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24/09/2025

ELSC
L’heure est venue de rendre des comptes : plainte pénale contre des responsables gouvernementaux allemands pour complicité dans le génocide perpétré par Israël à Gaza

ELSC, 19/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Le Centre européen d’aide juridique (ELSC) est la première et unique organisation indépendante qui défend et soutient le mouvement de solidarité avec la Palestine à travers l’Europe par des moyens juridiques. Nous fournissons des conseils et une assistance juridiques gratuits aux associations, ONG de défense des droits humains, groupes et individus qui défendent la cause palestinienne en Europe continentale et en Grande-Bretagne.

L’ELSC a été créé en janvier 2019 à l’initiative conjointe de juristes européens, du réseau de la société civile palestinienne PNGO et de l’ONG néerlandaise The Rights Forum. En 2024, l’ELSC est devenu une fondation (stichting) enregistrée aux Pays-Bas, autorisée à agir dans l’intérêt public, notamment par le biais de litiges devant les tribunaux néerlandais. En 2024, nous avons également ouvert de nouveaux bureaux à Berlin et à Londres.

 


Berlin, le 19 septembre 2025 – Une plainte pénale contre des responsables gouvernementaux allemands et des dirigeants du secteur de l’armement a été déposée aujourd’hui par un collectif d’avocats à Berlin, avec le soutien du Centre européen d’aide juridique (ELSC), de l’Institut palestinien pour la diplomatie publique (PIPD) et de Law for Palestine. La plainte a été annoncée lors d’une conférence de presse aujourd’hui.


Les accusations ont été déposées auprès du bureau du procureur fédéral  (“Generalbundesanwaltschaft ”) à Karlsruhe  contre onze hauts responsables de l’ancien et de l’actuel gouvernement allemand et des PDG de fabricants d’armes, à savoir l’ancien chancelier fédéral Olaf Scholz, l’ancienne ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock, l’ancien ministre de l’Économie et de la Protection du climat Robert Habeck, l’actuel chancelier fédéral Friedrich Merz, l’actuel ministre fédéral des Affaires étrangères Johann Wadephul et la ministre fédérale de l’Économie et de l’Énergie Katherina Reiche, le ministre fédéral de la Défense Boris Pistorius, ainsi que le Dr Jörg Stratmann, PDG de Rolls-Royce Solutions GmbH, Michael Humbek, PDG de Dynamit Nobel Defence GmbH, et le Dr Alexander Sagel et Susanne Wiegand, PDG actuel et ancien PDG de RENK Group AG.

 

Le procureur fédéral doit respecter la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide et ouvrir des enquêtes sur les crimes potentiels si des motifs suffisants de suspicion apparaissent. Dans une plainte pénale de plus de 100 pages, les avocats fournissent des preuves détaillées des crimes présumés au titre du Code des crimes contre le droit international (CCAIL), à savoir le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par Israël. En outre, la plainte fournit des preuves détaillées de la complicité de fonctionnaires allemands dans des actes de génocide par le biais de l’approbation de livraisons d’armes.

Les livraisons d’armes ont été approuvées en pleine connaissance de cause, sachant que ces armes permettaient de commettre des crimes contre le peuple palestinien. Ils ne sont pas en mesure de prétendre qu’ils « ne savaient pas ». Les PDG des entreprises qui fournissent des armes ne sont pas exemptés de leur responsabilité en vertu du droit pénal international du fait d’une licence d’exportation gouvernementale. Le fait que les exportations aient été approuvées ne change rien à leur qualification d’acte criminel de complicité de génocide.

L’Allemagne est l’un des plus grands soutiens de la campagne d’extermination menée par Israël à Gaza. Les exportations d’armes allemandes vers Israël ont été multipliées par dix depuis 2023 et ont atteint environ un demi-milliard d’euros (485 103 796 €) au total. En août 2025, le chancelier allemand Friedrich Merz a annoncé que son gouvernement avait cessé de délivrer de nouvelles licences d’exportation pour les armes pouvant être utilisées à Gaza « jusqu’à nouvel ordre ». Cependant, les licences existantes sont toujours honorées et de nouvelles licences continuent d’être approuvées pour des armes qui ne seraient pas destinées à être utilisées à Gaza, mais qui contribuent en réalité toujours au massacre de civils en Palestine et dans la région au sens large. Le chancelier n’a pas précisé comment l’Allemagne serait en mesure de contrôler où et comment ces armes pourraient être utilisées.

La plainte pénale précise plusieurs systèmes d’armes qui ont été utilisés par l’armée israélienne à Gaza, notamment des drones de combat (Heron TP), des navires de guerre (corvette de classe Sa’ar 6) et divers types de munitions (y compris des munitions de char de 120 mm) et des pièces mécaniques. L’Allemagne a également livré une grande quantité d’armes antichars portatives « Matador ». Depuis, les soldats israéliens ont pris l’habitude de se filmer sur TikTok en train de tirer avec ces armes sur des bâtiments résidentiels afin de détruire les maisons palestiniennes pour s’amuser.

Nadija Samour, juriste senior à l’ELSC, a déclaré : « Les responsables du gouvernement allemand se sont ouvertement et à plusieurs reprises vantés de leur soutien inconditionnel et illimité à Israël. Compte tenu des conséquences génocidaires indéniables de ce soutien, nous cherchons à leur demander des comptes. »

L’avocat Benjamin Düsberg, du collectif d’avocats, a déclaré : « Le procureur fédéral allemand doit ouvrir une enquête pour faire respecter l’État de droit et l’intégrité de son bureau. Sinon, l’Allemagne admet de fait que son système de poursuites fédérales applique deux poids deux mesures et sape l’objectif de son bureau. Depuis le dépôt de notre première plainte en 2024, nous avons rassemblé des preuves accablantes qui ne peuvent être ignorées ou rejetées. »

Le plaignant, le Dr Qassem Massri, pédiatre palestinien allemand originaire de Gaza, a déclaré : « Au cours de cet horrible génocide, que l’Allemagne a soutenu par des armes et des discours, j’ai perdu de nombreux membres de ma famille, des amis d’enfance et des collègues... leurs voix ont été volées par les armes allemandes. Aujourd’hui, nous déposons cette plainte, exigeant du gouvernement allemand qu’il assume sa responsabilité historique, car « Plus jamais ça » doit signifier « Plus jamais ça » pour tout le monde. »

L’ELSC, en coopération avec des organisations partenaires, a toujours cherché à engager des poursuites judiciaires pour mettre fin à la livraison d’armes de l’Allemagne à Israël et continuera à le faire. Immédiatement après que la Cour internationale de justice (CIJ) a déterminé en janvier 2024 qu’il existait un risque plausible de génocide à Gaza et ordonné aux États de l’empêcher, une plainte pénale similaire a été déposée auprès du procureur fédéral, qui a refusé d’ouvrir une enquête contre les fonctionnaires allemands accusés qui étaient encore en fonction à l’époque. Malgré les preuves accablantes présentées par les avocats, il a justifié sa décision en niant toute violation du droit pénal international par Israël et en niant que les armes allemandes soient utilisées par Israël pour perpétuer ces crimes (« absence de causalité »).

