La perle du jour

 « Le public n'est plus dupe des mensonges propagandistes qui résonnent dans les médias. Ces lettres ont été écrites par un petit groupe de radicaux, manipulés par des organisations financées par des fonds étrangers dans le seul but de renverser le gouvernement de droite. Ce n'est pas une vague. Ce n'est pas un mouvement. C'est un petit groupe de retraités bruyant, anarchiste et déconnecté, dont la plupart n'ont pas servi [dans l’armée] depuis des années ». C’est ainsi que Netanyahou a réagi aux pétitions qui se succèdent en rafales, émanant de centaines et de milliers de réservistes de l’armée de l’air, du corps médical militaire, de la marine, demandant au gouvernement d’arrêter de bombarder Gaza pour épargner les Israéliens encore captifs [les fameux « otages », qui sont encore une trentaine en vie plus une trentaine à l'état de cadavres]]. Bibi, qui a 75 ans, n’a pas l’intention, quant à lui de devenir un paisible retraité, ni bruyant ni silencieux. Les pilotes signataires de la première pétition seront rayés des cadres de l’armée génocidaire, ce qui est une bonne chose.

المقالات بلغتها الأصلية Originaux Originals Originales

Affichage des articles dont le libellé est Drop Site News. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Drop Site News. Afficher tous les articles

24/03/2025

Hommage au martyr Hossam Shabat, assassiné à Gaza

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Le dernier article de Hossam Shabat

Déposé quelques heures avant que son auteur soit tué par une frappe aérienne israélienne, le dernier article du journaliste Hossam Shabat décrit la reprise de la campagne israélienne de terre brûlée dans sa ville natale de Beit Hanoun.

Sharif Abdel Kouddous, Drop Site News, 24/3/2025

Hossam Shabat est mort. La rage et le désespoir m'envahissent au moment où j'écris ces mots. L'armée israélienne a bombardé sa voiture ce matin alors qu'il circulait à Beit Lahia. Mon écran est rempli de vidéos montrant son corps gisant dans la rue, transporté à l'hôpital, pleuré par ses collègues et ses proches. C'est le genre de scènes tragiques que Hossam lui-même documentait si souvent pour le monde entier. Il était un journaliste exemplaire : courageux, infatigable et dévoué à raconter l'histoire des Palestiniens de Gaza.

Hossam était l'un des rares reporters à être resté dans le nord de Gaza pendant la guerre génocidaire d'Israël. Sa capacité à couvrir l'une des campagnes militaires les plus brutales de l'histoire récente dépasse presque l'entendement. Pendant dix-sept mois, il a été témoin de morts et de souffrances indicibles presque quotidiennement. Il a été déplacé plus de vingt fois. Il a souvent souffert de la faim. Il a enterré beaucoup de ses collègues journalistes. En novembre, il a été blessé lors d'une frappe aérienne israélienne. Je n'arrive toujours pas à croire que je parle de lui au passé. Israël efface le présent.

Lorsque j'ai contacté Hossam en novembre dernier pour lui demander d'écrire pour Drop Site News, il s'est montré enthousiaste. « Je te salue habibi. Que Dieu te garde. Je suis très heureux d'avoir cette opportunité », a-t-il écrit. « Il y a tellement d'idées, de scènes, d'histoires ».

Sa première dépêche pour Drop Site était un compte rendu saisissant d'une campagne d'expulsion massive et vicieuse menée par l'armée israélienne à Beit Lahia, qui a contraint des milliers de familles palestiniennes à fuir l'un des derniers abris de la ville assiégée :

Certains blessés sont tombés sur la route sans espoir d'être soignés. « Je marchais avec ma sœur dans la rue », a déclaré Rahaf, 16 ans. Elle et sa sœur sont les seules survivantes dans leur famille d'une frappe aérienne qui a tué 70 personnes. « Soudain, ma sœur est tombée à cause du bombardement. J'ai vu du sang couler d'elle, mais je n'ai rien pu faire. Je l'ai laissée dans la rue et personne ne l'a retirée. Je criais, mais personne ne m'entendait ».

