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02/05/2024

GIDEON LEVY
Les universités israéliennes sont vraiment mal placées pour donner des leçons sur les droits humains et la liberté aux Juifs usaméricains

Gideon Levy, Haaretz, 2/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Voilà un nouveau record d’hypocrisie et de manque de conscience de soi : les présidents des universités israéliennes ont publié une lettre [v. texte ci-dessous] dans laquelle ils se disent troublés par les manifestations de violence, d’antisémitisme et de sentiment anti-israélien sur les campus des USA, et ont entrepris d’aider les Juifs et les Israéliens à être admis dans les universités d’ici. En d’autres termes : venez à l’université d’Ariel. Sur cette terre volée, au cœur du district de l’apartheid, vous étudierez l’éducation civique, les droits humains et la liberté. À Ariel, comme dans toute université israélienne, vous verrez ce que sont la liberté et l’égalité. Ici, vous trouverez également un refuge pour les Juifs persécutés en Amérique, dans l’endroit le plus sûr au monde pour les Juifs : Ariel.


L’université d’Ariel dans la colonie d’Ariel, en Cisjordanie. Photo : Moti Milrod

Chers présidents, ceux qui vivent dans des maisons de verre ne devraient pas jeter de pierres. Si vous voulez offrir un refuge aux universitaires juifs des USA, vous n’avez pas grand-chose à leur offrir. Le jour le plus orageux sur le campus de Columbia est plus sûr pour les Juifs que sur le chemin de l’Université hébraïque [à Jérusalem, NdT]. Chaque étudiant arabe se sent moins à l’aise dans vos universités que les étudiants juifs à Columbia. On peut également douter de l’imminence du danger à Columbia.

« En tant qu’étudiante juive israélienne, je ne ressens aucune crainte ou menace pour ma sécurité personnell », a écrit Noa Orbach, étudiante à l’université Columbia, dans l’édition hébraïque de Haaretz du 26 avril. Israël aime exagérer les dangers qui guettent les Juifs dans le monde et s’y complaire. Cela conduit à l’alya, et c’est bon pour la fable d’Israël en tant que refuge. Non pas qu’il n’y ait pas d’antisémitisme dans le monde, mais si tout et n’importe quoi est antisémitisme, alors Israël décroche le gros lot.

Un peu de modestie ne vous fera pas de mal non plus, messieurs les présidents. Vos académies peuvent envier ce qui se passe aujourd’hui sur les campus usaméricains. Voilà à quoi ressemble un campus où l’on fait preuve de civisme et où l’on s’engage politiquement. Voilà à quoi ressemble un campus vivant, actif et rebelle, contrairement aux cimetières idéologiques des campus lugubres et ennuyeux d’Israël. Certes, la protestation anti-israélienne a débordé ici et là sur l’antisémitisme et la violence, même si c’est moins que ce qui est décrit dans Haaretz. Mais quand il s’agit de choisir entre un campus indifférent, rassasié et endormi et un campus turbulent, attentif et radical, le second est plus prometteur.

On ne peut que rêver ici d’un corps enseignant et d’étudiants militants comme aux USA. Eux seuls peuvent assurer la relève. Dans le désert des campus israéliens, aucune promesse sociale ou politique ne se développera.

Les étudiants usaméricains font preuve d’engagement et d’attention, même si leurs manifestations deviennent tumultueuses et dérapent. Il n’y a aucune chance que des manifestations contre une guerre sur un continent lointain éclatent dans une université israélienne. Un bon jour, des protestations éclateront ici pour protester contre le coût des frais de scolarité ou les conditions de vie des étudiants réservistes. Un jour encore meilleur, une poignée d’étudiants israélo-palestiniens se tiendront aux portes de l’université, marquant silencieusement le jour de la Nakba, avec des dizaines de policiers armés autour d’eux.

