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09/01/2025

FRANCISCO CARRIÓN
“Quiconque a une once d’humanité doit soutenir les Sahraouis”
Interview de Greta Thunberg

Francisco Carrión, El Independiente, 9/1/2024
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala

Francisco Carrión (Grenade, 1986) est un journaliste espagnol qui travaille pour El Independiente. Au cours de la dernière décennie, il a été correspondant du quotidien El Mundo au Caire, couvrant les années les plus dramatiques de l'histoire de l'Égypte. Il a reçu une vingtaine de prix pour son travail et ses chroniques.

Elle vient de prendre le chemin du retour. Une semaine de voyage s’annonce, d’abord par la route à travers l’Algérie, puis par bateau jusqu’à la côte espagnole. L’activiste suédoise Greta Thunberg rentre chez elle après quelques jours sous les tentes de l’exil sahraoui, les yeux encore fascinés par la rencontre avec la cause du Sahara occidental, dernière colonie d’Afrique.

« Ma première impression est la détermination des Sahraouis à lutter sans relâche pour leurs droits, même s’ils ont été privés et dépouillés de leurs droits humains les plus fondamentaux et se voient constamment refuser le droit à l’autodétermination, le droit à la dignité et à la liberté, et sont privés de justice », déclare l’activiste climatique dans une conversation avec El Independiente avant d’entamer son voyage de retour.

Thunberg a participé à une réunion d’activistes climatiques organisée par Solidarity Rising, une organisation créée par les activistes suédois Sanna Ghotbi et Benjamin Ladraa, qui ont parcouru 30 000 kilomètres à vélo à travers 26 pays en deux ans et demi pour sensibiliser au Sahara occidental, l’ancienne province espagnole occupée par le Maroc depuis 1975. L’activiste suédoise de 22 ans (qu’elle a eu le 3 janvier), qui est devenue le visage de l’activisme climatique, a passé trois jours dans le camp de Boujdour.

Des enfants sahraouis lors d’un des événements organisés avec Greta Thunberg

De la Palestine au Kurdistan et au Sahara

Cette expérience lui a permis d’être captivée par l’hospitalité des Sahraouis. « J’ai été surprise de voir à quel point ils ont essayé de nous faire sentir chez nous, et ils ont réussi », a-t-elle déclaré à ce journal. Après avoir défendu la cause palestinienne l’année dernière, en pleine opération militaire israélienne dans la bande de Gaza, et s’être rendue au Kurdistan - le plus grand peuple sans État-nation de la planète - fin 2024, Greta  a visité les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf (Algérie), où vivent quelque 175 000 personnes. En 2025, cela fera 50 ans que l’Espagne s’est retirée de l’ancien Sahara espagnol, la 53e  province espagnole.
Selon Thunberg, le soutien à la cause sahraouie devrait être un exercice universel. « Il devrait être évident pour toute personne qui prétend avoir la moindre parcelle d’humanité de se solidariser avec le peuple du Sahara occidental et tous les groupes marginalisés, occupés ou opprimés ». « Bien sûr, leur lutte est notre lutte. Personne n’est libre tant que tout le monde ne l’est pas. Et tant que des gens souffrent, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin à cette souffrance.
Thunberg, qui, adolescente, a inspiré les Fridays for Future et est devenue une éveilleuse de consciences pour une génération préoccupée par les ravages du changement climatique et la santé de la planète, affirme qu’« il n’y a pas de justice climatique sans droits de l’homme » et s’en prend au Maroc et à ses politiques. « En tant qu’activiste climatique, il existe des liens tels que le fait que cette région est l’une des plus durement touchées par la crise climatique alors que ses habitants sont parmi les moins responsables de celle-ci ».
Le séjour de Thunberg dans la hamada algérienne a laissé des traces. « Il lui a fallu une semaine pour venir de Stockholm en train, en voiture et en ferry, y compris un court séjour à Paris », explique Benjamin Ladraa, l’un des organisateurs. « Sa participation a été une occasion importante de discuter de la manière dont nous incluons et impliquons le mouvement climatique dans la lutte pour un Sahara occidental libre. Le Maroc fait de l’écoblanchiment en construisant de l’énergie « verte » dans le territoire occupé sans le consentement du peuple sahraoui. En tant qu’organisateurs, nous avons pensé qu’il était important de favoriser les relations entre le mouvement de solidarité, le peuple sahraoui et le mouvement climatique et nous ne pouvions pas penser à une meilleure personne que Greta pour faciliter cela », ajoute Ladraa.
Tant que les gens souffrent, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin à cette souffrance.

