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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

25/12/2022

ANNAMARIA RIVERA
Pouvons-nous nous dire de gauche?

Annamaria Rivera, Comune-Info, 21/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Si, au milieu des années 1970, on m’avait posé la question « Quelle identité politique pour le mouvement féministe ? », j’aurais été étonnée. Je vais essayer d’expliquer brièvement pourquoi. Ce que l’on appelle la « deuxième vague » du féminisme s’est répandue en Italie à partir de 1968 et surtout dans les années 70, lorsque l’on a commencé à s’intéresser, entre autres, à des thèmes plutôt nouveaux, comme par exemple tout ce qui concerne le corps et la sexualité. En substance, on aspire à une société qui souligne de manière dialectique les particularités des femmes, mais qui garantit en même temps l’égalité des droits.

« Meloni, va-t-en » : manifestation de Non Una Di Meno, Rome, 26 novembre 2022

La renaissance du féminisme sous la forme d’un mouvement de masse (en gros entre 1975 et 1976) a été favorisée par le fait que beaucoup d’entre nous venaient de l’expérience de 1968 et du militantisme dans les groupes de la Nouvelle Gauche. Cependant, cette dernière n’a pas toujours réussi à échapper à l’idéologie et au dogmatisme, sans compter que certaines femmes (certainement pas moi et les autres membres du collectif “Donne in lotta”) ont été reléguées au rôle d’“anges de la ronéo”, comme on disait sarcastiquement à l’époque. Ce n’est pas par hasard que l’un des slogans féministes les plus criés deviendra : « Camarades dans la lutte, fascistes dans la vie/ cette ambiguïté, mettons-y fin ».

Néanmoins, pour donner l’exemple des Pouilles, où j’ai vécu, au milieu des années 70, des collectifs féministes ont vu le jour dans tous les chefs-lieux et dans de nombreuses municipalités, même petites (à Bari, nous avons fondé le collectif “Femmes en lutte” mentionné plus haut), qui formeront plus tard une coordination régionale.

À l’exception du groupe politique régional dans lequel je militais et de quelques autres, les questions féministes ont d’abord été peu acceptées par la gauche historique et même par une partie de la nouvelle gauche. L’une des raisons théorico-politiques était le fait que la lecture du marxisme dans une clé tendanciellement économiste conduisait à considérer le thème de la libération des femmes comme non pertinent ou secondaire. Mais il y avait des motifs bien plus abjects : ceux qui ont poussé la partie masculine de certains groupes “extra-parlementaires” à mobiliser même leurs services d’ordre contre certaines manifestations féministes.

Plus tard, notre coordination fera partie d’un réseau national de collectifs similaires. Ce qui l’a distinguée, c’est la rupture avec l’émancipationnisme et la prise de distance avec la “pensée de la différence”, mais aussi l’aspiration à articuler dialectiquement le féminisme avec le marxisme. Et ce, à l’instar des féministes matérialistes, telles que les sociologues françaises Colette Guillaumin et Christine Delphy, ainsi que l’anthropologue italienne Paola Tabet, qui s’inspirent à leur tour de Simone de Beauvoir, laquelle avait opéré une refondation théorique décisive du féminisme, en adoptant une perspective philosophique à la fois matérialiste et existentialiste.

Pour elles, comme pour nous, il était clair que la dimension de la condition de classe ne pouvait être négligée : un facteur fondamental de discrimination et d’inégalité, même de type sexiste et raciste. D’une part, notre réseau de collectifs a pu faire un travail politique systématique même parmi les travailleuses, les vendeuses, etc. En bref, nous pensions que, en tant que féministes, on ne pouvait être que résolument et de manière cohérente de gauche, malgré les défauts de la gauche organisée, y compris d’une partie de ce qu’on appelait alors la nouvelle gauche.

Au cours de ces années, il y a eu une succession de gouvernements dirigés par des chrétiens-démocrates, certains avec le soutien extérieur du PCI. Néanmoins, en 1974, nous avons gagné le référendum sur le divorce, de sorte que la loi Fortuna-Baslini (du 1er décembre 1970, n° 898), qui l’avait institué, est restée en vigueur. En 1975, la réforme du droit de la famille est adoptée, qui établit l’égalité, du moins formellement, entre les époux, mais aussi la loi créant les centres de planning familial. Plus tard, en 1978, nous obtiendrons la loi 194, sur l’interruption volontaire de grossesse.