Les directeurs d’université cachent également la chasse aux sorcières dans leurs établissements, qui s’est intensifiée depuis le début de la guerre. Quelques jours après son déclenchement, le syndicat étudiant de l’université de Haïfa a déjà annoncé qu’il prendrait des mesures pour suspendre les étudiants qui oseraient exprimer leur soutien aux Palestiniens. « La liberté d’expression, à notre avis, est réduite à néant en ce moment », ont-ils écrit. C’est ainsi que le maccarthysme a commencé dans le monde universitaire, culminant avec la suspension et l’arrestation de la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian. L’esprit du temps, dont le monde universitaire est une partie importante, dans lequel un ingénieur israélien est licencié parce qu’il a cité des versets du Coran dans les médias sociaux (Haaretz, 30 avril), inquiète moins les présidents d’université que ce qui se passe en USAmérique.

Les protestations aux USA devraient interpeller et préoccuper Israël. Une partie de la protestation s’est transformée en haine contre Israël et en appel à le rayer de la carte. Comme toujours, nous devons aller à la racine du problème. Les étudiants usaméricains ont vu beaucoup plus d’horreurs de la terrible guerre à Gaza que leurs collègues israéliens complaisants. S’il n’y avait pas eu la guerre, ou l’occupation et l’apartheid, cette protestation n’aurait pas eu lieu.

Shadi Ghanim, The National, ÉAU, 1/5/2024

      Association des directeurs d'université, Israël (VERA)

Déclaration sur les manifestations violentes et l'antisémitisme sur les campus américains - avril 2024

Nous, présidents des universités de recherche en Israël, exprimons notre profonde inquiétude face à la récente flambée de violence, d'antisémitisme et de sentiments anti-israéliens dans de nombreuses grandes universités des États-Unis. Ces événements inquiétants sont souvent organisés et soutenus par des groupes palestiniens, y compris ceux qui sont reconnus comme des organisations terroristes. Cette évolution troublante a créé un climat dans lequel les étudiants et les enseignants israéliens et juifs se sentent obligés de cacher leur identité ou d'éviter complètement les campus par crainte de subir des dommages physiques.

Nous reconnaissons les efforts déployés par nos homologues dans ces établissements pour résoudre ces problèmes. Nous comprenons la complexité et les défis liés à la gestion des groupes incitant à la haine et reconnaissons que des situations extrêmes peuvent nécessiter des mesures allant au-delà des outils conventionnels à la disposition des administrations universitaires.

La liberté d'expression et le droit de manifester sont essentiels à la santé de toute démocratie et sont particulièrement cruciaux dans les milieux universitaires. Nous continuons à défendre l'importance de ces libertés, en particulier en ces temps difficiles. Toutefois, ces libertés n'incluent pas le droit de se livrer à la violence, de proférer des menaces à l'encontre de communautés ou d'appeler à la destruction de l'État d'Israël.

Nous apportons notre soutien aux étudiants et enseignants juifs et israéliens confrontés à ces circonstances difficiles. Nous ferons de notre mieux pour aider ceux d'entre eux qui souhaitent rejoindre les universités israéliennes et y trouver un foyer académique et personnel accueillant.


Arie Zaban, président de l'université Bar-Ilan ; président de l'association des directeurs d'université – VERA

Daniel Chamovitz, président de l'université Ben-Gurion du Néguev

Alon Chen, président de l'Institut des sciences Weizmann

Asher Cohen, Président de l'Université hébraïque de Jérusalem

Leo Corry, président de l'Open University

Ehud Grossman, Président de l'Université d'Ariel

Ariel Porat, président de l'université de Tel-Aviv

Ron Robin, président de l'université de Haïfa

Uri Sivan, Président du Technion-Israel Institute of Technology

20/03/2024

RICK STERLING
De Dallas à Gaza : L’assassinat de John Kennedy fut une bonne chose pour les dirigeants sionistes de l’État d’Israël

Rick Sterling, Mintpressnews, 13/12/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le président John F. Kennedy a été assassiné il y a soixante ans [22 novembre 1963]. S’il avait vécu et obtenu un second mandat, le conflit israélo-palestinien aurait évolué différemment. La voie vers l’apartheid israélien et le génocide à Gaza aurait peut-être pu être évitée.

