06/08/2024

JEREMY SCAHILL
“Quelque chose est venu de l’extérieur” : Khaled Qaddoumi, témoin oculaire des suites immédiates de l’assassinat d’Ismail Haniyeh

L’Iran et le Hamas contestent la version du New York Times d’une bombe placée à l’avance

 Jeremy Scahill, Drop Site News, 3/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Guide suprême Ali Khamenei assiste à la prière funéraire pour le chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh. Photo : Bureau de presse du Guide suprême

 « La seule chose qui m’est venue à l’esprit, c’est qu’Israël a tué notre chef », a déclaré Khaled Qaddoumi, représentant du Hamas en Iran, qui dormait dans un appartement situé deux étages en dessous du chef politique du groupe, Ismail Haniyeh, lorsqu’une explosion a secoué l’immeuble. « Que ce soit avec les outils usaméricains ou par l’intermédiaire des USAméricains, ce qui m’est venu directement à l’esprit, c’est que l’ennemi israélien a tué notre dirigeant ».

Aujourd’hui, le Corps des gardiens de la révolution a directement accusé Israël d’avoir assassiné Haniyeh à Téhéran tôt mercredi matin en tirant un « projectile à courte portée avec une ogive d’environ 7 kilogrammes » depuis l’extérieur du complexe d’appartements. Bien que le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) n’ait fourni aucune preuve médico-légale à l’appui de ses allégations, cette déclaration constitue un défi direct à un article publié jeudi dans le New York Times, selon lequel Haniyeh aurait été tué par une bombe placée secrètement dans la résidence il y a plusieurs mois.

D’après ce que Qaddoumi a vu, il semble qu’un projectile ait fait un trou dans le côté du bâtiment, directement sur l’appartement où se trouvait Haniyeh. Dans une interview accordée à Drop Site News, M. Qaddoumi, qui est également membre du bureau des relations politiques du Hamas dans le monde arabe et islamique, a déclaré avoir rencontré M. Haniyeh dans la résidence située dans le nord de Téhéran, à la suite d’un dîner d’État organisé en l’honneur du président iranien nouvellement investi. Qaddoumi n’a pas assisté au dîner, mais attendait le retour d’Haniyeh dans le complexe d’appartements, situé dans une enceinte gérée et gardée par le Corps des gardiens de la révolution islamique. Qaddoumi et d’autres personnes se sont alors réunis avec le chef du Hamas pour discuter de la récente attaque israélienne dans un quartier sud de Beyrouth, qui a coûté la vie à Fouad Shukr, haut commandant du Hezbollah.

Au bout d’une heure environ, « il est parti dans sa chambre au quatrième étage de l’immeuble. Je suis allé chez moi, au deuxième étage », se souvient M. Qaddoumi.

Il s’est endormi et a été réveillé par les secousses de l’immeuble autour de lui. « Vers 1 h 37, j’ai ressenti un choc dans le bâtiment. Cela m’a donné une sensation très étrange ». Il a pensé qu’il s’agissait « peut-être d’un tremblement de terre », mais « avec plus d’ampleur.

« Je suis sorti pour vérifier. J’ai constaté que de la fumée s’échappait de partout. Les toilettes de ma suite étaient détruites, le plafond était détruit. Et puis je suis sorti. Mes amis m’ont raconté ce qui s’était passé. Je me suis alors précipité vers la chambre d’Ismail », raconte-t-il. « Je suis entré dans la [suite] et j’ai trouvé une pièce où les deux murs du côté extérieur du bâtiment avaient été détruits. Le plafond de cette pièce était également détruit. J’ai donc eu l’impression que quelque chose était venu de l’extérieur, [tiré] dans la pièce ».

Qaddoumi dit avoir vu le corps de Haniyeh et, dans une pièce adjacente, son garde du corps, qui a également été tué. Après cela, lui et d’autres responsables palestiniens à Téhéran ont été informés par leurs homologues iraniens. « Au départ, tout le monde, d’après l’évaluation faite sur le terrain, était d’accord pour dire que quelque chose avait attaqué le bâtiment de l’extérieur. Puis, avec le temps et la vérification des processus techniques, [le CGRI] a publié cette déclaration ».