Son écriture était lyrique et saisissante. Je me suis efforcé de traduire et d'éditer ses textes, de leur rendre justice, de traduire son utilisation émotive de l'arabe en quelque chose de compréhensible en anglais. Dans le va-et-vient éditorial typique de la finalisation d'un article, je revenais souvent vers lui avec des clarifications et des questions, lui demandant des détails supplémentaires et des citations directes. Il a toujours répondu rapidement, malgré les circonstances extraordinaires dans lesquelles il se trouvait.

En janvier, Hossam a déposé un article sur les trois jours qui se sont écoulés entre l'annonce de l'accord de “cessez-le-feu” et sa mise en œuvre, période au cours de laquelle Israël a intensifié sa campagne de bombardements sur Gaza :

Ils ont pris pour cible l'école al-Falah ; ils ont bombardé tout un quartier résidentiel de Jabaliya ; ils ont tué des familles, comme la famille Alloush, dont les corps n'ont pas encore été retrouvés et gisent encore sous et sur les décombres. Les enfants que j'ai vus cette nuit-là semblaient heureux, mais ils ne vivaient plus, leurs visages étaient figés dans un mélange de sourire et de sang.

Début décembre, en préambule à l'un de ses articles, je lui ai demandé de confirmer son âge. « Hahaha. Je suis jeune. 24 ans », a-t-il écrit. Quelques instants plus tard, il a apporté des précisions : « En fait, je n'ai pas encore 24 ans. J'ai 23 ans ». Je lui ai dit qu'il n'était jeune que par l'âge, mais qu'il était vieux par l'expérience (cela sonne mieux en arabe). « Il m'a répondu : “Je suis vraiment fatigué. Je jure que je n'ai plus de force. Je ne trouve pas d'endroit où dormir. J'ai été déplacé 20 fois”. Il a poursuivi : « Tu sais que je suis le seul de ma famille à vivre seul dans le nord ? » Le mois dernier, pendant le “cessez-le-feu”, il a été réuni avec sa mère pour la première fois depuis 492 jours.

En octobre, l'armée israélienne a inscrit Hossam et cinq autres journalistes palestiniens sur une liste de personnes à abattre. À l'époque, il a déclaré qu'il avait l'impression d'être “traqué”. Il a appelé les gens à s'exprimer en utilisant le hashtag #ProtectTheJournalists : « Je demande à tout le monde de partager la réalité des journalistes afin de faire connaître les véritables plans de l'occupation israélienne visant à cibler les journalistes afin d'imposer un black-out médiatique. Diffusez le hashtag et parlez de nous ! »

En décembre, après que l'armée israélienne a tué cinq journalistes lors d'une frappe aérienne sur leur véhicule, je lui ai envoyé un message pour prendre de ses nouvelles.

Il m'a répondu : « Notre travail consiste uniquement à mourir ». « Je déteste le monde entier. Personne ne fait rien. Je te jure que j'en suis venu à détester ce travail ». Au sujet de ses collègues survivants, il écrit : « Nous avons commencé à nous dire les uns aux autres : “Nos familles nous considèrent comme des martyrs” ».

Lorsqu'Israël a repris ses bombardements de terre brûlée la semaine dernière, j'ai envoyé un nouveau message pour prendre de ses nouvelles. Il m'a répondu par un seul mot : “Mort”.

Pendant tout ce temps, Hossam envoyait des messages avec des idées d'histoires, ou simplement pour relater ce qui se passait dans le nord. Dans ses messages et ses notes vocales, il parvenait souvent à rester chaleureux et drôle, une sorte de rébellion contre la mort qui l'entourait.

Après l'entrée en vigueur du “cessez-le-feu”, il est retourné dans sa ville natale de Beit Hanoun, à la limite nord-est de Gaza. Il ne restait pratiquement plus aucune structure debout, mais il était déterminé à rester et à documenter la destruction.

Il m'a envoyé un message tard dans la nuit de dimanche à lundi, quelques heures avant d'être tué. Il avait été contraint de quitter sa ville natale de Beit Hanoun le jour de la nouvelle attaque israélienne de la semaine dernière et avait été déplacé de force une nouvelle fois, cette fois à Jabaliya. Nous avions convenu qu'il écrirait un article sur l'attaque de la semaine dernière et sur ce dont il avait été témoin.

“Habibi”, a-t-il écrit, “Tu me manques”. Je lui ai demandé quelle était la situation à Jabaliya. “Difficile”, a-t-il répondu.