Le président John F. Kennedy rencontre le Premier ministre israélien David Ben-Gourion à l’hôtel Waldorf de New York, le 30 mai 1961. Photo AP photoshopée par MintPress News

Au cours de son court mandat, Kennedy a considérablement modifié la politique étrangère des USA. Comme le montre le livre “JFK and the Unspeakable : Why He Died and Why It Still Matters” de James Douiglass, JFK a résisté à la CIA et au complexe militaro-industriel dans les politiques qu’il a définies à l’égard du tiers-monde et de l’Union soviétique. La guerre du Viêt Nam, l’assassinat du président indonésien Sukarno et l’hostilité persistante à l’égard de Cuba et de l’Union soviétique n’auraient pas eu lieu si Kennedy avait vécu et obtenu un second mandat.

Ce qui est moins connu, c’est que la politique de Kennedy s’est également opposée aux ambitions militaires et politiques de l’Israël sioniste. À l’époque, Israël n’existait que depuis treize ans. Il était encore en pleine évolution et la voie n’était pas encore tracée. La communauté internationale était résolue à trouver une solution de compromis concernant les réfugiés palestiniens de la Nakba de 1948. Lorsqu’Israël a attaqué l’Égypte et s’est emparé de la péninsule du Sinaï en 1956, l’administration Eisenhower a exigé qu’Israël se retire du territoire capturé. Israël s’est exécuté.

À cette époque, au début des années 1960, d’éminentes voix juives ont critiqué le racisme et la discrimination du gouvernement israélien. Des Israéliens comme Martin Buber ont attaqué Ben-Gourion et noté que « lors de la création de l’État, une égalité totale avec les citoyens juifs a été promise à la population arabe ». De nombreux Israéliens influents ont compris que leur sécurité et leur bien-être à long terme dépendaient de la recherche d’un règlement équitable avec la population palestinienne indigène.

Aux USA, la communauté juive était divisée et beaucoup étaient antisionistes. L’American Council for Judaism était influent et anti-nationaliste. Le caractère raciste et agressif d’Israël n’était pas encore gravé dans le marbre. Le soutien des Juifs usaméricains à Israël ne l’était pas non plus. Lorsque Menachem Begin est venu aux USA en 1948, d’éminentes personnalités juives, dont Albert Einstein, l’ont dénoncé. Selon eux, Begin, qui deviendra plus tard Premier ministre d’Israël, était un “terroriste” qui prêchait “un mélange d’ultra-nationalisme, de mysticisme religieux et de supériorité raciale”. De nombreux Juifs usaméricains avaient des sentiments mitigés et ne s’identifiaient pas à Israël. D’autres soutenaient Israël, mais à condition qu’il y eût une paix avec les autochtones palestiniens.

Il existe quatre domaines clés dans lesquels la politique de Kennedy différait sensiblement de celle qui a suivi sa mort.

John F. Kennedy rencontre des membres de l’American Jewish Committee dans le bureau ovale, avril 1962. Photo : Bibliothèque présidentielle JFK

 Kennedy n’était pas partial à l’égard d’Israël

L’administration Kennedy cherchait à établir de bonnes relations avec Israël et les pays arabes. Kennedy souhaitait étendre l’influence des USA à l’ensemble du Moyen-Orient, y compris aux pays amis de l’Union soviétique et en désaccord avec les partenaires de l’OTAN.

JFK a personnellement soutenu le nationalisme arabe et africain. En tant que sénateur, en 1957, il a critiqué l’administration Eisenhower pour avoir soutenu et envoyé des armes à la France dans sa guerre contre le mouvement d’indépendance algérien. Dans une présentation de 9 000 mots à la commission sénatoriale des Affaires étrangères, il a critiqué « l’impérialisme occidental » et a appelé les USA à soutenir l’indépendance de l’Algérie. Le président algérien Ben Bella, que la France avait tenté d’assassiner et qui était considéré comme beaucoup trop radical par de nombreux membres de l’OTAN, a reçu un accueil impressionnant à la Maison Blanche.

