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04/02/2025

HÉCTOR BUJARI SANTORUM
Soukeina Yed Ahlou Sid : « L’ONU, pour nous, c’est pire que le Maroc »

Chacun de ses mots porte le poids d’un peuple qui résiste alors que le monde continue de regarder ailleurs.

Héctor Bujari SantorumNueva Revolución,   20/1/2025
Traduit par Tafsut Aït BaâmraneTlaxcala

Au bout du fil, avec l’aide d’une traductrice, j’entends la voix de Soukeina Yed Ahlou Sid. Elle est grave, directe, chargée d’une fermeté qui ne laisse aucune place à la pitié.

Au bout du fil, avec l’aide d’une traductrice, j’entends la voix de Soukeina Yed Ahlou Sid. Elle est grave, directe, chargée d’une fermeté qui ne laisse aucune place à la pitié.

Elle parle sans fioritures, comme quelqu’un qui a raconté son histoire trop de fois, mais qui n’a pas encore réussi à s’en libérer. Militante sahraouie, survivante de 12 ans de prisons secrètes. Chacun de ses mots porte le poids d’un peuple qui résiste alors que le monde continue de regarder ailleurs.


Tu as subi de nombreux abus tout au long de ta vie, de la torture aux disparitions forcées. Comment as-tu réussi à rester fidèle à ton combat pendant si longtemps, malgré toutes les souffrances que tu as endurées ?

J’ai été emprisonné pendant 12 ans. Ils m’ont attrapée à l’âge de 24 ans et j’avais quatre enfants. L’aîné avait 6 ans et le plus jeune 5 mois. La plus grande souffrance a été la séparation d’avec ma famille. Dès que la séparation a commencé, ma famille est allée dans les camps [de réfugiés en Algérie, NdlT]. Je suis restée dans les territoires occupés avec la famille de mon mari. Je n’ai pas été emmenée dans une prison, c’était plutôt une disparition, on ne savait rien de nous. Je n’étais pas enregistrée et je n’avais aucune condamnation. J’avais 24 ans. Un an plus tard, ma fille cadette est décédée.

Dans ton témoignage, tu mentionnes que tu as passé 12 ans dans des prisons marocaines secrètes. Quelle a été la partie la plus difficile de cette période et comment t’en souviens-tu maintenant que tant d’années se sont écoulées ?

Mes enfants ont souffert de la séparation. Certains sont allés chez leur père et d’autres sont restés ici. J’étais émotionnellement dévastée. J’étais une mère et j’avais laissé quatre enfants derrière moi. Je n’avais aucune sécurité, rien, aucun soutien de qui que ce soit. C’est l’incertitude que j’ai ressentie, c’était très dur. Je me consolais en me disant que ce que je faisais n’était pas vain. C’était pour le Sahara, pour voir ma terre libérée, pour la détermination. C’est la seule consolation qui m’a permis de tenir pendant cette période.

De toute façon, il n’y avait pas que moi ; dans chaque famille sahraouie, on a perdu un frère, un père, un fils, même des femmes pour cette cause...

Comment as-tu vécu le cessez-le-feu de 1991 et la trahison du processus de paix qui s’en est suivie ?

En 1991, lorsque l’accord de paix a été conclu, ils nous ont laissés partir. Je suis allée rejoindre ma famille, mes enfants. Il ne s’est même pas écoulé un an et j’ai été à nouveau emprisonnée, avec mon fils aîné, celui qui avait 6 ans la première fois qu’ils m’ont fait disparaître.

L’accord de cessez-le-feu était une trahison, une tromperie écrite sur le papier. Le peuple sahraoui y a cru, pensant que nous allions arrêter la guerre, que nous allions cesser de perdre des gens et vivre en paix. C’était une tromperie qui n’a rien changé. L’agresseur marocain a suggéré cette idée, c’était son plan. Tout ce qu’ils voulaient, c’était avoir tout le territoire du Sahara.

Je veux voir un Sahara libre. Demain, des générations vont vivre et elles ne peuvent pas trahir cette cause. C’est eux ou rien. Ils doivent la défendre.

Quel message souhaiterais-tu transmettre aux générations futures de Sahraouis qui poursuivent la lutte pour l’autodétermination ?

Je te remercie beaucoup pour cette question sur le message que je souhaite transmettre aux nouvelles générations. Tout comme nous nous sommes tenus fermement à l’objectif d’atteindre notre autodétermination, notre liberté, les nouvelles générations ne devraient pas penser à un autre objectif. Se tenir sur un rocher vous empêche de tomber ou de vous noyer ; cependant, si vous vous tenez sur une base très fragile, vous finirez par vous briser.

