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Sergio Rodríguez Gelfenstein
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14/04/2023

GIDEON LEVY
Qu'est-ce qui attend Israël après les protestations ? Le gantzisme
On prend les mêmes et on recommence

Gideon Levy, Haaretz, 13/4/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À la fin de la grande protestation, Benny Gantz sera élu Premier ministre et on parlera à juste titre d'un succès grandiose, fatidique, peut-être même historique - le coup d'État judiciaire sera contrecarré et Benjamin Netanyahou et la droite seront vaincus.

Le chef du Parti de l'unité nationale, Benny Gantz, lors de la manifestation anti-Netanyahou à Jérusalem, samedi dernier. Photo : Ohad Zwigenberg

En effet, la protestation ne doit pas être prise à la légère. Les signes de son succès se sont déjà reflétés dans les sondages, comme celui, spectaculaire, de Canal 13. La chute du Likoud à 20 sièges à la Knesset [32 actuellement, NdT] dans les sondages pourrait annoncer la fin de son règne : l'ascension météorique de Gantz pourrait signifier que son étoile est montée au firmament. Des mois de protestations civiles efficaces prendront fin avec un Benny Gantz Premier ministre. Il n'y a pas de plus grand succès à l'horizon.

La majorité absolue des manifestants serait très heureuse de ce résultat. Gantz n'est peut-être pas exactement celui qu'ils voulaient, mais il est certainement exactement ce qu'ils voulaient.

Gantz, c'est la réconciliation, le retour à un Israël "normal", "sain", "représentatif", celui qui avait "sombré", qui avait été si beau et si agréable. Gantz, c'est le retour à la paix et à la tranquillité que les bons Israéliens avaient tant souhaitées ces dernières années, les années sous le pilonnage incessant du compresseur.

Gantz, c'est la fin de Netanyahou, et que peuvent désirer de plus les manifestants. La grande malédiction aura été levée et Israël redeviendra ce qu'il était.

Mais une protestation qui se termine par un retour à la routine est une protestation terriblement malavisée, une petite manifestation de petit épicier. Une protestatio, qui se termine uniquement par le rétablissement de l'ordre antérieur ne peut que laisser un goût amer et de la frustration. Gantz rétablira l'ordre, mais cet ordre, pour commencer, était un ordre pourri et malade.

Gantz mettra en place un gouvernement central, avec ceux-ci et ceux-là, les choses reprendront leur cours, Tsahal redeviendra une "valeur" dans le code moral de l'État. Israël redeviendra représentatif, respectable, comme tous les manifestants l'avaient tant souhaité.

Itamar Ben Gvir recommencera à détruire les étals des vendeurs à Hébron, Bezalel Smotrich continuera à se languir d'une seconde Nakba et le mauvais vieil Israël sera de retour.

Il y avait une aberration sous la forme d'un gouvernement d'extrême droite, il a été écarté grâce à la protestation, le désastre a été évité et maintenant tout va être si beau.

Gantz sera le héros du camp de la paix, Yair Lapid le héros de la démocratie, la Cour suprême le phare de la justice et bien sûr, Avigdor Lieberman, ne l'oublions pas, le héros des lumières.

Une image a démontré tout cela plus que mille mots. La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a assisté à un concert du Gevatron marquant le 75e anniversaire du chœur, et le public s'est levé pour applaudir l'héroïne de sa classe sociale.

Que manque-t-il à ce moment ? Le lieu est l'auditorium Mann, le spectacle est la Mer des gerbes et le public est approprié. On ne peut imaginer un mélange plus représentatif du camp de ceux qui aspirent à un retour à la normale, qui est le cœur du camp protestataire.

La présidente de la Cour suprême y est reçue comme une rock star comme elle n'en a jamais rêvé, pas même dans ses jeunes années en tant qu'Esti Avni de la Fanfare du Commandement central (de l’armée). Si elle s'était présentée contre Gantz, elle l'aurait peut-être même battu.

La soif de "normalité", réelle ou imaginée, est désormais le mot d'ordre. Même un président de cour plutôt terne, à la tête d'une institution sans un seul vrai juge libéral ou de gauche, est aujourd'hui le désir le plus cher des personnes en quête de normalité.

