la définition de l'antisémitisme de l'IHRA, ils assimilent ce terme à l'antisionisme. Rien n'est plus fallacieux que cela. De plus, depuis un certain temps, surtout après le 7 octobre 2023, ils répètent haut et fort que nous assistons à une recrudescence de l'antisémitisme dans le monde entier, augmentation qui n'est pas vérifiée dans les faits. Dire Gaza ou mentionner la Palestine transforme le dénonciateur en antisémite, quel que soit le contexte ou la forme. En Argentine, des députés nationaux ont même été poursuivis pour avoir mentionné le génocide en Palestine, accusés d'antisémitisme, comme cela a été le cas pour la députée du Front de gauche et des travailleurs Vanina Biassi.



Rossana Chahla (1966), mairesse de Tucumán, justicialiste (péroniste/kirchnériste)

Le dernier chapitre de l'alliance entre Tucumán et le sionisme

L'un des derniers chapitres de l'alliance entre Tucumán et le sionisme est à nouveau écrit par Rossana Chahla. Aujourd'hui mairesse de la capitale, San Miguel de Tucumán, elle a signé un accord de coopération en matière de sécurité avec l'agence israélienne Mashav pour la formation du personnel municipal en matière de sécurité. Malgré les protestations de l'organisation « Tucumán por Palestina » (Tucumán pour la Palestine), la municipalité a poursuivi cet accord ignoble. En plein génocide, la mairesse, médecin de profession et d'origine syro-libanaise, renforce ses liens avec le sionisme.

Selon le site web de la municipalité elle-même, « pendant le cours, qui est dispensé en espagnol et se déroule sur le campus de l'Institut à Beit Berl, près de Tel Aviv, des thèmes clés sont abordés, tels que la coordination entre les municipalités et les forces de police, la création de corps de police communautaires, la gestion des urgences, le travail avec les jeunes en situation de risque et la coordination avec les établissements d'enseignement, les organisations communautaires et le secteur privé ». Ce genre d’ accords est signé à travers tout le continent, renforçant ce que le journaliste Antony Loewenstein a appelé « le laboratoire palestinien », pour rendre compte de la manière dont Israël montre au monde « ses avancées technologiques » en matière de sécurité et de guerre grâce au fonctionnement de ses systèmes répressifs sur le peuple palestinien. Il convient de rappeler ici qu'Israël est l'un des principaux États dont l'industrie de l'armement et de la sécurité s'étend à travers le monde entier, négociant même avec des dictatures.


Un fantôme hante Tucumán : celui du génocide

Le groupe Tucumán por Palestina, composé d'un ensemble hétérogène comprenant notamment des Palestiniens, des Juifs antisionistes, des artistes, des militants politiques et syndicaux, des universitaires, dénonce depuis des années le sionisme et expose les crimes commis par l'État d'Israël contre le peuple palestinien. Cela ne leur a pas valu une seule ligne dans le principal quotidien de Tucumán. En revanche, chaque fois que la communauté judéo-sioniste est descendue dans la rue ou a organisé une activité, le média lui a consacré d'importants espaces de diffusion hasbaratique. En général, à quelques exceptions près, les médias locaux ne couvrent pas les activités de dénonciation menées avec une persistance militante dans la capitale. 

Il est clair que la pénétration sioniste dans la province s'étend aux trois pouvoirs de l'État, à la presse locale hégémonique, à différents membres du monde universitaire, entre autres. En tant que fils de cette communauté juive, je réitère mon opposition au sionisme et au génocide. Je fais entendre ma voix chaque fois que je le peux, comme le font mes camarades de Tucumán por Palestina. La pénétration de ce fantôme appelé génocide a des noms et des prénoms dans la province, dont beaucoup sont des descendants de Syro-Libanais, comme la mairesse de la capitale de Tucumán. 