Il a envoyé son article, je l'ai lu et j'ai envoyé mes questions complémentaires. Il n'a répondu qu'à une seule avant de se déconnecter. Je lui ai envoyé un nouveau message dès mon réveil ce matin. Je ne savais pas encore qu'il avait été tué.

Ce que vous allez lire est le dernier article de Hossam. Je l'ai traduit en pleurant.

Rapport sur la ligne de front de la guerre d'anéantissement d'Israël

Récit de Hossam Shabat, traduit par Sharif Abdel Kouddous

BEIT HANOUN, GAZA - La nuit était sombre et prudemment calme. Tout le monde s'est endormi dans un sommeil anxieux. Mais la tranquillité est rapidement rompue par des cris assourdissants. Alors que les bombes pleuvent, les gémissements des voisins annoncent les premiers instants de la reprise de la campagne militaire israélienne. Beit Hanoun est plongée dans la panique et la terreur. Des cris de détresse s'élèvent au milieu du fracas des obus dans une scène qui reflète l'ampleur du désastre qui engloutit la ville. Ce n'est que le début. Le massacre de familles entières a rapidement suivi. Des colonnes de fumée s'élèvent partout. Les bombardements n'ont pas cessé un seul instant, noyant tout sous un déluge de feu et de souffrance.

L'attaque israélienne se poursuit. L'occupation exerce sa brutalité par des bombardements sans précédent qui laissent derrière eux d'horribles scènes de destruction et d'effusion de sang. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, le nombre de martyrs au cours des six derniers jours a dépassé les 700, ce qui témoigne de l'ampleur de ces immenses souffrances humaines. L'OCHA rapporte également que Gaza souffre d'une grave pénurie de médicaments et d'aide médicale, ce qui aggrave une situation déjà désastreuse.

Au cours des six premiers jours de cette nouvelle opération militaire, le nord de Gaza a été le théâtre de quatre massacres sanglants. Le plus notable a été le massacre de la famille Moubarak, qui a eu lieu alors que la famille se réunissait en deuil pour présenter ses condoléances au Dr Salim Moubarak. En un instant, leur deuil collectif s'est transformé en une mer de sang et de morceaux de corps. Toute la famille a été tuée : le Dr Salim, sa femme, ses enfants, ses parents. Personne n'a survécu. Un témoin oculaire a résumé la situation en termes clairs : « Ils ont tous été tués. Les victimes ne se trouvaient pas sur un champ de bataille, mais dans une maison de deuil. Il s'agit d'un crime dans tous les sens du terme ».

Ce massacre n'a pas été le seul - il a été suivi d'attaques successives contre d'autres familles, dont la famille Abu Nasr, puis la famille Abu Halim - rappelant les bombardements vicieux du tout début de la guerre, après le 7 octobre. L'agression se poursuit, implacable, visant sans distinction des civils innocents, ne laissant derrière elle que destruction et mort.

Lorsque je suis arrivé sur les lieux, je n'étais pas préparé à l'horreur qui s'offrait à mes yeux. Les rues étaient remplies de morts. Sous chaque pierre se cachait un martyr. Des dizaines de personnes appelaient à l'aide sous les décombres de leurs maisons, mais personne ne répondait. Les cris emplissaient l'air tandis que tout le monde restait impuissant. Mes larmes n'ont pas cessé de couler. Les scènes étaient plus que ce qu'un être humain peut supporter. Les ambulances étaient remplies de cadavres, de corps et de membres empilés et entremêlés. On ne pouvait plus faire la différence entre les enfants et les hommes, entre les blessés et les morts.

A l'hôpital Al-Andalus, la scène est encore plus douloureuse. L'hôpital est rempli de martyrs. Les mères faisaient des adieux silencieux à leurs enfants. Le personnel médical travaille dans des conditions épouvantables, essayant de soigner les blessés avec les moyens les plus élémentaires. La situation était impossible, les morts et les blessés arrivant en masse à un rythme effrayant.

L'agression israélienne se poursuit. Massacre après massacre, ne laissant dans son sillage que les cris des mères et les rêves des enfants réduits en cendres. Il n'y a aucune justification à cela. Tout est écrasé : la vie d'innocents, leur dignité et leurs espoirs d'un avenir meilleur.