En juin 2024, le tribunal administratif de Berlin a rejeté un recours urgent visant à imposer une interdiction immédiate des livraisons d’armes à Israël, adoptant l’argument du gouvernement fédéral selon lequel il n’avait plus approuvé aucune livraison d’armes depuis février 2024. Le journal allemand Die Zeit a toutefois révélé que le gouvernement avait continué à autoriser les exportations tout en essayant de le dissimuler en les envoyant par « petites quantités ». Ni le public ni le parlement n’en ont été informés. L’ELSC est depuis intervenu par le biais d’appels urgents visant à suspendre les livraisons du navire allemand MV Kathrin et d’une livraison de pièces de drones via l’aéroport de Francfort, qui ont tous deux été rejetés.

La plainte déposée aujourd’hui intervient quelques jours après que la Commission d’enquête internationale indépendante des Nations unies sur la Palestine a conclu qu’Israël avait commis quatre actes de génocide, tels que définis par la Convention sur le génocide, contre les Palestiniens de la bande de Gaza. Cette conclusion s’ajoute aux rapports et aux déclarations fondées sur des preuves de plus en plus nombreuses émanant d’organisations de défense des droits humains très respectées, ainsi qu’à une résolution adoptée par l’Association internationale des chercheurs sur le génocide (IAGS) qui stipule que le comportement d’Israël répond à la définition juridique énoncée dans la convention des Nations unies sur le génocide.

Le procureur fédéral allemand ne peut plus protéger son élite dirigeante de la responsabilité et de l’État de droit. Les responsables allemands ne peuvent pas se cacher derrière un raisonnement juridique déformé tout en niant les preuves de plus en plus nombreuses du génocide commis avec des armes allemandes. L’heure est venue de rendre des comptes.

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29/06/2025

HANNO HAUENSTEIN
Pourquoi le “changement de paradigme” de l’Allemagne sur Israël est une grosse blague

Hanno Hauenstein, The Third Draft, 21/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Malgré certaines remarques critiques, l’Allemagne n’a pas changé sa position sur Israël et la Palestine. De Gaza à Téhéran, son soutien au génocide et à la guerre persiste, tandis que la Staatsräson [raison d’État] est en train d’être relookée.

 

Staatsräson
, par Peter Wall, 2013

Que signifie la Staatsräson lorsque l’Allemagne soutient le génocide perpétré par Israël à Gaza ?
Les deux dernières années apportent une réponse douloureusement simple : ce concept s’est largement détaché de tout fondement éthique. Il n’affirme plus la responsabilité historique de l’Allemagne – à supposer qu’il l’ait jamais vraiment fait. Au contraire, il la sape.

Et pourtant, ces dernières semaines, des fissures ont commencé à apparaître dans ce qui semblait depuis longtemps être un consensus allemand inébranlable sur Israël.

Le porte-parole de la CDU pour la politique étrangère, Johann Wadephul, un atlantiste pur et dur, a déclaré à la Süddeutsche Zeitung qu’il était discutable que les actions d’Israël à Gaza restent « compatibles avec le droit international humanitaire ». Il a ajouté que les exportations d’armes seraient réexaminées – et éventuellement suspendues. Et le chancelier Friedrich Merz a déclaré à un journaliste que les objectifs stratégiques d’Israël à Gaza n’étaient plus clairs pour lui.

Ces deux déclarations contrastent fortement avec d’autres remarques faites par les mêmes personnes. Lors d’une visite en Israël début mai, Wadephul avait exprimé sa « compréhension » pour l’un des crimes de guerre les plus flagrants commis jusqu’à présent par Israël à Gaza : le blocus de l’aide humanitaire, c’est-à-dire l’utilisation de la famine comme arme. Il l’a justifié en invoquant des allégations selon lesquelles le Hamas en faisait un usage abusif, un récit avancé par Israël, mais non confirmé par des sources indépendantes.


-Vous avez qualifié la guerre d'Israël contre l'Iran de "sale boulot". Pouvez-vous nous éclairer sur cette déclaration ?
-Oui, Netanyahou, c'est notre homme à tout faire !
Dessin de RABE

Les remarques plutôt critiques de Wadephul et Merz ont été faites avant qu’Israël ne lance sa guerre illégale contre l’Iran, une opération qui semble au moins en partie destinée à redorer l’image d’Israël en Occident, non pas comme une force brutale et génocidaire, mais comme un rempart de la civilisation contre les dirigeants islamistes iraniens. Dans le même esprit d’arrogance coloniale, Merz a récemment déclaré à la ZDF, lors du sommet du G7, qu’Israël faisait « le sale boulot » pour « nous tous ». Il a également exprimé son « plus grand respect » pour le « courage » de l’armée israélienne et de ses dirigeants. Il n’a pas mentionné le fait que les frappes israéliennes violaient le droit international et avaient déjà tué des centaines de civils en Iran, ni que des dizaines d’Israéliens avaient été tués dans des attaques de représailles.

Tout bien considéré, la position de l’Allemagne reste inchangée : le gouvernement allemand continue de soutenir Israël en lui fournissant des armes et une couverture diplomatique.

Lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE fin mai, une majorité d’États membres ont appelé à une révision – et à une éventuelle suspension – de l’accord d’association de l’UE avec Israël en réponse à sa campagne génocidaire à Gaza.

Une telle suspension pourrait avoir de graves conséquences économiques pour Israël. C’est l’un des rares instruments significatifs dont dispose l’UE pour contrer la trajectoire de Netanyahou, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, où les déplacements forcés se sont accélérés tandis que les députés israéliens avancent ouvertement vers une annexion officielle.

 La discussion sur une éventuelle révision de l’accord d’association a déclenché d’importants débats publics en Israël. Dix-sept des 27 États membres de l’UE, dont la France et la Suède, ont voté en faveur. L’Allemagne a été l’un des rares pays à voter explicitement contre. Et cela n’aura été qu’une première étape, un signal mineur indiquant que la famine et les massacres ne seraient pas accueillis par le silence.