Briser le récit, faire autant de bruit que possible et convaincre les membres des communautés juives du monde entier qu'Israël ne représente pas le judaïsme dans aucune de ses variantes religieuses ou culturelles peut contribuer à affaiblir l'enclave. Le fait de lui retirer le soutien de la communauté, comme le font différentes organisations juives antisionistes ou propalestiniennes, peut contribuer à la chute d'un régime qui, depuis plus d'un siècle, mène la guerre, commet des crimes contre l'humanité, soutient un génocide et un nettoyage ethnique dans la Palestine historique et dans d'autres points tout aussi stratégiques du Moyen-Orient. 

Notes

[1]  Ilan Pappé,  Le lobby sioniste des deux côtés de l'Atlantique, Ethos 2025
[2] Hasbara ou « explication » en hébreu, est l'appareil propagandiste utilisé par Israël pour redorer le blason du régime et instaurer un discours qui présente l'État sioniste comme la seule démocratie du Moyen-Orient, démontre que son armée est la « plus morale du monde » et que toutes les actions militaires contre les pays de la région sont des actions de « défense ».


04/10/2025

FRANÇOIS VADROT
Le boomerang "Netflix" : l’empire de vapeur sème la révolte

Le boomerang "Netflix" : l’empire de vapeur sème la révolte par François Vadrot

De Netflix à Discord, puis à l’intelligence artificielle, les outils conçus pour divertir et connecter sont devenus les vecteurs d’une conscience collective mondiale.

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12/09/2025

SERGIO FERRARI
Argentine. : une victoire électorale contre le sociocide de Milei

Sergio Ferrari, El Independiente, 11/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Avec près de 14 points d’écart, le dimanche 7 septembre, le péronisme-kirchnérisme a infligé dans la province de Buenos Aires le premier coup politique d’envergure au gouvernement de Javier Milei et à son projet antisocial. « Une raclée électorale », ont titré divers médias nationaux et internationaux, en commentant des résultats qu’aucun institut de sondage n’avait prévus.

Retraités en résistance, bordel

Près de deux ans après la victoire de Milei en 2023, l’élection des parlementaires provinciaux buenos-airiens constituait le test le plus significatif de l’état d’esprit politique de la population dans son ensemble.

La province de Buenos Aires, avec plus de 17 millions d’habitants – soit le double de la population de la Suisse –, regroupe presque un tiers de l’électorat argentin. Historiquement, les résultats de ce géant démographique de 307 000 km² (plus vaste que l’Italie) constituent l’un des indicateurs de référence des tendances électorales à l’échelle nationale.

Le prochain 26 octobre sera l’autre moment clé pour évaluer la marche du projet « anarcho-libertarien-antisocial » de Milei : les élections parlementaires nationales. Y seront élus la moitié des députés et un tiers des sénateurs. D’où l’importance du scrutin du 7 septembre dernier.

Des résultats sans appel

Fuerza Patria, qui regroupe les péronistes-kirchnéristes et leurs alliés, avec plus de 3 800 000 suffrages (47,3 % des voix), a été le grand vainqueur. Avec 2 700 000 voix (33,7 %), La Libertad Avanza de Javier Milei, qui a absorbé dans cette élection la Proposition Républicaine (PRO) de l’ancien président de droite Mauricio Macri, est arrivée en deuxième position. En d’autres termes, Milei a rassemblé dans ce scrutin tout l’éventail de la droite et de l’extrême droite.

Très loin derrière, avec un peu plus de 5 %, on trouve Somos Buenos Aires (un secteur de l’ancien Parti radical du centre), suivi en quatrième position par le Front de gauche et des travailleurs – Unité, qui a obtenu 4,7 % des voix. Une dizaine d’autres petites forces se sont situées en dessous de 2 % chacune, sans atteindre, ensemble, les 10 % des suffrages.

Deux conclusions principales

Au-delà de l’arithmétique et de la majorité parlementaire nette que les péronistes-kirchnéristes conserveront pendant quatre ans dans la plus grande province d’Argentine, deux principaux éléments d’analyse émergent comme conclusions provisoires.