« Sans droits de l’homme, il n’y a pas de justice climatique »

« Il est difficile de trouver des exemples plus clairs de l’injustice climatique et, bien sûr, de la surextraction et du pillage des ressources naturelles auxquels se livre le Maroc, qui vont de pair avec l’occupation et constituent eux-mêmes une étape de l’occupation. « En tant qu’activistes climatiques, nous devrions nous préoccuper et parler de questions telles que le Sahara occidental, le conflit et l’occupation parce qu’en fin de compte, nous sommes passionnés et soucieux du bien-être humain et de mettre fin aux injustices, qu’elles soient sociales ou climatiques », affirme-t-elle.

Nous devons nous joindre aux appels pour un Sahara occidental libre. Nous n’avons tout simplement pas d’autre choix

Pour Thunberg - qui a été la cible d’attaques israéliennes au cours de l’année et demie écoulée et qui devra maintenant ajouter les attaques du régime marocain - les injustices sociales, politiques et climatiques « font partie de la même lutte » dans un monde confronté aux conséquences dramatiques du réchauffement dû aux combustibles fossiles.
« Nous luttons contre les mêmes systèmes. Ce sont les mêmes systèmes qui alimentent le colonialisme et les occupations qui alimentent aussi l’exploitation capitaliste et la surexploitation de la nature et des êtres humains. Et tous ceux qui ont une plateforme, tous ceux qui ont la possibilité d’agir doivent élever leur voix, faire connaître le Sahara occidental et le peuple sahraoui, et se joindre aux appels pour un Sahara occidental libre. Nous n’avons tout simplement pas d’autre choix », conclut-elle.

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  Francisco Carrión, El Independiente, 6/1/2024
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane, Tlaxcala

L’activiste climatique Greta Thunberg dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf (Algérie). Photo Mahfud Bechri

« Il n’y a pas de justice climatique sous occupation, personne n’est libre tant que nous ne sommes pas tous libres ». C’est par ces mots que l ‘activiste climatique Greta Thunberg a rallié la lutte du peuple sahraoui, ce lundi, depuis les camps de réfugiés de Tindouf (Algérie), après un long voyage et après avoir été accueillie dans l’océan de tentes, l’un des endroits les plus inhospitaliers de la planète, « avec une hospitalité touchante ».
« L’hospitalité est très touchante et j’en apprends beaucoup plus sur l’occupation actuelle et sur la répression, la violence, le pillage et l’exploitation des ressources naturelles que le peuple sahraoui a dû endurer », a déclaré la jeune Suédoise de 22 ans, qui est devenue le visage mondial de l’activisme climatique.
Depuis l’une des tentes qu’elle a visitées après être arrivée d’Espagne par bateau et avoir traversé l’Algérie, Thunberg a affirmé que « le peuple du Sahara occidental a le droit à l’autodétermination, à la liberté et à la dignité ». « A l’heure actuelle, ces droits lui sont violemment refusés. Le monde regarde et reste silencieux. Je veux être l’une des personnes qui ajoutent leur voix aux appels à la libération du Sahara occidental », a-t-elle déclaré à propos d’un territoire occupé depuis 1975 par le Maroc.


L’activiste climatique Greta Thunberg dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf, en Algérie Photo Mahfud Bechri

« Personne n’est libre tant que tout le monde ne l’est pas »

