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26/01/2025

GIDEON LEVY
Kitsch et mensonges pour le retour des 4 “otages”
L'illusion israélienne de la grande “unité nationale”

Gideon Levy, Haaretz , 24/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Non seulement les quatre soldates enlevées sont rentrées chez elles samedi, mais le pays tout entier est revenu à lui-même, à son autoglorification, à son unité trompeuse, à ses fausses célébrations de victoire, à ses sentiments de supériorité, à l’ultranationalisme et à l’incitation à la violence.


La joie personnelle émouvante des membres des familles et des amis, dont le monde s’est effondré au cours de l’année écoulée, s’est transformée en un carnaval national démesuré. Nous nous y étions déjà habitués, mais samedi, nous nous sommes injecté une overdose de kitsch et de mensonges.

Après plus d’une année épouvantable, il est facile de comprendre le besoin d’être heureux, ne serait-ce qu’un instant, voire le besoin de s’enorgueillir et de se féliciter. Mais la célébration de samedi est allée bien au-delà. Comme si la joie naturelle du retour des soldates ne suffisait pas, il a fallu la couvrir de mensonges. Le besoin de propagande et d’incitation, précisément en ce jour de grande joie nationale, atteste du fait que quelque chose de mauvais bouillonne sous le couvert des embrassades, des baisers et des larmes partagés avec Karina, Naama, Daniella et Liri.

On nous a menti samedi. Le mensonge de la victoire totale sur le Hamas a volé en éclats, à la vue d’un Hamas organisé, ordonné et armé, souverain de Gaza, organisant une cérémonie de libération avec une scène et quelques figurants. Si victoire il y a eu samedi, c’est celle d’une organisation qui, après 16 mois de frappes aériennes, de tueries et de destructions, s’est relevée de ses cendres et de ses ruines, toujours debout, vivante et en pleine forme.

On nous a dit que cette organisation était nazie, cruelle, monstrueuse, démoniaque - non seulement dans les discours excités de la rue, mais aussi par les plus grands présentateurs de télévision, la voix d’Israël et ceux qui arrangent la réalité. La réalité, comment dire, était quelque peu en contradiction avec ces déclarations.

La compétition entre les présentateurs de télévision pour savoir qui pouvait le plus vilipender le Hamas dans leurs studios était en contradiction grotesque avec le spectacle réconfortant et relativement encourageant des femmes libérées de leur captivité. Elles se tenaient droites, distribuaient des sourires, tenaient des sacs contenant des souvenirs qui leur avaient été donnés par leurs ravisseurs.

Elles n’avaient pas du tout la même allure que les détenus palestiniens à leur libération, dont certains au moins ont l’air de véritables épaves. On peut supposer qu’à l’avenir, nous assisterons à des scènes plus dures de libération d’otages israéliens, et il est évident qu’il ne faut pas prendre à la légère les souffrances endurées par les soldates libérées, mais ce n’est pas à ça que ressemblent des personnes libérées par des nazis.

Regardez-nous, comme nous sommes beaux, comme nous sanctifions la vie. Nous sommes prêts à payer n’importe quel prix pour libérer nos otages. Cette perception de soi contraste avec la vérité persistante et contrariante selon laquelle la cérémonie de samedi aurait pu avoir lieu il y a huit mois, peut-être dans les jours qui ont suivi le 7 octobre. L’affirmation selon laquelle eux sanctifient la mort et nous la vie est peut-être le plus vil des mensonges.

Après 50 000 morts, pour la plupart d’innocents, causées par les forces de défense israéliennes, , il est inutile de gaspiller des mots sur cette idée. Israël sanctifie à peine la vie de ses propres fils - avec plus de 800 soldats morts au combat, on peut en douter - et ne sanctifie définitivement pas la vie d’un quelconque être humain.

Rien n’est moins cher en Israël que la vie d’un Palestinien, en temps de guerre comme au quotidien. Demandez à Gaza quelle valeur les soldats et les pilotes israéliens attribuent à la vie humaine. Ceux qui ont systématiquement détruit tous les hôpitaux de Gaza, tiré sur les ambulances et tué des centaines de secouristes n’ont pas sanctifié la vie, mais l’ont écrasée.