Et quelle est cette normalité à laquelle tout le monde aspire aujourd'hui ? Une plaie ethnique profonde et saignante qui s'est encore élargie.

Un militarisme profondément ancré dans la société, dont la profondeur n'a fait que croître avec les manifestations.

Une société dont l'exclusion des Arabes n'a été qu'accentuée par la protestation.

Un État dont le budget de défense est démesuré, au détriment de tout le reste.

L'État le plus religieux du monde occidental, qui ne connaît pas la séparation entre l'État et la religion.

Une Cour suprême qui est la plus grande légitimatrice de l'occupation.

Un projet de colonisation - mis en place par la gauche et le centre et développé par la droite - qui n'est rien d'autre qu'un grand crime de guerre permanent.

Des dizaines de milliers de demandeurs d'asile qu'Israël maltraite de façon scandaleuse, et de plus en plus de fléaux et de maladies que le gantzisme ne songe même pas à soigner.

C'est de cela que nous rêvons. C'est à cela que nous voulons revenir.

Esther Hayut aujourd'hui...

 

...et quand elle chantait comme Esti Avni dans la Fanfare du Commandement central (au centre)



08/12/2022

GIDEON LEVY
Che Lapid et Benny Guevara

Gideon Levy, Haaretz, 8/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Un Israël, complaisant, rassasié, vantard et satisfait de lui-même, appelle à descendre dans la rue. Les places de la ville tremblent d'impatience, les rues s'embellissent : La grande manifestation est en route. Benny Gantz menace de « faire trembler le pays », comme il a un jour menacé le Liban, Yair Lapid menace Benjamin Netanyahou : « Vous n'avez encore rien vu, nous ne faisons que commencer » (Haaretz, 5 décembre). Si c'est ainsi que Lapid commence, la fin est claire : Ho, Che Lapid et Benny Guevara.

Benny Gantz et Yair Lapid à la Knesset, 2019. Photo : RONEN ZVULUN / REUTERS

C'est bien que la société civile s'éveille à l'action. Il est clair qu'il n'y a rien de plus légitime. Même les accusations de la droite selon lesquelles une rébellion est en train de s'organiser sont un non-sens : organiser une rébellion civique est permis, parfois même obligatoire. C'est ainsi que cela se passe dans une démocratie, et dans une dictature aussi : les gens essaient de se rebeller contre ce qui est inacceptable et exaspérant. Un appel aux chefs des autorités locales pour qu'ils ne coopèrent pas avec le gouvernement central est exactement ce qu'il faut faire quand on a le sentiment que le pays est mené vers le bord d'un abîme.

Il n'y a qu'un seul petit problème avec cet esprit combatif qui s'est emparé du camp qui a perdu les élections : comme toujours, il choisit les sujets de la contestation uniquement dans ses zones de confort. Il n'y a jamais de sujets controversés au sein même du camp, et ils ne nécessitent jamais de courage. Avi Maoz en est un excellent exemple. Qui est en faveur de Maoz ? De tous les problèmes qui nous attendent, le camp a choisi le vice-ministre désigné comme sa prochaine poupée vaudou. Bien sûr, c'est un béotien, un fondamentaliste et un raciste, mais est-il la plus grande menace du nouveau gouvernement ?

En Israël, la protestation est une denrée rare, et lorsqu'elle éclate, elle se concentre toujours sur les problèmes qui menacent personnellement les manifestants - le prix du fromage blanc ou des appartements - jamais sur les menaces qui pèsent sur les autres, sur ceux qui sont plus faibles qu'eux.

Les  douces âmes de nos enfants qui étudient dans un système scolaire libéral et de grande qualité seront lésées par le transfert du département de l'enseignement et des partenariats externes à Maoz. Mais le système scolaire aurait dû faire descendre les gens dans la rue bien avant Maoz : c’est un système qui crée des niveaux intolérables d'ignorance. Récemment encore, Israël a été classé à la 74e place dans une enquête mondiale sur les compétences en anglais - bien plus bas que l'Albanie, l'Iran, le Vietnam et le Liban. Quelle honte. Mais c’est Maoz le problème.

On a plus qu'assez écrit sur l'ultranationalisme et le lavage de cerveau dans le système scolaire, et personne n'est descendu dans la rue à cause d'eux. Maintenant, Maoz va tout détruire. Les protestations du camp portent toujours sur ce qu'il n'a pas créé, même si ses années au pouvoir ont donné lieu à tant de problèmes dignes de protestation.