Il faut penser au bien du peuple, à la justice. Nous méritons d’être sur notre terre et d’y construire un avenir ; cela ne vaut pas la peine de le faire ailleurs. Le Sahara est à nous et personne ne devrait nous le prendre. Nous ne pouvons nous permettre aucun luxe si nous ne sommes pas sur notre terre.

Comment la présence constante des forces marocaines à Smara affecte-t-elle la vie quotidienne des Sahraouis ?

J’ai été contrainte d’aller vivre dans un village situé à 14 kilomètres de Smara, car la vie m’est impossible à Smara. Pas seulement pour moi, mais aussi pour mes filles, mes petits-enfants, mes parents et mes voisins.

Nous sommes constamment encerclés par la police ; ils s’appellent eux-mêmes la sécurité, mais pour moi, ils ne font que violer la sécurité. Mes filles ont dû aller à El Ayoun, parce que les enfants, à partir de 10 ans, ne peuvent pas sortir, ne peuvent pas jouer, ne peuvent pas pratiquer l’activité d’un enfant normal. Quand je vais en taxi, ils me font des ennuis. C’est une vie impossible pour moi et pour tous ceux qui m’entourent.

Quel type de harcèlement et de répression subissent les Sahraouis vivant dans les territoires occupés, en particulier les militants comme toi ?

Nous subissons des violences physiques, ils me contrôlent dans ma maison, dans mon travail, dans mes visites, ils enregistrent les personnes que je rencontre, ils prennent leurs données, leurs documents et les endroits où je vais. Ils me rendent la vie impossible à tous points de vue. Nous allons résister et nous n’accepterons jamais cette occupation marocaine.

Dans quelle mesure penses-tu que l’occupation marocaine a altéré l’identité culturelle sahraouie dans les territoires occupés ? Comment les politiques d’assimilation marocaines dans les villes occupées, telles que Smara, affectent-elles les Sahraouis qui y vivent ?

Ils n’ont négligé aucun moyen de mettre l’identité sahraouie en danger d’extinction. Il y a des générations dont les parents sont nés dans les territoires occupés, qui sont entrés avec la marche noire [la « marche verte » marocaine de 1975, NdlT] ou pour le référendum prévu en en 1991. Il y a beaucoup de Marocains. Ce sont deux générations qui sont nées ici et qui n’ont rien à voir avec le Sahara. Ce sont des escrocs culturels. Ils utilisent la mlahfa et la daraa. Ils apprennent la hassaniya.

Ils ont infiltré beaucoup de jeunes. Ce sont des Sahraouis, mais ils sont payés pour être des espions. Il y a un pourcentage de jeunes qui sont sahraouis, mais qui agissent vraiment comme des Marocains parce qu’ils travaillent pour les Marocains. Ils ont formé des générations à parler et à s’habiller comme des Sahraouis, mais ce sont des Marocains.

Même si nous parlons pendant des heures, des jours ou des mois, je ne pourrai pas exprimer à quel point je suis frustré par ce qui se passe sur notre territoire. Ce qui s’est passé avec De Mistura il y a quelques heures... ils ne travaillent pas. Ni eux, ni l’ONU... ils ne travaillent pas à la résolution de ce conflit de décolonisation de notre territoire. Il n’y a pas de protection internationale, il y a de la violence sécuritaire, plus envers les activistes qu’envers les autres citoyens. Il n’y a pas de droit, nous n’avons pas le droit de vivre. Nous vivons réprimés au maximum, souffrant dans tous les aspects, économiques, familiaux, tout. La seule chose que je veux faire, c’est sortir dans la rue. Je ne suis pas marocaine. Nous sommes sous le feu des projecteurs.

L’ONU est pire pour nous que pour les Marocains. Depuis qu’elle est arrivée, il n’y a pas de résolution, il n’y a pas d’issue, je ne vois aucun avantage à cette organisation. Personne n’est responsable du Sahara, ils ne laissent pas entrer les journalistes, les avocats ou les activistes. Ils ne laissent entrer personne.

Quel rôle les femmes sahraouies jouent-elles dans la résistance dans les territoires occupés ?

Nous les femmes, que ce soit dans les camps ou dans les territoires occupés, tout le monde sait quel rôle nous jouons. Nous sommes importantes, nous sommes dans les institutions et dans l’administration. Nous avons suivi cette trajectoire de lutte aux côtés des hommes, sans donner la priorité à l’un ou à l’autre. Nous sommes tous impliqués, hommes et femmes. Dans les territoires occupés, on voit plus de femmes pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, les peines des hommes vont de 20 ans à la perpétuité. Dans le cas des femmes, il peut y avoir des accords et nous pouvons rester emprisonnées moins longtemps. D’après notre expérience, c’est ce qui s’est passé. Les femmes sont condamnées à moins de temps. Les jeunes de Gdeim Izik sont enfermés depuis 2010.

