06/08/2024

ALEJANDRO KIRK
L’hystérie
Petit sottisier de la droite antichaviste (gôche chilienne comprise)

 Alejandro Kirk, Politika, 6/8/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala  

Alejandro Kirk est un journaliste chilien, correspondant pour les chaînes HispanTV (Iran) et teleSur (Venezuela). @kirkreportero

 « L’anti-chavisme réduit les capacités intellectuelles », disait à Caracas la célèbre journaliste et universitaire vénézuélo-chileno-yougoslave Olga Dragnic, en faisant référence aux “théories” qui avaient émergé à la suite de la victoire du président Hugo Chávez lors du référendum révocatoire de 2004.

 

Tout le monde sait comment Edmundo pense...si on peut appeler ça penser
Iván Lira

La thèse la plus répétée à l’époque était qu’un pirate informatique russe avait capturé les votes dans l’éther et les avait envoyés à Cuba, où ils avaient été modifiés exactement à l’envers, en quelques secondes, sans que personne ne s’en aperçoive. Ainsi, les 60 % de Chávez étaient en réalité 40 %.

Cela a été chuchoté ou crié, selon le niveau, par des universitaires, des professionnels, des hommes d’affaires ou des politiciens très sérieux, et a même fait l’objet de questions de journalistes à l’ambassadeur russe, qui n’en croyait pas ses oreilles.

Ce sont les mêmes personnes qui ont refusé le remplacement gratuit des ampoules à incandescence par des ampoules “à économie d’énergie”, parce que ces ampoules contenaient des dispositifs d’espionnage de la “dictature”. Ceux qui se réunissaient dans des réunions de copropriété animées pour discuter des stratégies de défense de leurs immeubles contre les “hordes chavistes” qui allaient inévitablement descendre des collines pour tout voler.

En 2004, le leader du parti Acción Democrática, Henry Ramos Allup, avait rejeté les résultats du référendum, dénonçant une fraude, et s’est engagé solennellement devant les caméras, avec un air de dignité blessée, à remettre au ministère public les preuves irréfutables qu’ils avaient recueillies.

Ces preuves ne sont jamais arrivées, pas plus que les preuves des fraudes présumées commises lors de toutes les élections organisées sous le chavisme, sauf deux : 2007, lorsqu’une proposition chaviste de changement constitutionnel a été rejetée, et 2015, lorsque la droite a obtenu la majorité absolue aux élections législatives.

Dans ces deux cas, le même Conseil national électoral (CNE) qui a toujours pratiqué la fraude a cessé de le faire, pour des raisons inconnues.

Il n’y a jamais eu de plaintes formelles auprès du CNE ou de la Cour suprême de justice, mais il y a eu des morts et des blessés, comme en 2014, lorsque le vaincu Henrique Capriles Radonsky a appelé à “décharger la colère” dans les rues, et que des scènes identiques à celles de la semaine dernière ont été observées : meurtres, agressions contre des bâtiments publics, incendies criminels et lynchages, à la recherche d’une définition violente de la question du pouvoir.

La grande majorité des plus de 40 morts étaient des gens du peuple, des chavistes, qui réclament encore aujourd’hui justice.

Comme aujourd’hui, la “communauté internationale” a exigé que la “protestation pacifique” ne soit pas criminalisée et que les citoyens détenus pour avoir exprimé leur désaccord avec la “fraude” soient libérés.

Comme aujourd’hui, et à chaque processus électoral, cette “communauté” a dénoncé le fait qu’il n’était pas conforme aux normes démocratiques internationales et qu’il était donc invalide. Sauf, bien sûr, les deux scrutins où la droite l’a emporté.

Panique

Depuis la déclaration rapide du président Gabriel Boric, disqualifiant – depuis pas moins que la fédération de sept monarchies féodales appelée Émirats arabes unis - les élections du 28 juillet, on assiste au Chili à une sorte de crise de panique collective, où personne - surtout parmi les “prorgessistes” - ne veut être soupçonné de sympathiser avec le chavisme (qu’ils appellent le “madurisme”).

Un écrivain se livre à une longue réflexion sur le “narco-socialisme”, et un autre, ancien vice-ministre, répète des comparaisons Pinochet-Maduro (Hitler et Staline inclus), convaincu qu’il s’agit exactement de la même chose.

Un ministre affirme que beaucoup rougiront lorsque les portes de l’Helicoide (un ancien centre commercial de Caracas datant des années 50, jamais achevé, aujourd’hui occupé par des locaux de la police) s’ouvriront.

Un journaliste du matin affirme que « Maduro est un problème pour la gauche », parce qu’il est « fasciste », et l’envoyé spécial à la frontière entre la Colombie et le Venezuela lance une hypothèse personnelle selon laquelle Maduro veut que tous les opposants quittent le Venezuela.

Un autre journaliste vedette se faufile au Venezuela sans visa et proteste bruyamment contre sa détention, tout comme le gouvernement chilien (qui expulse quotidiennement des personnes sans visa) et le Collège des journalistes, qui a des normes sélectives concernant ses membres.

Tous ces gens-là sont très énergiques. Il s’agit d’un de ces cas d’hystérie collective où, une fois la “vérité” établie, il n’y a plus besoin de preuves pour accuser et condamner. Encore moins quand accuser et condamner procure des avantages. La chaîne oblige chacun à être plus radical et plus véhément que l’autre, car toute faiblesse peut vous faire basculer dans le mauvais camp.

