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31/08/2024

HANNA ALSHAYKH
Comment fonctionne la direction du Hamas ? Il faut en finir avec les bobards des médias dominants

Les médias et leurs sources ont mal compris le fonctionnement de la direction du Hamas, en établissant des schémas binaires simplistes entre le « modéré » Ismail Haniyeh et l’« extrémiste » Yahya Sinwar. En réalité, le processus décisionnel du Hamas est beaucoup plus institutionnalisé.

Hanna Alshaikh, Mondoweiss, 30/8/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Hanna Alshaikh (1993), est née à Chicago dans une famille originaire du village palestinien de Yalu, près de Latroun, nettoyé ethniquement partiellement en 1948 et entièrement en 1967, les sionistes le rasant entièrement. Elle est chercheuse en histoire intellectuelle arabe et palestinienne dans le cadre du programme de doctorat conjoint d’histoire et d’études du Moyen-Orient de l’Université de Harvard (Cambridge, USA). Ses recherches portent sur le rôle de la diaspora palestinienne dans le discours politique du monde arabe, et plus particulièrement sur les Palestiniens des USA et leur participation transnationale à la formation du mouvement national palestinien. Son travail se situe à l’intersection de l’histoire intellectuelle arabe et palestinienne, de l’histoire des activistes, des études sur la diaspora, des études arabo-usaméricaines et de l’histoire des mouvements sociaux usaméricains. Hanna est titulaire d’une maîtrise du Center for Middle Eastern Studies de l’université de Chicago, où elle a rédigé un mémoire sur l’histoire sociale palestinienne à la fin de la période ottomane. Auparavant, Hanna était professeure adjoint d’études religieuses à l’université DePaul (Chicago), où elle a donné un cours sur l’islam et un cours sur la religion et la politique au Moyen-Orient. Elle est aussi la coordinatrice du projet Palestine à l’Arab Center Washington DC. @yalawiya

Après l’assassinat à Téhéran d’Ismail Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, l’organe consultatif suprême du mouvement, le conseil de la Choura, a rapidement et unanimement choisi Yahya Sinwar pour lui succéder. Au moment de son assassinat, Haniyeh dirigeait les efforts du Hamas dans les négociations de cessez-le-feu avec les médiateurs, et de nombreux analystes ont affirmé que l’ascension de Sinwar marquait une rupture totale avec les politiques de Haniyeh et d’autres membres importants du bureau politique.

Une grande partie de cette analyse est mal informée.

Elle trahit une compréhension superficielle non seulement des dirigeants du Mouvement de résistance islamique (Hamas), mais aussi du Mouvement plus large dans son ensemble. L’hypothèse selon laquelle le leadership de Sinwar constitue une rupture avec le passé suit une tendance de l’analyse occidentale à considérer les dirigeants palestiniens à travers des couples binaires vagues et simplistes tels que « faucon contre colombe » ou « modéré contre partisan de la ligne dure ». Ces étiquettes cachent plus qu’elles ne révèlent.

Yahya Sinwar (à droite) et Ismail Haniyeh (à gauche) assistant aux funérailles d’un responsable du Hamas, Mazen Foqaha, dans la ville de Gaza, le 25 mars 2017. Photo : Ashraf Amra/APA Images

La fixation sensationnaliste sur la psychologie de Yahya Sinwar ne fait qu’aggraver ce défaut d’analyse. Cette approche réduit la complexité de la politique à des personnalités et suppose que la prise de décision du Hamas est largement dictée par la personnalité plutôt que le produit de débats internes et d’élections robustes, de délibérations et de consultations complexes et d’une responsabilité institutionnelle.

Malgré ces failles dans la conversation générale, il est néanmoins intéressant d’explorer la mesure dans laquelle le mandat de Sinwar sera différent de celui de Haniyeh à la tête du Bureau politique. S’agit-il d’un signe de rupture ?

Défier l’isolement

Pour évaluer la question de la rupture, il convient d’examiner certains parallèles dans les trajectoires de Haniyeh et de Sinwar. Au niveau le plus évident, chacun d’entre eux a fini par devenir le chef de la direction de Gaza, puis le chef du bureau politique du Hamas. Nés dans les camps de réfugiés de la bande de Gaza au début des années 1960, Haniyeh et Sinwar sont entrés dans le monde en tant que réfugiés, ce qui impliquait une existence fondée sur l’exclusion, la dépossession et la marginalisation. Au mépris de ces conditions, les deux dirigeants ont rejoint le mouvement islamique à Gaza et se sont retrouvés encore plus isolés et disloqués : Haniyeh a été exilé dans la ville libanaise de Marj al-Zouhour en 1992, et Sinwar a été emprisonné en 1988 et condamné à une quadruple peine de prison à vie l’année suivante. Ces difficultés n’ont pas empêché ces deux dirigeants de développer non seulement leurs propres connaissances politiques, mais aussi de jouer un rôle dans le développement du Hamas lui-même.

Dans les conditions difficiles de son exil à Marj al-Zouhour, Haniyeh a acquis de l’expérience dans la coordination des efforts avec les Palestiniens en dehors du Hamas, dans le renforcement des liens avec le Hezbollah et dans l’engagement avec les États arabes et la communauté internationale - ce qui a abouti à l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant leur retour, qu’ils ont pu obtenir un an plus tard. Cette expérience de la diplomatie et de la négociation avec les groupes palestiniens suivra Haniyeh plus tard dans sa carrière. En 2006, Haniyeh est devenu le premier Premier ministre palestinien démocratiquement élu. Alors que la mise en échec de ce gouvernement d’unité palestinienne a conduit à des combats brutaux entre factions et au début du blocus israélien de Gaza, il a passé des années à travailler à la réconciliation et à l’unité nationales, en plus de ses efforts sur le plan diplomatique.


Yahya Sinwar (à gauche), Ismail Haniyeh (au milieu) et Khalil al-Hayya (à droite) arrivent du côté palestinien du poste-frontière de Rafah, le 19 septembre 2017, avant de recevoir un gouvernement d’unité palestinienne. Photo : Yasser Qudih/APA Images

Depuis sa prison, Sinwar a continué à développer les capacités de contre-espionnage du Mouvement, un processus qu’il a entamé avec la création de l’« Organisation de sécurité et de sensibilisation » connue sous le nom de « Majd » en 1985, dans le but de fournir une formation en matière de sécurité et de contre-espionnage et d’identifier les collaborateurs présumés. Lorsque Sinwar est arrêté en 1988, un mois seulement après le début de la première Intifada, il est accusé d’avoir exécuté douze collaborateurs. En tant que prisonnier, Sinwar a poursuivi ses efforts pour renforcer le contre-espionnage du mouvement et investir dans les capacités des prisonniers palestiniens. Il parle couramment l’hébreu et est un lecteur passionné. Cette expertise a eu un impact sur le développement du Mouvement au fil du temps et a contribué à consolider la place de Sinwar en tant qu’autorité du Mouvement en prison.