En premier lieu, et c’est le plus évident, la victoire incontestable des péronistes-kirchnéristes sur La Libertad Avanza du président Milei. Plus globalement, on peut l’interpréter comme un rejet clair, par une majorité d’électeurs de Buenos Aires, du projet de rigueur antisociale radicale mis en œuvre par le dirigeant libertarien avec l’aval du Fonds monétaire international.

Si Milei est parvenu à un contrôle relatif de l’inflation, le coût social de son ajustement, le démantèlement accéléré de l’État social, la dépendance totale vis-à-vis du FMI, ainsi que son alignement aveugle sur Donald Trump et Benyamin Netanyahou (principaux référents de sa vision géopolitique) lui valent une lourde facture politique. À cela s’ajoutent le rejet populaire du négationnisme de Milei en matière de droits humains et de changement climatique, ainsi que la condamnation de la répression constante exercée par son gouvernement contre toute forme d’opposition, notamment contre les retraités qui, depuis des mois, mènent la contestation sociale dans les rues.

Par ailleurs, le triomphe de Fuerza Patria conduit à analyser les dynamiques internes de ce vaste ensemble politique péroniste-kirchnériste. Trois grands secteurs s’y croisent : celui d’Axel Kicillof (53 ans), actuel gouverneur de Buenos Aires, héritier du kirchnérisme mais revendiquant une autonomie de gestion ; le secteur kirchnériste mené par Cristina Fernández de Kirchner (72 ans), aujourd’hui proscrite, assignée à résidence mais toujours présidente du Parti justicialiste (péroniste) au niveau national ; et la mouvance centriste Renovación Peronista de l’ancien candidat  à la présidentielle Sergio Massa (53 ans).

Cependant, au-delà de ces forces structurées, le péronisme-kirchnérisme intègre une grande diversité de secteurs sociaux, ce qui complexifie encore davantage la conduite unifiée de ce large mouvement : les principales centrales syndicales du pays ; les mouvements sociaux urbains et ruraux ; les gouverneurs provinciaux péronistes – souvent porteurs de projets et d’intérêts propres, et disposés à négocier avec le gouvernement national – ainsi que les maires. À titre d’exemple, rien qu’à Buenos Aires, le péronisme a remporté le 7 septembre dernier près d’une centaine des 135 municipalités de la province, où l’on élisait également des conseillers municipaux et scolaires.

Une première lecture laisse penser que le grand gagnant de cette dynamique interne est Axel Kicillof, qui a imposé sa volonté d’avancer à septembre ce scrutin provincial, séparé des élections législatives d’octobre prochain. Les urnes ont montré que ce pari politique à haut risque était le bon. Cependant, la victoire du péronisme-kirchnérisme livre aussi une leçon essentielle : sans unité dans la diversité, il n’y a pas de victoire contre le projet de Milei.

Le grand défi des prochains mois et années consistera non seulement à maintenir cette fragile unité au sein du camp national et populaire, mais aussi à l’élargir à d’autres secteurs, afin que le succès enregistré à Buenos Aires puisse dépasser, à l’échelle nationale, les 50 % de soutiens électoraux – condition indispensable pour détrôner ce dangereux laboratoire de sociocide que met en œuvre le gouvernement Milei.

10/09/2025

RUBÉN KOTLER
Mes amis et collègues ne sont pas antisémites

Rubén Kotler, 7/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Rubén Kotler est un historien argentin, juif antisioniste, spécialiste de l’histoire récente de Tucumán, cofondateur de l’Association d’Histoire Orale de la République Argentine et coadministrateur du Réseau latino-américain d’Histoire Orale, coscénariste et responsable de la recherche historique du documentaire El Tucumanazo (sur les révoltes ouvrières-étudiantes de Tucumán). https://www.deigualaigual.net/

 

Le récit sioniste affirme que quiconque ose remettre en question Israël surfe sur la vague de l’antisémitisme global, déguisé en l’occurrence en antisionisme. Selon le narratif du puissant lobby sioniste, l’étiquette « antisémite » s’applique même à ceux qui défendent le droit à l’existence d’Israël tout en critiquant les actions militaires contre le peuple palestinien.
Je me meus dans un monde qui va du militantisme pur et dur à l’académisme en tous genres. En général, le militantisme de gauche brandit l’étendard de l’antisionisme. De nombreuses organisations politiques et sociales comptent parmi leurs rangs des militants d’origine juive.