La solidarité a également été falsifiée ad nauseam samedi. Un ruban jaune sur une voiture n’est pas de la solidarité. Les Israéliens se soucient les uns des autres ? C’est une plaisanterie. Parcourez les autoroutes, faites la queue, considérez la falsification massive des documents d’invalidité. Ce n’est pas de la solidarité ou de l’attention réciproque, c’est le règne des puissants ; c’est chacun pour soi, et aucune parole noble ne peut cacher cette réalité.

Samedi, Israël a célébré le retour de quatre otages. La joie était sincère, émouvante et générale. Mais le maquillage était de mauvaise qualité, les accessoires bon marché et le kitsch rappelait Bollywood. Avec un peu plus de vérité et moins de mensonges, cette célébration aurait pu être beaucoup plus complète.


25/01/2025

GIDEON LEVY
Khalida Jarrar : lorsque cette otage a été libérée cette semaine, (presque) tout le monde en Israël s’en est foutu

Après avoir été détenue cinq fois, dont quatre sans même avoir été jugée, Khalida Jarrar, députée palestinienne chevronnée, a été libérée de sa prison israélienne dans le cadre de la première étape de l’accord sur les otages. Khalida Jarrar a elle aussi été prise en otage ; elle a été arrachée de force à son domicile et emprisonnée sans aucune charge.

Jarrar, après sa libération cette semaine. Photo Alex Levac

Gideon Levy  & Alex Levac, Haaretz , 24/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Deux images postées ensemble sur les réseaux sociaux cette semaine racontent toute l’histoire : L’une concerne la libération de l’ancienne prisonnière Khalida Jarrar, dans la banlieue de Ramallah, tôt lundi matin ; l’autre concerne les trois femmes otages israéliennes qui ont été libérées dans la bande de Gaza la veille au soir.

Face à l’émotion et à la joie émanant de l’image des trois Israéliennes, Romi Gonen, Emily Damari et Doron Steinbrecher, la photo de la Palestinienne libérée est déchirante. Les images affichées d’elle avant sa dernière incarcération de 13 mois racontaient également l’histoire d’une femme qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Certaines connaissances ne la reconnaissaient même pas sur la photo de cette semaine.

La couverture médiatique a également raconté l’histoire : c’était pratiquement un festival de libération pour les otages israéliennes, avec une couverture interminable en direct ici et à l’étranger, des images fixes et vidéo de joie et d’allégresse - comparée à la sombre libération de Jarrar, aux petites heures d’un matin glacial, non loin d’une prison de Cisjordanie, qui n’a suscité pratiquement aucun intérêt de la part des médias locaux et une maigre couverture de la part des médias internationaux.

Mme Jarrar, qui fêtera ses 62 ans le mois prochain, a été libérée après avoir été jetée en prison, en détention administrative, c’est-à-dire sans procès, comme lors de quatre des cinq incarcérations précédentes qu’elle avait subies. Mais quiconque a suivi le sort de cette combattante palestinienne déterminée - la première prisonnière palestinienne, une prisonnière politique à tous égards - qui n’a jamais été condamnée pour avoir perpétré une quelconque violence, n’a pu s’empêcher de remarquer les différences : Jarrar n’avait jamais eu l’air aussi bouleversée après sa libération. Les changements illégaux et inhumains apportés aux conditions de détention des Palestiniens arrêtés ou détenus après le 7 octobre, et sous la direction du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, ont laissé leur marque sur elle, comme sur chaque détenu·e palestinien·ne dans un établissement israélien.