Un chapitre important et plus connu de l’expérience politique de Sinwar est le rôle clé qu’il a joué dans les négociations qui ont conduit à la libération de plus de 1 000 prisonniers palestiniens en 2011, dont Sinwar lui-même, en échange de Gilad Shalit, un soldat israélien capturé par des combattants des Brigades Ezzeddine Al Qassam en 2006. Un aspect moins connu du temps passé par Sinwar en prison est l’habileté avec laquelle il s’est engagé et a rallié les Palestiniens au-delà des lignes de faction dans le cadre des grèves et des manifestations dans les prisons. Immédiatement après sa libération, il a été en mesure d’utiliser ces compétences pour créer un effet de levier auprès d’Israël et trouver des points d’unité avec les Palestiniens d’autres factions.

Négociations après la prison

Peu après son retour à Gaza, Sinwar a été élu au bureau politique du Hamas en 2012. En 2017, il a été élu à la tête de la direction du Hamas à Gaza, succédant à Ismail Haniyeh. Les premières années de Sinwar à Gaza sont souvent évoquées comme une période au cours de laquelle le Hamas a resserré les rangs en interne et s’est engagé dans des campagnes publiques contre la collaboration avec Israël, bien que sous une forme assez différente des premiers jours du Majd.

Moins sensationnel et moins propice aux histoires dramatiques, Sinwar s’est également engagé dans plusieurs négociations complexes qui ont changé la trajectoire du mouvement en tant que chef de la direction basée à Gaza.

Dix ans après le début du blocus israélien sur Gaza, les luttes quotidiennes de deux millions de Palestiniens étaient sur le point d’empirer en 2017, lorsqu’une série de décisions de Mahmoud Abbas a intensifié l’impact économique de l’isolement de Gaza. En mars 2017, l’Autorité palestinienne (AP) basée à Ramallah a réduit les salaires des employés de l’AP à Gaza jusqu’à 30 %, et en juin, les salaires des prisonniers palestiniens « déportés » à Gaza en 2011 ont été complètement supprimés. Ensuite, dans un geste controversé considéré comme une mesure de punition collective, Abbas a effectivement coupé l’approvisionnement en carburant de Gaza en annulant une exonération fiscale, provoquant une crise énergétique qui a réduit l’approvisionnement en électricité disponible pour les Palestiniens de Gaza d’environ huit à quatre heures par jour. Par la suite, la seule centrale électrique de Gaza a été contrainte de fermer.

Dans un geste qui a pris de nombreux observateurs par surprise, Sinwar a conclu un accord avec l’ancien chef des forces de sécurité préventive de l’Autorité palestinienne, Mohamed Dahlan, pour faire face aux crises provoquées par les changements de politique de Ramallah. Dahlan, comme Sinwar, est né dans le camp de réfugiés de Khan Younès, est devenu un dirigeant clé du Fatah jusqu’à ce qu’il se brouille avec la direction du parti en 2011, et s’est ensuite installé aux Émirats arabes unis. L’idée d’un accord entre le Hamas et l’homme qui a mis en œuvre les souhaits de l’administration Bush de perturber le gouvernement d’unité palestinienne dirigé par le Premier ministre récemment élu, Haniyeh, était inconcevable au début de la scission entre Gaza et la Cisjordanie, il y a dix ans. Les questions intérieures et régionales exigeaient cependant que les dirigeants du Mouvement s’adaptent, et Sinwar était prêt à discuter.

L’accord Hamas-Dahlan a connu un succès limité, mais il a mis en évidence deux aspects essentiels du mandat de Sinwar à la tête de la bande de Gaza : aplanir les divergences avec d’autres segments de la politique et de la société palestiniennes et équilibrer les relations extérieures dans un nouveau paysage régional. Plus précisément, grâce à ses liens étroits avec les gouvernements des Émirats arabes unis et de l’Égypte, Dahlan a obtenu l’entrée de carburant par le point de passage de Rafah. Ce point est important, car les relations entre l’Égypte et le Hamas étaient les plus tendues au début du premier mandat de Sinwar à la tête de la bande de Gaza.


Yahya Sinwar avec des partisans alors qu’il visite le quartier d’Al Rimal dans la ville de Gaza, le 26 mai 2021. Photo : Ashraf Amra/APA Images

Au fil du temps, Sinwar a pu continuer à apaiser les tensions avec l’Égypte dans les mois et les années qui ont suivi. En s’appuyant sur les mobilisations populaires palestiniennes indépendantes connues sous le nom de Grande Marche du retour (2018-19) et sur une tentative ratée du Mossad d’infiltrer et de placer des équipements de surveillance à Gaza en novembre 2018, la direction du Hamas a obtenu un certain nombre de concessions qui ont atténué l’impact du blocus israélien sur Gaza, notamment l’assouplissement des restrictions sur les déplacements au point de passage de Rafah avec l’Égypte, l’augmentation du nombre de camions transportant des marchandises et de l’aide entrant quotidiennement à Gaza, et de l’argent liquide pour payer les salaires des fonctionnaires.

Il est largement reconnu que Sinwar a joué un rôle majeur dans l’amélioration des relations du Hamas avec les autres composantes de l’« axe de la résistance » après que la direction du Hamas a quitté Damas en 2012 au milieu du soulèvement et de la guerre civile en Syrie. Le rôle de Sinwar dans l’amélioration et la renégociation des conditions des relations du Hamas avec d’autres acteurs régionaux en dehors de ses alliances étroites n’est pas aussi largement reconnu. L’accent mis sur ses liens avec l’« axe » limite la discussion sur le leadership de Sinwar à l’intérieur d’un certain courant idéologique, mais sa volonté de négocier signale une approche plus sophistiquée de l’équilibre des pouvoirs régionaux que ces étiquettes arbitraires ne le permettent.