Clarisa Lita Alberstein, dirigeante du MST, Front de gauche et des travailleurs – Unité, lors d'un rassemblement de solidarité à Tucumán, 30/8/2025

Dans le vaste monde universitaire, surtout latino-américain, il se passe quelque chose de similaire. Avec une présence institutionnelle plus ou moins forte, les voix critiques proviennent souvent, comme dans mon cas personnel, de professionnels d’origine juive qui, au sein même de l’université, disent : pas en mon nom.

Quand je vois des camarades, des amis et des collègues brandir les drapeaux de la Palestine dans des manifestations, activités, etc., ils ne s’attaquent pas au judaïsme en tant que tel, et lorsque j’écoute attentivement leurs discours, je ne trouve pas la moindre trace d’antisémitisme dans ces déclarations ou positions.

Voir de l’antisémitisme dans toute expression de soutien au peuple palestinien ou de critique de l’État d’Israël finit par banaliser la véritable haine antijuive qui existe aujourd’hui mais qui reste marginale. Ceux qui soutiennent aujourd’hui le sionisme et l’État juif  autoproclamé sont des secteurs de l’ultradroite mondiale, autrefois haineuse des juifs, comme les « Liberfachos » argentins, les Vox espagnols, les partisans d’Orbán en Hongrie, etc., etc..

Quand le cauchemar prendra fin, peut-être que les jeunes générations de juifs, nées au sein de familles judéo-sionistes, se réveilleront et rompront leurs attaches pour dénoncer haut et fort la défense d’un peuple comme le peuple palestinien, qui subit depuis plus d’un siècle persécution, oppression et bombardements.

Bien sûr, nous sommes rejetés par un autre secteur académique d’origine juive qui, malgré tout ce que nous voyons chaque jour, soutient et appuie Israël de manière inconditionnelle. Y compris dans certains milieux progressistes.

En dehors de tout cela, la question qui m’assaille immédiatement est : comment l’establishment judéo-sioniste communautaire définit-il l’antisémitisme, et pourquoi, dans tous les cas, refuse-t-il le débat public avec ceux d’entre nous qui avons une vision diamétralement opposée ? Même au sein des communautés islamiques, syro-libanaises, etc. (le monde arabe, musulman, islamique, etc., est aussi vaste que le monde juif ashkénaze ou séfarade), il existe une multitude de positions autour de la question palestinienne qu’il est impossible de cataloguer comme « antisémites », puisque la défense du peuple palestinien est la défense d’un peuple autochtone sémitique.

Pour être francs, ceux qui soutiennent aujourd’hui Israël pratiquent l’islamophobie la plus débridée et associent tout ce qui est musulman, islamique, arabe, etc., au terrorisme. Un drapeau palestinien, pour les caciques du monde occidental et chrétien, est synonyme d’un drapeau « terroriste ».

Je le répète : si le lobby sioniste, qui aime se présenter sous le masque de victime éternelle, veut débattre, qu’il le fasse. Mais qu’il cesse de parler au nom de l’ensemble des juifs et d’amalgamer termes et concepts pour justifier son adhésion au pire génocide du XXIᵉ siècle auquel nous assistons.

Quand le cauchemar prendra fin, peut-être que les jeunes générations de juifs, nées au sein de familles judéo-sionistes, se réveilleront et rompront leurs attaches pour dénoncer haut et fort la défense d’un peuple comme le peuple palestinien, qui subit depuis plus d’un siècle persécution, oppression et bombardements.

08/09/2025

SERGIO FERRARI
Argentine : investissements ou envahissements ?
Un an après le lancement du RIGI, peu de résultats et de mauvaises perspectives

Sergio Ferrari, El Cohete a la Luna, 7/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Depuis son lancement, le projet économique du gouvernement de Milei a misé sur l’ouverture de l’Argentine aux investissements étrangers, avec deux objectifs : faciliter l’entrée de grands capitaux et accélérer les exportations à court terme.