Kennedy a modifié les relations glaciales qu’il entretenait auparavant avec la République arabe unie (Égypte et Syrie) dirigée par Gamal Abdel Nasser. Pour la première fois, les USA ont approuvé des prêts en leur faveur. Kennedy a écrit des lettres respectueuses aux présidents arabes avant d’accueillir le Premier ministre israélien Ben Gourion à Washington. Les dirigeants arabes ont vu la différence et ont réagi avec reconnaissance. Ceux qui prétendent qu’il n’y avait pas de différence entre Kennedy et ses prédécesseurs ignorent que Nasser, Ben Bella et d’autres dirigeants nationalistes ont vu une grande différence.

En 1960, alors que Kennedy faisait campagne pour la présidence, il a pris la parole lors de la convention des sionistes d’Amérique. Il fait des remarques élogieuses sur Israël, mais exprime également le besoin d’amitié avec tous les peuples du Moyen-Orient. Il a déclaré que les USA devaient « agir rapidement et de manière décisive contre toute nation du Moyen-Orient qui attaque son voisin » et que « le Moyen-Orient a besoin d’eau, pas de guerre ; de tracteurs, pas de chars ; de pain, pas de bombes ».

Kennedy a dit franchement aux sionistes : « Je ne peux pas croire qu’Israël ait un réel désir de rester indéfiniment un État de garnison entouré de peur et de haine ». En maintenant l’objectivité et la neutralité sur le conflit israélo-arabe, Kennedy voulait éloigner les sionistes juifs des impulsions racistes, agressives et ultranationalistes qui nous ont conduits là où nous sommes aujourd’hui.

Kennedy voulait qu’Israël suive les règles

La deuxième différence dans la politique de Kennedy concerne le lobbying sioniste en faveur d’Israël. En vertu de la loi sur l’enregistrement des agents étrangers (FARA), les organisations qui promeuvent un gouvernement étranger ou font pression en son nom doivent s’enregistrer et rendre compte de leurs finances et de leurs activités. Sous la direction du procureur général Robert Kennedy, le ministère de la Justice a demandé à l’American Zionist Council (AZC) de s’enregistrer en tant qu’agent d’un pays étranger. L’AZC est l’organisation mère de l’American Israel Public Affairs Council (AIPAC).

22/03/2023

Qui est à l’origine de la refonte judiciaire qui divise Israël ? Deux New-Yorkais

David Segal et Isabel Kershner, The New York Times, 20/3/2023

 Alain Delaquérière, du service de recherche du NYT, a contribué au reportage.

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Kohelet, le think tank autrefois discret qui a conçu et défend aujourd’hui un remodelage du système judiciaire israélien, est une importation usaméricaine.

Des dizaines de milliers d’Israéliens ont protesté contre le projet de refonte judiciaire du gouvernement le 11 mars. Photo : Amir Levy/Getty Images

Dans le cadre d’une récente “journée nationale de résistance”, un groupe de réservistes masqués a convergé vers le bureau de Jérusalem d’un think tank et a bloqué sa porte d’entrée avec des sacs de sable et des bobines de fil de fer barbelé. À l’extérieur, les manifestants ont mené un rassemblement bruyant dans la rue, brandissant des dizaines de pancartes et se partageant un micro pour une série de discours furieux.

« Le Kohelet Policy Forum s’est caché dans l’ombre », a crié un orateur, debout sur une voiture. « Mais nous les avons rattrapés et nous ne les laisserons pas gagner ! »

Pendant des années, Kohelet a discrètement produit des prises de position, essayant d’orienter la politique gouvernementale dans une direction plus libertarienne. Puis, à partir de janvier, il s’est fait connaître comme l’un des principaux architectes de la proposition de refonte judiciaire qui a plongé Israël dans une crise sur l’avenir de sa démocratie.