Bezalel Smotrich sera à la tête de l'administration civile - la fin du monde. Une administration civile éclairée et libérale deviendra maintenant myope et raciste. Quelle blague. Il aurait dû y avoir une rébellion contre l'Administration civile d'avant Smotrich, une administration d'occupation brutale et oppressive, qui aurait dû être boycottée.

Mais maintenant ils arrivent parce que le racisme s'appelle Smotrich. Quand il s'appelait Gantz, tout allait bien. Depuis 20 ans, un sous-chef israélien dans un restaurant branché de Tel Aviv ne peut pas rencontrer sa mère, qui vit à une heure et demie de route de chez lui, uniquement parce qu'elle vit à Gaza - bien avant Smotrich - et personne n'a protesté.

Une véritable protestation vient de la base, et se caractérise par la colère ; elle ne naît pas dans les bureaux des politiciens. La frustration de Lapid et Gantz face à leur défaite aux élections n'est pas une raison suffisante pour lancer une protestation. Le pays ne tremblera pas parce qu'une majorité de la nation voulait Netanyahou, et ceux qui ne le voulaient pas sont trop gâtés et rassasiés pour être furieux.

Le pays ne tremblera pas parce qu'il aurait dû trembler il y a longtemps, depuis qu'il a établi son régime d'apartheid. Il n'a jamais tremblé parce que ce régime n'a pas eu le moindre effet sur un Israélien imbu de lui-même, à qui l'on a dit à l'école qu'il vivait dans la seule démocratie du Moyen-Orient, et qui le croit encore aujourd'hui. Si nous ne nous révoltons pas contre ces choses, nous ferions bien de ne pas nous révolter contre Maoz, même s'il est homophobe - pour des raisons d'hypocrisie.

 

 

25/08/2022

GIDEON LEVY
Les détentions sans jugement de Palestiniens prouvent que Lapid et Gantz menacent aussi la démocratie

Gideon Levy, Haaretz, 24/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il y a 723 raisons de ne pas soutenir l’actuel gouvernement israélien, et six autres en bonus. Les 723 personnes qui sont en prison sans jugement sont une raison suffisante pour comprendre qu'il n'y a pas de réelle différence entre le gouvernement actuel et son prédécesseur. L’interdiction et fermeture de six groupes de défense des droits humains en Cisjordanie fournit six raisons supplémentaires à quiconque insiste sur le fait que notre “gouvernement de changement” et d'espoir diffère de son prédécesseur.

Des manifestant·es palestinien·nes demandent la libération du détenu administratif Maher Akhras, dans le centre-ville d'Hébron en Cisjordanie occupée, le 14 octobre 2020.Photo : AFP

Maintenant, 729 éléments de preuve montrent qu'aucune amélioration significative n'est visible sur les questions fondamentales sous le gouvernement de centre-gauche. Nous pourrions même aller plus loin et conclure, au moins en ce qui concerne les détentions administratives scandaleuses - des détentions sans jugement - que Benjamin Netanyahou était préférable. Pendant 14 ans, dont la quasi-totalité sous son gouvernement, le nombre de détenus administratifs n'a jamais atteint ces proportions monstrueuses - et puis le gouvernement de centre-gauche est arrivé.

L'incarcération massive sans procès et la fermeture des groupes de défense des droits humains constituent un bon test décisif pour le caractère réel d'un gouvernement et de ses valeurs. « Cette loi est une loi nazie. Elle est tyrannique. Elle est immorale - et une loi immorale est une loi illégale », a déclaré Menahem Begin à propos des règlements d'urgence autorisant la détention administrative. Begin s'exprimait en mai 1951 à la Knesset après que des membres de Brit Hakanaim [Pacte des zélotes, qui voulait faire de la Halakha, la loi juive, celle de l’État, NdT], un groupe clandestin ultra-orthodoxe radical, avaient été placés en détention administrative.

Mais ses paroles s'appliquent aujourd'hui aux détenus palestiniens retenus sans procès, même si aucune personne de gauche n'oserait les qualifier de lois nazies comme l'a fait Begin. Seule la droite peut le faire.