Et tout cela, c’est aussi grâce à nos luttes et à notre “travail politique” ; grâce au fait que nous étions résolument de gauche et que nous savions choisir les bonnes alliances au bon moment : par exemple, dans le cas du référendum sur le divorce, nous nous sommes rangées du côté du Parti radical et du Parti socialiste, tandis que le PCI était orienté vers des négociations avec la DC.

Il faut dire qu’à cette époque, malgré tout, l’un des mécanismes fondamentaux de la démocratie a fonctionné : le cercle vertueux entre les revendications, les luttes sociales et l’obtention d’une partie au moins de ce qui était revendiqué.  Il faut ajouter que l’un des grands mérites du féminisme des années 70 résidait dans le travail rigoureux et constant de démasquage et de dénonciation du neutre-masculin-universel.

En passant, et à propos d’être résolument et constamment de gauche, il faut dire que, aussi appréciable soit-il, tout ce que j’ai écrit jusqu’à présent n’est pas comparable à l’extraordinaire et courageux soulèvement qui a éclaté en Iran immédiatement après le meurtre de la jeune femme kurde Masha Amini, tuée après avoir été arrêtée par la police parce qu’elle portait mal son foulard. Le soulèvement iranien est une insurrection qui, bien que voulue et dirigée par des femmes, principalement jeunes, a aussi admirablement réussi à impliquer un certain nombre d’activistes masculins. Ces derniers, à leur tour, sont bien conscients que le combat pour les droits des femmes est aussi un combat pour leur propre liberté et donc contre la légitimité politique de la sinistre République islamique, caractérisée, entre autres, par une authentique fureur misogyne. Il s’agit également d’un soulèvement de masse qui, bien qu’il ait coûté jusqu’à présent des centaines de morts, des milliers d’arrestations, des dizaines de condamnations à mort et même d’horribles pendaisons, résiste avec une ténacité et un courage décidément admirables, sous le slogan « Femme, Vie, Liberté ».

Et à propos de l’importance du “travail politique” et des soulèvements de masse : je pense que si aujourd’hui, le liguisme et les autres formations de droite, même extrêmes, sévissent dans les classes subalternes et dans les quartiers populaires, c’est aussi parce que la gauche les a abandonnés. J’ai trouvé des analogies troublantes avec ce que Hannah Arendt a écrit dans Les origines du totalitarisme (1948), en se référant notamment aux années précédant le nazisme. Arendt a parlé d’un processus de dissolution des classes en faveur de la plèbe, qui, en raison principalement, mais pas seulement, de la crise économique, avait été formée par les déclassé·es des couches sociales les plus variées.

À cet égard, même si nous nous limitons au contexte romain, nous pourrions dresser une longue liste d’épisodes graves de racisme et de sexisme, même violents, qui se sont produits au cours des décennies : favorisés, certes, par des politiques de logement, d’urbanisme et, plus généralement, sociales irréfléchies, mais également fomentés avec art par des entrepreneurs politiques du racisme, en particulier par des formations d’extrême droite. Habituellement, ce type de violence raciste est rangé sous la formule, aussi trompeuse qu’abusive (même à gauche), de “guerre entre pauvres”, comme je l’ai écrit à plusieurs reprises.

Ainsi, aujourd’hui, à l’heure du gouvernement le plus à droite de l’histoire de la République, en substance un gouvernement clérical-fasciste, comme on aurait dit autrefois, paradoxalement dirigé par une femme, il serait encore plus important de nous définir de manière cohérente comme étant de gauche, en cherchant à transcender ce qu’est la vraie gauche aujourd’hui, sa quasi-inexistence et ses erreurs, afin de contribuer à sa renaissance et à sa refondation pour lesquelles notre contenu féministe spécifique est fondamental. D’autant plus que nous sommes aujourd’hui au bord du gouffre : le racisme, le sexisme et l’homophobie sont des éléments structurels de la politique et de la propagande du gouvernement actuel. Une propagande bien pensée et bien payée qui est devenue aujourd’hui, comme dans les régimes totalitaires, un instrument de gouvernement et, en même temps, de manipulation des masses tendant à devenir des plébéiens, comme on l’a dit : les deux dimensions deviennent de plus en plus interchangeables, voire coïncident, ainsi que la violation constante du principe démocratique de la séparation des pouvoirs.