Le Royaume-Uni a emprunté une voie différente. Début juin, le gouvernement britannique a imposé des sanctions aux deux membres d’extrême droite les plus en vue du cabinet de Netanyahou : le ministre de la Sécurité Itamar Ben-Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich. La justification officielle était que tous deux avaient incité à la violence contre les communautés palestiniennes. Un euphémisme généreux : tous deux ont ouvertement – directement ou implicitement – appelé au déplacement ou à l’anéantissement de toute la population de Gaza.

Les sanctions britanniques s’inscrivent dans le cadre d’une initiative plus large à laquelle se sont joints l’Australie, le Canada, la Norvège et la Nouvelle-Zélande. En Allemagne, de telles mesures ne sont même pas discutées, ni dans la sphère politique ni dans les médias.

Dans ce contexte, le fait que certains politiciens aient récemment pris leurs distances par rapport aux actions d’Israël ne suggère pas un véritable changement de politique étrangère, mais plutôt un changement de discours. Les anciens discours ne peuvent tout simplement pas résister à l’abîme qui s’est ouvert à Gaza. Cela s’explique en partie par les images : des enfants en bas âge émaciés, des familles exécutées par les forces israéliennes alors qu’elles attendaient aux points de distribution « d’aide » de la GHF, des secouristes retirés morts de fosses communes improvisées.

Les sondages montrent qu’une majorité de la population allemande rejette désormais le comportement d’Israël. Cette opinion s’est renforcée malgré la couverture médiatique, dans laquelle les grands médias continuent de minimiser, d’ignorer ou de déformer activement ce qui se passe à Gaza.

Mais les faits ne peuvent rester éternellement balayés sous le tapis. Selon le ministère de la Santé de Gaza, l’armée israélienne a tué près de 56 000 Palestiniens depuis le 7 octobre, dont près de 16 000 enfants, plus de 8 000 femmes et près de 4 000 personnes âgées. Plus de 116 000 autres personnes ont été blessées, beaucoup d’entre elles souffrant de blessures qui ont changé leur vie ou ayant subi des amputations. Des estimations indépendantes suggèrent que le bilan réel est bien plus élevé. Le projet « Costs of War » estime que les chiffres sont largement sous-estimés, un avis partagé par de nombreux experts. The Lancet a estimé le nombre total de morts à plus de 186 000. C’était en juillet 2024.

Le fait que l’Allemagne, un pays qui invoque si souvent l’ordre international d’après-guerre, ait non seulement échoué à empêcher ces crimes, mais les ait activement facilités, constitue un échec historique. Cela symbolise l’érosion des normes et des principes mêmes sur lesquels l’ordre mondial a été construit après l’Holocauste. Cet ordre était fragile avant Gaza. Après Gaza, il pourrait bien être irréparable.

Lors de la visite du ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Sa’ar à Berlin début juin, Wadephul a réaffirmé le soutien de l’Allemagne à Israël en des termes très clairs. Israël, a-t-il déclaré, « a le droit de se défendre contre le Hamas et d’autres ennemis ». L’Allemagne continuera à fournir des armes à Israël – « cela n’a jamais fait aucun doute ».

Il a également rejeté la reconnaissance d’un État palestinien, la qualifiant de « mauvais signal ». L’accord d’association de l’UE avec Israël, a insisté Wadephul, doit rester inchangé. Tous ceux qui espéraient que ses précédentes déclarations annonçaient un léger changement de cap, voire des conséquences, sont restés bouche bée. Ses déclarations aux côtés de Sa’ar sont revenues sur pratiquement tout ce qu’il avait laissé entendre auparavant.

La position actuelle de l’Allemagne pourrait être décrite comme un nouveau pragmatisme – un pragmatisme qui ne peut plus soutenir le silence total ou le soutien inconditionnel au génocide israélien, car le climat international ne le permet tout simplement pas, mais qui refuse toujours de traduire même ses critiques les plus timides et tardives en conséquences réelles. L’Allemagne s’est mise elle-même dans une impasse.

Quiconque prétend prendre au sérieux la responsabilité historique de l’Allemagne ne peut pas considérer le déplacement systématique et le massacre de dizaines, voire de centaines de milliers de Palestiniens à Gaza, l’annexion de la Cisjordanie ou la mort de civils à Téhéran comme des nécessités malheureuses. Compte tenu de la réalité actuelle, parler d’un « changement de paradigme » dans la politique allemande à l’égard d’Israël et de la Palestine est tout simplement absurde. Ce qui est encore plus absurde, c’est qu’un tel changement n’ait toujours pas été réclamé plus ouvertement.

 Ô Allemagne, mère blafarde, statue de Fritz Cremer inspirée du poème de Bertolt Brecht de 1933, Berlin

17/06/2025

La capacité de défense, le contrôle des armements et la compréhension mutuelle, conditions du maintien de la paix en Europe
Un manifeste de responsables sociaux-démocrates allemands

 Alors que le congrès fédéral du SPD doit se tenir du 27 au 29 juin à Berlin, plus d'une centaine de dirigeants et responsables sociaux-démocrates, rejoints par 12 000 citoyens, viennent de publier un Manifeste appelant à la désescalade et à une reprise du dialogue avec la Russie, remettant ainsi en cause la politique menée par leurs dirigeants suprêmes, coalisés au sein du gouvernement fédéral avec la CDU de Friedrich Merz. Ci-dessous une traduction de ce manifeste

 


07/06/2025

GABOR STEINGART
“Si tu veux la paix, parle à tes ennemis, pas à tes amis” : entretien avec Klaus von Dohnanyi

     NdT

“La plus grande menace pour l’Allemagne ne vient pas de Poutine, mais des conséquences sociales, humanitaires et démocratiques du changement climatique.”