« Tous ceux qui peuvent parler doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour en savoir plus sur la situation et essayer de briser le silence, car personne n’est libre tant que tout le monde n’est pas libre, et c’est également vrai pour le peuple sahraoui« , a plaidé la jeune femme, qui défend la cause palestinienne depuis plus d’un an, estimant qu ‘ « il n’y a pas de justice climatique sans droits de l’homme ». Une recette que Thunberg applique aussi bien au Maroc qu’à Israël, à un moment marqué par le revers de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a annulé les accords de pêche et d’agriculture entre Bruxelles et Rabat au motif qu’ils n’ont pas le consentement du peuple sahraoui.
Le sort du peuple du Sahara occidental - l’ancienne colonie espagnole et le dernier territoire africain à devoir être décolonisé - « est un exemple typique de l’injustice climatique, de la façon dont l’une des régions les plus vulnérables au climat est affectée de manière disproportionnée par la crise climatique, et de la façon dont les personnes les moins responsables d’avoir causé la crise climatique, sont celles qui en subissent les pires conséquences, ainsi que l’exploitation des ressources naturelles et le colonialisme vert que le Maroc entend mener ». « Mais nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour essayer de leur demander des comptes et de réclamer justice pour le peuple sahraoui », a-t-elle déclaré.
En tant que l’une des principales voix alertant sur l’urgence climatique et confrontant le manque d’action des dirigeants mondiaux, elle participe jusqu’à mardi à une réunion organisée par les militants suédois Benjamin Ladraa et Sanna Ghotbi, qui ont parcouru 48 000 kilomètres à vélo autour du monde pour sensibiliser à la question du Sahara occidental. Il est prévu que Greta rencontre le président de la République arabe sahraouie démocratique Brahim Ghali et d’autres responsables sahraouis et qu’elle discute de la lutte pour le climat au Sahara avec des activistes locaux.
Thunberg a reconnu qu’« il est absolument honteux que le monde continue de trahir le peuple sahraoui et de passer sous silence les massacres et les pertes extrêmes auxquels les gens sont confrontés quotidiennement, étant forcés de vivre dans des camps de réfugiés, incapables de retourner sur leurs terres, avec des familles séparées et constamment confrontées à la répression et à l’oppression et à la violence extrêmes ». « Je suis scandalisée par le silence du monde et des médias, mais aussi de la communauté internationale, et par le fait que l’incapacité persistante des institutions internationales à rendre des comptes crée l’impunité pour les responsables de ces crimes de guerre extrêmes et écologiques », a-t-elle insisté.
Pour l’activiste, candidate récurrente au prix Nobel de la paix, il est essentiel que « les voix sahraouies soient au centre de nos demandes de justice ». « Leur situation et la poursuite de l’occupation sont un exemple de l’injustice du système actuel », a-t-elle déclaré. « Nous devons nous assurer que nous nous éloignons de l’idée que la crise climatique est une crise future qui affectera les générations à venir. La crise climatique est ici et maintenant et elle affecte les gens depuis longtemps, en particulier le peuple sahraoui qui vit ici dans ces camps de réfugiés et qui subit de plein fouet la crise climatique, même s’il n’a pratiquement rien fait pour la provoquer ».




 

08/12/2024

Agir pour sauver Mohamed Lamine Haddi, prisonnier sahraoui depuis 14 ans

 Cristina Martínez, Mouvement pour les prisonniers politiques sahraouis (MPPS), 8/12/2024
Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

Nous avons commencé les rassemblements pour les prisonniers politiques sahraouis le 1er mars 2021, alors que Mohamed Lamine Haddi   était en grève de la faim depuis 48 jours. Nous avions déjà vécu beaucoup d'angoisse avec une autre grève très longue, celle de Bachir Khadda. Voir les jours passer et sa situation se dégrader de plus en plus et ne rien faire, c'était multiplier l'impuissance. C'est pourquoi nous avons décidé de nous rassembler devant le ministère des Affaires étrangères à Madrid pour exiger une intervention de l'Espagne afin de lui sauver la vie.

Trois ans et neuf mois se sont écoulés. Nous sommes toujours là, essayant de faire connaître la situation de ces prisonniers politiques sahraouis qui souffrent tellement, sans défense, humiliés, torturés, en isolement pendant des années, dans des conditions carcérales indignes allant de la nourriture à l'hygiène, et enfin, privés de traitement médical.

Haddi est dans cette situation. Il est en isolement depuis plus de 7 ans - 7 ans d'isolement est une idée inacceptable -, dans une cellule souterraine sans fenêtre, la nourriture qu'on lui donne est dégoûtante et il doit l'acheter au magasin, de la nourriture froide, toujours ; enfin, il la commande parce qu'il ne peut pas bouger de sa cellule.



Sur la pancarte que nous lui avons dédiée, nous avons indiqué quelques-unes des maladies qu’on ne veut pas lui soigner : infection de l'oreille, fièvre, mal de dos, asthme, énurésie, il peut à peine voir.

Haddi se plaignait de son oreille. Elle est infectée depuis 7 ans. Il se plaint, se plaint et il n'y a rien à faire. Ils ne la soignent pas. Avant, il avait mal à la tête, bien sûr. Maintenant, les douleurs sont infernales, et la fièvre, et l'insomnie. C'est très grave. Et l'administration pénitentiaire ne permet pas le transfert à l'hôpital prescrit par le médecin – car enfin, un médecin l'a visité. Il est peut-être trop tard, mais ils doivent l'emmener à l'hôpital et essayer de le soigner.

