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16/10/2022

GUIDO VIALE
Penser la conversion écologique, redéfinir le travail

 Guido Viale, 11/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Guido Viale (Tokyo, 1943) est un sociologue et écrivain italien. Il a été un des leaders du mouvement étudiant 1968 à Turin et a dirigé le groupe Lotta continua. En 2014, il a été parmi les initiateurs de la liste L’Autre Europe avec Tsipras aux élections européennes. Auteur de nombreux livres, notamment sur les questions d’environnement.
 
 

Ci-dessous deux textes de Guido Viale autour de la conférence organisée à Venise en septembre 2022 sous le titre « Décroissance : si ce n’est pas maintenant, alors quand ? »


La conversion écologique est pressée

La récente conférence internationale sur la décroissance Venise 2022 a montré qu'au cours des dernières années, même sans que personne ne la poursuive explicitement, une convergence s'est effectivement produite entre des visions et des perspectives d'une société future qui, jusqu'à récemment, semblaient lointaines ou même alternatives : celles qui répondent aux termes de décroissance, d'écosocialisme, d'écoféminisme, de société du soin, de justice sociale et environnementale, de conversion écologique et peut-être d'autres. Tout en maintenant chacune un objectif spécifique, ce qui les unit, c’est la répudiation de toute perspective fondée sur la croissance (du PIB), à l’accumulation du capital, au productivisme, à l’extractivisme, à l'exploitation tant des êtres humains que du vivant, aux inégalités sociales et au patriarcat ; et, en positif, à une perspective fondée sur la décentralisation et la participation à la gestion des processus de production, des contextes institutionnels et des rapports sociaux et une orientation basée sur la sobriété dans la consommation et l'enrichissement des relations.

Le problème non résolu, tant au niveau théorique que pratique, est de savoir comment faire vivre, grandir et mûrir ces visions à la fois dans les luttes en cours contre l'exploitation du travail et de l'environnement et dans les multiples initiatives « moléculaires » de réorganisation de la vie et de la consommation dans des contextes de partage.

Ces pôles sont reliés par la nécessité et l’urgence d'affronter la crise climatique et environnementale déjà en plein essor et destinée à s'aggraver ; en somme, la conversion écologique de l'appareil productif, des relations sociales et des structures institutionnelles. Une « transition » possible – on en a désormais les preuves – seulement si elle est promue « par le bas », c'est-à-dire si elle est promue par une population qui se constitue en communauté, et si elle n'est pas confiée uniquement à des mesures gouvernementales lancées d’ « en haut », toujours tardives, partiales, discriminatoires, incapables d'abandonner le paradigme de la croissance. Seules de telles communautés seront en mesure de s'adapter aux conditions difficiles dans lesquelles la crise climatique et environnementale contraindra les prochaines générations, à commencer par celles des jeunes d’aujourd' hui.

La conversion écologique a besoin de la participation convaincue d'un grand nombre – pas nécessairement la majorité – de citoyennes et de citoyens, de travailleurs et de travailleuses ; mais surtout de connaissances tirées de l'expérience directe de ceux et celles qui vivent et travaillent sur les territoires et dans les entreprises à reconvertir ; connaissances qui ne peuvent être recueillies qu'à travers une confrontation directe et continue entre les intéressé·es.

C'est un processus très difficile, qui semble mettre en péril des emplois ou des habitudes acquises sans envisager d'alternatives concrètes, qui doivent être construites sur des parcours longs, complexes et aléatoires. C'est pourquoi les points où la perspective d'une conversion productive – indissolublement liée à la recomposition d'une communauté de référence – peut le plus facilement s'affirmer sont les entreprises exposées au risque de fermeture, de délocalisation, de redimensionnement. Là, comme le montre l’expérience exemplaire de la GKN de Campi Bisenzio, il n'existe pas d'alternative à la socialisation de la gestion de la lutte et de l'usine et à une conversion productive qui ne peut se réaliser que dans le cadre d'un plan de portée au moins nationale, encore en grande partie à élaborer, comme celui envisagé par le collectif ouvrier pour des productions fonctionnelles à une mobilité collective et durable.

20/06/2022

GUIDO VIALE
La guerre en Ukraine : comme à Verdun
Bagatelles pour un massacre

Guido Viale, 14/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Guido Viale (Tokyo, 1943) est un sociologue et écrivain italien. Il a été un des leaders du mouvement étudiant 1968 à Turin et a dirigé le groupe Lotta continua. En 2014, il a été parmi les initiateurs de la liste L’Autre Europe avec Tsipras aux élections européennes. Auteur de nombreux livres, notamment sur les questions d’environnement.

Nous avons 100, voire 200 « pertes » par jour, dit Zelensky. Selon le général Fabio Mini, même 300. Les pertes sont des soldats « tombés », c'est-à-dire tués, morts, pour être remplacés chaque jour par 100 à 300 nouvelles « unité »" destinées à subir le même sort. Jour après jour. Tout aussi nombreux, sinon plus, sont les « tombés » de l'armée russe, de l'autre côté du front.

Puis il y a les blessés, dont beaucoup sont amputés ou destinés à l'être ; tous, cependant, sont marqués par un traumatisme difficile à guérir. Et puis encore, les morts parmi la population civile, dans une guerre où l'on abat des immeubles d'habitation avec leurs habitants à l'intérieur. Aujourd'hui, c'est l'armée russe qui s'en charge (uniquement ?), où qu'elle arrive, comme hier c'était l'armée et les milices ukrainiennes dans le Donbass.