Déclaration de Drop Site News sur l'assassinat par Israël de notre collègue Hossam Shabat : nous tenons Israël et le gouvernement usaméricain pour responsables

Drop Site News, 24/3/2025

Aujourd'hui, 24 mars 2025, Israël a tué le journaliste Hossam Shabat, reporter pour Al Jazeera Mubasher et collaborateur de Drop Site News, dans ce que les témoins ont décrit comme une frappe ciblée. Hossam était un jeune journaliste extraordinaire qui a fait preuve d'un courage et d'une ténacité remarquables en documentant le génocide facilité par les USA contre les Palestiniens de Gaza. L'un des rares journalistes à ne pas avoir quitté le nord de la bande de Gaza, Hossam a été assassiné à Beit Lahia, où se déroulaient certains des bombardements israéliens les plus intenses et certaines des opérations de massacre les plus meurtrières.

Drop Site News tient Israël et les USA pour responsables de l'assassinat de Hossam. Le journaliste Mohammad Mansour, correspondant de Palestine Today, a également été tué lundi lors d'une attaque israélienne contre une maison à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Au cours des dix-sept derniers mois, plus de 200 de nos confrères des médias palestiniens ont été tués par Israël, qui est fournie en armes et bénéficie d'une impunité totale de la part de la plupart des gouvernements occidentaux.

« Si vous lisez ceci, c'est que j'ai été tué - très probablement pris pour cible - par les forces d'occupation israéliennes », a écrit Hossam dans un communiqué. posté à titre posthume par ses amis sur ses comptes de médias sociaux. « Au cours des 18 derniers mois, j'ai consacré chaque instant de ma vie à mon peuple. J'ai documenté minute par minute les horreurs commises dans le nord de Gaza, déterminé à montrer au monde la vérité qu'ils tentaient d'enterrer. J'ai dormi sur des trottoirs, dans des écoles, sous des tentes, partout où je le pouvais. Chaque jour était une bataille pour la survie. J'ai souffert de la faim pendant des mois, mais je n'ai jamais quitté les côtés de mon peuple ».

Hossam, qui n'avait que 23 ans, a rédigé des dépêches poétiques et douloureuses depuis Gaza. Il ne s'est jamais séparé des personnes dont il a documenté la vie et la mort. « Aujourd'hui, le temps ne se mesure pas en minutes, mais en vies entières de douleur et de larmes », alors que les habitants de Gaza attendent la mise en œuvre du cessez-le-feu, écrvaiit Hossam dans un article pour Drop Site en janvier. « À chaque instant, l'anxiété et la tension des gens ici augmentent, car ils se demandent s'ils resteront en vie assez longtemps pour que les tirs cessent ».

Alors que les journalistes palestiniens de Gaza continuent de documenter le génocide perpétré contre leurs familles et leur peuple, la plupart des gens ne découvrent leur travail qu'à travers leurs reportages vidéo sur les réseaux sociaux. Ils sont bien plus que ces vidéos. Hossam est né dans une période d'escalade de l'annexion, du siège et du génocide israéliens. Inébranlable face aux privations et à la violence constantes, Hossam a résumé l'engagement de sa vie lors d'une interview: « Je dis au monde que je continue. Je couvre les événements avec l'estomac vide, avec constance et persévérance. Je m'appelle Hossam Shabat et je viens du nord de la bande de Gaza ».

Quelques heures avant d'être tué, Hossam avait rédigé un article pour Drop Site sur la reprise des bombardements israéliens sur Gaza la semaine dernière, qui ont tué plus de 400 personnes, dont près de 200 enfants, en l'espace de quelques heures. Il était impatient de publier son article. « Je veux partager ce texte de toute urgence », a-t-il écrit en arabe. Il a toujours voulu faire connaître l'histoire, rapporter ce qui se passait sur le terrain. Il y a environ un an, Hossam écrivait : « Avant que le génocide ne commence, j'étais un jeune étudiant qui étudiait le journalisme. J'étais loin de me douter qu'on me confierait l'un des emplois les plus difficiles au monde : couvrir le génocide de mon propre peuple ».

En octobre 2024, l'armée israélienne a inscrit Hossam et cinq autres journalistes palestiniens sur une liste de personnes à abattre. Hossam a régulièrement reçu des menaces de mort par téléphone et par SMS. Depuis près d'un an et demi, nous assistons à une campagne systématique de l'armée israélienne visant à tuer des journalistes palestiniens et des membres de leur famille. Hossam laisse derrière lui sa sa mère bien-aimée et son peuple, dont il s'efforçait inlassablement de représenter et de protéger la vie.