Que l’on pense au liguiste Matteo Salvini, actuellement ministre des Infrastructures et des transports, en réalité un autocrate, pourrait-on dire, qui ne fait rien d’autre qu’édicter des règles et des lois purement racistes, qui, renouant avec des traditions néfastes, lance ses proclamations scabreuses depuis les terrasses des lieux institutionnels. En bref, c’est quelqu’un qui a déjà franchi le seuil du tournant autoritaire pour se rapprocher dangereusement du tournant nazi-fasciste.

Il convient de rappeler que ce qui caractérise ce gouvernement, c’est non seulement le racisme le plus explicite, mais aussi l’homophobie et le sexisme. Lorenzo Fontana, actuel président de la Chambre des députés, en est un bon exemple : catholique fondamentaliste, anti-avortement, partisan de la famille “naturelle”, hostile aux droits des personnes lgbtqx, mais aussi des femmes, considérées, par essence, comme des “incubatrices de la Patrie“.

De plus, le racisme-sexisme, parfois soutenu ou toléré par les alliés du gouvernement, est souvent combiné avec l’affichage d’une idéologie cléricale à l’ancienne, aussi instrumentale et fétichiste soit-elle. Il suffit de considérer l’affichage de Salvini, parmi beaucoup d’autres, lors d’un rassemblement à Milan le 18 mai 2019.  Quelques jours auparavant, il s’était montré avec une mitraillette à la main ; à cette occasion, il a exhibé un chapelet depuis la scène, citant les saints patrons de l’Europe et confiant le succès de son parti au “cœur immaculé de Marie”.  Ce genre d’étalage de bondieuseries, destiné à capter le consentement de la plèbe (pour citer à nouveau Hannah Arendt), s’est multiplié.

Pour revenir au féminisme, il faut dire que Non Una di Meno [Pas Une De Moins] en particulier a le grand mérite non seulement d’avoir dépassé le séparatisme (qui caractérisait une partie du féminisme dans les années 70), mais aussi d’avoir intégré la question Lgbtqia+ (et les personnes en chair et en os) et d’avoir su mettre au centre la question et la pratique de l’intersectionnalité entre spécisme, sexisme et racisme. Elle a donc, potentiellement, la capacité d’attirer un nombre significatif de personnes ; et donc de contribuer à la refondation d’une gauche - de base, disons - qui dépasse ses limites traditionnelles : non seulement son économisme, mais aussi son manque d’intérêt pour les droits des personnes Lgbtqia+ et la condition des non-humains. En effet, je crois - comme je l’ai écrit à plusieurs reprises - que le spécisme est à l’origine du sexisme et du racisme. Et que c’était/est la bestialisation des animaux qui est le modèle de la bestialisation de certaines catégories d’humains.

C’est pourquoi je déteste le slogan “Restons humains”, qui est devenu omniprésent même dans les manifestations antiracistes, notamment celles contre les massacres de réfugiés en Méditerranée. En réalité, l’espèce humaine est la seule espèce d’hominidés capable de massacres, de guerres, de génocides, de pogroms et de féminicides de masse délibérés et planifiés.  Je pense que la notion d’assujettissement, proposée par Edgar Morin (1985), est également utile pour rendre compte de l’exploitation et de la continuité entre les dynamiques du spécisme, du sexisme, du racisme, mais aussi du capitalisme.

Il suffit de faire quelques considérations apparemment divergentes : 1. le racisme et la discrimination qui en découle sont parfaitement fonctionnels à l’exploitation de la main-d’œuvre “immigrée”, qui va jusqu’à être réduite à des conditions de quasi-esclavage ou carrément à l’esclavage ; 2. de l’aveu même d’Hitler, les camps d’extermination nazis avaient pour modèle les fermes industrielles et les abattoirs.  

Enfin, en tant qu’anthropologue que je suis, permettez-moi de conclure par une citation savante. Dans son célèbre discours de commémoration de Rousseau, prononcé en 1962, Claude Lévi-Strauss affirmait que c’est par la séparation radicale de l’humanité et de l’animalité que l’homme occidental moderne a inauguré le “cycle maudit” sur lequel s’appuiera plus tard l’exclusion des groupes humains les uns après les autres de la sphère de l’humanité et la construction d’un humanisme réservé à des minorités de plus en plus restreintes.

 

 

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