Les analystes estiment que l’industrie pourrait intensifier les rachats d’actions, les opportunités de fusions-acquisitions étant limitées.
Sylvia Pfeifer et Patrick Mathurin à Londres, Patricia Nilsson à Francfort et Emma Dunkley pour complément d’information, Financial Times, 27/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Les plus grandes entreprises mondiales du secteur de l’aérospatiale et de la défense devraient engranger des niveaux records de liquidités au cours des trois prochaines années, car elles bénéficient d’une augmentation des commandes gouvernementales pour de nouvelles armes dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes.
Selon une analyse réalisée par Vertical Research Partners pour le compte du Financial Times, les 15 premières entreprises de défense devraient enregistrer un flux de trésorerie disponible de 52 milliards de dollars en 2026, soit près du double de leur flux de trésorerie combiné à la fin de l’année 2021.
Les cinq principaux entrepreneurs usaméricains du secteur de la défense devraient générer un flux de trésorerie de 26 milliards de dollars d’ici à la fin 2026, soit plus du double du montant enregistré en 2021. Ces chiffres ne tiennent pas compte de Boeing, en raison de ses récents problèmes et de son fort basculement vers l’aérospatiale civile.
En Europe, les champions nationaux BAE Systems, Rheinmetall et le suédois Saab, qui ont bénéficié de nouveaux contrats pour des munitions et des missiles, devraient voir leurs flux de trésorerie combinés augmenter de plus de 40 %.
L’industrie bénéficie d’une forte augmentation des dépenses militaires, les gouvernements augmentant leurs budgets en réponse à l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie et à l’escalade des tensions au Moyen-Orient et en Asie.
Aux USA, les récentes lois d’aide à l’Ukraine, à Taïwan et à Israël ont alloué près de 13 milliards de dollars à la production d’armes par les cinq plus grands groupes de défense USaméricains - Lockheed Martin, RTX, Northrop Grumman, Boeing et General Dynamics - et leurs fournisseurs. Au Royaume-Uni, le ministère de la défense a engagé 7,6 milliards de livres pour l’aide militaire à l’Ukraine au cours des trois dernières années, y compris pour la reconstitution des stocks.
L’augmentation des dépenses publiques a déjà propulsé les carnets de commande à un niveau presque record. Il faut généralement plusieurs années pour que les nouveaux contrats se traduisent par une augmentation des ventes - les entreprises de défense enregistrent la majorité de leurs ventes une fois les armes livrées - mais les flux de trésorerie croissants suscitent déjà un débat sur la manière dont l’industrie dépensera l’argent.
« C’est la question à un milliard de dollars pour l’industrie : les entreprises n’aiment généralement pas conserver de grandes quantités de liquidités dans leurs bilans, alors que font-elles de tout cet argent si les acquisitions ne sont pas si simples ? Les rachats d’actions et les dividendes sont une solution », a déclaré Robert Stallard, analyste chez Vertical Research.
Les entreprises avaient déjà consacré des milliards de dollars aux rachats d’actions avant l’afflux récent de nouvelles commandes ; certaines d’entre elles ont même eu recours à un effet de levier supplémentaire pour ce faire. Selon les données de la Bank of America, l’année dernière a été la plus forte pour les rachats d’actions par les entreprises du secteur de l’aérospatiale et de la défense aux USA et en Europe au cours des cinq dernières années, même si les niveaux restent bien inférieurs à ceux d’autres secteurs.
Lockheed Martin et RTX ont racheté près de 19 milliards de dollars d’actions l’année dernière. En Europe, BAE Systems a conclu cet été un programme de rachat de 1,5 milliard de livres sur trois ans et a immédiatement entamé un autre programme de rachat de 1,5 milliard de livres.
Les rachats massifs effectués par les entreprises usaméricaines avec l’argent du contribuable ont suscité des critiques de la part de certains parlementaires, qui se sont demandé si les entreprises investissaient suffisamment dans de nouvelles installations et dans la production. Les dirigeants ont insisté sur le fait qu’ils augmentaient les dépenses d’investissement tout en rendant de l’argent aux investisseurs.
Selon les analystes, les entreprises chercheront également à conclure davantage d’accords, tout en avertissant que les achats importants seront limités par les préoccupations réglementaires en matière de concurrence.
« Les fusions et acquisitions sont inévitablement la prochaine étape du cycle », dit Nick Cunningham, analyste chez Agency Partners. « Étant donné la longueur du cycle de l’industrie, il faut un certain temps pour que la capacité soit créée et que l’argent circule, mais l’énorme croissance du marché va générer de l’activité ».
Rheinmetall a annoncé au début du mois un accord de 950 millions de dollars pour l’acquisition de Loc Performance, un fabricant de pièces pour véhicules militaires basé dans le Michigan. L’entrepreneur allemand a déclaré que cette opération augmenterait ses chances de remporter des contrats de l’armée usaméricaine pour des véhicules de combat et des camions tactiques d’une valeur de plus de 60 milliards de dollars.
Armin Papperger, directeur général, a déclaré aux analystes que l’ampleur de l’armée usaméricaine et de ses commandes valait la peine de s’adapter aux exigences strictes du pays pour les entrepreneurs étrangers du secteur de la défense, telles que le maintien d’une structure d’entreprise distincte avec une gestion parallèle et une production nationale.
« Même si nous n’attrapons pas l’un des gros poissons, nous attraperons des poissons plus petits et les petits poissons valent des milliards aux USA », a-t-il ajouté.
Les analystes de Bank of America ont noté que si Rheinmetall n’avait pas encore décidé comment financer l’opération, elle disposait de suffisamment de liquidités et de lignes de crédit disponibles pour aller de l’avant, ajoutant que l’entreprise s’attendait à terminer l’année avec une position de trésorerie d’environ 1 milliard d’euros.
Parmi les autres entreprises qui ont récemment réalisé des opérations en Amérique du Nord, on peut citer Renk, le fabricant de boîtes de vitesses pour chars d’assaut qui a récemment été partiellement coté à Francfort et qui a acquis l’année dernière le fabricant canadien de composants de suspension General Kinetics.
Czechoslovak Group est en train de faire une offre pour les activités de munitions de l’entreprise usaméricaine Vista Outdoor. L’été dernier, BAE Systems a payé 5,6 milliards de dollars pour Ball Aerospace, un fournisseur de systèmes spatiaux critiques. L’opération a été financée par des liquidités existantes et de nouveaux endettements dettes.
L’industrie spatiale européenne, de plus en plus compétitive, devrait connaître un regain d’activité. Airbus, Thales et Leonardo envisagent de fusionner certaines de leurs activités spatiales. L’ambition serait de créer une alliance paneuropéenne dans l’espace similaire à celle de MBDA, le champion européen des missiles, ont déclaré des personnes au fait des discussions.
La perspective d’une consolidation à plus grande échelle est peu probable en raison des problèmes de concurrence.
« Les entreprises de taille moyenne peuvent encore en racheter d’autres sans que les autorités de régulation ou les ministères de la défense ne s’en émeuvent outre mesure », explique Byron Callan, de Capital Alpha Partners, ajoutant que certaines entreprises de défense détenues par des investisseurs privés pourraient également être mises sur le marché à l’avenir.
Si les dépenses de défense devraient rester élevées au cours des prochaines années, le récent bond des commandes va probablement s’essouffler, en particulier lorsque la guerre en Ukraine aura pris fin.
Callan dit : « Il s’agit d’une activité cyclique. Même si les gens parlent de cycles de demande de 10 ans, la politique peut changer et les évaluations de sécurité peuvent changer, tout comme la demande de défense ».
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