Que peut-on faire ? Écrivez au plus grand nombre possible d'organisations et d'ONG. Faites passer le message. Faites-le savoir. Faites honte au Maroc. Faites pression sur le gouvernement espagnol au parlement. Il y a un hashtag #SaveHaddi.

Ce lundi, comme ce premier lundi d’il y a presque quatre ans, nous allons le dédier à Haddi, avec toute notre affection et notre admiration. Et le ministre nous verra par la fenêtre et peut-être se dira-t-il qu'il doit essayer de le sauver.

➤Lundi 9 décembre 2024, 12h30, Plaza de la Provincia, Madrid

LETTRE AU MINISTRE ALBARES
   
S.E. Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères,
Union européenne et coopération
    Plaza de la Provincia
    28012 - Madrid

    Madrid, le 6 décembre 2024

Objet : Haddi, très gravement malade et sans soins médicaux

Votre Excellence, Monsieur le Ministre,

Le médecin de la prison de Tifelt 2 (Maroc) est enfin descendu dans la cellule de Mohamed Lamine Haddi pour examiner son oreille, alerté par la forte fièvre et les terribles douleurs. Vous avez déjà été informé à plusieurs reprises de l'infection de l'oreille de Haddi. Il souffre de cette infection depuis 7 ans à cause des coups qu'il a reçus pendant les séances de torture. Pendant tout ce temps, il n'a reçu aucun soin médical. Vous ne semblez pas non plus vous être préoccupé de son état.
Le médecin a vérifié la gravité de l'infection, qui peut entraîner d'autres complications. En fait, son diagnostic est que Haddi souffre d'une septicémie et d'une tumeur grave, qu'il ne peut pas traiter. La vie de Haddi est en danger. Il doit être transporté à l'hôpital. Mais cette procédure ne relève pas automatiquement du médecin. C'est Haddi qui a dû s'adresser à l'administration pénitentiaire, qui a conditionné son transfert au port de l'uniforme attribué aux assassins. Haddi a refusé, comme d'autres prisonniers politiques sahraouis, pour la simple raison qu'il n'est pas un criminel, mais une victime.
L'administration pénitentiaire marocaine, bien que connaissant la gravité de l'état de santé de Haddi diagnostiqué par un médecin, s'acharne à l'humilier et à ne pas lui fournir les soins de santé urgents dont il a besoin.
Pour ajouter la barbarie à la barbarie, l'administration pénitentiaire a menacé Haddi de représailles - plus ? - s'il révélait à sa famille ou aux organisations de défense des droits humains que son transfert à l'hôpital lui était refusé.
Cela fait des années que le Maroc prolonge son agonie, juste pour le faire souffrir et pour se moquer de tout le monde. Et cela touche à sa fin. Il est affligeant de voir la vie d'un homme supprimée de sang-froid.
Monsieur le Ministre, pouvez-vous faire quelque chose pour tenter de lui sauver la vie ? Évitez cette nouvelle complicité.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler pourquoi vous avez cette obligation.

Cristina Martínez Benítez de Lugo
Participante au Mouvement pour les prisonniers politiques sahraouis





21/11/2024

FRANCISCO CARRION
Le Maroc utilise le changement de position de la France comme monnaie d’échange pour exiger de nouvelles concessions de la part de l’Espagne


Un homme politique marocain souligne publiquement que la démarche de Macron impose à l’Espagne d’adopter “une position plus claire et essentiellement opérationnelle”.

Francisco Carrión, El Independiente, 15/11/2024
Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

Mohamed VI avec le président français Emmanuel Macron à Rabat. Photo EFE

Il était prévisible, mais le mouvement a commencé à se manifester de toute évidence. Pour s’imposer, sans demi-mesure ni euphémisme. À peine deux semaines après la visite d’Emmanuel Macron à Rabat, méritant tous les honneurs et agrémentée d’accords d’une valeur de 10 milliards d’euros, le régime marocain offre en public les premiers témoignages exigeant de nouvelles concessions de la part de l’Espagne et l’avertissant qu’elle est à la traîne.

La thèse défendue dans les officines de Rabat est que le virage copernicien opéré par Pedro Sánchez en mars 2022 a vite et mal vieilli. Il est dépassé par les événements et manifestement insuffisant au regard de la nouvelle position du président français, ardent défenseur depuis juillet non seulement des « trois pages » du plan marocain d’autonomie pour le Sahara, mais aussi de la souveraineté marocaine sur l’ancienne colonie espagnole, dont l’Espagne reste la puissance administrante de jure.