Sinwar et ses prédécesseurs

Deux concepts opérationnels du lexique politique du Hamas - l’accumulation et la consultation - sont essentiels pour comprendre le fonctionnement du mouvement et de ses dirigeants. Toute compréhension du Mouvement en général, ou du règne de Sinwar sur Gaza en particulier, doit prendre en compte ces composantes indispensables du dynamisme institutionnel et du pouvoir en constante évolution du Hamas.

L’accumulation est couramment utilisée pour décrire les avancées militaires au fil du temps. Il est également utile de considérer l’accumulation en termes de compétences et d’expérience politiques que les dirigeants du Hamas apportent à la table pour gérer les questions difficiles de la gouvernance sous blocus, de la satisfaction des besoins humanitaires sous le siège, des moments d’isolement régional, des moments de construction et d’étalonnage d’alliances régionales et de la réconciliation nationale avec d’autres factions palestiniennes. Poser les bases des succès politiques et de l’accumulation militaire se prête plus souvent à la continuité qu’à la rupture.

La consultation décrit les meilleures pratiques et structures au sein du Hamas. Le mouvement dispose d’organes consultatifs à différents niveaux qui fonctionnent comme des structures de responsabilité et de conseil pour la direction politique. Les membres sont élus et représentent les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, de la diaspora et des prisons. L’organe consultatif de haut niveau, le Conseil général de la Choura, nomme les membres d’un organe indépendant qui coordonne et supervise les élections du Bureau politique afin de garantir la transparence. Bien que peu d’informations sur ces structures soient rendues publiques, un scénario d’urgence comme l’assassinat d’Ismail Haniyeh a révélé que le Conseil général de la Choura pouvait nommer un successeur dans des circonstances exceptionnelles (Sinwar a été choisi à l’unanimité).

La pratique et la structure de la consultation ne se limitent pas à l’aile politique du Hamas. L’aile militaire du mouvement, les Brigades Al Qassam, dispose également de procédures de consultation - en fait, Sinwar a joué le rôle de coordinateur entre l’aile militaire et l’aile politique après avoir rejoint le Bureau politique. Zaher Jabareen, qui a créé les Brigades Qassam dans le nord de la Cisjordanie, a expliqué que les récits sur la centralisation de l’appareil Majd sont inexacts, car les décisions concernant les suspects ne sont pas entre les mains d’une seule personne - elles font l’objet de procédures en plusieurs étapes, ainsi que d’enquêtes supplémentaires menées par un « appareil professionnel » distinct. Jabareen a fait remarquer qu’il existe de sérieuses mesures de responsabilisation en cas de mauvaise gestion d’une affaire par le personnel de sécurité.

Suivant cette même dynamique, lorsqu’un dirigeant comme Sinwar ou Haniyeh prend une décision majeure, non seulement il y parvient après avoir consulté des personnalités expérimentées, mais il est également responsable devant les groupes d’intérêt au sein du mouvement ou de la société en général qui font pression sur lui pour qu’il prenne des mesures. En tant que chefs de la direction et du bureau politique de Gaza, Sinwar et Haniyeh ont travaillé ensemble et ont souvent participé à des réunions publiques avec divers groupes d’intérêt afin de les rallier à la réconciliation nationale. Pour eux, la réconciliation nationale ne consistait pas seulement à faire amende honorable auprès du Fatah et à unir le corps politique palestinien, mais aussi à combler d’autres formes de fossés politiques, ainsi qu’à résoudre les problèmes sociaux et socio-économiques de la bande de Gaza. Tout cela pour se préparer à la bataille à venir, pour accumuler la force militaire nécessaire, le soutien populaire et l’unité politique. Il semble que la consultation se fasse à la fois du haut vers le bas et du bas vers le haut.

Les déclarations de Sinwar et de deux de ses prédécesseurs montrent comment l’accumulation de forces et de réalisations a favorisé la continuité entre chaque nouvelle ère. Khaled Meshaal a exposé les priorités de son dernier mandat lors d’une interview en mai 2013 : la résistance ; le centrage de Jérusalem comme cœur de la cause palestinienne ; la libération des prisonniers ; la lutte pour le droit au retour et la promotion du rôle de la diaspora dans la lutte ; la réconciliation nationale entre les factions palestiniennes qui unit et rassemble le corps politique palestinien autour de la résistance ; l’engagement de la nation arabe et islamique ; l’engagement de la communauté internationale aux niveaux populaire et officiel ; et le renforcement des institutions internes du Hamas, l’extension de son pouvoir et l’ouverture du mouvement vers d’autres formations palestiniennes, et vers d’autres Arabes et Musulmans en général.

La remarque de Meshaal concernant les prisonniers est remarquable. Il les a décrits comme la « fierté de notre peuple ». Lorsqu’on lui a demandé des détails sur le plan visant à garantir leur liberté et s’il impliquait la capture d’autres soldats israéliens, Meshaal a refusé de s’étendre sur le sujet. Deux mois plus tard, le renversement du gouvernement Morsi en Égypte allait complètement changer la formule des opérations du Hamas, ce qui a probablement entraîné un recalibrage de la direction du Bureau politique. Malgré les défis que cela représentait pour le Hamas, juste un an plus tard, lors de la guerre israélienne de 51 jours contre Gaza en 2014, des combattants de Qassam ont pénétré en Israël, visant ses bases militaires à au moins cinq reprises, et ont capturé les corps de deux soldats au cours de la guerre. Aujourd’hui, cette accumulation et cette continuité se retrouvent dans les déclarations des dirigeants du Hamas qui expliquent que l’objectif de l’opération du 7 octobre était de capturer des soldats israéliens en vue d’un échange de prisonniers.

Au début du dernier mandat de Meshaal, lui et Haniyeh ont publiquement rejeté les rumeurs de tensions entre eux. Ces rumeurs ont persisté tout au long des années, sans que l’on accorde suffisamment d’attention aux messages cohérents de chaque dirigeant, qui indiquent des priorités communes.

La vision, les messages et les priorités partagés se sont poursuivis avec Haniyeh à la tête du Bureau politique. Après la guerre israélienne de 2021 contre Gaza, surnommée « la bataille de l’épée de Jérusalem » par les Palestiniens - qui a coïncidé avec un soulèvement palestinien connu sous le nom d’« Intifada de l’unité », qui s’est étendu de Jérusalem à la Cisjordanie, aux citoyens palestiniens d’Israël et aux communautés de réfugiés palestiniens au Liban et en Jordanie - Ismail Haniyeh a prononcé un discours de victoire qui souligne le rôle central de la continuité et de l’accumulation au sein du Mouvement.