Au cours de cette campagne d'assassinats sans précédent contre les journalistes, le silence de tant de nos collègues des médias occidentaux est une tache sur la profession. La Fédération internationale des journalistes a publié une liste nominative des nombreux journalistes et professionnels des médias qui ont été tués ou blessés dans la bande de Gaza. Dans un monde juste, ceux qui ont aidé à tuer Hossam - et tous nos collègues palestiniens - seraient traduits en justice et jugés pour leurs crimes. Nous appelons tous les journalistes à élever la voix pour exiger la fin de l'assassinat de nos collègues palestiniens qui ont risqué, et souvent donné, leur vie pour que la vérité elle-même puisse vivre.

Le dernier message de Hossam était le suivant : « Je vous le demande maintenant : ne cessez pas de parler de Gaza. Ne laissez pas le monde détourner le regard. Continuez à vous battre, continuez à raconter nos histoires, jusqu'à ce que la Palestine soit libre ».


11/02/2025

La guerre psychologique du génocide : exemples de tracts de propagande israéliens largués sur Gaza

Les messages consistent en de grossiers avertissements, des menaces et des appels à se retourner contre le Hamas et à collaborer avec Israël. Une vraie anthologie de l’infâmie

DropSite News, 8/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ce rapport a été rédigé par un journaliste à Gaza.

Outre les missiles et les bombes qu’il largue depuis les airs, Israël déverse également des milliers de tracts sur les Palestiniens de Gaza, dans le cadre d’une campagne de guerre psychologique intensifiée.

Drop Site a passé en revue certains de ces tracts afin d’examiner la campagne de propagande menée par Israël dans le cadre de son implacable assaut génocidaire.



12/09/2024

“Jusqu'à notre dernier souffle” : le journaliste Anas al-Sharif raconte comment il a documenté le génocide israélien à Gaza tous les jours pendant onze mois consécutifs

Le correspondant d’Al Jazeera a refusé de quitter le nord de la bande de Gaza, alors même qu’Israël l’a menacé et a tué ses collègues.

Sharif Abdel Kouddous, Drop Site News, 11/9/2024
Abdel Qader Sabbah, journaliste au nord de Gaza, a contribué à ce rapport.
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 


Anas al-Sharif (au centre) et des personnes en deuil portant des pancartes « presse » entourent le corps du journaliste arabe d’Al Jazeera Ismail al-Ghoul, tué avec son caméraman Rami al-Refee lors d’une frappe israélienne le 31 juillet 2024. Photo Omar Al-Qattaa/AFP via Getty Images.

Anas al-Sharif est devenu l’un des visages les plus reconnaissables de la télévision dans le monde arabe. Au cours des onze derniers mois, le correspondant d’Al Jazeera, âgé de 27 ans, a réalisé des reportages depuis les premières lignes de l’assaut génocidaire d’Israël contre Gaza, qui est aujourd’hui l’endroit le plus meurtrier pour les journalistes dans l’histoire moderne. Selon certains chiffres, plus de 160 journalistes ont été tués à Gaza depuis octobre, soit un journaliste tué tous les deux jours depuis près d’un an. Al-Sharif a personnellement fait l’objet de menaces de mort et son domicile a été la cible d’une attaque israélienne qui a coûté la vie à son père.

Al-Sharif est l’un des rares reporters à être resté dans le nord de la bande de Gaza depuis le 7 octobre, une zone d’où, quelques jours seulement après le début de la guerre, le gouvernement israélien a ordonné à 1,1 million de personnes d’évacuer et qui a été la plus lourdement bombardée par Israël. Un journaliste a déclaré à Drop Site News qu’il ne restait plus qu’une trentaine de journalistes en activité dans le nord de Gaza aujourd’hui.

Al-Sharif a été une présence presque constante à la télévision et en ligne, rapportant presque chaque jour les frappes aériennes, les bombardements, les massacres, les déplacements, la famine, la mort et le démembrement - et, chaque fois qu’il le peut, les lueurs d’espoir et la résilience des Palestiniens. Prenez le temps de parcourir les messages qu’il a postés sur X ou Instagram ces derniers jours, ou regardez ce reportage vidéo du 10 septembre, par exemple (avertissement : âmes sensibles s’abstenir).