« Il ne fait aucun doute que le soutien exprimé par Sánchez dans sa lettre à Mohamed VI le 14 mars 2022 était à l’époque un pas courageux et considérable, mais dans le contexte actuel, il ne suffit pas que  l’Espagne considère la proposition marocaine d’autonomie présentée en 2007 comme la base la plus sérieuse, la plus crédible et la plus réaliste pour la résolution de la question du Sahara », déclare Mohamed Benabdelkader, ancien ministre de la Justice (2019-2021, dans le gouvernement El Otmani II) et dirigeant de l’Union socialiste des forces populaires, une organisation sœur du PSOE et incluse dans l’Internationale socialiste* avec le soutien exprès de la rue Ferraz [siège du PSOE, NdT], dans une interview accordée au média officiel marocain Rue20.com

Cette affirmation n’est pas isolée au sein de l’establishment alaouite, même si, jusqu’à présent, on avait évité de la formuler aussi clairement en public. Pour Benabdelkader, « la nouvelle perspective qui s’ouvre au niveau régional et mondial nécessitera certainement l’adoption d’une position plus claire et essentiellement opérationnelle ». Un avertissement direct à Sánchez, lancé par un parti d’opposition mais qui pratique une loyauté absolue envers le makhzen, qui pourrait être un avant-goût de nouvelles exigences et concessions.


Sanctions commerciales

La principale serait de suivre les traces de l’Elysée et de proclamer la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. C’est l’intention du Maroc, qui a célébré un prétendu erratum publié dans le BOE [Journal officiel de l’État espagnol, NdT] l’année dernière comme un signe qu'on était sur la bonne voie. En février, El Independiente a rapporté que le gouvernement espagnol avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara dans le cadre d’un appel d’offres pour la rénovation de l’école espagnole d’El Ayoun, accompagné d’une série de documents l’identifiant comme un territoire marocain. L’information a provoqué des versions contradictoires entre les ministères de l’Education et de la Culture, respectivement aux mains du PSOE et de Sumar. Finalement, le département d’Ernest Urtasun [ministre de la Culture, NdT] a refusé de rectifier le document, affirmant qu’elle s’était produite des mois auparavant, lorsque le socialiste Miquel Iceta dirigeait le ministère.

L’un des leviers que le Maroc utilisera pour imposer de nouvelles concessions est l’atout commercial, en élargissant et en attisant le différend entre les entreprises espagnoles et françaises. Lors de la tournée de Macron, le Maroc a récompensé la nouvelle direction prise par la France avec des contrats de milliards après deux années de crise déclenchée par l’espionnage du président français et d’une bonne partie de son cabinet par les services marocains utilisant le logiciel israélien Pegasus. Le gros lot est revenu à la société française Alstom avec la fourniture de 18 trains pour la future ligne ferroviaire à grande vitesse Kénitra-Marrakech, qui, pour 1,8 milliard d’euros, était en concurrence avec les sociétés espagnoles CAF et Talgo, la société coréenne Hyundai Rotem et la société chinoise China Railway Rolling Stock Corp.

« Quelle que soit la lecture en Espagne du nouveau rapprochement de la France avec le Maroc, il est clair que les médias de notre pays voisin ibérique, en soulignant l’ampleur des projets signés entre la France et le Maroc lors de cette visite, et en insistant sur l’engagement de Paris à accompagner Rabat dans la défense de son initiative d’autonomie, auront compris deux choses importantes », argumente l’homme politique marocain. La première est que le « partenariat d’exception renforcé » entre la France et le Maroc est un signal d’alarme pour l’Espagne qui a besoin d’une stratégie plus compétitive et coordonnée sur le marché marocain. La seconde est que le président français, en plaçant la barre plus haut, a montré l’exemple que la nouvelle dynamique de la question du Sahara marocain nécessite non seulement des mots, mais des gestes, et appelle à des actions concrètes en plus des belles déclarations ». Cette semaine, l’ambassadeur de France à Rabat s’est rendu pour la première fois dans les territoires occupés du Sahara, accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires et d’une promesse d’ouverture de consulat, le prix habituel exigé par la diplomatie alaouite.