Haniyeh a qualifié la bataille de « victoire stratégique » et a déclaré que la suite « ne ressemblera pas à ce qui l’a précédée », ajoutant qu’il s’agit d’une « victoire divine, d’une victoire stratégique, d’une victoire complexe » au niveau de la scène nationale palestinienne, de la nation arabe et islamique, au niveau des masses mondiales et au niveau de la communauté internationale. Le discours a mis l’accent sur l’accumulation des forces et l’engagement envers les priorités et les efforts des époques précédentes du Mouvement qui ont permis d’aboutir à cette victoire. Il préfigurait également les changements majeurs à venir.

Dans la période précédant le 7 octobre, Sinwar a prononcé un discours dans lequel il déclarait :

« Dans une période limitée de quelques mois, que j’estime ne pas devoir dépasser un an, nous forcerons l’occupation à faire face à deux options : soit nous la forçons à appliquer le droit international, à respecter les résolutions internationales, à se retirer de la Cisjordanie et de Jérusalem, à démanteler les colonies, à libérer les prisonniers et à assurer le retour des réfugiés, pour parvenir à la création d’un État palestinien sur les terres occupées en 1967, y compris Jérusalem ; soit nous plaçons cette occupation dans un état de contradiction et de collision avec l’ensemble de l’ordre international, nous l’isolons de manière extrême et puissante, et nous mettons fin à son intégration dans la région et dans le monde entier, en nous attaquant à l’état d’effondrement qui s’est produit sur tous les fronts de la résistance au cours des dernières années ». »

Dans ce contexte, il convient de se demander si Sinwar est vraiment aussi imprévisible que le prétendent les experts. Ses déclarations remettent également en question la présentation de l’ascension de Sinwar comme une rupture totale avec le passé du mouvement.


Yahya Sinwar (à droite) et Ismail Haniyeh (à gauche) assistent à un service commémoratif pour le représentant du Hamas Mazen Foqaha, qui a été abattu par des tireurs inconnus, dans la ville de Gaza, le 27 mars 2017. Photo : Ashraf Amra/APA Images

Le Hamas en tant que médiateur

La personnalité de Yahya Sinwar a fait l’objet d’un sensationnalisme dans les médias occidentaux (et même arabes). D’une manière générale, ces discussions sur le Hamas ont souvent été basées sur des rumeurs, des insinuations et des affirmations non fondées qui tendent à souligner les désaccords entre les segments de sa direction, étiquetant les dirigeants selon des lignes telles que « les modérés qui favorisent la diplomatie et les négociations » par rapport aux « faucons militants ». En examinant certains aspects des carrières de Sinwar et de Haniyeh, il devrait apparaître plus clairement que si les personnalités et les spécificités du parcours de chaque dirigeant ont un impact sur leur prise de décision, ce n’est qu’une partie de la manière dont ces dirigeants, et le Mouvement dans son ensemble, prennent des décisions.

Au fil des ans, le Hamas a démontré sa capacité à tirer parti de la diversité des parcours de ses dirigeants pour renforcer ses capacités sur les fronts militaire, politique, diplomatique et populaire. Enraciné dans les principes de consultation et d’accumulation, le Hamas est à la fois un mouvement horizontal et un mouvement d’institutions. Des institutions efficaces telles que le Conseil de la Choura ont aidé le mouvement à traverser des moments d’incertitude, comme l’assassinat d’Ismail Haniyeh.

Il s’agit là du dernier exemple en date de la démonstration par le Hamas de niveaux inégalés de dynamisme et de flexibilité institutionnels par rapport à l’histoire du renforcement des institutions au sein des factions palestiniennes.

Dans ce contexte, ce qui pourrait apparaître comme des différences importantes entre les dirigeants peut devenir une source de force pour le mouvement, lui permettant de trouver un équilibre entre les demandes parfois contradictoires de divers groupes, en particulier lorsqu’il prend des décisions dans un contexte de haute surveillance, de menace constante d’assassinat et d’emprisonnement de ses dirigeants, et d’attaques permanentes contre ses structures et ses institutions.

Il ne s’agit pas de nier qu’il existe parfois des désaccords entre les dirigeants du mouvement. Ce facteur est en jeu depuis la fondation de l’organisation en 1987. Cependant, le Hamas est aussi un mouvement d’institutions, de procédures et de mécanismes de responsabilité. La règle générale a été la consultation, l’accumulation et l’équilibre entre les besoins des différents groupes d’intérêt. La preuve en a été donnée publiquement et de manière cohérente dans les messages des dirigeants de l’organisation, non seulement tout au long de la guerre génocidaire en cours, mais tout au long de ses 37 ans d’histoire.

À la suite de l’opération « Déluge d’Al Aqsa » du 7 octobre 2023 et du génocide qui s’en est suivi à Gaza, de nouvelles questions ont été soulevées au sujet du Hamas en général et de la personnalité de Yahya Sinwar en particulier. Nombreux sont ceux qui considèrent encore Sinwar comme le cerveau imprévisible de l’opération, insistant sur un récit dans lequel Sinwar aurait eu à lui seul le pouvoir de mener une opération sans précédent contre Israël, avec toutes les implications locales, régionales et internationales complexes qui résulteraient d’un tel événement. Il ne s’agit pas de rendre service au Hamas, ni de rejeter la faute sur une « pomme pourrie » pour permettre le retour d’un Hamas « démilitarisé » à la tête de l’État. Pour certains experts autoproclamés, l’utilisation de cette explication découle d’une compréhension superficielle du mouvement. Pour d’autres, il s’agit de couvrir Israël pour ses échecs militaires au cas où il capturerait Sinwar et de substituer cela à la « victoire totale ». Si Sinwar est le Hamas et si le Hamas est Sinwar, l’élimination de l’un mettrait fin à l’autre.