Le levier destiné à promouvoir l’arrivée de cet argent est le Régime d’Incitation aux Grands Investissements (RIGI), l’un des piliers de la “Loi de Bases et de  Point de Départ pour la Liberté des Argentins”. Il s’agit d’un paquet d’avantages fiscaux, douaniers et juridiques, d’une durée de trente ans, destiné à l’investissement privé étranger ou national dans les mégaprojets dépassant 200 millions de dollars. Selon le décret 749, qui a établi ce dispositif, le gouvernement anarcho-libertarien de Milei conçoit le RIGI comme « un outil pour attirer des investissements significatifs pour l’économie nationale, qui autrement ne se développerait pas ».

Les secteurs prioritaires sont : l’industrie forestière, le tourisme, l’infrastructure, l’exploitation minière, la technologie, la sidérurgie, l’énergie, le pétrole et le gaz. Le décret soutient que, dans le contexte actuel, les incitations accordées dans le cadre du RIGI contribueront à rendre « la reprise économique plus rapide, durable et pérenne ». Le délai d’adhésion à ce régime spécial d’encouragement du capital transnational expire en juillet 2026, mais le gouvernement pourrait le prolonger.

Alliance pour un contrôle citoyen

À l’occasion du premier anniversaire du RIGI, cinq organisations et institutions argentines — la Fondation Environnement et Ressources Naturelles (FARN), le Centre d’Études Légales et Sociales (CELS), l’Espace de Travail Fiscal pour l’Équité (ETFE), le Centre de Politiques Publiques pour le Socialisme (CEPPAS) et l’École de Politique et Gouvernement de l’Université Nationale de San Martín (EPYG/UNSAM) —, en collaboration avec le Transnational Institute (TNI), basé à Amsterdam, ont réalisé un premier bilan pluridisciplinaire.

Celui-ci s’intéresse aux résultats de l’application du RIGI, mais en prenant pour boussole les droits humains, la justice environnementale et la souveraineté territoriale. Publié en août par l’Observatoire du RIGI, ce rapport représente une contribution scientifique à portée internationale.


Luciana Ghiotto

Luciana Ghiotto, chercheuse associée au TNI et au CONICET (Conseil National de Recherches Scientifiques et Techniques, à l’UNSAM), explique que cette synergie entre diverses organisations nationales et internationales est cohérente avec « la tradition de travailler en collaboration avec des organisations du Sud global ». Elle rappelle des expériences similaires, comme en Colombie, où le TNI participe à la campagne internationale #Stoppons le Pouvoir des Transnationales.

En Argentine, dit-elle, « nous avons participé à la campagne contre l’Accord de Libre-Commerce (ALCA) entre 2003 et 2005, et il existe déjà une tradition de travail et d’analyse conjointe avec plusieurs organisations sociales et académiques qui forment aujourd’hui l’Observatoire du RIGI ».

La diversité des membres de l’Observatoire est une richesse, ajoute Ghiotto : « L’alliance s’est construite grâce à l’action d’organisations comme la FARN et le CELS, qui, dès 2024, ont joué un rôle actif dans les débats sur la Loi de Bases, dont fait partie le RIGI ». Ces débats ont cherché à mettre en évidence les impacts négatifs potentiels du régime sur l’environnement et les territoires.

Une fois la loi approuvée, poursuit-elle, « nous avons constaté la nécessité d’agir ensemble, à partir d’approches différentes, pour analyser les implications du RIGI ». Ce régime cherche à attirer des capitaux en offrant « des avantages fiscaux, douaniers, de change et de sécurité juridique » aux investisseurs. Chaque organisation de l’Observatoire apporte ses connaissances propres et sa capacité d’analyse sur les divers aspects du décret.

Bilan préliminaire : un RIGI en retard

Durant sa première année, le Régime d’Incitation a reçu 19 projets totalisant plus de 30 milliards de dollars. Sept d’entre eux, pour une valeur de 13,067 milliards de dollars, ont été approuvés, un a été rejeté et les autres sont encore à l’étude. Des chiffres cependant très éloignés des 40 milliards de dollars que Milei espérait attirer initialement.