Un post partagé par @anasjamal44

Comme de nombreux Palestiniens de Gaza, al-Sharif a été contraint d’endurer l’inimaginable. En novembre, il a déclaré avoir reçu plusieurs appels d’officiers de l’armée israélienne lui ordonnant de cesser sa couverture et de quitter le nord de Gaza. Il a déclaré avoir également reçu des messages et des messages vocaux sur WhatsApp révélant sa position. Dans son rapport, il termine en disant : « Je suis l’un des rares journalistes dans le nord à couvrir ce qui se passe. Malgré les menaces, je ne quitte pas le terrain et je continuerai à faire des reportages dans le nord de Gaza ».

Moins de trois semaines après les appels de l’armée israélienne, la maison de sa famille dans le camp de réfugiés de Jabalia a été bombardée, tuant son père Jamal al-Sharif, âgé de 90 ans. Anas al-Sharif, qui effectuait des reportages en continu, n’était pas rentré chez lui depuis 60 jours. Le Comité pour la protection des journalistes a déclaré à l’époque à propos de l’assassinat de son père : «Le CPJ est profondément alarmé par le fait que les journalistes de Gaza reçoivent des menaces et que, par la suite, les membres de leur famille soient tués ».

Al-Sharif a de nouveau été menacé le mois dernier après avoir diffusé le carnage d’une attaque aérienne israélienne du 10 août sur une école de la ville de Gaza où des milliers de Palestiniens déplacés cherchaient refuge, tuant plus de 100 personnes. « Je ne peux pas décrire ce qui se passe », a déclaré al-Sharif. « Nous parlons de près de 100 martyrs dans l’école de Tabaeen dans la ville de Gaza, un grand massacre ».

 

En réponse à un autre journaliste d’Al Jazeera qui a loué la couverture courageuse d’al-Sharif, l’armée israélienne a publié un communiqué ciblant son travail. « Il couvre les crimes du Hamas et du Jihad [islamique] qui s’abritent dans les écoles. Je suis convaincu qu’il connaît les noms d’un grand nombre de terroristes du Hamas parmi ceux qui ont été tués dans l’école« , a répondu Avichay Adraee, porte-parole en langue arabe de l’armée israélienne, sur X. « Mais il présente un mensonge dont la motivation n’a rien à voir avec les habitants de Gaza ». Ces commentaires ont incité Al Jazeera à condamner ce qu’elle a appelé « un acte flagrant d’intimidation et d’appel au meurtre » d’Israël à l’encontre d’al-Sharif, et le CPJ à publier une déclaration disant qu’il était « profondément inquiet » pour sa sécurité.

Les journalistes et les médias occidentaux sont restés relativement silencieux face au nombre record de journalistes palestiniens tués. Dans certains cas, Israël a ouvertement admis avoir tué des journalistes et les a accusés d’être membres du Hamas.

Un peu plus d’une semaine avant l’attentat contre l’école de Tabaeen, Ismail al-Ghoul, ami proche d’Al-Sharif et collègue d’Al-Jazeera, a été tué dans la ville de Gaza lors d’une attaque de drone israélien contre sa voiture, ainsi que son caméraman Rami al-Refee et un jeune homme de 17 ans qui faisait du vélo à proximité. Al-Ghoul a été décapité lors de la frappe. En signe de protestation, les journalistes de Gaza ont jeté leurs gilets pare-balles en tas sur le sol. Al-Sharif s’est adressé à la foule en brandissant le gilet pare-balles mutilé d’Al-Ghoul, déclarant : « Ce gilet de presse est le gilet dont les institutions mondiales et locales font l’apologie. Ce gilet n’a pas protégé notre collègue Ismail. Il n’a protégé aucun de mes collègues non plus. Comme vous pouvez le voir, le gilet est taché du sang et de la chair d’Ismail. Qu’a fait Ismail ? Qu’a-t-il fait ? Diffuser l’image ? Diffuser la souffrance des gens ? Désolé Ismail, nous continuerons à diffuser le message après toi ».

 

Anas al-Sharif continue à faire des reportages tous les jours depuis le nord de Gaza. Drop Site lui a demandé de réfléchir à son travail à Gaza au cours des 11 derniers mois. Il a envoyé un message vocal de 10 minutes en réponse. Dans l’enregistrement, sa voix est lasse mais ferme. Il brosse un tableau dévastateur de la vie d’un journaliste à Gaza.