Klaus von Dohnanyi, Hamburger Abendblatt, 23/6/2023

Klaus von Dohnanyi, 97 ans, est un dinosaure de la „bonne Allemagne”, celle qui n’a pas oublié l’histoire et qui a tout simplement une conscience. Il a de qui tenir : son père Hans fut un résistant, exécuté par les nazis en avril 1945 à Sachsenhausen, sa mère Christel échappa de peu à la pendaison, son oncle Dietrich, pasteur militant de l’Église confessante, fut lui aussi pendu, en avril 1945, au camp de concentration de Flossenburg. Klaus, militant du SPD depuis 1957, fut ministre de Willy Brandt et Premier maire de Hambourg de 1981 à 1988. Très critique à l’égard de la politique belliciste des dirigeants du SPD et des Verts, il a déclaré en juillet 2024 qu’il soutenait l’Alliance Sahra Wagenknecht pour ses positions sur la guerre d’Ukraine tout en restant membre du SPD. Ci-dessous un entretien avec von Dohnanyi, Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

 Gabor Steingart, The Pioneer, 7/6/2025

À 97 ans, Klaus von Dohnanyi est le témoin d’un siècle mouvementé. En tant qu’ancien membre du Bundestag, comment voit-il les événements mondiaux actuels ? Il s’entretient avec Gabor Steingart sur le pouvoir de la diplomatie, la sécurité de l’Europe dans l’ombre de la Russie et Donald Trump.

The Pioneer : Donald Trump affirme que l’UE a été fondée pour obtenir des avantages commerciaux vis-à-vis des USA. Les USAméricains, que nous avons connus comme des transatlantistes, sont-ils encore nos amis ?

Klaus von Dohnanyi : ça dépend des USAméricains auxquels vous faites référence. Dans l’ensemble, ils ne l’ont jamais été. Ils ont toujours eu leurs propres intérêts. L’USAmérique est toujours intervenue en Europe et nous a en réalité plus nui qu’aidé.

Mais au départ, l’Amérique nous a tout de même aidés – non seulement avec le plan Marshall, mais aussi plus tard avec l’OTAN, qui nous a énormément aidés à devenir le pays que nous sommes aujourd’hui. Ce ton hostile n’est apparu qu’avec Donald Trump. Ou diriez-vous plutôt que ce ton s’inscrit dans la continuité des intérêts ?

Il s’inscrit dans la continuité des intérêts, qui ont bien sûr évolué en fonction des circonstances. Pendant la guerre froide et après la chute du mur, c’était différent.

Devrions-nous donc nous imposer la sérénité et ne pas nous énerver autant ? Ou devrions-nous reconnaître nos intérêts, peut-être aussi européens, et répondre à la grossièreté par la grossièreté ?

Je trouve cette façon de penser trop euro-américaine. La Russie fait bien sûr partie de l’Europe et du reste du monde, d’une manière particulière. La Russie est voisine de l’Europe et n’est manifestement pas sans danger. Et plus un voisin est dangereux, plus il faut s’intéresser à lui et lui parler. J’ai lu récemment cette belle phrase : « Si tu veux la paix, parle à tes ennemis, pas à tes amis. »

C’est à mon avis un avertissement important. Nous nous sommes complètement laissé exclure de tout contact avec la Russie et continuons aujourd’hui encore à agir comme si les USAméricains étaient nos tuteurs – ils doivent tirer les marrons du feu pour nous, alors qu’ils ont en partie jeté eux-mêmes ces marrons dans le feu.

Ça veut dire que nous devons nous prendre en main et prendre notre destin en main, d’autant plus que l’homme à la Maison Blanche ne veut plus être notre tuteur.

C’est exact. Et pour ça, nous devons avoir le courage de faire deux choses : premièrement, parler nous-mêmes avec la Russie et Poutine. Et deuxièmement, expliquer aux USAméricains que c’est aussi notre devoir. Si nous suivons vraiment le principe « Si tu veux la paix, parle avec tes ennemis », je pense que nous avons plus de chances d’instaurer la paix en Europe que si nous attendons Trump.

Vladimir Poutine à Moscou le 26 mai 2025 © Imago

La Russie est-elle notre ennemie historique ?

Non, et la Russie ne doit pas être notre ennemie historique. Nous avons également connu de bonnes périodes et de bonnes formes de coopération, et le fait que nous n’y parvenions pas actuellement est d’ailleurs peut-être aussi un problème qui sert les intérêts des USA. Il existe un livre célèbre du politologue et conseiller à la sécurité du présidentus américain Jimmy Carter, Zbigniew Brzeziński, qui postule qu’une amitié entre la Russie et l’Allemagne serait dangereuse pour les USA. C’est pourquoi je pense que certains problèmes trouvent leur origine non seulement en Russie, mais sont également alimentés par les USA.

Vous voulez dire que USA ont intérêt à ce que nous ne nous engagions pas trop avec notre grand voisin géographique – qui nous surpasse à bien des égards, non seulement en termes de ressources naturelles, mais aussi en termes de superficie – du point de vue usaméricain ?

Tout à fait. Même en temps de paix, avant la guerre en Ukraine, les USAméricains sont intervenus dans le projet Nord Stream 1 et 2, car ils trouvaient que ça rapprochait trop l’Allemagne et la Russie. Cette relation historique, qui remonte à l’époque où le tsar a été l’un des libérateurs de l’Allemagne pendant la guerre napoléonienne, est une épine dans le pied des USAméricains. Brzeziński le décrit très intensément dans son ouvrage important intitulé Le grand échiquier.

Vous avez toutefois également constaté que vous vous étiez trompé dans votre évaluation des intérêts stratégiques de Poutine, d’où la réédition de votre livre. Comment le voyez-vous aujourd’hui ?

Lorsque j’ai écrit cela, je partais du principe que le président Joe Biden était un homme raisonnable et qu’il ne se laisserait pas entraîner à aller à l’encontre des intérêts des USA et de l’Europe en soulevant à nouveau la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Trump avait tout à fait raison lorsqu’il a déclaré récemment que nous étions d’accord, en USAmérique et en Occident, de ne pas accepter l’Ukraine dans l’OTAN. Pourquoi Biden doit-il revenir là-dessus en 2021, 2022 ? Lui et son secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, ont, à mon avis, une grande part de responsabilité dans cette affaire. C’était inutile et provocateur – et on peut comprendre que Poutine ne veuille pas de l’Ukraine dans l’OTAN et donc en Crimée.

Joe Biden, Olaf Scholz et Jens Stoltenberg (à droite) lors du sommet de l’OTAN le 10 juillet 2024 © dpa

Poutine a-t-il vraiment servi ses intérêts, même en gardant à l’esprit les exemples historiques, ou les a-t-il plutôt exagérés ? Même après trois ans de guerre, il n’a pas réussi.

Eh bien, que signifie « exagérés » ? Imaginez un peu : l’Ukraine conserve la Crimée. La Crimée décide de l’accès de la Russie à des eaux chaudes. Croyez-vous vraiment que Poutine serait resté les bras croisés jusqu’à ce que l’OTAN s’installe à Sébastopol ? Tout est lié.