Parmi les projets approuvés : deux concernent les hydrocarbures, deux l’exploitation minière, deux les énergies renouvelables et un la sidérurgie. D’après l’Observatoire, et selon une étude de l’Institut de Recherches Politiques de l’UNSAM et du CONICET, les principales initiatives dans le secteur des hydrocarbures visent la construction d’infrastructures d’exportation, concentrant les montants les plus élevés. Dans le secteur minier, le cuivre et le lithium dominent, avec des projets situés surtout dans les provinces de San Juan, Salta et Catamarca.



Le RIGI, précise Ghiotto, reflète l’orientation du gouvernement vers une réduction de l’intervention de l’État dans la gestion des biens communs, en donnant un rôle prépondérant au secteur privé. Cette vision est « alarmante », souligne-t-elle, car l’expansion des droits des investisseurs aura des répercussions sur la vie quotidienne des habitants des territoires concernés.

De plus, le RIGI ne prévoit aucun mécanisme de planification industrielle, ni de dispositions pour la protection environnementale ou sociale des écosystèmes et des communautés locales.

Quant à la création d’emplois, la promesse reste non tenue. Même dans les prévisions les plus optimistes du gouvernement, les investissements approuvés ne généreraient qu’un peu plus de mille emplois directs. Un chiffre encore plus limité en l’absence de plan d’industrialisation ou de développement de chaînes productives permettant un véritable impact économique durable pour les régions concernées.

Tout au service du grand capital

Selon le CELS, le RIGI s’inscrit dans la stratégie de Milei visant à « attirer des investissements extractifs grâce au démantèlement des protections légales des communautés autochtones et des producteurs locaux ».

Ainsi, « l’appareil d’État de sécurité est mobilisé pour contrôler les conflits socio-environnementaux par la surveillance, le suivi et la répression des résistances ».

Un exemple est la suppression par Milei de l’architecture institutionnelle qui protégeait les droits territoriaux des peuples autochtones. La principale mesure fut l’abrogation de la loi 26.160, adoptée en 2006, qui déclarait l’urgence territoriale autochtone, imposait au gouvernement de réaliser un recensement national des territoires communautaires et suspendait les expulsions.

Lorsque la loi a été abrogée fin 2024, moins de la moitié des territoires avaient été recensés. Le décret reconnaît l’existence de plus de 250 conflits territoriaux en suspens.

Autre cas critique relevé par le CELS : l’agriculture familiale. Dès son arrivée au pouvoir, Milei a licencié presque tous les employés de l’Institut National de l’Agriculture Familiale. Résultat : l’abandon des producteurs vivant dans des zones isolées, où seul cet organisme intervenait. En juillet 2025, Milei a abrogé par décret la plupart des articles de la Loi d’Agriculture Familiale Paysanne Autochtone, qui visait à renforcer ce secteur.

Cet abandon fragilise les producteurs et réduit leur capacité à résister aux tentatives d’expulsion, généralement initiées par de grands entrepreneurs locaux.

Le TNI alerte sur un autre danger : le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États (ISDS), qui élargit les droits des investisseurs au détriment des États et ouvre la voie à des arbitrages internationaux coûteux. L’Argentine en a déjà fait les frais.

Plusieurs entreprises liées au RIGI (Rio Tinto, Chevron, Shell, Pan American Energy, entre autres) ont largement utilisé ce mécanisme pour exercer des pressions ou poursuivre des États au nom de leurs intérêts et profits potentiels.

« La combinaison du RIGI et de ces entreprises », souligne le TNI, « configure un scénario à haut risque pour la souveraineté réglementaire, les finances publiques et la capacité de l’État à prioriser les intérêts sociaux et environnementaux ».


Le lithium et le cuivre parmi les secteurs les plus convoités par les investissements étrangers. Photo Litium Triangle South America.