La carte du Maroc, avant et après
«Pour la France le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine»
Le ministère français des Affaires étrangères a modifié la carte du Maroc sur son site internet pour inclure le territoire du Sahara occidental dans la cartographie du pays maghrébin, profitant du voyage de Macron à Rabat.

Débloquer la cession de l’espace aérien
La stratégie du Maroc consiste également à avancer sur certains dossiers qui n’ont pas été satisfaits depuis la lettre de Sánchez à Mohammed VI en mars 2022. Parmi eux, la cession de l’espace aérien du Sahara occidental, actuellement contrôlé depuis les îles Canaries. Dans le jargon aéronautique, FIR est une région d’information de vol où est assuré un service d’information de vol et d’alerte (ALRS). L’OACI [Organisation de l’aviation civile internationale] délègue le contrôle opérationnel d’une FIR donnée à un pays, en l’occurrence, celle qui couvre les îles Canaries et le Sahara occidental relève de l’Espagne.

Le groupe de travail mis en place par le Maroc et l’Espagne depuis le virage copernicien du gouvernement espagnol dans le conflit du Sahara et le début de la « nouvelle ère » des relations hispano-marocaines se penche sur la question du transfert de la gestion, qui - s’il est réalisé - constituerait une violation du droit international. Le partenaire de la coalition s’oppose ouvertement à cette mesure. « Nous rejetons la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental. Nous rejetons également la souveraineté du Maroc sur les eaux territoriales et l’espace aérien », ont déclaré des sources de Sumar à notre journal il y a plusieurs mois. D’autres mesures qui auraient conduit à la reconnaissance du statut marocain du territoire, comme l’installation d’un centre de l’Institut Cervantes, ont été suspendues**.

Ces nouvelles exigences de Rabat, exprimées par un politicien socialiste, interviennent au milieu de l’impasse dans laquelle se trouvent les bureaux de douane de Ceuta et Melilla, complètement bloqués du côté marocain et avec le sentiment qu’ils ne seront pas ouverts parce que, pour les autorités marocaines, cela signifierait reconnaître les frontières terrestres avec l’Espagne, ce qu’elles nient avec insistance.

Le PSOE omet le Maroc dans son document cadre du Congrès

Dans ce contexte de concurrence entre la France et l’Espagne pour obtenir les faveurs du Maroc, l’absence de toute mention du Maroc et du conflit du Sahara dans le document cadre du PSOE pour son congrès qui se tiendra à la fin du mois à Séville est frappante. Le document se targue que « le PSOE a ramené l’Espagne au premier plan de la politique internationale et a porté notre prestige et notre influence à des niveaux sans précédent dans l’histoire récente de notre pays », mais omet toute référence au Maroc.
Lors du Congrès de 2021, la rue Ferraz avait cependant décrit le Maroc comme un « partenaire clé sur la rive sud de la Méditerranée », donnant un avant-goût des actions qui allaient suivre dans les mois suivants. « Nous devons continuer à renforcer ces liens et ces intérêts, ce qui nous permettra de surmonter certaines difficultés. C’est pourquoi, au cours des prochaines années, nous progresserons dans le partenariat stratégique bilatéral à long terme que les gouvernements socialistes ont toujours promu ; d’autre part, et comme elle l’a fait depuis son entrée en fonction, l’Espagne continuera à défendre en Europe le caractère stratégique que ce pays a pour l’Espagne et pour l’Europe », promettait le document.

L’Espagne et la France, par leurs actions diplomatiques de ces dernières années, ont été prises dans la rivalité entre le Maroc et l’Algérie. « L’Algérie partage avec le Maroc la tendance à considérer ses interlocuteurs en fonction de leur position sur la question. Au fil des ans, alors que le Maroc a abandonné l’option du référendum, Alger s’est accroché au principe de l’autodétermination, rendant impossible toute négociation de sortie de crise », note Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb et membre du comité de rédaction du magazine français en ligne Orient XXI. « En conséquence, le conflit du Sahara occidental s’est figé, ce qui est préjudiciable, d’une part, aux Sahraouis et, d’autre part, à l’ensemble du Maghreb, dans la mesure où cela empêche l’intégration de la région. L’Algérie perçoit désormais la coopération entre le Maroc et Israël comme une menace, ce qui accroît la tension et éloigne un peu plus la solution à la question du Sahara occidental », conclut-elle.

NdT
*Le Front Polisario fait  partie de l’Internationale socialiste en tant que membre consultatif.