Mais qu’est-ce que ça signifie pour la suite des événements ? Quel peut être notre intérêt, qu’avons-nous à lui offrir et qu’a-t-il à nous offrir ?

C’est très, très difficile à dire. Poutine veut une Ukraine faible qui ne se mette plus en travers de son chemin. Et l’Ukraine elle-même veut être forte et, si possible, récupérer tous les territoires conquis par la Russie. C’est une situation sans issue.

À l’époque, le SPD et le chancelier Helmut Schmidt, dont vous faisiez partie du cabinet, avaient organisé la situation grâce à toute une série d’accords et de négociations – par exemple la conférence d’Helsinki – sur la réorganisation de l’Europe et une coexistence fondée sur des règles entre le bloc communiste et le bloc capitaliste. Cela pourrait-il servir de modèle pour les négociations actuelles ?

Permettez-moi de revenir un peu en arrière : Lorsque Bismarck est parti en 1890, son successeur, le secrétaire d’État Holstein, a rompu le traité dit « de réassurance » deux ans plus tard, quelques années seulement après la démission de Bismarck. Plus tard, Willy Brandt – et j’en ai moi-même été témoin – a compris, avec Egon Bahr, au prix d’un travail minutieux, que la paix et la sécurité sont le fruit d’un travail quotidien. Ces efforts du gouvernement Brandt ont tout simplement été réduits à néant. Les gens disent que c’était une erreur, que c’était trop conciliant et que la politique de paix passe par le recours aux armes. C’est absurde. Bien sûr, la dissuasion peut garantir la sécurité, mais cela ne suffit pas. Il faut avoir la volonté d’instaurer la paix.

Congrès électoral du SPD en 1980 à Essen : Egon Bahr et Willy Brandt.  © Imago

C’est pourquoi, rétrospectivement, votre gouvernement de l’époque n’était pas pacifiste, mais a même investi une part plus importante du produit intérieur brut dans l’armement que le gouvernement actuel.

C’est vrai, Brandt n’était pas pacifiste. Brandt et Bahr étaient conscients de la nécessité de la force. Mais ils savaient aussi que cela ne suffisait pas. Si vous voulez la paix, vous devez respecter les intérêts de l’autre partie, même si vous ne les suivez pas toujours. Helmut Schmidt l’a très bien écrit dans son livre à l’époque : « S’il y a une réunification, nous devons d’abord veiller à ce qu’elle ne porte pas trop atteinte à la sécurité de l’Union soviétique. » Et malheureusement, nous ne l’avons pas fait. Dès la chute du mur, nous avons veillé à ce que les pays du côté soviétique soient admis dans l’OTAN. Ce fut une erreur fondamentale.

Beaucoup en Europe disent qu’il faut maintenant plus que jamais se réarmer pour montrer à Poutine où sont les limites. Ou diriez-vous qu’il faut abandonner l’Ukraine ?

Non, mais il faut discuter sérieusement avec l’Ukraine pour qu’elle rétablisse une situation qu’elle ne peut pas créer elle-même. Et les USAméricains disent actuellement que la patate est trop chaude pour eux. Il faut dire à Volodymyr Zelensky qu’il y a des choses sur lesquelles il ne peut pas insister. À mon avis, l’Ukraine n’a aucun droit sur la Crimée et le Donbass. Le Donbass est tellement russe dans sa structure que l’Ukraine doit comprendre que cette partie ne lui appartiendra pas à l’avenir. Et il va sans dire que la Crimée n’appartient pas à l’Ukraine. Elle appartient à la Russie depuis 1783.

Explosion en Crimée en août 2022. © Imago

Et l’Ukraine devrait se contenter de ce reste d’État amputé ? Pour garantir quoi ? Sa vie et sa survie à l’Ouest, dans l’UE et dans l’OTAN ?

Pas dans l’OTAN, mais dans l’UE. En ce qui concerne l’OTAN, je pense que la décision est prise depuis longtemps. Même les USAméricains ne le veulent plus, et ne l’ont d’ailleurs jamais voulu. Je ne comprends pas pourquoi Biden est revenu sur sa position. Je pense qu’il faut remonter plus loin que la période où il luttait pour la présidence pour comprendre l’état d’esprit de Biden.

L’Ukraine doit donc être pacifiée le plus rapidement possible – et après ?

L’Ukraine entrera dans l’UE, comme ça a été promis. Ce sera une situation très difficile pour l’UE, car il n’est pas facile d’avoir un membre qui est structurellement hostile à notre grand voisin. Mais c’est probablement la solution. L’Ukraine doit renoncer aux territoires qu’elle ne peut récupérer.

Si nous supposons un accord de paix sur cette base, que se passera-t-il ensuite ? Le commerce germano-russe reprendra-t-il là où il s’était arrêté avant les sanctions ?

Nous ne devons en aucun cas nous préparer à une hostilité permanente avec la Russie. La guerre en Ukraine, déclenchée par Poutine et la Russie, a considérablement compliqué la situation. Mais nous devons essayer de nous entendre à nouveau avec ce grand voisin. Il n’est pas nécessaire de viser immédiatement une amitié. Nous devons être prêts à parler nous-mêmes avec Poutine et ne pas laisser cette tâche à Trump. Nous ne sommes pas sous la tutelle de Washington.

Mais dans quel but ? La Russie a trouvé de nouveaux partenaires entre-temps.

Les relations commerciales ne seront plus ce qu’elles étaient avant la guerre en Ukraine, ni ce qu’elles étaient peut-être dans la grande tradition entre la Russie et l’Europe occidentale. Mais nous devons les relancer.

Le ministre-président de Saxe, Michael Kretschmer, se dit favorable à des discussions avec la Russie sur Nord Stream – les gazoducs pourraient être réactivés.

Les deux gazoducs ont en fait été abandonnés à cause des sanctions usaméricaines. Ces sanctions ont été mises en place par Biden et ses prédécesseurs, y compris Barack Obama. Elles pourraient être levées un jour avec Trump. Les USAméricains pourraient eux-mêmes avoir intérêt à rapprocher la Russie de l’Occident.

Friedrich Merz a trouvé votre point de vue sur l’USAmérique scandaleux. Pensez-vous être aujourd’hui plus proche de lui, ce qui pourrait être dû non seulement à sa candidature à la chancellerie, mais aussi à l’évolution de la situation avec l’USAmérique ?

Le président Trump reçoit le chancelier Merz à la Maison Blanche  © dpa

J’apprécie beaucoup Merz, c’est notre chancelier fédéral et je le soutiendrais partout si possible. Mais il s’est mis en travers de mon chemin et je pense qu’il ne le ferait plus aujourd’hui. Je pense qu’il doit reconnaître aujourd’hui que mon évaluation de l’égocentrisme des intérêts usaméricains s’est confirmée depuis lors et que je ne faisais pas fausse route.