Ces commentaires ont été traduits de l’arabe et légèrement modifiés pour plus de clarté.

Message d’Anas al-Sharif depuis Gaza

Anas al-Sharif : Notre couverture en tant que journalistes pendant cette guerre contre Gaza a été complètement différente. Nous avons été confrontés à des difficultés extrêmes, à des menaces, nous avons été complètement déconnectés du monde extérieur en raison de la coupure de l’Internet et des signaux téléphoniques. Nous vivons des circonstances tragiques et difficiles en tant que journalistes et nous sommes toujours confrontés à des difficultés pour envoyer des messages, des rapports et tout autre matériel en général.

Bien entendu, le journaliste palestinien vit dans des conditions pénibles et difficiles, comme le reste de son peuple, entre les déplacements, les bombardements et les destructions. Un grand nombre de nos collègues journalistes ont perdu leur famille, des membres de leur famille, des parents, des amis et des êtres chers. Cela a mis beaucoup de pression sur les journalistes pendant la guerre, surtout parce que l’occupation israélienne ne fait pas de distinction entre les journalistes, les enfants, les médecins, les infirmières - tout le monde est pris pour cible en permanence.

Dans le nord de Gaza en particulier, mes collègues et moi-même avons été totalement coupés du monde extérieur dès le début de la guerre. Cela a créé une énorme responsabilité, un énorme problème pour nous. Il était difficile d’envoyer des rapports ou tout autre contenu. Nous devions nous rendre dans des zones très dangereuses pour envoyer nos reportages, notre contenu. Pour poursuivre notre couverture et envoyer des images et des histoires, nous devions nous rendre dans de grands immeubles pour trouver un signal Internet ou un signal téléphonique grâce à des cartes SIM électroniques et envoyer ainsi les reportages, le contenu ou les scènes que nous avions documentés, avec la qualité la plus faible, afin de les diffuser au monde et de montrer au monde ce qui se passait ici dans la bande de Gaza. Ce n’est là qu’une des difficultés que nous avons rencontrées.

Nous avons également dû faire face à des menaces constantes de la part de l’armée d’occupation israélienne. Personnellement, l’armée d’occupation israélienne m’a menacé et m’a dit que je devais cesser mes reportages dans le nord de la bande de Gaza et aller dans le sud. Mais j’ai refusé leur ordre, et je n’ai pas arrêté ma couverture un seul instant malgré les menaces, malgré les bombardements, malgré le siège. Parce que je n’ai pas arrêté et que j’ai continué à couvrir l’actualité, l’occupation israélienne a pris pour cible ma maison et celle de ma famille, ce qui a conduit au martyre de mon père, que Dieu ait pitié de lui. Les circonstances étaient cruelles, difficiles et douloureuses pour moi, et douloureuses pour nous tous, mais cela n’a fait que renforcer ma détermination à poursuivre le reportage. Nous avons une cause [la cause palestinienne] avant d’avoir un message à cet égard. Après cela, c’est devenu une responsabilité qui nous a été confiée, une responsabilité qui m’a été confiée personnellement, celle de continuer à faire des reportages, malgré tous les dangers et toutes les difficultés auxquels nous sommes confrontés.

Peut-être que le monde n’agira pas, peut-être que le monde ne nous aidera pas, mais il y a peut-être un motif pour arrêter cette guerre - chaque fois que je documente un massacre, un événement ou un bombardement, je pense que peut-être, grâce à ce bombardement ou à cette image, la guerre pourrait s’arrêter et cette guerre se terminerait.

Tous les journalistes de Gaza ont souffert de ces circonstances. Dans le cadre de nos reportages, nous sommes confrontés à de grandes difficultés en raison du ciblage des zones dans lesquelles nous nous trouvons, du ciblage à proximité de nous, du ciblage direct. Malgré tout cela, mes collègues et moi-même, dans le nord de la bande de Gaza, n’avons pas cessé de couvrir la situation. Bien sûr, ce n’est un secret pour personne que mes collègues et moi avons vécu des circonstances tragiques et difficiles. Nous avons dormi dans des hôpitaux, nous avons dormi dans des abris, nous avons dormi dans les rues et sur les autoroutes, nous avons dormi dans des véhicules et des voitures. Nous avons été déplacés plus de 20 fois, d’un endroit à l’autre, d’une zone à l’autre - notre situation était la même que celle du reste de notre peuple. Nous avons été confrontés à de grandes difficultés. Bien sûr, la situation dans le nord était particulièrement difficile pour les journalistes, car il n’y avait pas de matériel disponible, pas de fournitures pour la presse. Nous avons dû nous contenter de moyens limités et de nos simples téléphones pour rapporter l’histoire, envoyer l’image et rendre compte des crimes de l’occupation israélienne.