** L’Institut Cervantes, qui dépend du ministère espagnol des Affaires étrangères, est dirigé par le poète grenadin Luis García Montero, militant historique d’Izquierda Unida (Gauche Unie), parti qui participe à la coalition gouvernementale de Pedro Sánchez à travers la plateforme Sumar de la vice-présidente du gouvernement Yolanda Díaz. En voyage au Maroc en mars dernier, il a déclaré : « Lors de ce voyage, la possibilité » d’ouvrir une annexe de Cervantes à El Aaiún n’a pas été envisagée.
L’Institut Cervantes compte actuellement six centres actifs au Maroc : Rabat, Casablanca, Tanger, Tétouan, Marrakech et Fès. Le projet d’en ouvrir un à El Ayoun avait suscité les critiques du Front Polisario et de l’eurodéputé Manu Pineda. Selon des sources espagnoles, 12 000 habitants d’El Ayoun parlent l’espagnol. D’autre part, une décision d’ouvrir une annexe de l’Institut à Tindouf en Algérie pour enseigner l’espagnol à des réfugiés sahraouis, prise en 2019, ne s’est jamais concrétisée. L’Institut est présent à Alger et Oran.
 

Pedro Sánchez devra faire encore un effort pour mériter une Koumiya


21/03/2023

CRISTINA MARTÍNEZ
Hussein Bachir Amadour, prisonnier politique sahraoui remis par l’Espagne au Maroc, est en grève de la faim depuis un mois
Lettre au ministre Albares

M. le ministre des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération
Plaza de la Provincia

28012 - Madrid

 

 Madrid, le 20 mars 2023

 

Objet : Hussein Bachir Amadour, prisonnier politique sahraoui remis par l’Espagne au Maroc, est en grève de la faim depuis un mois

 

 Monsieur le Ministre,

 

Le groupe d’étudiants sahraouis “Camarades d’El Wali” a fait l’objet de persécutions politiques qui lui ont valu 85 ans d’emprisonnement.

 

Ce groupe d’étudiants faisait campagne dans les universités marocaines d’Agadir et de Marrakech pour l’autodétermination du Sahara occidental, et le gouvernement marocain s’est débarrassé d’eux comme d’habitude, en les accusant d’un crime, en l’occurrence d’un meurtre. Des preuves ? Inutiles.

 

Onze de ces étudiants ont été condamnés à 3 ans de prison en janvier 2016. Quatre autres ont été condamnés à 10 ans et sont toujours en prison. Il s’agit d’Elbar El Kantaoui, El Hafidi Abdelmoula, Aziz El Ouahidi et Mohamed Dada.

 

Hussein Bachir Amadour a ensuite été emprisonné. Il s’était enfui aux îles Canaries où il avait exprimé devant le juge son souhait de demander l’asile politique. Le juge l’a envoyé dans un centre de détention pour étrangers d’où commenceraient les procédures d’asile, mais en chemin, la police l’a détourné vers un avion à destination du Maroc, le 16 janvier 2019. Depuis, il est en prison et purge une peine de 12 ans.



Le gouvernement espagnol n’a pas enquêté sur cette désobéissance au juge, une remise illégale d’un demandeur d’asile, qui a conduit à des conséquences aussi terribles. Aucune responsabilité n’a été établie.

 

Cinq étudiants sont toujours derrière les barreaux. Trois d’entre eux ont entamé une grève de la faim le 20 février 2023 dans la prison d’Ait Melloul 1 au Maroc, la pire avec celle de Tiflet.

 

Mohamed Dada a suspendu sa grève le 1er mars, lorsqu’il a été transféré à la prison de Tan Tan.

 

Abdelmoula El Hafidi a suspendu sa grève le 7 mars, lorsque l’administration pénitentiaire lui a promis un changement de prison. 

 

Hussein Bachir Amadour est toujours en grève. Cela fait exactement un mois qu’il est en grève. Les Sahraouis sont capables de tout pour défendre leurs droits. Il demande à ne plus être classé comme un prisonnier “dangereux”, parmi de nombreux actes arbitraires, et à être rapproché de sa famille dans les territoires occupés. Un mois, c’est long. Il n’a pas de suivi médical et sa vie est en danger.

 

En novembre 2019, le Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires avait déjà jugé que les étudiants Moussayih, Burgaa, Errami, Baber, Rguibi, Elbeur, Charki, Ajna, Amenkour, Baalli, El Ouahidi, Dadda, Baihna et El Hafidi (les plaignants) avaient fait l’objet d’une détention arbitraire et que le gouvernement marocain devait prendre les mesures nécessaires pour libérer ceux qui sont encore en prison et les indemniser tous pour leur offrir une réparation. Bien entendu, le Maroc ne s’est pas conformé à l’arrêt.