Il y a peu - et de moins en moins - de perspectives de résolution du conflit dans un avenir proche ; plus probable est une impasse guerrière qui prolonge indéfiniment le bilan quotidien de ce massacre. Car des deux côtés du front, on vise la « victoire », en sachant de moins en moins bien en quoi elle consiste.

Rassemblement de soutien à l’Ukraine au pied du monument à la Victoire, en présence du maire et de l’évêque de Verdun.  Photo Frédéric MERCENIER/L’Est Républicain

Les armes d'il y a cinquante ans ou plus ont presque toutes été consommées, ainsi que les soldats qui les manœuvraient ; il faut maintenant que les « remplacements » arrivent, tant en moyens qu'en hommes. Des hommes de moins en moins aptes au combat, et peut-être même moins prêts à se battre. Des moyens, c'est-à-dire des armes, autant que l'industrie russe sera capable d'en produire et autant que les principaux États membres de l'OTAN, des USA et de l'UE seront prêts à en abandonner, avant d'entrer directement dans le conflit.

Mais même si les armes sont modernes et que les combattants sont habillés comme des « robocops », cette façon de combattre est vieille d'un siècle. L'image qui vient immédiatement à l'esprit est celle de la bataille de Verdun entre la France et l'Allemagne pendant la "Grande Guerre", qui a duré 10 mois dans une impasse et a coûté 140 000 morts et 300 000 blessés et "disparus" - c'est-à-dire également morts - à l'Allemagne et 160 000 morts et 380 000 blessés et "disparus" à la France.

Un massacre. Un siècle plus tard, on a longtemps dit, au point de l'inscrire dans les manuels d'histoire, que les grands États des deux pays qui ont envoyé "leurs" troupes à l'assaut, c'est-à- dire se faire tuer par vagues successives - pour être ensuite "remplacées" par des troupes "fraîches", "vouées", c'est-à-dire condamnées, au même sort - étaient des criminels ; et que cette guerre et cette façon de combattre avaient été un massacre inutile et insensé.

Et si vous dites cela des généraux et des chefs de gouvernement de l'époque, pourquoi ne pouvez-vous pas le dire de ceux d'aujourd'hui ? Certes, aujourd'hui, il y a un agresseur et un agressé, alors que des années plus tard, il est difficile de dire qui était l'agresseur et qui était l'agressé dans la Grande Guerre. L'agresseur aurait été, plutôt que le premier à la déclarer, celui qui avait perdu cette guerre. L'agressé, donc, qui l'avait gagnée. Puis, en faisant un retour historique, on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'en pleine Belle époque, les germes du massacre qui allait changer l'histoire du monde couvaient déjà depuis un certain temps des deux côtés.

Et pourquoi ne peut-on pas dire la même chose de cette guerre ? Nombreux sont ceux qui, en dépit de l'ostracisme dont ils font l'objet, affirment que les conditions préalables au déclenchement de l'agression de Poutine contre l'Ukraine avaient été établies depuis longtemps par l'élargissement de l'OTAN (en fait, également à l'Ukraine, bien qu'officieusement, et au milieu d'une agression contre les populations du Donbass). Des prémisses pas très différentes de la façon dont le traité de Versailles avait d'abord favorisé l'ascension d'Hitler, puis déclenché sa guerre d'agression, en comptant que seule l’Union soviétique en payerait le prix.

Aujourd'hui encore, certains, de l'autre côté de l'Atlantique, comptent sur l'Union européenne pour payer le prix de la guerre en Ukraine, en plus des soldats et des civils de ce pays, bien sûr.

Aujourd'hui, les deux parties (mais lesquelles ?) visent la "victoire", ce qui exclut toute possibilité de médiation et de compromis : « ce serait une capitulation », disent-elles. Il n'y a donc que des armes à envoyer. Ceci est principalement dit par ceux qui ne sont pas appelés à se battre. Bien sûr, aujourd'hui, même les soldats et les civils ukrainiens sous le feu russe le disent, ou nous l'entendons dans les reportages télévisés.

Mais comme il y a cent ans, aujourd'hui aussi, ce climat de "mai radieux" qui avait accompagné l'entrée de l'Italie dans la Grande Guerre est destiné à se dégonfler alors que l'absurdité de ce mot d'ordre - "jusqu'à la victoire" - et la multiplication des deuils commencent à percer l'écorce de la fausse fierté qui a rendu possible la mobilisation en Ukraine. Et les premiers signes de cette évolution sont déjà visibles.

Mais plus le temps passe, plus les conditions d'un compromis s'amenuisent : ce qui était encore possible - et relativement simple - avant l'agression russe ne l'est plus aujourd'hui ; ni Zelensky ni Poutine ne peuvent proposer de médiation. Il est moins logique de proposer une médiation tout en continuant à envoyer des armes. Draghi et Macron devraient au moins comprendre cela.

C'est pourquoi, outre les sacro-saintes caravanes de la paix et les initiatives d'interposition prévues, les chances d'un armistice passent aujourd'hui par la lutte incessante contre l'envoi d'armes à l’ Ukraine : tant que Zelensky en reçoit ou a des raisons d'en attendre davantage, il est de plus en plus difficile d'envisager une solution pour mettre fin au massacre.

Mais ce n'est pas lui qui doit se retirer. C'est l'OTAN. La fin de ce conflit passe par là : par le retrait des installations militaires des deux véritables bélligérants. C’est dire à quel point c'est encore loin.