Si le projet aboutit, ce sera une victoire éclatante non seulement pour le think tank, mais aussi pour les personnes qui en sont à l’origine : deux gars du Queens.

Le premier est Moshe Koppel, un docteur en mathématiques de 66 ans qui a grandi à New York et s’est installé en Israël en 1980. Il a fondé Kohelet en 2012 et a rédigé des lois et produit des documents politiques conservateurs et libertariens avec une liste de chercheurs à temps plein et à temps partiel qui compte aujourd’hui 160 personnes.

« Je ne veux pas paraître arrogant », a-t-il déclaré à Ami, le magazine juif orthodoxe, en 2019, « mais dans un certain sens, nous sommes les cerveaux de la droite israélienne ».

Moshe Koppel, président de Kohelet, lors d’un événement à Jérusalem. Photo : Olivier Fitoussi

Kohelet n’est pas tenu de divulguer les noms des donateurs individuels et, pendant des années, Koppel a habilement éludé les questions relatives au financement.

Arthur Dantchik, un trader qui pèse 7,2 milliards de $

Mais l’une des sources de financement est un autre New-Yorkais : Arthur Dantchik, un multimilliardaire de 65 ans qui a donné des millions à Kohelet, selon des personnes familières avec ses dons philanthropiques. Dantchik n’a pas répondu à une demande de commentaire.

L’argent et les idées des USAméricains, de gauche comme de droite, ont toujours joué un rôle dans la politique israélienne. Aujourd’hui, les consultants usaméricains font régulièrement partie des campagnes électorales et le quotidien gratuit Israel Hayom, soutenu par des USAméricains, est le journal le plus lu du pays.

Jusqu’à récemment, cependant, peu de gens savaient que les propositions judiciaires qui bouleversent le pays étaient en grande partie une production usaméricaine.

 

Ce qu’il faut savoir sur la refonte du système judiciaire israélien

Une proposition qui divise. Un ensemble de propositions législatives visant à réformer en profondeur le système judiciaire israélien a déclenché des protestations massives de la part de ceux qui estiment qu’elles détruiront les fondements démocratiques du pays. Voici ce qu’il faut savoir :

Quels sont les changements proposés ? Le gouvernement israélien de droite souhaite modifier la composition d’un comité chargé de sélectionner les juges afin de donner une majorité aux représentants et aux personnes nommées par le gouvernement. La législation limiterait également la capacité de la Cour suprême à annuler les lois adoptées par le Parlement et affaiblirait l’autorité du procureur général, qui est indépendant du gouvernement.

Que disent les opposants au projet ? Le front des opposants à la législation, qui comprend des Israéliens en grande partie du centre et de la gauche, affirme que la refonte porterait un coup fatal à l’indépendance du pouvoir judiciaire, qu’ils considèrent comme le seul frein au pouvoir du gouvernement. Ils affirment que la législation ferait passer le système israélien d’une démocratie libérale avec des protections pour les minorités à une tyrannie de la règle de la majorité.

Quelle est la position de Benjamin Netanyahou ? Dans le passé, Netanyahou, l’actuel Premier ministre israélien, était un fervent défenseur de l’indépendance des tribunaux. Sa récente nomination de Yariv Levin, l’un des chefs de file de la refonte judiciaire, au poste de ministre de la Justice a marqué un tournant, même si MNetanyahou a publiquement promis que tout changement serait mesuré et géré de manière responsable.

Un compromis est-il possible ? Les hommes politiques à l’origine du plan se sont dits prêts à discuter et un groupe d’universitaires et de législateurs s’est réuni en coulisses pendant des semaines pour trouver un compromis. Le 15 mars, le gouvernement a rejeté un compromis proposé par Isaac Herzog, le président d’Israël, qui a été rejeté par Netanyahou peu après sa publication.