Vous aviez déjà une attitude très, très critique envers les USA à l’époque. Depuis que Trump sévit, y compris envers ses amis allemands, on a l’impression que vous avez peut-être même minimisé les choses.

Un ancien Premier ministre anglais, Lord Palmerston, disait déjà au XVIIIe siècle : « En politique internationale, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts. » C’est toujours vrai aujourd’hui. Si nos intérêts s’opposent, les USAméricains choisiront toujours les leurs – et je pense que l’Allemagne devrait en faire autant.

Votre livre s’intitule “Nationale Interessen” (Intérêts nationaux). Je ne fais pas partie de ceux qui veulent abandonner précipitamment l’État-nation. Néanmoins, sous la pression de l’USAmérique et de Moscou, quelque chose de nouveau est en train de se former. L’UE ne semble-t-elle pas heureusement se révéler être plus qu’une simple solution d’urgence après la guerre ?

Oui, c’est tout à fait vrai. Nous faisons également des progrès en matière de politique commerciale. En matière de politique étrangère, je ne pense pas que ce sera le cas, ne serait-ce que parce que les intérêts au sein de l’UE sont très divergents. Chacun est responsable de sa propre politique étrangère et il serait de notre devoir de diriger l’Europe en matière de politique étrangère.

Vous ne voyez donc pas de politique étrangère européenne, mais plutôt un rôle de leader pour l’Allemagne ? En matière de politique de défense, nous sommes déjà plus proches de la réalité paneuropéenne.

Je ne partage pas votre avis selon lequel nous sommes plus avancés en matière de politique de défense européenne. Essayez donc de trouver un point commun entre l’Espagne, la France et la Pologne. Je ne pense pas non plus que la bombe atomique française, ou même britannique, offre une quelconque protection à l’Europe.

L’Europe ne doit-elle pas alors se débrouiller seule et penser par elle-même, y compris en ce qui concerne l’OTAN ?

C’est une question très difficile. À l’heure actuelle, une stratégie de dissuasion sur le continent européen est inconcevable sans les USAméricains – et ils ne le souhaitent pas non plus. Car les USA savent que s’ils perdent leur domination en Europe, ils perdent aussi leur domination mondiale. La tête de pont est d’une importance cruciale pour la politique mondiale usaméricaine.

On ne peut pas être tout à fait sûr que Trump reconnaisse l’importance de cette tête de pont eurasienne pour la puissance mondiale usaméricaine.

Trump ne sera pas éternel. C’est pourquoi je pense que l’intérêt usaméricain pour l’Europe ne disparaîtra pas complètement.

Dans le même temps, on se demande où se situe votre parti, le SPD, dans ce débat stratégique sur l’Europe et les relations avec la Russie et les USA.

Vous me demandez où se situe le SPD en matière de politique étrangère et de sécurité ? Je vous réponds : nulle part.


Willy Brandt lors du congrès fédéral du SPD en 1972 © Imago

Comment est-ce possible ?

On a enterré l’héritage de Willy Brandt. On ne comprend toujours pas aujourd’hui l’importance qu’a eu cette tentative de maintenir et de développer un pont pendant la guerre froide.

Mais à qui revient-il de répondre à cette question aujourd’hui ? Le SPD occupe tout de même le poste de ministre de la Défense. Helmut Schmidt l’a également occupé pendant un certain temps – c’est une position qui permet, voire qui oblige à participer à ces débats.

Avez-vous déjà entendu le collègue Boris Pistorius [ministre SPD de la Défense, NdT] dire que la diplomatie est également un facteur de sécurité ? On ne l’entend parler que lorsqu’il s’agit de canons, de chars, de dépenses pour l’armement ou la Bundeswehr. Et c’est une erreur. La politique de sécurité dépend fortement de la diplomatie – et de la volonté de connaître son adversaire, de dialoguer avec lui et de le rallier à sa cause. Je trouve que c’est une véritable lacune de ce ministre de la Défense par ailleurs très estimé.

Lorsque le nouveau ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, a récemment évoqué un budget de défense de 5 % du produit intérieur brut, soit le double, le ministre de la Défense du SPD s’est contenté de répondre qu’il était compétent en la matière. Cela ne m’a pas semblé être une réponse adéquate à cette demande. Que répondriez-vous ?

Je ne peux pas juger du montant nécessaire pour disposer d’une Bundeswehr dissuasive dans le cadre de la défense européenne. Mais je lierais toujours cela à la nécessité d’un dialogue diplomatique avec la Russie. Je n’ai jamais entendu Pistorius dire un mot à ce sujet. Et je trouve cela effrayant, car c’était toujours un thème central pour le ministre de la Défense Helmut Schmidt.

Le ministre des Finances Lars Klingbeil © dpa

Le président du SPD, Lars Klingbeil, aurait très bien pu briguer le poste de ministre des Affaires étrangères, qui avait servi de tremplin à Willy Brandt pour accéder à la chancellerie. Était-ce une erreur de se présenter au poste de ministre des Finances pour des raisons de politique intérieure ?

Si Klingbeil l’avait fait, cela n’aurait eu de sens qu’avec une autre politique étrangère. La politique étrangère doit reposer sur deux piliers : la sécurité, c’est-à-dire l’armement et le développement d’une capacité de défense, qui n’est toujours pas pleinement effective, et la tentative d’une politique de sécurité fondée sur la diplomatie, la conciliation des intérêts, etc. Tout l’héritage de Willy Brandt a été trahi, et ce dès l’époque d’Olaf Scholz.

Scholz sait ce que vous savez sur la politique étrangère, et il n’a fait aucune tentative sérieuse pour s’opposer aux souhaits de Washington en faveur d’un changement de régime à Moscou.

Je pense que c’est là que réside le grand échec du SPD. Le parti a toujours puisé sa grande force dans deux racines : la politique sociale et la politique de paix. On a trahi cette partie du SPD qui prônait la paix. On aurait peut-être dû s’armer davantage, en particulier à l’époque d’Angela Merkel. C’est possible, je n’y connais pas grand-chose. Mais on ne doit jamais renoncer à la nécessité de combiner l’armement avec le dialogue avec l’autre partie. On s’est laissé entraîner dans cette politique antirusse qui, à mon avis, n’était pas utile à la paix en Europe.