En réalité, ce que nous pensons savoir de la planification et de l’exécution de l’offensive du 7 octobre - et des opérations ultérieures du Hamas face à la guerre génocidaire d’Israël - n’est probablement qu’une goutte d’eau dans l’océan. Mais les éléments accessibles au public dont nous disposons nous indiquent que Yahya Sinwar n’est pas si imprévisible que cela. À l’instar de ses prédécesseurs, il s’est montré très ouvert et clair sur la direction que prenait l’organisation. Les signes étaient partout depuis au moins deux ans, tant au niveau officiel qu’au niveau de la base. Les grandes puissances ont été choquées parce qu’elles ont sous-estimé et ignoré le mouvement, et non parce qu’elles ont été trompées. Le récit autour de Sinwar fournit également une couverture aux « experts » pour expliquer leur connaissance superficielle du mouvement, au mieux, ou leur analyse fallacieuse, au pire.

Ce que les analystes auraient dû savoir, c’est que le Hamas est un mouvement d’institutions et que, comme tout autre mouvement de masse, il rassemble différents courants et orientations politiques qui peuvent être en désaccord sur la tactique, mais pas sur la stratégie. La règle de l’organisation a été celle de la continuité malgré la fragmentation géographique et les différentes écoles de pensée sur la façon d’aller de l’avant. Il y a eu des moments de débats acharnés et de désaccords publics, mais ils ne sont pas secrets et se déroulent parfois dans des lieux publics. Cela correspond à la dynamique d’une organisation dont les élections internes sont robustes et concurrentielles.


Ismail Haniyeh assiste aux funérailles du prisonnier libéré Majdi Hammad dans le nord de la bande de Gaza, le 19 mars 2014. Majdi, le frère du ministre palestinien de l’intérieur de la bande de Gaza, Fathi Hammad, était l’un des prisonniers libérés dans le cadre de l’accord d’échange de prisonniers Gilad Shalit entre le Hamas et Israël. Photo : Mohammed Asad/APA Images

Les informations attribuées à des « sources anonymes proches du Hamas » sur les désaccords internes au sein du Hamas ou sur la restructuration du mouvement par Sinwar sont très peu étayées. Il est possible que les opérations du mouvement changent en raison de la guerre en cours et que ses institutions se transforment en conséquence. Toutefois, tant que des preuves tangibles ne seront pas disponibles, les analystes seraient bien avisés de fonder leurs réflexions sur les nombreux écrits, discours et interviews qui mettent en lumière des aspects inutilement mystifiés du Hamas et de ses dirigeants. Il n’existe aucune preuve crédible suggérant que Sinwar ait totalement remanié la structure du mouvement et centralisé le pouvoir autour de sa personne. Cependant, de nombreux éléments montrent que Sinwar n’est pas seulement un produit du mouvement, mais quelqu’un qui a passé des décennies à le construire et qu’il est peu probable qu’il ait négligé les personnes avec lesquelles il a grandi politiquement et les processus qu’il a contribué à mettre en place.

Un jour, après la fin de cette guerre génocidaire, il est possible que de nouveaux détails apparaissent qui modifieront la compréhension du Hamas et contrediront les hypothèses qui circulent actuellement. Dans ce cas, il sera judicieux de replacer les nouveaux éléments dans leur contexte historique et d’exiger des « experts » qui n’ont pas fait leur boulot qu’ils respectent des normes plus strictes.

 

07/08/2024

THE PALESTINE CHRONICLE
Yahya Sinwar élu nouveau chef du Hamas : qui est-il et qu'est-ce que cela signifie ?

 The Palestine Chronicle, 6/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala  

 

Yahya Sinwar (3ème à partir de la droite, avec les 2 enfants, entre Mahmoud al-Zahar et Mustafa Barghouti) participe à un rassemblement organisé par le Hamas à Gaza le samedi 1er octobre 2022 pour souligner la centralité de Jérusalem et de la mosquée Al-Aqsa. Photo : The Palestine Chronicle

 

Dans un communiqué publié mardi 6 août, le mouvement de résistance palestinien Hamas a annoncé que Yahya Sinwar était le nouveau chef de son bureau politique, suite à l'assassinat d’ Ismail Haniyeh.

 

Haniyeh a été assassiné à Téhéran le 31 juillet, laissant au Hamas la décision et le défi de choisir un nouveau dirigeant.

 

La direction du Hamas est divisée entre trois commandements, l'un dirigé par Saleh al-Arouri en Cisjordanie, l'autre par Yahya Sinwar à Gaza et Khaled Meshaal à l'étranger.

 

Haniyeh était le chef général.

 

Israël a assassiné Arouri en janvier et Haniyeh il y a quelques jours.

 

Après plusieurs jours de délibérations, le conseil palestinien de la choura (délibération) a élu Sinwar comme nouveau secrétaire général. 

 

 

Qui est Sinwar ?

 

Robert Inlakesh, journaliste au Palestine Chronicle, a récemment écrit :

 

Sinwar est né le 29 octobre 1962 dans le camp de réfugiés de Khan Younès.

 

En 1948, ses parents ont été victimes d'un nettoyage ethnique à Majdal-Askalan, aujourd'hui occupé par des colons israéliens et rebaptisé Ashkelon.

 

Marqué par son expérience de personne déplacée ayant grandi sous l'occupation militaire de la bande de Gaza - qui a démarré en 1967 - son père a déclaré que « la vie de Yahya a été pleine de souffrance en raison de l'agression sioniste. Depuis son enfance, il était déterminé à résister à l'occupation ».

 

Très performant à l'école, il a poursuivi ses études à l'université islamique de Gaza, où il a participé à la création du Bloc islamique et a occupé plusieurs postes au sein du conseil étudiant de l'université.

 

En 1982, Sinwar et d'autres membres du conseil étudiant se sont rendus à Jénine pour rendre visite à des femmes palestiniennes qui auraient été victimes d'une tentative d'empoisonnement par les Israéliens.

 

C'est à la suite de cette visite qu'il a été arrêté et placé en détention administrative (sans inculpation ni jugement) pendant six mois, sous l'accusation d'avoir participé à des activités islamistes subversives.

 

Pendant sa détention, Sinwar s'est lié d'amitié avec d'autres militants, tels que Saleh Shehade, qui allait diriger la branche armée du Hamas jusqu'à son assassinat en 2002.

 

Sinwar était responsable de la mise en place d'un réseau de sécurité, connu sous le nom de Majd.

 

Le Majd opérait en secret tandis que l'organisation des Frères musulmans qui a précédé le Hamas, la Mujamma Islamiyya, est restée un groupe non combattant jusqu'à la création du Hamas à la fin de l'année 1987.

 

En 1988, Sinwar a été arrêté et aurait été lourdement torturé pendant six semaines après la découverte de cellules armées appartenant au Majd.