La manière dont Haniyeh a été tué - qu’il s’agisse d’un projectile à courte portée ou d’une bombe placée là - pourrait avoir des conséquences importantes, notamment pour la réaction interne de l’Iran. Le guide suprême de l’Iran, Ali Khamenei, aurait été réveillé au milieu de la nuit de l’attentat pour être informé. Il a juré que l’Iran riposterait contre Israël. La pose d’une bombe serait le signe d’une infiltration profonde d’espions israéliens, capables d’opérer dans un complexe résidentiel contrôlé et gardé par les forces militaires et de renseignement les plus élitistes d’Iran. Un projectile tiré depuis l’extérieur du complexe militaire indique également une défaillance majeure en matière de sécurité. Les planificateurs de cette opération voulaient clairement faire passer le message que l’Iran n’est plus un lieu sûr pour les ennemis d’Israël.

Selon le New York Times, la bombe a été introduite clandestinement dans la résidence d’hôtes où Haniyeh a séjourné lors de ses précédentes visites dans la capitale iranienne et a explosé à distance peu après 1 h 30, heure locale. Qaddoumi m’a expliqué que si Haniyeh avait déjà séjourné dans ce complexe lors de ses précédentes visites à Téhéran, le chef du Hamas ne logeait pas toujours dans cette suite spécifique. « Cela dépend de la liste des invités », a-t-il déclaré.

L’article du Times s’appuie sur « sept responsables du Moyen-Orient, dont deux Iraniens, et un responsable usaméricain ». Le rapport n’indique pas combien de fonctionnaires du “Moyen-Orient” sont des Israéliens. L’auteur principal de l’article est Ronen Bergman, un journaliste israélien qui entretient des liens étroits avec les services de renseignement israéliens et qui a écrit un livre, Lève-toi et tue le premier, sur l’histoire des opérations d’assassinat israéliennes. Le rapport du Times, citant trois “responsables iraniens” anonymes, indique que l’attaque représente « un échec catastrophique en matière de renseignement et de sécurité pour l’Iran et un énorme embarras pour les Gardiens, qui utilisent le complexe pour des retraites, des réunions secrètes et l’hébergement d’invités de marque tels que M. Haniyeh ».

Cette version des événements ressemble à un récit tiré de la populaire série d’espionnage israélienne “Téhéran”, qui raconte l’histoire d’un agent secret israélien opérant dans la capitale iranienne avec pour mission de détruire un réacteur nucléaire - et ce cadrage est peut-être intentionnel, selon Qaddoumi.

« Israël veut créer, par la propagande, l’impression qu’il y a eu une défaillance de la sécurité pour semer le chaos chez les Iraniens eux-mêmes », dit-il. « C’est l’habitude des Israéliens et des agences usaméricaines. Ils sont très doués dans l’élaboration de scénarios et ils sont très doués pour créer des histoires et de bons scénarios pour un film bon marché, un film de Bollywood peut-être ».

Il est vrai qu’Israël est engagé depuis longtemps dans un effort de propagande visant à semer la paranoïa au sein du gouvernement iranien en faisant croire que le Mossad et d’autres agences de renseignement israéliennes peuvent opérer clandestinement et de manière meurtrière à volonté en Iran. On pense généralement qu’Israël est à l’origine de l’assassinat de plusieurs scientifiques nucléaires en Iran, dont cinq ont été tués entre 2010 et 2020.

Que les conclusions du CGRI ou celles publiées dans le New York Times sur la manière dont Haniyeh a été tué soient exactes, l’assassinat sur le sol iranien du plus haut responsable politique du Hamas et de son principal négociateur pour un cessez-le-feu à Gaza a provoqué une onde de choc dans les chambres du pouvoir à Téhéran.