Conseilleriez-vous au nouveau chancelier de se rappeler la politique de détente de Brandt et Helmut Kohl et de ne pas se laisser mettre dans le pétrin ?

Je l’encouragerais principalement à poursuivre le développement des relations diplomatiques avec la Russie. D’après ce que je sais, l’ambassadeur allemand à Moscou, Alexander Graf Lambsdorff, est un ennemi déclaré de la Russie. Je ne sais pas si je le nommerais à ce poste, j’ai des doutes.

Avez-vous une meilleure nomination en tête ?

Non, mais il y a des gens intelligents qui pourraient éventuellement être recrutés. Les USA ont eu de grands ambassadeurs comme William Burns, qui est devenu plus tard le chef de la CIA sous Biden. Nous devons renouer avec cette tradition.

Aujourd’hui, de nombreux politiciens disent que c’est une image naïve et peut-être aussi romantique de Poutine. La situation a changé, l’homme n’est plus accessible par le dialogue.

Une chose est absolument certaine : si l’on n’engage pas les meilleurs diplomates pour traiter avec la Russie, on ne réussira pas.

The Pioneer : Il ne s’agit donc pas de simplifier l’adversaire, mais de laisser agir la diplomatie à long terme, avec une issue incertaine ?


Willy Brandt et Klaus von Dohnanyi, 1982. © Imago

Oui, tout est incertain dans la vie. Nous le savons bien. J’ai accompagné Willy Brandt pendant une grande partie de son travail, et lui aussi a connu des moments de désespoir où il pensait ne pas parvenir à ses fins dans les négociations avec l’Union soviétique. Et à la fin de sa carrière politique, il y avait aussi Mikhaïl Gorbatchev, si vous voulez. Du côté russe, une confiance s’est installée dans l’idée qu’il était vraiment possible de dialoguer et de traiter avec cette Allemagne. Le nouveau gouvernement fédéral doit comprendre que sa mission n’est pas de défendre le statu quo actuel, mais de le changer.

Vous avez vécu la Seconde Guerre mondiale, vous aviez dix ans au début du conflit. Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle phase d’entente ou au début d’une situation guerrière dans toute l’Europe ?

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une grande guerre. Il existe des possibilités de concilier les intérêts et de parvenir à nouveau à une entente, y compris avec la Russie et la Chine. Mais si l’on veut absolument avoir raison, si l’on se moque des intérêts de l’autre partie et que l’on considère que cette autre partie a de toute façon tort et est mauvaise, alors on ne pourra peut-être pas éviter la guerre.

Monsieur von Dohnanyi, merci beaucoup pour cet entretien.

 

05/06/2025

VERA WEIDENBACH
La position de l’Allemagne à l’égard d’Israël est devenue un dilemme politique sans précédent

Vera WeidenbachHaaretz, 3/6/2025

Vera Weidenbach est une auteure et journaliste indépendante allemande qui vit à Berlin. En tant que reporter, elle écrit sur la politique nationale allemande. Son livre „Die unerzählte Geschichte - Wie Frauen die moderne Welt erschufen und warum wir sie nicht kennen“ [L’histoire cachée : comment les femmes ont créé le monde moderne et pourquoi nous l’ignorons] a été publié en 2022. Elle a étudié la philosophie, la biologie et la politique à l’université Humboldt de Berlin et au King’s College de Londres avant de fréquenter l’école de journalisme de Munich.

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Malgré la volonté du nouveau gouvernement de Berlin de critiquer la conduite de la guerre de Gaza par Israël, ce dernier n’a encore subi aucune répercussion de la part de l’Allemagne. Le chancelier Friedrich Merz devra finir par choisir entre des menaces en l’air et la sauvegarde du droit humanitaire.

Le changement était la plus grande promesse de Friedrich Merz lorsqu’il a fait campagne pour devenir chancelier de l’Allemagne. Les temps d’hésitation et de stagnation seraient révolus, promettait-il, lorsque son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) de centre-droit, prendrait la tête du pays. Finies les querelles qui ont finalement entraîné la chute de ce que les Allemands appellent la coalition feu tricolore - l’union des partis soc-dém, libéral et vert, dirigée plus récemment par l’ancien chancelier Olaf Scholz. Merz s’est engagé à faire avancer les choses et à agir rapidement.


C’est un génocide
ou de la légitime défense ?
Contentons tout le monde et disons que c'est les deux
Dans ce cas, on a besoin d'une nouvelle terminologie
Je propose “légitime défense génocidaire”
ça devrait donner du grain à moudre aux deux parties
Dessin de Joe Sacco

De nombreux Allemands ont été surpris de constater que le plus grand changement opéré par Merz après trois semaines de mandat était une violation de l’un des principes directeurs de la politique étrangère de l’Allemagne : ne pas critiquer Israël trop intensément. Plus sévère que tous les chanceliers allemands avant lui, Merz a critiqué le gouvernement israélien pour sa conduite de la guerre en cours et la situation humanitaire désastreuse dans la bande de Gaza.

Dans une interview accordée le 27 mai, il a estimé que l’offensive actuelle d’Israël “n’est plus compréhensibleet a déclaré : « Porter atteinte à la population civile dans une telle mesure, comme cela a été de plus en plus souvent le cas ces derniers jours, ne peut plus être justifié comme une lutte contre le terrorisme du Hamas ».

Pendant sa campagne et lors de l’accord conclu avec les sociaux-démocrates (SPD) pour former son gouvernement de coalition, Merz s’est positionné comme étant fortement pro-israélien et a souligné ses relations personnelles étroites avec le Premier ministre Benjamin Netanyahou - qui, selon Merz, l’a appelé pour le féliciter juste après qu’il eut remporté les élections de février. Au cours de ce long appel téléphonique, Merz a déclaré qu’il avait promis à Netanyahou de « trouver les moyens de lui permettre de se rendre en Allemagne et de pouvoir repartir sans être arrêté ».

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Cette déclaration a suscité l’indignation des autres partis politiques, l’Allemagne étant l’un des plus grands soutiens de la Cour pénale internationale, qui a a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de Netanyahou en novembre, en raison des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’il aurait commis à Gaza.

Le revirement rhétorique de Merz à l’égard d’Israël intervient dans un contexte de pression politique croissante en Allemagne et dans toute l’Europe pour condamner l’offensive israélienne en cours à Gaza. L’UE a annoncé son intention de réexaminer la base juridique de son accord d’association de 1995 avec Israël. Entre-temps, le Royaume-Uni a suspendu ses négociations commerciales. Et L’Espagne a intensifié ses efforts diplomatiques pour inciter ses alliés européens à imposer des sanctions à Israël.