 Ce plan, qui a incité des centaines de milliers d’Israéliens à manifester chaque semaine, donnerait au gouvernement un contrôle beaucoup plus important sur la sélection des juges et rendrait plus difficile l’annulation par la Cour suprême des lois adoptées par les députés.

Les négociations - qui incluaient Kohelet - pour une version réduite de la refonte judiciaire qui satisferait une plus grande partie de l’opinion publique israélienne semblent être en suspens pour le moment. Le gouvernement est déterminé à faire passer au moins certaines de ses propositions au Parlement d’ici le début du mois d’avril.

Les opposants à la refonte affirment que les tribunaux sont tout ce qui empêche Israël de se transformer en un pays où le pouvoir du gouvernement n’est pas contrôlé et où les minorités ne sont pas protégées. Koppel et ses alliés estiment que la véritable menace pour la démocratie israélienne réside dans les juges activistes qui, selon lui, agissent désormais pratiquement sans contrainte.

Bien que très présent dans les cercles politiques conservateurs israéliens depuis des années, Koppel s’est longtemps efforcé de maintenir un profil aussi bas que possible.

« J’ai découvert que l’on obtient beaucoup plus de résultats », a-t-il déclaré lors d’une rare interview au siège de Kohelet, « si on laisse les autres s’attribuer les mérites que si l’on insiste pour annoncer sa propre contribution ».

Pendant des décennies, M. Dantchik est resté aussi invisible qu’un homme aussi riche peut l’être. (Avec une valeur nette estimée à 7,2 milliards de dollars, il est plus haut placé sur la liste Forbes 400 que des magnats de premier plan comme Mark Cuban et George Soros). Il est cofondateur du Susquehanna International Group, une société financière privée basée sur un campus tentaculaire dans la banlieue de Philadelphie, avec des bureaux dans le monde entier. La société n’a jamais fait appel à des investisseurs extérieurs, se limitant à ce qu’elle est tenue de divulguer publiquement sur les marchés sur lesquels elle opère - options, actions, crypto-monnaies et paris sportifs.

« Ils sont aussi silencieux qu’une souris d’église », a déclaré Paul Rowady d’Alphacution, un groupe de recherche spécialisé dans les sociétés de négoce pour compte propre. « Ces types n’aiment pas parler et ils ne veulent pas que quelqu’un se mêle de leurs affaires ».

Le lien de Dantchik avec Kohelet a été publié pour la première fois dans un article du journal israélien Haaretz, sur la base d’un rapport du Bloc démocratique, une organisation à but non lucratif en Israël qui surveille principalement les groupes de droite.

« Nous avons passé des mois à chercher un indice qui nous permettrait de remonter à l’origine de l’argent », a déclaré Ran Cohen, directeur du Bloc démocratique. « Il s’agissait d’un labyrinthe de sociétés et d’organisations caritatives américaines non transparentes ».

Les recherches du groupe ont révélé que les fonds destinés à Kohelet provenaient d’une organisation 501(c)(3) appelée American Friends of Kohelet Policy Forum, qui était à l’origine basée à Bala Cynwyd, la même banlieue que Susquehanna. Deux des directeurs de l’association sont des frères et sœurs de l’épouse de Koppel. Le troisième, Amir Goldman, travaille à Susquehanna Growth Equity, une branche de Susquehanna International spécialisée dans le capital-investissement.

Après la publication par Haaretz de son article en mars 2021, le Bloc démocratique a constaté que le principal canal de financement de Kohelet avait changé.


"Jeff Yass, prends ton argent sale et dégage !" : Manifestation devant les bureaux de Kohelet à Jérusalem le 9 mars. Photo : Eran Nissan/Mehazkim

Un rapport financier déposé en Israël par le think tank en avril de la même année a montré que plus de 90 % de ses 7,2 millions de dollars de revenus provenaient du Central Fund of Israel, une organisation familiale à but non lucratif qui a donné 55 millions de dollars à plus de 500 causes liées à Israël en 2021, selon son site web.

