La capacité de Yahya Sinwar à échapper à la capture ou à la mort a empêché Israël de remporter un succès militaire dans une guerre qui a commencé après qu’il eut planifié l’opération du 7 octobre.
Mark Mazzetti, Ronen Bergman, Julian E. Barnes et
Adam Goldman, avec Adam
Rasgon, The New York Times, 25/8/2024
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
En janvier, les autorités israéliennes et usaméricaines pensaient avoir fait une percée dans la chasse à l’un des hommes les plus recherchés au monde.
Le 31 janvier, des commandos israéliens ont perquisitionné un complexe de tunnels perfectionné dans le sud de la bande de Gaza, sur la base de renseignements indiquant que Yahya Sinwar, le chef du Hamas, s’y cachait, selon des responsables usaméricains et israéliens.
Il s’est avéré que c’était le cas. Mais Sinwar avait quitté le bunker situé sous la ville de Khan Younès quelques jours auparavant, laissant derrière lui des documents et des piles de shekels israéliens d’une valeur totale d’environ un million de dollars. La traque s’est poursuivie, sans que l’on dispose de preuves tangibles sur l’endroit où il se trouvait.
Depuis les attaques du 7 octobre en Israël, qu’il a planifiées et dirigées, Sinwar est une sorte de fantôme : il n’apparaît jamais en public, diffuse rarement des messages à l’intention de ses partisans et ne donne que peu d’indices sur l’endroit où il pourrait se trouver.
Il est de loin la figure la plus importante du Hamas, et le fait qu’il ait réussi à échapper à la capture ou à la mort a empêché Israël d’affirmer qu’il avait gagné la guerre et éradiqué le Hamas dans un conflit qui a décimé les rangs du groupe, mais aussi détruit la bande de Gaza et tué des dizaines de milliers de civils.
Des responsables usaméricains et israéliens ont déclaré que Sinwar avait abandonné les communications électroniques depuis longtemps et qu’il avait jusqu’à présent échappé à une traque sophistiquée des services de renseignement. On pense qu’il reste en contact avec l’organisation qu’il dirige grâce à un réseau de messagers humains. Le fonctionnement de ce système reste un mystère.
Il s’agit d’une méthode utilisée par les dirigeants du Hamas dans le passé et par d’autres chefs terroristes tels qu’Oussama ben Laden. Pourtant, la situation de Sinwar est plus complexe et encore plus frustrante pour les responsables usaméricains et israéliens.
Contrairement à Ben Laden dans ses dernières années, Sinwar gère activement une campagne militaire. Les diplomates impliqués dans les négociations sur le cessez-le-feu à Doha, au Qatar, affirment que les représentants du Hamas insistent sur le fait qu’ils ont besoin de l’avis de Sinwar avant de prendre des décisions importantes dans le cadre des pourparlers. En tant que chef du Hamas le plus respecté, il est le seul à pouvoir garantir que les décisions prises à Doha seront appliquées à Gaza.
Des entretiens avec plus de deux douzaines de fonctionnaires en Israël et aux USA révèlent que les deux pays ont consacré d’énormes ressources à la recherche de Sinwar.
Des fonctionnaires ont mis en place une unité spéciale au sein du siège du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, et les agences d’espionnage usaméricaines ont été chargées d’intercepter les communications de Sinwar. Les USA ont également fourni à Israël des radars géologiques pour l’aider dans sa traque et celle d’autres commandants du Hamas.
L’assassinat ou la capture de Sinwar aurait sans aucun doute un impact considérable sur la guerre. Les responsables usaméricains pensent que cela permettrait au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou de revendiquer une victoire militaire significative et pourrait le rendre plus enclin à mettre fin aux opérations militaires dans la bande de Gaza.
En revanche, l’effet de la mort de Sinwar sur les négociations en vue de la libération des otages saisis le 7 octobre est moins évident. S’il est éliminé, ses successeurs pourraient être beaucoup moins enclins à conclure un accord avec Israël.
La communication avec Sinwar est devenue plus difficile, selon des responsables israéliens, qataris, égyptiens et usaméricains. Il avait l’habitude de répondre aux messages en quelques jours, mais les responsables ont déclaré qu’il fallait beaucoup plus de temps pour obtenir une réponse de sa part au cours des derniers mois, et que certains de ses adjoints ont parfois été ses mandataires dans ces discussions.
Sinwar, âgé de 61 ans, a été déclaré chef politique du groupe au début du mois d’août, quelques jours après qu’Ismail Haniyeh, le chef politique précédent, a été tué dans un attentat israélien à Téhéran.
En réalité, Sinwar a longtemps été considéré comme le chef de facto du Hamas, même si les agents politiques du groupe basés à Doha détenaient les titres officiels de direction.
La pression exercée sur le chef du Hamas a rendu beaucoup plus difficile la communication avec les commandants militaires et la direction des opérations quotidiennes, bien que les responsables usaméricains aient déclaré qu’il avait toujours la capacité de dicter la stratégie générale du groupe.
C’est plusieurs semaines après les attaques du 7 octobre, qui ont fait au moins 1 200 morts, qu’un comité spécial composé de hauts responsables des services de renseignement et de l’armée israélienne a approuvé une liste de commandants et de responsables politiques du Hamas à abattre. De nombreux hommes figurant sur cette liste, dont Haniyeh, ont été tués au cours des mois qui ont suivi.
À chaque assassinat, le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, a mis un « X » sur un nom figurant sur le diagramme des dirigeants du Hamas qu’il conserve sur son mur.
Mais Sinwar, le plus important de tous, est toujours en liberté.