Pour la nouvelle coalition gouvernementale CDU-SPD, le sujet présente un potentiel de conflit, une impression que Merz souhaite éviter. Lars Klingbeil, chef de file du SPD et ministre des Finances, a annoncé que la coalition avait l’intention d’accroître la pression politique sur Israël. « Nous devons également faire comprendre à nos amis, compte tenu de la responsabilité historique que nous portons à l’égard d’Israël, ce qui n’est plus acceptable », a déclaré Klingbeil. le 26 mai, ajoutant que ce point a été atteint.

À la différence de plusieurs hauts responsables du SPD, Klingbeil s’est toutefois abstenu d’appeler à un embargo sur les armes à destination d’Israël. Le manque d’unité des sociaux-démocrates sur cette question donne à la CDU une plus grande marge de manœuvre.

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Zeitenwende, Peter Wall, Allemagne, 2024. Acrylique sur toile 100 x 120 cm

Merz s’est engagé à devenir un “Außenkanzler” [“exochancelier”], c’est-à-dire qu’il s’est engagé à faire de son mandat de chancelier une affaire de politique étrangère. Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, la CDU dirige le ministère des Affaires étrangères. L’ancien chancelier Olaf Scholz est largement considéré comme n’ayant pas tenu sa promesse de “Zeitenwende” (tournant historique, changement d’époque) concernant le rôle de l’Allemagne en tant que puissance de premier plan en Europe et l’augmentation de ses capacités militaires pour contrer l’agression russe contre l’Ukraine.

Et c’est là que le soutien de l’Allemagne à Israël entre en conflit non seulement avec les principes normatifs de l’Allemagne, mais aussi avec ses intérêts politiques, explique Maya Sion-Tzidkiyahu, maîtresse de conférences à l’Université hébraïque de Jérusalem et directrice du programme de relations Israël-Europe de la boîte à idées Mitvim. Elle souligne qu’en Europe, les attentes à l’égard de Merz ne concernent pas principalement Israël.

« Un alignement non critique sur Israël risque de miner la crédibilité de l’Allemagne et de l’exposer à des accusations croissantes de deux poids-deux mesures. Cela pourrait diminuer la crédibilité de l’Allemagne dans l’arène géopolitique au sens large, notamment en ce qui concerne la guerre entre la Russie et l’Ukraine », dit Sion-Tzidkiyahu.

Merz a clairement l’ambition de faire de l’Allemagne un acteur diplomatique de premier plan, ce qui est étroitement lié au fait de jouer un rôle important dans la fin de la guerre en Ukraine. Depuis son entrée en fonction, le nouveau chancelier allemand a rencontré à deux reprises le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy et a promis d’accroître le soutien militaire de l’Allemagne.

Selon Mme Sion-Tzidkiyahu, la mise en œuvre par l’Allemagne de mesures politiques à l’encontre d’Israël dépendra en grande partie de la manière dont le gouvernement Netanyahou choisira de poursuivre la guerre à Gaza. Si la guerre se transforme en une occupation à long terme - ce qui est de plus en plus probable au vu de l’évolution de la situation sur le terrain, car Israël continue de repousser les civils de Gaza dans trois zones tout en exerçant un contrôle militaire sur 75 % de la bande. Cela pourrait amener Netanyahou à suivre les demandes de ses copains de la coalition d’extrême droite, qui rêvent de voir Tsahal administrer Gaza de la même manière que la Cisjordanie.

« Si ce scénario devait se réaliser, l’Allemagne serait confrontée à de sérieuses difficultés politiques et juridiques pour justifier la poursuite des exportations d’armes vers Israël », prédit Sion-Tzidkiyahu. « « Dans ce cas, la question dépasserait le stade de la rhétorique et entrerait dans le domaine des changements politiques concrets.

Portes fermées, téléphones ouverts

Par le passé, Merz s’était largement abstenu de critiquer publiquement le gouvernement israélien, privilégiant ce que lui et son ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, appellent la “diplomatie des portes fermées”, c’est-à-dire que l’Allemagne fait part de ses préoccupations dans le cadre de discussions directes, plutôt qu’en public.

Wadephul a assuré qu’il était en contact téléphonique quasi quotidien avec des responsables israéliens pour discuter des préoccupations de l’Allemagne. Lors de sa visite en Israël il y a deux semaines, le ministre a publiquement appelé à une augmentation de l’aide humanitaire à Gaza, tout en acceptant largement les justifications du gouvernement israélien pour la guerre en cours. Mercredi, son homologue israélien Gideon Sa’ar se rendra à Berlin et les deux hommes auront à nouveau l’occasion de discuter de cette question en face à face.


Staatsräson, par Peter Wall, 2013

Depuis la reprise des combats à Gaza, Wadephul décrit la position de l’Allemagne à l’égard d’Israël comme un dilemme politique et moral. Le principe selon lequel la sécurité d’Israël est une raison d’État - Staatsräson, une idée lancée par l’ancienne chancelière Angela Merkel en 2008 en référence à la responsabilité historique de l’Allemagne après l’Holocauste - contredit l’engagement de l’Allemagne à respecter le droit humanitaire et international.

Malgré cette nouvelle volonté du gouvernement allemand de critiquer plus ouvertement, les conséquences concrètes restent assez vagues. Wadephul a rejeté un embargo sur les armes proposé par le gouvernement espagnol, en évoquant la responsabilité de l’Allemagne en matière de sécurité d’Israël. Dans une récente interview, le ministre a laissé entendre que le Conseil fédéral de sécurité, un comité du cabinet qui décide des livraisons d’armes, examinera si l’utilisation d’armes allemandes dans la bande de Gaza est conforme au droit international.

Un arrêt des livraisons d’armes allemandes à Israël ne semble pas très probable dans un avenir proche, d’autant plus qu’il existe une résistance au sein de la CDU et de la CSU, la branche bavaroise la plus conservatrice du parti.

 

“Espérons que ça marche !”. Sur la caisse : ARMES - SEULEMENT POUR LES GENTILS ! À  N'UTILISER QUE CONTRE DES MÉCHANTS !
Dessin d'ERL, 2014

D’octobre 2023 à la mi-mai 2025, l’Allemagne a exporté pour 485 millions d’euros d’armes vers Israël, ce qui la met en deuxième position après les USA. 73 % des Allemands souhaitent un contrôle plus strict des exportations d'armes vers Israël, dont 30 % sont favorables à une interdiction totale, selon un sondage réalisé mercredi. [NdT]