La rapidité avec laquelle l’agitation étudiante s’est transformée en un mouvement antigouvernemental soulève des questions troublantes.
M K Bhadrakumar, Deccan Herald,
7/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
L’impasse politique au Bangladesh a pris une tournure dramatique. Ce qui avait commencé comme une agitation étudiante contre le système de quotas pour les rares emplois gouvernementaux destinés aux descendants des Mukti Bahini [combattants de la guerre d’indépendance de 1971, NdT] a abouti à un changement de régime. Il y a là des leçons salutaires à tirer.
La démocratie ne consiste pas seulement à organiser scrupuleusement des élections à intervalles prescrits, mais celles-ci doivent être libres, équitables et perçues comme telles. Deuxièmement, l’aliénation politique peut se transformer en ulcère. Au Bangladesh aussi, le taux de chômage des jeunes est très élevé, et ce qui s’est passé est un signal d’alarme pour l’Inde. Troisièmement, ne poussez pas l’opposition dans ses retranchements. L’opposition doit avoir l’espace nécessaire pour fonctionner. Enfin, l’orgueil démesuré a conduit à l’autoritarisme et l’élite dirigeante est devenue dictatoriale. Alors que la Première ministre Sheikh Hasina a fui son pays, l’opposante politique qu’elle avait enfermée, Khaleda Zia, sera libérée. C’est une question de morale. Les Grecs de l’Antiquité pensaient que l’orgueil démesuré offensait les dieux.
Il n’y a eu que peu de cas où une armée est retournée volontairement dans ses casernes. Personne ne sait ce qui va se passer ensuite. Le chef de l’armée lui-même est en poste depuis moins de deux mois.
Le 21 juillet, la Cour suprême du Bangladesh a atténué le système des quotas, répondant ainsi à la principale revendication des étudiants. L’agitation aurait dû prendre fin à ce moment-là, mais au lieu de cela, elle a été relookée en lutte pour la démocratie. Il est à espérer que le Bangladesh envisagera d’urgence d’organiser de nouvelles élections et que les partis politiques bénéficieront de conditions équitables. L’aspect positif est que Hasina, 76 ans, monarque absolue, s’est envolée vers son crépuscule sans se battre, car elle a vu ce qui était écrit sur le mur.
Le dénouement peu glorieux à la sri-lankaise semble s’être répété - c’est ainsi que le régime de Rajapaksa avait pris fin. La médiation anglo-usaméricaine l’a peut-être rendu possible à Dhaka. Le chef de l’armée, le général Waker-Uz-Zaman, est un produit achevé du King’s College de Londres [et du Collège Interarmées de Défense britannique, NdT]
Waker-Uz-Zaman, 58 ans, général 4 étoiles, beau-fils d'un ancien chef de l'armée
La rapidité avec laquelle l’agitation étudiante s’est transformée en un mouvement antigouvernemental est impressionnante. Cela soulève des questions troublantes. Il existe une étrange similitude avec les révolutions de couleur. Du point de vue usaméricain, le Bangladesh est un pays prioritaire pour la “démocratisation” et un pilier de la stratégie Indopacifique des USA. Washington a exercé des pressions sur Hasina pour qu’elle prenne le train en marche. Le refus obstiné d’Hasina d’adhérer au Quad a probablement été l’élément décisif. Avec l’échec de la révolution colorée en Thaïlande, l’impasse dans laquelle se trouve l’insurrection au Myanmar et la consolidation chinoise au Sri Lanka et aux Maldives, l’importance du Bangladesh pour la stratégie occidentale dans la région est sans égale.
C’est le célèbre stratège usaméricain Zbigniew Brzezinski qui a écrit le scénario de la géostratégie, le faucon libéral qui a influencé la politique étrangère du parti démocrate : « L’Ukraine, nouvel espace important sur l’échiquier eurasien, est un pivot géopolitique car son existence même en tant que pays indépendant contribue à transformer la Russie. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire eurasien ... si Moscou reprend le contrôle de l’Ukraine, avec ses 52 millions d’habitants, ses ressources importantes et son accès à la mer Noire, la Russie retrouve les moyens de devenir un puissant État impérial ».
Si l’on remplace “Ukraine”, “Russie” et “mer Noire” par “Bangladesh”, “Inde” et “golfe du Bengale”, on obtient une perspective étonnante à travers le brouillard. Pour dire les choses simplement, les forces extérieures ont une façon d’amplifier les demandes des groupes nationaux, en ouvrant l’espace à de nouvelles questions pour faire écho à ces demandes dans l’arène nationale. C’est ce qui s’est passé au Bangladesh. Si ce modus operandi n’est pas compris, l’Inde perd le fil de l’intrigue. Nous nous trouvons à un moment historique mondial sensible, et les tendances occidentales à intervenir dans la politique de régime des pays ont tendance à être plus fortes - le Pakistan d’abord, le Bangladesh maintenant.
Le Bangladesh est la clé de la sécurité du nord-est de l’Inde. C’est un foyer de sentiments anti-indiens, en particulier en ces jours heureux du nationalisme hindou. Sa situation stratégique à l’extrémité du golfe du Bengale en fait une plaque tournante de la connectivité régionale. L’Inde n’a d’autre choix que de travailler dur pour obtenir un gouvernement amical à Dhaka. Il s’agit d’un point d’inflexion. De nombreux organismes publics vitaux du Bangladesh sont favorables aux USA.
La sélection a été faite lors d’une réunion d’une délégation de 13 membres du Mouvement des étudiants contre la discrimination avec le président et les chefs des trois forces de défense au Bangabhaban (résidence du Président de la République), un jour après la chute et la fuite de Sheikh Hasina. Yunus est attendu à Dhaka le 8 août. [NdT]
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