Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
C'est ainsi que le haut commandement des Forces de défense israéliennes perçoit l'ennemi de l'armée en Cisjordanie : «des arsim avec des armes ». (« Ars » signifie « proxénète » en arabe, et « voyou » en argot hébreu*.) Dans une série de briefings à huis clos et au moins une interview publique, les dirigeants de l'armée ont décrit la résistance à Jénine et la nouvelle organisation à Naplouse, la « Tanière des Lions», comme des activités d’« arsim ».
Du chef d'état-major Aviv Kochavi au chef du commandement central Yehuda Fuchs et jusqu’au bas de l’échelle, ils voient les jeunes hommes armés qui s'opposent aux invasions de l'armée israélienne dans leurs villes et camps de réfugiés comme des arsim. Maintenant, les FDI éliminent les arsim. Six arsim de la Tanière es Lions ont déjà été tués et un a été capturé. Les permis d'entrée en Israël ont été retirés à 164 membres de leurs familles.
Les FDI sont en train d'éradiquer le phénomène des arsim. Une armée de beaux jeunes hommes proprets, les plus moraux de l'univers, face à l'armée des arsim.
C'est dur de savoir ce que veulent dire les officiers supérieurs quand ils parlent d'arsim. Il n'est pas politiquement correct d'appeler un Israélien un ars, mais bien sûr, c'est permis dans le cas d'un Palestinien. Le commandant de la brigade Menashe, le colonel Arik Moyal, a expliqué ce qui s'était passé à Jénine comme suit :
« Des bandes d'arsim qui ont du temps à perdre et jouent aux petits soldats. Ils forment toutes sortes d'unités, de confusion et d'autres absurdités pour leur propre compte … Il y a des arsim qui ont perdu leur sang-froid, et nous devons leur taper sur les doigts maintenant et en finir avec eux », selon l'officier colon de Tapuah, qui est maintenant celui qui a perdu son sang-froid
Mettons de côté ce langage arrogant et méprisable des officiers supérieurs de Tsahal, qui sont des m’as-tu-vu professionnels. Mettons aussi de côté l'humiliation de l'autre. La police des frontières et les policiers dans les unités d'occupation sont de merveilleux exemples de la définition tsahalesque des « arsim armés», certainement pas moins que les jeunes de Naplouse et de Jénine. Le terme « arsim armés » leur convient parfaitement. Ce n'est pas par hasard qu'Israël envoie ses propres « arsim » pour affronter les arsim palestiniens.
Il se peut que la « Tanière des Lions », la nouvelle organisation armée à Naplouse, dont le nom puéril aurait pu être craché par l'ordinateur de Tsahal qui sait donner des noms comme « Formation d’acier » et « Formation de feu » aux divisions de Tsahal, soit composée d'arsim. C'est comme ça quand on grandit dans un camp de réfugiés comme Balata ou Askar, avec un passé de réfugiés, un présent d'occupation et un futur de désespoir : on devient arsim.
Il est difficile de savoir lequel des arsim serait le plus violent s'ils devaient se battre à armes égales, mais dans des conditions d'occupation, les arsim israéliens sont certainement plus violents. Il y a aussi une concurrence sérieuse quand il s'agit de comportement d’arsouille [gredin, voyou, truand], et là je pense que c’est l'ars israélien qui gagne.
Beaucoup de soldats et de policiers dans les territoires ne savent plus comment parler aux Palestiniens, ils savent seulement leur aboyer dessus. Voir la nouvelle description grotesque des « combattants des carrefours/points de passage », voir la police des frontières à Jérusalem-Est ou les soldats de la brigade Kfir, dont le bataillon ultra-orthodoxe Netzah Yehuda, avec de leurs invasions nocturnes de chambres à coucher, de chambres d'enfants.
Il est difficile de penser à un comportement plus « arsimiesque » que cela. Peut-être qu'il est impossible de servir dans les territoires occupés depuis 1967 sans être un ars. Est-ce que le lieutenant-général Kochavi pense vraiment que les soldats qu'il envoie sur les Palestiniens sont moins “arsim” que les lions de la tanière ? De quelle manière exactement ? Plus éduqués ? Plus éthiques ? Plus humains ?
Dégradez dégradez les Palestiniens. Pour ce qui est de la disparité des forces entre la Tanière des Lions et « Netzah Yehuda », qui est le plus fort, le mieux armé, équipé et organisé ? Il y a pas photo. Mais le plus fort n'a aucun avantage éthique dans cette histoire, bien au contraire.
Les arsim de la Tanière prennent des mesures pour protéger leurs maisons, leurs camps et leurs villes, lorsqu'une armée étrangère les envahit. Ils peuvent perdre leur temps et jouer aux petits soldats, selon le diagnostic savant du commandant de brigade Moyal, mais lui et ses soldats n'ont aucun avantage sur eux. « Un soldat noir frappe un soldat blanc », a écrit le dramaturge Hanokh Levin** … « Pleurs dans les chambres et silence dans les jardins ».
NdT
*Le mot arabe ars (jeune berger et par extension, proxénète) a été approprié en hébreu israélien (féminin arsit, pluriel arsim) d’abord pour désigner méliorativement une personne rusée et intelligente. Il a évolué, à partir des années 1970, pour désigner péjopratovement une personne qui est, ou se comporte comme, un petit criminel, qui se vante et prétend être prospère, et, surtout, est apparemment d’origine sépharade (Al Andalous, Maghreb) ou mizrahie (terme fourre-tout englobant tous les juifs originaires du monde arabe, persan, caucasien, berbère, kurde, turc et indien)
**Hanokh Levin (1943-1999) a sans doute été le plus grand dramaturge israélien. Ses deux pièces satiriques Toi, moi et la prochaine guerre (1968) et La Reine de la baignoire (1970), un mix hébreu de Brecht et des Monty Python, mirent à mal l’euphorie suscitée chez les sionistes par la victoire de la Guerre des Six-Jours de 1967.
Une citation de Hanokh Levin, extraite de la pièce Le Patriote :
« Consignes de sécurité dans les territoires occupés
Bienvenue à la résidence du gouverneur militaire de Beit Jarjur.
Instructions de sécurité :
Un homme qui descend la rue en jetant des regards nerveux d'un côté à l'autre et par-dessus son épaule - sera suspecté d'être un terroriste arabe.
Un homme descendant la rue et regardant calmement devant lui - sera suspecté d'être un terroriste arabe à tête froide.
Un homme descendant la rue et regardant le ciel - sera suspecté d'être un terroriste arabe religieux.
Un homme descendant la rue et fixant le sol - sera suspecté d'être un terroriste arabe timide.
Un homme descendant la rue les yeux fermés - sera soupçonné d'être un terroriste arabe somnolent.
Un homme ne descendant pas la rue - sera suspecté d'être un terroriste arabe malade.
Tous les suspects énumérés ci-dessus doivent être arrêtés. En cas de tentative d'évasion, un coup de semonce sera tiré en l'air.
Le corps sera transporté à l'institut médico-légal. »
Sur Hanokh Levin, on peut lire en français Le Théâtre de Hanokh Levin-Ensemble à l'ombre des canons, de Nurit Yaari, Éditions théâtrales, 2008