 

En 1989, le Hamas a mené sa première attaque armée importante, tuant deux soldats israéliens. Sinwar a été reconnu coupable d'avoir commandité l'attaque et condamné à 426 ans d'emprisonnement.

 

En tant que dirigeant du Hamas le plus en vue libéré dans le cadre d'un échange de prisonniers en 2011 [après 22 ans en prison, NdT], Sinwar est retourné à Gaza et a finalement été élu à la tête du Hamas dans la bande de Gaza, succédant ainsi à Ismail Haniyeh.

 

En 2017, le Hamas a procédé à un changement d'image et à une mise à jour de ses statuts, qui indiquaient que le Mouvement de résistance islamique serait ouvert à l'acceptation d'une solution à deux États.

 

La même année, Sinwar a joué un rôle majeur dans la tentative de rétablir les liens entre l'Autorité palestinienne (AP), dirigée par le parti Fatah, et le Hamas, mais en vain.

 

En 2018, sous la direction de Yahya Sinwar, le Hamas a adopté une plateforme politique de résistance non violente afin de s'ouvrir à des négociations diplomatiques susceptibles de mettre fin au siège de Gaza.

 

La direction du Hamas a soutenu le mouvement de protestation non violent de masse, connu sous le nom de “Grande marche du retour”, qui a débuté le 30 mars 2018.

 

Toutefois, à la suite de la décision des USA de reconnaître unilatéralement Jérusalem comme capitale d'Israël et de l'assassinat de centaines de manifestants non armés par des soldats israéliens, le Hamas a de nouveau changé d'approche.

 

En mai 2021, le Hamas a lancé la bataille de Saif al-Quds, soutenue par plusieurs autres groupes armés à l'intérieur de la bande de Gaza.

 

Depuis lors, les discours et les apparitions publiques de Yahya Sinwar ont fait de lui un leader très populaire dans le monde arabe.

 

Ce que cela signifie

 

The Palestine Chronicle estime que l'élection de Sinwar est porteuse d'une signification et d'un symbolisme profonds :

 

1°, cela signifie que le Hamas, dans toutes ses branches, reste uni. 

 

2°, le Hamas considère que la Résistance à Gaza reste forte, unie, organisée et capable de mener une longue guerre d'usure contre l'occupation israélienne.

 

3°, les rapports de presse, dont certains sont diffusés par les principaux médias usaméricains, selon lesquels il existe un conflit entre les “modérés” et les “durs” du Hamas ne sont pas vrais.

 

4°, le Hamas continue de soutenir la stratégie de résistance de Sinwar après plus de 300 jours de guerre.

 

5°, le Hamas sort encore plus fort et plus uni après l'assassinat de son chef, Haniyeh.

 

6°, le Hamas, malgré la guerre et les assassinats, est un mouvement institutionnel et les décisions sont prises par le biais d'un processus démocratique, qui reste en vigueur malgré la guerre et le génocide israéliens en cours à Gaza.

 

Autres articles sur Yahya Sinwar

06/08/2024

JEREMY SCAHILL
“Quelque chose est venu de l’extérieur” : Khaled Qaddoumi, témoin oculaire des suites immédiates de l’assassinat d’Ismail Haniyeh

L’Iran et le Hamas contestent la version du New York Times d’une bombe placée à l’avance

 Jeremy Scahill, Drop Site News, 3/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Guide suprême Ali Khamenei assiste à la prière funéraire pour le chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh. Photo : Bureau de presse du Guide suprême

 « La seule chose qui m’est venue à l’esprit, c’est qu’Israël a tué notre chef », a déclaré Khaled Qaddoumi, représentant du Hamas en Iran, qui dormait dans un appartement situé deux étages en dessous du chef politique du groupe, Ismail Haniyeh, lorsqu’une explosion a secoué l’immeuble. « Que ce soit avec les outils usaméricains ou par l’intermédiaire des USAméricains, ce qui m’est venu directement à l’esprit, c’est que l’ennemi israélien a tué notre dirigeant ».

Aujourd’hui, le Corps des gardiens de la révolution a directement accusé Israël d’avoir assassiné Haniyeh à Téhéran tôt mercredi matin en tirant un « projectile à courte portée avec une ogive d’environ 7 kilogrammes » depuis l’extérieur du complexe d’appartements. Bien que le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) n’ait fourni aucune preuve médico-légale à l’appui de ses allégations, cette déclaration constitue un défi direct à un article publié jeudi dans le New York Times, selon lequel Haniyeh aurait été tué par une bombe placée secrètement dans la résidence il y a plusieurs mois.

D’après ce que Qaddoumi a vu, il semble qu’un projectile ait fait un trou dans le côté du bâtiment, directement sur l’appartement où se trouvait Haniyeh. Dans une interview accordée à Drop Site News, M. Qaddoumi, qui est également membre du bureau des relations politiques du Hamas dans le monde arabe et islamique, a déclaré avoir rencontré M. Haniyeh dans la résidence située dans le nord de Téhéran, à la suite d’un dîner d’État organisé en l’honneur du président iranien nouvellement investi. Qaddoumi n’a pas assisté au dîner, mais attendait le retour d’Haniyeh dans le complexe d’appartements, situé dans une enceinte gérée et gardée par le Corps des gardiens de la révolution islamique. Qaddoumi et d’autres personnes se sont alors réunis avec le chef du Hamas pour discuter de la récente attaque israélienne dans un quartier sud de Beyrouth, qui a coûté la vie à Fouad Shukr, haut commandant du Hezbollah.

Au bout d’une heure environ, « il est parti dans sa chambre au quatrième étage de l’immeuble. Je suis allé chez moi, au deuxième étage », se souvient M. Qaddoumi.

Il s’est endormi et a été réveillé par les secousses de l’immeuble autour de lui. « Vers 1 h 37, j’ai ressenti un choc dans le bâtiment. Cela m’a donné une sensation très étrange ». Il a pensé qu’il s’agissait « peut-être d’un tremblement de terre », mais « avec plus d’ampleur.

« Je suis sorti pour vérifier. J’ai constaté que de la fumée s’échappait de partout. Les toilettes de ma suite étaient détruites, le plafond était détruit. Et puis je suis sorti. Mes amis m’ont raconté ce qui s’était passé. Je me suis alors précipité vers la chambre d’Ismail », raconte-t-il. « Je suis entré dans la [suite] et j’ai trouvé une pièce où les deux murs du côté extérieur du bâtiment avaient été détruits. Le plafond de cette pièce était également détruit. J’ai donc eu l’impression que quelque chose était venu de l’extérieur, [tiré] dans la pièce ».