 

Et le Premier ministre Sánchez parle de ceux qui “écrasent la liberté et la souveraineté”, mais il ne fait pas là référence au Maroc. Ça, non. Le Maroc ne fait pas ça.

 

Si notre gouvernement n’ose pas faire des remontrances au Maroc sur les droits humains ou sur l’occupation du Sahara occidental, il devrait au moins faire un geste de justice à huis clos et mener une enquête sur les motivations obscures qui ont conduit à remettre un demandeur d’asile au Maroc sans avoir respecté le protocole. Le gardien ne s’est pas trompé. L’ordre devait venir d’en haut.

 

L’Espagne le doit à Hussein Bachir Amadour.

Cristina Martínez Benítez de Lugo

01/03/2023

CRISTINA MARTÍNEZ
Nouvelles grèves de la faim de Mohamed Lamine Haddi, prisonnier politique sahraoui

Cristina Martínez , 1/3/2023
Traduit par Tlaxcala

La vie de Mohamed Lamine Haddi ne tient qu'à un fil. Aujourd'hui, 1er  mars, et demain, 2 mars, il organise une grève d'avertissement pour être vu par un médecin. Il est très faible.


Le paradoxe du prisonnier politique qui porte atteinte à sa santé pour qu'un médecin l'examine se joue une fois de plus. C'est le cas de Haddi, qui souffre de graves maux de toutes sortes, certains causés par les précédentes grèves de la faim, terribles, d'autres par les conditions de détention, monstrueuses, d'autres encore par l'aggravation de ses symptômes lorsqu'ils ne sont pas traités par un médecin.

Que peuvent-ils faire - dans ce cas, Haddi - et le reste des prisonniers politiques, pour recevoir une assistance médicale ? Demander de l'aide, appeler l'attention. Ces grèves, qui sont administrativement adressées au directeur de la prison, sont en réalité un appel à l'aide à la communauté internationale. Que le monde sache ce qu’on leur fait subir, au XXIe siècle, alors que les droits humains sont inscrits dans tous les traités, tous les pays et toutes les institutions.

Ces droits humains qui sont défendus de manière sélective, en fonction du pays où ils sont violés ; tant de budget dépensé pour des institutions telles que les Nations Unies, qui ont les outils pour démanteler une occupation ; une Croix-Rouge internationale qui ne rend pas visite à ces prisonniers politiques sahraouis dans les prisons marocaines. Des prisons loin de leur patrie, où ils ne devraient pas être, d'abord parce qu'ils sont innocents, et ensuite parce que c'est ce que dit la IVème Convention de Genève : «  Les personnes protégées inculpées seront détenues dans le pays occupé et, si elles sont condamnées, elles y subiront leur peine ». Bien sûr, l'article 76 stipule également que les condamnés « recevront l'assistance médicale que leur état de santé peut exiger ». Cela va sans dire. Mais se donner la peine de stipuler ce droit dans un article, pour que personne ne se soucie de le contrôler, est une plaisanterie. Cela n'a pas d'importance. On joue les imbéciles, on signe de nombreux accords qui restent lettre morte parce qu'ils ne sont pas respectés. Et c'est ainsi que nous pensons que la société avance.

Nous savons déjà que le ministre [espagnol des AE] Albares ne va rien faire. Nous lui avons demandé d'intercéder depuis le début de son mandat, mais il est clair qu'il ne fait rien. Le Sahara Occidental n'est qu'une monnaie d'échange, pas une colonie pour la reddition illégale de laquelle l'Espagne continue à porter la responsabilité politique et morale.

Il y a d'autres institutions. Le Parlement espagnol, le Parlement européen, les différents parlements du monde doivent s'exprimer et sauver la vie de ces prisonniers. Les représentants du peuple n'ont pas à suivre les lignes des exécutifs, parfois très éloignées du droit international.

Il est choquant d'apprendre que Haddi, malgré l'enfer de ses précédentes grèves, la plus longue et la plus récente de 69 et 63 jours, a l'intention de continuer à organiser de nouvelles grèves. D'abord à titre d'avertissement, comme aujourd'hui et demain, puis des grèves illimitées pour cause de malnutrition et de mauvais traitements.