L’offensive élargie à Gaza approuvée par le cabinet est susceptible d’échouer, conduisant à un enchevêtrement prolongé et à de lourdes pertes de soldats, de captifs et de Palestiniens - sans vaincre le Hamas. Netanyahou suit l’extrême droite, tandis que les dirigeants de Tsahal espèrent l’intervention de Trump
Amos Harel, Haaretz, 5/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Permettez-moi d’être franc : nous nous dirigeons vers un nouveau désastre dans la bande de Gaza. Si le président Trump choisit de ne pas se mêler de l’affaire lors de sa visite dans le Golfe la semaine prochaine, Israël commencera à intensifier ses opérations militaires à Gaza une fois qu’il sera rentré à Washington.
Étant donné la manière dont la manœuvre est planifiée, on peut s’attendre à une invasion de larges pans de Gaza, à un contrôle territorial prolongé, à des pertes en vies humaines parmi les captifs israéliens et les soldats, et à une nouvelle détérioration de la situation humanitaire dont souffrent déjà les Palestiniens. Il est toutefois douteux qu’elle parvienne à vaincre le Hamas de manière décisive.
Le cabinet de sécurité a tenu une longue réunion dimanche, au cours de laquelle les ministres ont approuvé le plan de l’armée pour une expansion majeure de son opération actuelle. Fait inhabituel, les politiciens se sont empressés de donner du crédit au chef d’état-major de Tsahal, Eyal Zamir. Des sources politiques (lire : le Premier ministre Benjamin Netanyahou) et des responsables de la défense (autrement dit, le ministre de la défense Israel Katz) ont expliqué que la nouvelle opération entraînerait enfin la défaite du Hamas et exercerait une pression irrésistible sur lui pour qu’il libère tous les captifs.
Le ministre des finances Bezalel Smotrich, l’homme qui a dirigé la politique du gouvernement malgré tous les sondages montrant que son parti ne dépasserait pas le seuil d’entrée à la Knesset lors des prochaines élections, a déclaré dimanche : « Dès que nous commencerons l’opération, il n’y aura pas de retrait des territoires que nous avons conquis, pas même en échange d’otages ».
S’adressant à une conférence parrainée par le journal sioniste religieux B’Sheva, il a poursuivi : « Nous occupons Gaza pour y rester. Il n’y aura plus d’entrées et de sorties ». Il a expliqué que tous les habitants de Gaza seraient évacués au sud du corridor de Morag. En d’autres termes, l’armée prévoit d’entasser plus de deux millions de personnes dans une zone représentant moins d’un quart de la bande de Gaza.
Lorsque Netanyahou et Katz ont interviewé Zamir avant sa nomination au poste de chef d’état-major, il leur a dit que l’armée aurait besoin de trois mois pour reconquérir Gaza et de neuf mois supplémentaires pour pacifier efficacement la région. Netanyahou préfère le citer sur la première partie du plan.
Depuis qu’il a repris l’uniforme, Zamir a appris certaines choses et s’est peut-être un peu assagi. Les fuites de la réunion du cabinet de dimanche concernent les disputes que Zamir a eues avec le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et la ministre des missions nationales, Orit Strock.
Zamir n’était apparemment pas satisfait de leur demande de réprimer davantage l’aide humanitaire, qu’Israël bloque depuis près de deux mois. « Vous nous mettez tous en danger », a déclaré Zamir, avertissant que l’élargissement de l’opération mettait en péril la vie des captifs.
Mais ce qui est également intéressant, c’est l’équilibre des forces en coulisses. Il ne fait aucun doute que les deux partis d’extrême droite souhaitent étendre l’occupation de Gaza, imposer un gouvernement militaire, renouveler les colonies et expulser les habitants.
Netanyahou les suit pour préserver la coalition. Il n’a dérogé à cette position que deux fois depuis le 7 octobre 2023, lors d’accords de libération de captifs conclus en novembre 2023 et en janvier 2025. Seule une forte pression de la part de Trump a permis de conclure le second accord.
Poursuivre la lutte sur plusieurs fronts permet de maintenir la coalition en vie. C’est plus important, de son point de vue, que la vie des otages. Aujourd’hui, Netanyahou doit tenir compte d’un autre élément : à la fin du mois, la phase de contre-interrogatoire de son procès doit commencer, ce qui le met très mal à l’aise.
Trump ne permet pas encore à Netanyahou de lancer une attaque contre les installations nucléaires iraniennes. Les échanges de coups avec les Houthis au Yémen ne peuvent pas durer trop longtemps. Reste Gaza et, dans une moindre mesure, les frictions avec le nouveau régime syrien, sous prétexte de protéger la communauté druze.