À la suite de l’assassinat de Haniyeh, l’Iran aurait procédé à une série d’arrestations et d’interrogatoires de hauts responsables des services de renseignement et de l’armée. L’enquête est menée par l’unité spéciale de contre-espionnage et d’espionnage du Corps des gardiens de la révolution islamique. L’Iran a promis de réagir à l’assassinat de Haniyeh dans un appartement situé dans un complexe contrôlé par le CGRI et qui est équipé de radars, de systèmes de défense aérienne et de caméras de surveillance.

Vendredi, le président Joe Biden s’est entretenu avec le Premier ministre Benjamin Netanyahou et a « réaffirmé son engagement en faveur de la sécurité d’Israël contre toutes les menaces de l’Iran, y compris ses groupes terroristes mandataires, le Hamas, le Hezbollah et les Houthis », selon un compte-rendu de la Maison-Blanche. « Le président a discuté des efforts visant à soutenir la défense d’Israël contre les menaces, notamment contre les missiles balistiques et les drones, y compris de nouveaux déploiements militaires défensifs américains ».

Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, a ordonné le déploiement de l’USS Abraham Lincoln, de destroyers et d’un escadron supplémentaire d’avions de combat dans la région afin de soutenir Israël en cas de riposte militaire iranienne. Ces déploiements s’ajoutent à l’ensemble des moyens maritimes, terrestres et aériens que les USA ont déployés dans la région au cours des derniers mois pour faire face à l’Iran, à l’Irak, au Yémen et à d’autres forces de l’Axe de la résistance.

Qaddoumi a ajouté qu’il ne croyait pas qu’Israël ait agi unilatéralement et, en tant que représentant officiel du Hamas en Iran, il s’est joint à Téhéran pour accuser les USA d’être impliqués. « Israël ne pourrait pas se lancer dans de telles aventures sans la bénédiction et le feu vert de l’Amérique », a-t-il déclaré. « L’Amérique soutient et facilite absolument le génocide israélien à Gaza. Et c’est ce qui se passe dans les opérations d’assassinat ».

Le CGRI a également déclaré que les Israéliens avaient tué Haniyeh, qui se trouvait en Iran pour assister à l’investiture du nouveau président du pays, avec le soutien du gouvernement usaméricain. De hauts responsables de l’administration Biden ont déclaré que les USA n’avaient pas connaissance de l’attentat contre Haniyeh et qu’ils n’étaient pas impliqués dans l’opération.

Les USA maintiennent qu’ils ne veulent pas d’une guerre plus étendue dans la région et insistent sur le fait qu’ils travaillent sans relâche pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza. Un responsable israélien a affirmé que Biden avait déclaré à Netanyahou, lors de leur dernier coup de fil, qu’il souhaitait un cessez-le-feu « d’ici une à deux semaines ». Biden a déclaré aux journalistes que l’assassinat d’. Haniyeh “n’aide pas” la situation. Pourtant, malgré toutes ses affirmations, l’administration Biden a concentré ses pressions publiques sur l’Iran, les factions palestiniennes qui luttent contre le génocide israélien à Gaza et le Hezbollah au Liban, tout en offrant un soutien “sans faille” à Israël.

« Le soi-disant processus de représailles du côté usaméricain est en fait un acte de guerre. Ils commencent la guerre », dit. Qaddoumi. « Malheureusement, nous ne sommes pas confrontés à un pays ou à un État. Nous sommes face à des gangsters, qui ont la mentalité d’un cartel : tuer et gagner toujours. Ce n’est pas de la négociation ».

Qaddoumi a ajouté que l’assassinat d’Haniyeh ne pousserait pas le Hamas à se rendre. « Si vous continuez à utiliser votre arme, si vous continuez à verser du sang, vous n’obtiendrez jamais une fleur en guise de réponse. Vous recevrez une réponse de sang, parce que le sang entraînera une autre effusion de sang », dit-il. « Ce n’est pas parce qu’Ismail Haniyeh a été tué. C’est parce que 40 000 Palestiniens ont été tués. L’un d’entre eux est Ismail Haniyeh. Parmi eux, 70 % sont des enfants et des femmes. Vous ne pouvez donc pas vous attendre, avec ce genre de choses, à ce que nous capitulions».

 

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