Gouvernement affaibli et conjoncture instable

Dans leur analyse du contexte politique argentin, les six organisations de l’Observatoire estiment que les investisseurs internationaux attendront probablement la fin des élections législatives d’octobre 2025 (renouvellement de la moitié de la Chambre des Députés et des deux tiers du Sénat) avant d’engager de gros capitaux.

Si le plan économique échoue et que les résultats électoraux sont défavorables, Milei aura du mal à attirer les investissements souhaités.

À cela s’ajoutent des tensions sociales, l’absence de participation citoyenne, le manque de mécanismes de reddition de comptes et la criminalisation des communautés locales. Un cocktail préoccupant pour des projets extractifs qui peuvent durer jusqu’à trente ans.

 « La liberté du capital »

Pour Ghiotto, le projet économique de Milei et de son parti anarco-libertaire est clair : « c’est le projet de la liberté du capital », dont l’objectif est de « drainer des investissements vers le secteur primaire-extractif, car [les dirigeants] considèrent que l’Argentine n’a rien d’autre à offrir au monde que ses ressources naturelles, à très bas prix et sans restrictions ».

Le RIGI est donc un instrument central, accompagné d’un Commandement Unifié de Sécurité Productive qui garantit aux investisseurs non seulement la sécurité juridique, mais aussi la sécurité physique de leurs capitaux.

C’est pourquoi le plan de Milei n’admet aucune protestation qui pourrait entraver le libre déploiement du capital. La véritable épreuve viendra lorsque commenceront les mobilisations et résistances contre certains projets extractifs approuvés. Ce sera alors le moment de mesurer la pression et le chantage exercés par le grand capital pour préserver ses énormes perspectives de gains.

Enfin, la conclusion que tire Ghiotto pour la région est sans appel :

« De cette manière, le RIGI argentin peut servir d’avertissement pour le reste des pays latino-américains sur les risques de cette nouvelle vague de cadres normatifs “favorables” aux investissements, qui élargissent encore le champ de protection des Traités Bilatéraux d’Investissement. »

25/06/2025

JOSÉ STEINSLEGER
Les porte-flingues (idéologiques) de Javier Milei

José Steinsleger, La Jornada, 25/6/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

José Steinsleger est écrivain et journaliste, né en Argentine, mais installé au Mexique. Membre fondateur de la Fédération latino-américaine des  journalistes (FELAP, 1976), de l’Agence latino-américaine de services spéciaux d’information (ALASEI-UNESCO, 1984) et du mouvement « En défense de l’humanité » (Mexique, 2003). Depuis 1996, il tient une chronique régulière dans le journal mexicain La Jornada. Il est l’auteur et le coauteur de plusieurs ouvrages sur la situation politique en Amérique latine.

Un. Bien avant d’accéder à la présidence, Javier Milei avait annoncé ses « anti » : l’État, la démocratie, les politiciens et la politique, la justice sociale, les droits humains, la solidarité, la diplomatie et, surtout, sa haine des pauvres qui seraient responsables de leur pauvreté.

Deux. En 18 mois de mandat, Milei a gelé les dépenses publiques et sociales, privatisé les entreprises publiques, vendu aux enchères des ressources stratégiques, s’en est pris à la santé et à l’éducation publiques, à la recherche scientifique et universitaire et aux symboles nationaux, a offensé la mémoire populaire et ses héros, a poursuivi en justice les mouvements sociaux et le catholicisme rénovateur, a boycotté l’intégration et la coopération avec les pays voisins, et tout ce qui, à son sens, sentait le « progressisme » ou, tout simplement, le « communisme »...


Trois. Des fantaisies qui, naturellement, nécessitaient le soutien idéologique de certains pseudo-penseurs qui alimentent le discours du président. Parmi eux, le pamphlétaire Nicolás Márquez, le « théologien » Agustín Laje et l’« opérateur » Santiago Caputo. Fait intéressant : aucun d’entre eux n’occupe de fonction officielle.