Le travail des journalistes à Gaza est un travail ardu, épuisant et très difficile que personne ne peut supporter plus d’une heure. Le travail est continu. Nous ne dormons pas pendant des jours à cause des bombardements et des tirs d’artillerie incessants. Bien sûr, il est souvent difficile de se rendre sur le site d’un incident car il n’y a pas de véhicules ou de voitures disponibles, nous devions aller en charrette ou à pied pour atteindre un endroit qui était visé.

Les circonstances que nous avons vécues sont des circonstances qui ne peuvent pas être exprimées. Je tiens à dire dans cet enregistrement que nos circonstances sont encore très cruelles et difficiles. Mes collègues et moi avons vécu dans l’atmosphère de la famine qui a frappé le nord de Gaza. Parfois, mes collègues et moi passons des jours sans trouver un seul repas. Nous nous déplaçons d’un endroit à l’autre pour essayer de trouver avec beaucoup de difficultés quelque chose qui devrait être facile. Tout est extrêmement cher dans le nord.

Ce dont je parle n’est qu’une petite partie de ce que nous pouvons enregistrer, de ce que nous pouvons dire, de ce que nous pouvons documenter. Et pourtant, la souffrance est bien plus grande, la souffrance est difficile et tragique pour nous et notre peuple. Pourtant, malgré ces souffrances, nous nous sommes engagés, nous tous les journalistes, à poursuivre sur cette voie, à continuer à rendre compte au monde, et c’est ce qui nous a poussés à continuer jusqu’à aujourd’hui. Cette guerre dure depuis plus de 330 jours et les bombardements et les massacres se poursuivent sans relâche.

Et pourtant, malgré toutes ces difficultés et toutes ces circonstances tragiques, nous tous, journalistes, continuons chaque jour et chaque heure à rendre compte de ce qui se passe. C’est ce qui nous pousse à continuer, c’est notre cause. Il est du devoir du monde de voir et d’être témoin de ce que nous documentons et de ce que nous rapportons. Peut-être que le monde n’agira pas, peut-être que le monde ne nous aidera pas, mais il y a peut-être un motif pour arrêter cette guerre - chaque fois que je documente un massacre, un événement ou un bombardement, je pense que peut-être, grâce à ce bombardement ou à cette image, la guerre pourrait s’arrêter et cette guerre se terminer. C’est ce qui nous pousse à poursuivre notre travail jusqu’à notre dernier souffle.

Bien sûr, comme je l’ai mentionné, l’occupation israélienne a délibérément ciblé les journalistes de manière continue et nous parlons maintenant de près de 180 journalistes qui ont été ciblés à Gaza. Il est clair que l’occupation israélienne ne veut pas que l’image sorte, ne veut pas que le mot sorte, ne veut pas que nous documentions les crimes qu’elle commet sur notre peuple, comme ce qui est arrivé à notre cher ami et collègue, le correspondant d’Al Jazeera Ismail al-Ghoul, après qu’il a été assassiné par l’occupation israélienne alors qu’il documentait ce qui se passait et les crimes de l’occupation israélienne - l’occupation israélienne l’a donc ciblé de manière directe pour qu’Ismail ne puisse pas continuer sa couverture. Mais ce que l’occupation ne sait pas, c’est qu’après le martyre d’Ismail, nous, ses collègues journalistes, sommes encore plus déterminés à poursuivre la voie d’Ismail et à transmettre son message, malgré les circonstances tragiques, malgré les menaces et malgré le danger de la situation.

Nous pourrions être pris pour cible et bombardés à tout moment, mais notre situation est la même que celle de tout notre peuple, la même que celle des hommes, des femmes et des enfants qui sont martyrisés à chaque instant à Gaza.