Qaddoumi dit avoir vu le corps de Haniyeh et, dans une pièce adjacente, son garde du corps, qui a également été tué. Après cela, lui et d’autres responsables palestiniens à Téhéran ont été informés par leurs homologues iraniens. « Au départ, tout le monde, d’après l’évaluation faite sur le terrain, était d’accord pour dire que quelque chose avait attaqué le bâtiment de l’extérieur. Puis, avec le temps et la vérification des processus techniques, [le CGRI] a publié cette déclaration ».

04/08/2024

GIDEON LEVY
Quand la catastrophe nous tombera dessus, rappelez-vous comment nous avons exulté quand Israël a tué un chef du Hamas et battu la Turquie aux Jeux olympiques

Gideon Levy, Haaretz, 3/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala  

C’était la fin d’une semaine joyeuse, comme nous n’en avions pas vu depuis dix mois. Mercredi, nous avons dégommé le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, à Téhéran ; vendredi, nous avons blackboulé Kayra Özdemir aux Jeux olympiques de Paris. Nous avons pulvérisé Haniyeh avec une bombe, la judoka turque a été mise au tapis par ippon en 15 secondes.

Les deux abattages ont plus de points communs qu’il n’y paraît : ils ont tous deux suscité une immense vague de fierté et de joie nationales ; la chaîne de supermarchés Victory a même ouvert une table en l’honneur de la première mise à mort mais les deux actions étaient destinées exactement à cette raison. Les deux n’ont aucune raison d’être, si ce n’est l’honneur, la satisfaction, le plaisir et la fierté nationale. Il est agréable et réconfortant de savoir que nous avons dégommé un Hamasnik et une athlète turque.

Les politiciens sionistes ont rivalisé entre eux pour savoir qui se réjouirait le plus de ces deux actes : le leader de Yesh Atid, Yair Lapid, et le leader du parti travailliste, Yair Golan, ont été enthousiasmés par les deux. Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a fait le lien : « Cette victoire est ce que [le judoka] Peter Paltchik a fait ce soir contre son adversaire suisse et ce que [la judoka] Inbar Lanir a fait à ses adversaires en trois matches. Nous les avons vaincus et soumis ».

Le journaliste Shai Golden a exprimé l’esprit du temps avec encore plus de précision : « Raz Hershko. Guerrière israélienne. Nous avons les meilleures guerrières sur le tapis et sur le champ de bataille. Allez, allez, Israël ! Le peuple d’Israël vit ! » Vivre, à la fois sur le tatami et sur le champ de bataille.

Il est un peu injuste de comparer un sport dans lequel Israël réussit honorablement et légitimement avec les assassinats, dans lesquels Israël réussit de manière déshonorante et illégitime. Mais la comparaison s’impose quand on sait que tant d’Israéliens, probablement la majorité absolue, traitent les deux domaines de la même manière. Les médailles ne se gagnent qu’en sport, mais regardez comment les Israéliens s’attribuent aussi des médailles pour les assassinats.

« En deux assassinats à couper le souffle, Israël a restauré pendant six heures ce qu’il était autrefois : un pays qui peut éclipser les films hollywoodiens », a déclaré Ben Caspit avec une puérilité embarrassante. Ce sont nos meilleures heures, celles où nous tuons des gens, pour ne pas dire assassinons des gens, comme la mafia, comme les régimes louches. Nos plus belles heures sont lorsque la majeure partie du monde nous déteste au plus haut point.

Merci, Mossad, pour ces six belles heures que nous avons connues, comme les heures de judo aux Jeux olympiques, comme les exercices au sol de Simone Biles. Merci aux médias d’avoir blanchi ces assassins et leurs iniquités en leur chantant des chants de gloire. L’assassinat qui a profité à Israël n’est pas encore né.

Au cours des six heures dont a joui Caspit, Israël a tué deux de ses ennemis, l’un un militaire du Hezbollah, l’autre un homme d’État du Hamas. L’association des mots « homme d’État du Hamas » fait grincer les oreilles des Israéliens - ça n’existe pas dans les pages de la propagande - mais Haniyeh était le président du bureau politique du Hamas. Il est peu probable qu’il ait jamais tenu une arme, malgré le blanchiment d’Israël, et il est peu probable qu’il ait su à l’avance qu’il y aurait une attaque le 7 octobre.

Il ne s’agit pas de faire l’éloge de Haniyeh, ni de déplorer sa mort, mais un pays qui assassine l’homme avec lequel il négocie un cessez-le-feu et la libération des otages a franchi la limite de sa légitimité. Un pays qui le fait sur le sol iranien, le lendemain de la prestation de serment de son nouveau président, veut une guerre avec l’Iran. Un pays qui applaudit à cela est un pays stupide : il applaudit à des catastrophes qui risquent de lui retomber littéralement sur la tête.

Une bombe posée à l’avance dans la bonne chambre de la maison d’hôtes des gardiens de la révolution iranienne, voilà qui enflamme l’imagination. Si “Fauda” avait écrit un tel acte, on lui aurait reproché un manque de crédibilité extrême. C’est vraiment bien de savoir que nous sommes capables d’accomplir un tel exploit. Mais, bon sang, à quoi cela a-t-il servi ? Quel est l’avantage ? Nous verrons les dégâts dans les prochains jours. On le constate déjà dans les foyers, les supermarchés et les jardins d’enfants, angoissés par ce qui va suivre. Avant la catastrophe imminente, souvenez-vous de tous les hourras.

 

01/08/2024

Révélations du New York Times : Ismail Haniyeh aurait été tué par une bombe télécommandée placée dans la maison d’hôtes de Téhéran il y a deux mois

Un engin explosif caché dans un complexe lourdement gardé où Ismail Haniyeh était réputé séjourner en Iran est à l’origine de sa mort, selon une enquête du NY Times.

 
Une photo circulant sur Telegram et parmi les officiels iraniens mercredi montre un bâtiment endommagé dans le nord de Téhéran.