Jeff Yass, le roi de l’arnaque fiscale

Dans les rapports précédents sur le financement de Kohelet, Dantchik était cité comme l’un des principaux donateurs avec Jeff Yass. Yass est l’un des cofondateurs de Susquehanna et un donateur politique conservateur prolifique aux USA, dont la valeur nette a été estimée par Forbes à 28,5 milliards de dollars.

Mais les personnes qui connaissent les dons des deux hommes affirment que M. Yass n’a jamais été un donateur de Kohelet. Il a refusé de commenter cet article.

Les bureaux de Kohelet à Jérusalem. Photo : Avishag Shaar-Yashuv pour le New York Times

Si la refonte soutenue par Kohelet devait aboutir sous une forme ou une autre, Koppel deviendrait l’improbable parrain d’un système judiciaire israélien remodelé.

Il n’est pas juriste et n’a pas fait d’études de droit. Avant de se tourner vers la politique, il était spécialisé dans l’apprentissage automatique. Koppel, un homme maigre à la barbe grisonnante et aux petits restes d’accent new-yorkais, vit dans une colonie relativement huppée du sud de la Cisjordanie, où l’on trouve de nombreux USAméricains transplantés.

Même nombre de ses détracteurs l’apprécient personnellement, et la plupart d’entre eux le reconnaissent : « Il est brillant. » L’un de ses dons est de décrire ses positions politiques et sa propre personne de manière à ce qu’elles paraissent éminemment raisonnables.

« Vous voyez que je porte une kippa sur la tête, mais je ne suis pas en faveur de la coercition religieuse sous quelque forme que ce soit », a-t-il déclaré lors d’une récente interview sur le podcast “Two Nice Jewish Boys” (Deux gentils garçons juifs).

Koppel, au centre, interviewé par Eytan Weinstein, à gauche, et Naor Meningher sur le podcast “Two Nice Jewish Boys”. Photo : Two Nice Jewish Boys Podcast

Il n’a pas voulu dire comment il était entré en contact avec Dantchik, qui a grandi dans le Queens et a obtenu un diplôme de biologie à l’université d’État de New York à Binghamton.

Le colocataire de Dantchik était Yass, un ami du lycée, et les deux hommes se sont liés par une passion commune pour le poker. Après avoir obtenu leur diplôme, ils se sont installés à Las Vegas pour devenir des joueurs professionnels, avec un succès modeste. Plus tard, ils ont transporté des mallettes remplies d’argent provenant d’un “consortium” de joueurs partageant les mêmes idées, afin de faire des milliers de petits paris sur des combinaisons à long terme dans les hippodromes. En 1985, au Sportsman’s Park de Cicero (Illinois), ils ont gagné 764 284 dollars, l’un des plus gros gains de l’histoire des courses aux USA.

Ils ont créé Susquehanna en 1987 avec une poignée d’amis. Le poker, qui met l’accent sur les probabilités et la prise de décision sous pression, est tellement au cœur de la culture de Susquehanna que son programme de formation de plusieurs mois comprend des semaines de Texas hold’em [variante de poker].

D’anciens employés de Susquehanna disent que Dantchik est un personnage très apprécié dans l’entreprise - calme, chaleureux et exceptionnellement généreux.

« Il dirigeait le programme de formation lorsque j’ai commencé », a déclaré Francis Wisniewski, qui a rejoint Susquehanna en 1993 et y est resté pendant dix ans. « Mon grand-père est décédé pendant la formation et il m’a offert son Audi pour que je puisse immédiatement rentrer chez moi en quatre heures. Il m’a dit : “Je vais prendre un taxi. Tu prends ma voiture”. Il était comme ça ».

Si l’argent parle, c’est apparemment la seule façon pour Dantchik de le faire en public. Sa philanthropie publique révèle un homme désireux de soutenir des politiciens républicains modérés : il a donné environ 850 000 dollars à des candidats politiques et à des groupes qui divulguent leurs donateurs, selon les données fournies par OpenSecrets.org.

