Gideon Levy, Haaretz, 8/12/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Un Israël, complaisant, rassasié, vantard et satisfait de
lui-même, appelle à descendre dans la rue. Les places de la ville tremblent
d'impatience, les rues s'embellissent : La grande manifestation est en route.
Benny Gantz menace de « faire trembler le pays », comme il a un jour
menacé le Liban, Yair Lapid menace Benjamin Netanyahou : « Vous n'avez
encore rien vu, nous ne faisons que commencer » (Haaretz, 5 décembre). Si
c'est ainsi que Lapid commence, la fin est claire : Ho, Che Lapid et Benny
Guevara.
Benny Gantz et Yair Lapid à la Knesset, 2019. Photo
: RONEN ZVULUN / REUTERS
C'est bien que la société civile s'éveille à l'action. Il est
clair qu'il n'y a rien de plus légitime. Même les accusations de la droite
selon lesquelles une rébellion est en train de s'organiser sont un non-sens :
organiser une rébellion civique est permis, parfois même obligatoire. C'est
ainsi que cela se passe dans une démocratie, et dans une dictature aussi : les
gens essaient de se rebeller contre ce qui est inacceptable et exaspérant. Un
appel aux chefs des autorités locales pour qu'ils ne coopèrent pas avec le
gouvernement central est exactement ce qu'il faut faire quand on a le sentiment
que le pays est mené vers le bord d'un abîme.
Il n'y a qu'un seul petit problème avec cet esprit combatif
qui s'est emparé du camp qui a perdu les élections : comme toujours, il choisit
les sujets de la contestation uniquement dans ses zones de confort. Il n'y a
jamais de sujets controversés au sein même du camp, et ils ne nécessitent jamais
de courage. Avi Maoz en est un excellent exemple. Qui est en faveur de Maoz ?
De tous les problèmes qui nous attendent, le camp a choisi le vice-ministre
désigné comme sa prochaine poupée vaudou. Bien sûr, c'est un béotien, un
fondamentaliste et un raciste, mais est-il la plus grande menace du nouveau
gouvernement ?
En Israël, la protestation est une denrée rare, et
lorsqu'elle éclate, elle se concentre toujours sur les problèmes qui menacent
personnellement les manifestants - le prix du fromage blanc ou des appartements
- jamais sur les menaces qui pèsent sur les autres, sur ceux qui sont plus
faibles qu'eux.
Les douces âmes de nos
enfants qui étudient dans un système scolaire libéral et de grande qualité
seront lésées par le transfert du département de l'enseignement et des
partenariats externes à Maoz. Mais le système scolaire aurait dû faire
descendre les gens dans la rue bien avant Maoz : c’est un système qui crée des
niveaux intolérables d'ignorance. Récemment encore, Israël a été classé à la 74e
place dans une enquête mondiale sur les compétences en anglais - bien plus bas
que l'Albanie, l'Iran, le Vietnam et le Liban. Quelle honte. Mais c’est Maoz le
problème.
On a plus qu'assez écrit sur l'ultranationalisme et le lavage
de cerveau dans le système scolaire, et personne n'est descendu dans la rue à
cause d'eux. Maintenant, Maoz va tout détruire. Les protestations du camp
portent toujours sur ce qu'il n'a pas créé, même si ses années au pouvoir ont
donné lieu à tant de problèmes dignes de protestation.
Bezalel Smotrich sera à la tête de l'administration civile -
la fin du monde. Une administration civile éclairée et libérale deviendra
maintenant myope et raciste. Quelle blague. Il aurait dû y avoir une rébellion
contre l'Administration civile d'avant Smotrich, une administration
d'occupation brutale et oppressive, qui aurait dû être boycottée.
Mais maintenant ils arrivent parce que le racisme s'appelle
Smotrich. Quand il s'appelait Gantz, tout allait bien. Depuis 20 ans, un
sous-chef israélien dans un restaurant branché de Tel Aviv ne peut pas
rencontrer sa mère, qui vit à une heure et demie de route de chez lui,
uniquement parce qu'elle vit à Gaza - bien avant Smotrich - et personne n'a
protesté.
Une véritable protestation vient de la base, et se caractérise
par la colère ; elle ne naît pas dans les bureaux des politiciens. La
frustration de Lapid et Gantz face à leur défaite aux élections n'est pas une
raison suffisante pour lancer une protestation. Le pays ne tremblera pas parce
qu'une majorité de la nation voulait Netanyahou, et ceux qui ne le voulaient
pas sont trop gâtés et rassasiés pour être furieux.
Le pays ne tremblera pas parce qu'il aurait dû trembler il y
a longtemps, depuis qu'il a établi son régime d'apartheid. Il n'a jamais
tremblé parce que ce régime n'a pas eu le moindre effet sur un Israélien imbu
de lui-même, à qui l'on a dit à l'école qu'il vivait dans la seule démocratie
du Moyen-Orient, et qui le croit encore aujourd'hui. Si nous ne nous révoltons
pas contre ces choses, nous ferions bien de ne pas nous révolter contre Maoz,
même s'il est homophobe - pour des raisons d'hypocrisie.
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