 Ronen Bergman, Mark Mazzetti et  Farnaz Fassihi, The New York Times, 1/8/2024

 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Ismail Haniyeh, l’un des principaux dirigeants du Hamas, a été assassiné mercredi par un engin explosif introduit clandestinement dans la maison d’hôtes de Téhéran où il séjournait, selon sept responsables du Moyen-Orient [manière élégante de dire « israéliens », NdT], dont deux Iraniens, et un responsable usaméricain.

La bombe avait été dissimulée il y a environ deux mois dans la maison d’hôtes, selon cinq des responsables du Moyen-Orient. La maison d’hôtes est gérée et protégée par le Corps des gardiens de la révolution islamique et fait partie d’un grand complexe, connu sous le nom de Neshat, dans un quartier huppé du nord de Téhéran.

M. Haniyeh se trouvait dans la capitale iranienne pour assister à l’investiture présidentielle. La bombe a été déclenchée à distance, selon les cinq responsables, une fois qu’il a été confirmé que M. Haniyeh se trouvait dans sa chambre à la maison d’hôtes. L’explosion a également tué un garde du corps.

L’explosion a secoué le bâtiment, brisé quelques fenêtres et provoqué l’effondrement partiel d’un mur extérieur, selon les deux responsables iraniens, membres des gardiens de la révolution informés de l’incident. Ces dégâts sont également visibles sur une photographie du bâtiment communiquée au New York Times.

M. Haniyeh, qui a dirigé le bureau politique du Hamas au Qatar, avait séjourné dans la maison d’hôtes à plusieurs reprises lors de ses visites à Téhéran, selon les responsables du Moyen-Orient. Tous ces responsables ont parlé sous le couvert de l’anonymat afin de ne pas divulguer de détails sensibles sur l’assassinat.

Des personnes en deuil se sont rassemblées à Téhéran jeudi pour les funérailles du chef du Hamas, Ismail Haniyeh. L’Iran a déclaré qu’Israël était derrière son assassinat. Photo Arash Khamooshi pour le New York Times

Des responsables iraniens et le Hamas ont déclaré mercredi qu’Israël était responsable de l’assassinat, un avis partagé par plusieurs responsables usaméricains ayant requis l’anonymat. Cet assassinat risque de déclencher une nouvelle vague de violence au Moyen-Orient et de compromettre les négociations en cours pour mettre fin à la guerre à Gaza. M. Haniyeh avait été l’un des principaux négociateurs des pourparlers sur le cessez-le-feu.

Israël n’a pas reconnu publiquement sa responsabilité dans l’assassinat, mais les services de renseignement israéliens ont informé les USA et d’autres gouvernements occidentaux des détails de l’opération dans les jours qui ont suivi, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.

Mercredi, le secrétaire d’État Antony J. Blinken a déclaré que les USA n’avaient pas été informés à l’avance du projet d’assassinat.

Dans les heures qui ont suivi l’assassinat, les spéculations se sont immédiatement concentrées sur la possibilité qu’Israël ait tué M. Haniyeh à l’aide d’un missile, peut-être tiré à partir d’un drone ou d’un avion, de la même manière qu’Israël avait lancé un missile sur une base militaire à Ispahan en avril dernier.

Cette théorie du missile a soulevé des questions sur la manière dont Israël aurait pu échapper à nouveau aux systèmes de défense aérienne iraniens pour exécuter une frappe aérienne aussi effrontée dans la capitale.

Il s’avère que les assassins ont pu exploiter un autre type de faille dans les défenses iraniennes : une faille dans la sécurité d’un complexe supposé étroitement gardé, qui a permis de poser une bombe et de la dissimuler pendant de nombreuses semaines avant qu’elle ne soit finalement déclenchée.

Un panneau d’affichage à Téhéran en avril représentant des missiles. Photo Arash Khamooshi pour The New York Times

Trois responsables iraniens ont déclaré qu’une telle violation constituait un échec catastrophique en matière de renseignement et de sécurité pour l’Iran et un énorme embarras pour les Gardiens, qui utilisent le complexe pour des retraites, des réunions secrètes et l’hébergement d’invités de marque tels que M. Haniyeh.

La manière dont la bombe a été dissimulée dans la maison d’hôtes n’a pas été élucidée. Les responsables du Moyen-Orient ont déclaré que la préparation de l’assassinat avait pris des mois et avait nécessité une surveillance approfondie du complexe. Les deux responsables iraniens qui ont décrit la nature de l’assassinat ont déclaré qu’ils ne savaient pas comment ni quand les explosifs avaient été placés dans la chambre.

Israël a décidé de procéder à l’assassinat en dehors du Qatar, où vivent M. Haniyeh et d’autres hauts responsables politiques du Hamas. Le gouvernement qatari joue le rôle de médiateur dans les négociations entre Israël et le Hamas en vue d’un cessez-le-feu à Gaza.

L’explosion meurtrière survenue tôt mercredi a brisé des fenêtres et fait s’effondrer une partie du mur de l’enceinte, comme l’ont montré des photographies et comme l’ont indiqué les responsables iraniens. Des dégâts minimes au-delà du bâtiment lui-même, comme l’aurait probablement fait un missile, n’ont été que minimes.

Vers 2 heures du matin, heure locale, l’engin a explosé, selon les responsables du Moyen-Orient et les sources iraniennes. Les membres du personnel de l’immeuble, surpris, ont couru à la recherche de la source de l’énorme bruit, ce qui les a conduits à la chambre où M. Haniyeh se trouvait avec un garde du corps.

Une image satellite prise le 25 juillet ne montre pas de dégâts visibles ni de bâche verte sur le bâtiment, ce qui suggère que l’image avec les dégâts visibles a été prise plus récemment. Photo Maxar Technologies

Le complexe dispose d’une équipe médicale qui s’est précipitée dans la pièce immédiatement après l’explosion. L’équipe a déclaré que M. Haniyeh était mort immédiatement. L’équipe a tenté de ranimer le garde du corps, mais il était lui aussi mort.

Le chef du Jihad islamique palestinien, Ziyad al-Nakhalah, se trouvait dans la chambre voisine, ont déclaré deux des responsables iraniens. Sa chambre n’a pas été gravement endommagée, ce qui laisse supposer que M. Haniyeh a fait l’objet d’un ciblage précis.

Khalil al-Hayya, le commandant adjoint du Hamas dans la bande de Gaza, qui se trouvait également à Téhéran, est arrivé sur les lieux et a vu le corps de son collègue, selon les cinq responsables du Moyen-Orient.