La majeure partie de ses dons est canalisée par la Claws Foundation, basée à Reston, en Virginie, et dont deux des directeurs sont Dantchiok et Yass. La dernière déclaration fiscale de la Fondation Claws à l’I.R.S., qui figure sur le site de ProPublica, indique que l’organisation a donné 36 millions de dollars à plus de 30 bénéficiaires, dont des théâtres, des hôpitaux, des synagogues, des universités et des groupes de réflexion libertariens, tels que l’Institut Cato et l’Institut Ayn Rand.

Sur le papier, Dantchik et Koppel ont beaucoup en commun, notamment une passion partagée pour Israël et les idées libertariennes. Koppel a commencé à s’intéresser à la politique il y a 20 ans, lorsqu’il a commencé à assister aux auditions de la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset. Lors de l’entretien, Koppel a déclaré qu’il avait rapidement appris que les politiciens, très occupés et à court de personnel, étaient reconnaissants à toute personne désireuse de les aider à rédiger un projet de loi.

« Cette personne a beaucoup de pouvoir, la personne qui tient le stylo », dit Koppel.

Après quelques tentatives infructueuses de rédaction d’une constitution officielle pour Israël, il a créé Kohelet - l’Ecclésiaste en hébreu - il y a plus de dix ans.

 

Le bureau de Jérusalem de Kohelet, que son fondateur a qualifié de “cerveau de la droite israélienne”. Photo : Avishag Shaar-Yashuv

Dès le départ, Kohelet a ciblé les piliers idéologiques érigés par les fondateurs socialistes d’Israël. Le groupe promeut le menu libertarien familier d’un gouvernement restreint, de marchés libres et d’une éducation privatisée. Au cours des dernières décennies, Israël s’est éloigné de la réglementation et a mis l’accent sur son hospitalité envers les entrepreneurs. Mais le libertarianisme de Kohelet est ressenti par de nombreux Israéliens comme une intrusion étrangère.

Décrivant les politiques de Kohelet comme une importation usaméricaine, Gilad Kariv, membre du parti travailliste et ancien président de la commission de la constitution, du droit et de la justice, a déclaré : « Non seulement ils reçoivent leur contribution financière des USA, mais ils y apportent une philosophie néoconservatrice d’extrême droite ».

L’un des triomphes de Kohelet s’est produit en 2019, lorsque l’administration Trump a annoncé que les USA ne considéraient pas les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée comme une violation du droit international, renversant ainsi quatre décennies de politique usaméricaine. Le secrétaire d’État Mike Pompeo a délivré un message vidéo lors d’une conférence de Kohelet, remerciant le groupe d’avoir soutenu la nouvelle doctrine.

Mais le projet de refonte judiciaire représente l’apogée de l’influence de Kohelet. Lorsque Yariv Levin, le ministre de la Justice, a dévoilé le plan en janvier, il a publiquement remercié le directeur du département juridique de Kohelet pour son aide. Koppel s’est contenté de dire que les propositions judiciaires de Kohelet étaient “similaires” à celles du gouvernement.

« Nous ne pouvons pas leur dire ce qu’ils doivent faire, mais seulement leur donner des conseils », dit Koppel. « Ils ont suivi certains de ces conseils et en ont rejeté d’autres ».

Peu après cette interview, les tensions en Israël sont passées de l’état de frémissement à l’état d’ébullition, et le président a récemment mis en garde contre la possibilité réelle d’une guerre civile.

Lors de la manifestation organisée devant Kohelet ce mois-ci, un orateur a dénoncé les riches USAméricains qui exportent des idées en Israël « en provenance directe des franges délirantes du parti républicain ».

Les badauds ont lancé de faux billets de 100 dollars en l’air.

L’entrée des bureaux du Kohelet Policy Forum qui a été bloquée par des manifestants opposés à la refonte du système judiciaire prévue par le gouvernement israélien, à Jérusalem, le 9 mars 2023.Photo : Flash90