C’est le cas d’une “commission d’enquête” de la Chambre des députés, qui est montée au créneau et a conclu sans avoir besoin de montrer des preuves que l’ancien lieutenant vénézuélien Ronald Ojeda a été « kidnappé, torturé et assassiné » par des agents de Maduro en collusion avec le gang Train d’Aragua, et demande aux Forces armées de prendre des mesures.

Le dénominateur commun de toute cette engeance est qu’elle n’a aucun doute sur l’existence d’une fraude, et la preuve en est que le CNE vénézuélien retarde la livraison des feuilles de décompte des votes individuels de près de 12 millions d’électeurs.

 La « fourniture des feuilles de décompte » est le slogan qui a fait le tour du monde depuis le de l’élection. Je me suis ensuite rendu sur les sites du Service électoral chilien et du Tribunal Calificador de Elecciones pour consulter les procès-verbaux d’un pays sérieux comme le Chili, qui évidemment - puisqu’il les réclame si vigoureusement au Venezuela - les publie le lendemain (et ils sont vérifiés par des organismes étrangers, comme l’exige le président Boric).

Et je découvre - ô surprise - que les procès-verbaux au Chili sont publiés un mois après les élections, et qu’il n’y a pas d’arbitres externes.

En d’autres termes, tout comme au Venezuela : c’est ce qu’on appelle la souveraineté.

La vérité

Plusieurs mois avant les élections, la “vérité” selon laquelle l’opposition de droite disposait cette fois d’une majorité écrasante et ne pouvait pas perdre a commencé à s’imposer dans le monde entier. Les sondages le disaient. Si elle perdait, il s’agirait invariablement d’une fraude.

La vérité est un concept aléatoire, mais les experts en marketing ont depuis longtemps découvert un aspect fondamental : la réalité n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est la perception qu’en ont les gens.

Le Consumers Report, basé aux USA, le prouve depuis des décennies, en analysant de manière approfondie les produits sur le marché et en concluant souvent, de manière surprenante, que le moins cher est le meilleur.

La publicité se charge de nous faire croire le contraire, et personne - personne - n’échappe à ses effets.

En juin, Luis Vicente León, propriétaire de Datanálisis, l’institut de sondage le plus réputé de l’opposition vénézuélienne, a révélé une vérité dérangeante.

Il a déclaré : sur les 21 millions d’électeurs potentiels, seuls 17 millions se trouvent au Venezuela. Parmi eux, un pourcentage important ne vote pas (au Venezuela, le vote est volontaire), soit une “abstention structurelle” de 35 %.

Le chavisme, a-t-il dit, dispose d’un vote massif de 25 à 30 % des listes électorales et est mieux organisé que l’opposition.

Le défi pour l’opposition, a ajouté M. León, est d’atteindre un taux de participation de plus de 65 %, car ce n’est que dans ce cas qu’elle peut gagner. Dans le cas contraire, le chavisme, qui organise le vote de sa population, l’emporterait.

Face à cette hypothèse, que s’est-il passé ? Le taux de participation a été de 59 %. Nous ne saurons jamais si la droite aurait gagné avec un taux de participation de 70 %, mais les faits sont là.

Et il y a une explication plausible à tout cela : est-il vraiment dans l’intérêt du noyau dur de l’opposition (les USA) de remporter les élections ?

L’oligarque sud-africain Elon Musk s’est exprimé ouvertement dans deux compétitions politiques latino-américaines : la Bolivie et le Venezuela.

En 2019, il a soutenu le coup d’État contre Evo Morales, se vantant que “nous organisons un coup d’État où et quand nous le voulons”, en l’occurrence pour s’approprier les réserves de lithium. Aujourd’hui, il promeut un coup d’État au Venezuela, le pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde.

Elon sait de quoi il parle : sans une solution violente et dictatoriale qui balaie l’institutionnalité actuelle, il ne sera pas possible pour les transnationales de s’approprier les immenses ressources énergétiques et minérales du Venezuela, qui sont protégées par des lois organiques à fort quorum. Avec un chavisme intact, organisé dans tous les espaces, elles n’y parviendraient pas : c’est pourquoi elles ont besoin de la terreur.

En 2014, 2017 et 2019, ils ont tenté de soulever le pays avec le même plan qui a échoué : des petits commandos (“comanditos”) qui sèment la terreur et dispersent las forces de l’ordre sur le territoire.

Cette fois-ci, la réponse de l’État a été beaucoup plus ferme que par le passé, coupant court à la violence. Contrairement à 2017, les “comanditos” n’ont pas trouvé la classe moyenne disposée à descendre dans les rues de ses propres quartiers, et ont donc été laissés à la merci des forces de police.

Les stratèges électoraux de Maduro avaient visé juste : cette classe moyenne aisée qui déteste le chavisme et qui, en 2017 et 2019, pensait qu’avec un peu d’effort dans les rues, les Marines usaméricains viendraient prendre le pouvoir, ne veut plus que la paix.

C’est cette classe moyenne qui a le plus profité des quatre dernières années de réformes économiques. Le redressement notable de l’économie, la reprise des marchés extérieurs, la relative souveraineté alimentaire, l’amélioration progressive des conditions de vie, les formules réussies pour échapper aux plus de 936 sanctions imposées par les USA et les alliances internationales placent Caracas dans une position beaucoup plus forte que par le passé.

D’où la fermeté face à la violence et le rejet catégorique de l’ingérence extérieure.

Les Forces armées nationales bolivariennes ont une fois de plus ignoré les appels au coup d’État, obligeant Edmundo González et Machado à appeler les officiers subalternes à se rebeller contre leurs commandants lundi.

Il s’agit de la énième et dernière tentative désespérée de changer la réalité d’un coup (d’État) de baguette magique.

 

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