Quatre. Le plus ancien, Márquez (1975), est diplômé de l’ultramontain William J. Perry Center for Hemispheric Defense Studies (où l’empire endoctrine les dirigeants en matière de « lutte contre le terrorisme »), collabore avec le Hispanic American Centre for Economic Research (dont l’objectif est « la défense de la liberté et du libre marché ») et donne des conférences dans lesquelles il revendique les coups d’État civico-militaires de 1955 et 1976.

Cinq. Les livres de Márquez (dont certains ont été tirés à de nombreux exemplaires) portent des titres suggestifs : El canalla (la véritable histoire du Che) ; El impostor Evo Morales ; El cuentero de Carondelet (Rafael Correa) ; Perón, el fetiche de las masas ; La máquina de matar (biographie définitive du Che Guevara), etc.

Six. Selon Márquez, la loi sur l’identité de genre stipule qu’« un homme déguisé en femme est une femme » (sic), l’homophobie est une « invention idiomatique » (sic) et que l’avortement est un crime. Cependant, sa deuxième épouse l’a dénoncé en 2013 lorsqu’il l’a forcée à avorter. Et en 2008, deux pédiatres ont porté plainte pour abus sexuel sur sa fille de quatre ans.

Sept. De son côté, Agustín Laje (1989) est également diplômé du William Perry Center et prépare actuellement un doctorat en philosophie à l’université de Navarre, temple académique de l’Opus Dei. Laje se présente comme victime d’une génération qui a vécu toute sa vie en démocratie, affirmant que les élèves du XXIe siècle ont été endoctrinés par un discours « manichéen et réductionniste » (sic) sur les droits humains. Il dirige la Fondation Faro, qui collecte des fonds pour les besoins électoraux du gouvernement.

Huit. Laje prône le respect de la loi et de l’ordre. Cependant, ses déclarations sont quelque peu contradictoires. Après l’une des nombreuses répressions contre les retraités qui se mobilisent pour protester, il a déclaré : « Chers policiers, visez bien. Chaque balle bien placée dans chaque gauchiste a été pour nous tous un moment de réjouissance ». Une opinion qui correspond à celle de son grand-oncle, le colonel (à la retraite) Raúl Fierro, l’un des répresseurs les plus redoutables du régime militaire dans la province de Córdoba.

Neuf. Laje a traité les mères et les grands-mères de la Plaza de Mayo de « putains » (sic) « pour avoir appris à leurs fils à tuer ». Avec 2,2 millions d’abonnés sur sa chaîne YouTube (et plus d’un million sur Instagram), il est devenu l’intellectuel vedette de la droite internationale et le croisé de la lutte contre le « marxisme culturel » (?) et le féminisme radical, tout en soulignant que la pensée politiquement correcte doit être combattue sur les réseaux sociaux, où réside « le pouvoir de notre époque ».

Dix. Enfin, « l’épée » qui a le plus d’influence sur Milei, Santiago Caputo (1984), formé par l’Équatorien Jaime Durán Barba, qui restera certainement dans l’histoire comme le consultant le plus cynique et amoral de notre époque.

Onze. Neveu du ministre de l’Économie Luis Caputo et de Nicolás Caputo (soupçonné d’avoir tenté d’assassiner Cristina Kirchner), Milei a rendu hommage à Santiago dans son discours d’investiture, le qualifiant d’« architecte » de sa victoire en 2023. Ce qui lui permet aujourd’hui de contrôler les services de renseignement, une partie du pouvoir judiciaire, la perception des impôts, les domaines techniques et juridiques de la présidence, ainsi que tout ce qui concerne les médias et la communication.

Douze. Entouré de gardes du corps partout où il va, Santiago Caputo ressemble beaucoup à un voyou de quartier. Sur son bras droit, il a tatoué la phrase en russe « Rien n’est vrai, tout est permis », qui apparaît dans le jeu vidéo Assassin’s Creed et est tirée du livre Russian Criminal Tattoo Encyclopedia.

Treize. Márquez, Laje et Caputo refusent d’être qualifiés de ce qu’ils sont : des fascistes. Mais ils sont fiers d’être identifiés comme des ultradroitiers « durs et purs ».