L’avis du ministre de la défense n’a que peu d’importance. Quant au chef d’état-major et aux généraux, ils donnent l’impression, au sein du cabinet, de prier pour un miracle, même si ce n’est pas celui que Smotrich et Strock anticipent. Le miracle de l’establishment de la défense est censé venir de Trump, qui imposerait aux parties un accord partiel ou total sur les captifs et mettrait fin à une guerre totale et préjudiciable à Gaza qui n’a pas de date de fin prévisible.
Ce n’est pas la ligne que Zamir avait adoptée, que ce soit en public ou lors de discussions à huis clos. Le nouveau chef d’état-major est un homme qui respecte la hiérarchie et la discipline. Selon lui, le cabinet dit à l’armée ce qu’il attend d’elle, et le rôle de l’armée est de présenter les plans opérationnels et les répercussions possibles.
A l’exception des fanatiques du sionisme religieux et du kahaniste Otzma Yehudit, il est fort douteux que quiconque dans la salle dimanche se soit vraiment fait des illusions sur les résultats de la nouvelle opération, qu’ils ont solennellement baptisée “Chariots de Gédéon”. Si on les avait soumis à un détecteur de mensonges, on aurait probablement découvert que la plupart des officiers, et même la plupart des ministres du Likoud, ne croient pas que le plan conduira à la défaite du Hamas.
L’idée de déplacer les habitants de Gaza, que Smotrich colporte avec enthousiasme, est de préparer un transfert “volontaire” (et en pratique une expulsion violente). C’est le plan que Trump a évoqué il y a trois mois, lors de sa première rencontre avec Netanyahou. Depuis, le président n’en a pratiquement pas parlé. Il semble qu’il ait d’autres maux de tête, qu’il s’agisse de la guerre des tarifs douaniers avec la Chine ou de l’annonce qu’il a faite ce week-end d’imposer des droits de douane de 100 % sur les films réalisés à l’étranger afin de sauver Hollywood d’une “mort très rapide”, comme il l’a dit.
Jusqu’à présent, les appels aux réservistes ont été limités. Il n’y avait aucune raison de prétendre dimanche à une mobilisation totale. Seules quelques unités ont été appelées et, dans la plupart des cas, uniquement leurs officiers. Les brigades mobilisées sont destinées à remplacer les troupes régulières actuellement stationnées à la frontière libanaise, dans le Golan syrien et en Cisjordanie, qui seront ensuite redéployées à Gaza.
Il reste moins de deux semaines avant que Trump n’achève sa tournée dans les États du Golfe. Si un accord n’est pas conclu et que le plan approuvé par le cabinet est mis en œuvre, plusieurs divisions de réserve devront être mobilisées à grande échelle.
En fait, le gouvernement Netanyahou est engagé dans des fantasmes qui seront très difficiles à réaliser. En cours de route, l’opération militaire pourrait entraîner la mort d’autres captifs et la perte de nombreux soldats. Ce n’est pas une coïncidence si la plupart des familles de captifs affichent un niveau d’anxiété aussi élevé.
Étant donné que l’armée tentera de minimiser les pertes, les analystes s’attendent à ce qu’elle utilise une force particulièrement agressive qui causera des dommages considérables aux infrastructures civiles restantes de Gaza. Le déplacement de la population vers les zones des camps humanitaires, combiné à la pénurie actuelle de nourriture et de médicaments, pourrait entraîner d’autres décès massifs de civils.
Même si Israël a l’intention de reprendre les livraisons d’aide humanitaire, son plan est plein de lacunes. On peut se demander si Israël sait comment assurer seul un flux régulier de nourriture à une population aussi importante, d’autant plus que les organisations internationales ont déjà déclaré qu’elles ne coopéreraient pas avec lui dans la distribution de l’aide (d’un autre côté, Zamir refuse à juste titre de risquer la vie des soldats pour acheminer l’aide). En outre, l’armée semble avoir des difficultés à fournir des données sur la situation humanitaire réelle à Gaza.
À terme, Israël sera contraint d’autoriser l’entrée de l’aide humanitaire dans l’enclave. Mais cela prendra du temps, et les combats s’intensifieront d’ici là. Malgré la nouvelle administration Trump, hostile aux tribunaux internationaux, davantage de dirigeants et d’officiers israéliens pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires personnelles à leur encontre. Le gouvernement tente d’obtenir un avantage politique temporaire, dont le prix pourrait se payer en monnaie stratégique.