À quoi ressemble la vie sous l’occupation pour les jeunes Sahraouis qui grandissent à Smara et dans d’autres zones contrôlées par le Maroc ? Quelles sont leurs perspectives d’avenir ?

Ils ont réalisé un projet de migration programmée de jeunes pour fuir ces territoires dans de petites embarcations. Beaucoup d’entre eux sont morts en mer. D’autres sont en Europe. Il y a d’autres projets : destination Guyane française et Cuba.

Cette migration programmée, comment a-t-elle été communiquée aux Sahraouis ?

Il y a quelqu’un qui convainc les jeunes. On leur dit : « Ce pays n’a pas besoin de visa, je paie votre billet et vous y allez. Vous obtenez les papiers et vous entrez facilement en Europe ».

Ils lavent le cerveau des jeunes qui rêvent de venir en Europe. Officiellement, il n’y a pas d’agence ni de responsable. C’est ce que dit la rumeur. Il y a une file d’attente interminable.

Aucun jeune ne reste dans ces territoires. En Guyane, la route a été fermée, mais une autre a été ouverte à travers Cuba.

Est-ce que cela se passe aussi en Espagne, à Madrid ?

Tout comme les Sahraouis dans les territoires occupés subissent une répression très forte, le peuple marocain vit également dans la souffrance avec beaucoup de difficultés. La solution est d’émigrer. Je ne sais pas comment s’est déroulé le processus de migration vers Madrid, mais il y a des Sahraouis et d’autres qui ne le sont pas.

Quelle est la relation entre les Sahraouis qui continuent à soutenir la cause et ceux qui ont décidé de collaborer avec le Maroc ?

Il y a des Sahraouis qui ont suivi leur propre voie en soutenant et en défendant la cause. D’autres, en revanche, ont collaboré avec les Marocains, pour de nombreuses raisons : par manque de ressources, par peur, parce qu’ils vivent de l’aide qu’on leur donne... et parce qu’il y a des gens qui s’intéressent à leur cause et d’autres qui s’en désintéressent.

Nos relations ne peuvent pas être si mauvaises parce que nous sommes si peu nombreux. Nous avons déjà fait la distinction entre les réfugiés et ceux qui vivent dans les territoires occupés. Nous ne devrions pas chercher une autre raison de nous séparer. La séparation nous affecte beaucoup. L’union que nous formons entraîne des conséquences encore plus graves. Nous n’allons pas les laisser entre les mains des Marocains. Nous les gardons près de nous pour qu’ils n’oublient pas notre cause.

L’Espagne est un membre très compliqué, elle est coupable de tout ce qui se passe. Vous avez des relations très étroites avec les Marocains.

Comment se passe l’acceptation sociale au sein de la communauté sahraouie de ceux qui ont décidé d’accepter les compensations économiques offertes par le Maroc pour les années de plomb ?

Ces compensations économiques n’étaient pas destinées aux Sahraouis, mais aux Marocains qui ont participé au coup d’État contre Hassan II. Aucun Sahraoui n’a reçu de compensation. Ils ont donné très peu parce qu’ils ne nous ont pas mis en prison de manière légale. Ils ne nous ont même pas donné de quoi compenser l’année passée loin de mon enfant. Rien du tout. Aucun Sahraoui n’a participé à ce processus.

Quelle est, selon toi, la principale raison de la division qui existe entre les différentes associations de défense des droits humains qui défendent la cause sahraouie ?

Il n’y a pas de division du tout, il y a beaucoup d’associations composées de victimes. Le principal problème est que chaque fois que nous voulons nous réunir, nous ne le pouvons pas. Nous sommes très surveillés, nous sommes encerclés, il y a des infiltrés. Il est vrai que certaines personnes ont certaines opinions, d’autres ne sont pas d’accord et ont d’autres opinions. Mais il y a beaucoup de soutien entre nous. Lorsque nous sommes blessés ou lorsque des Marocains viennent, nous nous soutenons tous les uns les autres. Il n’y a pas de division, c’est une rumeur. Nous nous entendons tous très bien.

Notre association de victimes de disparitions forcées a été créée en 1998, nous voulions nous réunir, nous étions 323 des prisons de Smara, 50 d’El Ayoun. 43 sont morts pendant cette période. Nous nous sommes réunis pour former cette association. Nous avons eu l’autorisation de nous légaliser, nous sommes une association de victimes, nous avons été victimes de disparitions forcées, ni jugés ni condamnés...

➤ Voir le documentaire de Laura Sipán Soukeina, 4.400 días de noche:12 años en las cárceles secretas de Marruecos [Soukeina, 4 400 jours de nuit : 12 ans dans les prisons secrètes marocaines]