Khalida Jarrar à sa libération après 13 mois de détention dans une prison israélienne. L’ombre d’elle-même. Photo Leo Correa/ AP

Khalida Jarrar a elle aussi été une otage. Elle a été arrachée de force à son domicile et emprisonnée sans qu’aucune charge ou accusation n’ait été formellement retenue contre elle, si ce n’est le fait d’être Palestinienne et opposante au régime d’occupation. La lutte pour sa libération a été menée à une échelle limitée ; il est inutile de songer à la comparer aux campagnes mondiales visant à accélérer la libération de nos otages. Les présidents usaméricains et les grands d’Europe n’ont jamais rencontré le mari de Jarrar ; la fille du couple n’a jamais été invitée à s’adresser au Conseil de sécurité des Nations unies pour réclamer la libération de la prisonnière. Dans le cas des otages comme dans celui de Jarrar, la Croix-Rouge internationale n’a pas été autorisée à rendre visite aux otages, pas plus que leurs familles, bien entendu. Aujourd’hui, avec la libération de Jarrar dans le cadre de la première étape de l’accord sur les otages - ainsi que celle de 89 autres prisonniers palestiniens, dont une grande majorité de femmes - certains pourraient tenter de comparer les conditions d’incarcération dans les tunnels du Hamas à Gaza à celles des cellules humides des prisons de Neve Tirtza et de Damon.

Une demi-journée après sa libération, Jarrar semblait déjà rajeunie, comme si elle était presque redevenue elle-même malgré les tourments qu’elle avait endurés. Lundi en fin d’après-midi, un flot de Palestiniens a afflué dans la vaste salle de banquet de l’église catholique de la vieille ville de Ramallah pour saluer Jarrar à l’occasion de sa liberté retrouvée. Elle se tenait à l’entrée de la salle avec son mari, Ghassan, et, portant un masque chirurgical en raison de sa santé fragile, elle a embrassé et serré la main des milliers de personnes présentes. Toutes les personnes présentes étaient envahies par l’excitation et la joie.

Tous ceux qui se sont déchaînés cette semaine contre le député Ayman Odeh (Hadash-Ta’al), pour avoir osé exprimer sa joie à l’occasion de la libération des otages des deux camps, sont contaminés par le fascisme : il est à la fois permis et nécessaire de se réjouir de la libération de Jarrar, sans que cela n’affecte le moins du monde la joie que procure la libération de Gonen, Damari et Steinbrecher. Elle et elles méritent bien la liberté qu’elles ont retrouvée. Leur joie devrait être une expérience humaine transcendante.

La salle de Ramallah m’a fait penser à une autre salle, celle d’une église protestante de Ramallah, où, il y a trois ans et demi, Ghassan Jarrar était le seul parent présent aux funérailles de l’une de ses deux filles, Suha, décédée subitement à l’âge de 31 ans. Ce jour-là, des milliers de personnes sont venues présenter leurs condoléances au père endeuillé, mais Israël n’a pas autorisé la mère, Khalida, qui était également en prison à l’époque, à assister aux funérailles. À l’époque, Ben-Gvir n’était pas encore sur la photo : c’est le représentant du camp supposé éclairé, Omer Bar-Lev (travailliste), ministre de la sécurité publique (comme on appelait alors ce portefeuille), qui a empêché Jarrar d’être présente.

En effet, au cours de chacune de ses cinq incarcérations, un membre de la famille proche de Jarrar est décédé, et elle n’a été autorisée à accompagner aucun d’entre eux dans son dernier voyage. Dans l’église catholique, cette semaine, l’atmosphère était radicalement différente de ces occasions : il y avait enfin une vraie joie, même si elle était contenue et teintée de douleur. Jarrar était de nouveau chez elle.

Dans un coin de la salle, alors que la foule s’agite, Ghassan décrit ce que sa femme a subi, alors même qu’elle continue à serrer des mains au milieu d’une scène qui ressemble à une sorte de réception de la fête de l’indépendance. Ancien prisonnier lui-même, il a accompagné les luttes et les incarcérations de sa femme avec un amour et un soutien sans bornes, et il avait l’air d’un jeune marié le jour de ses noces. Tout son corps rayonnait de bonheur, même si sa femme faisait preuve d’une certaine retenue.

Khalida Jarrar a été placée en détention le 26 décembre 2023, deux mois après le début de l’offensive terrestre dans la bande de Gaza, dans le cadre des arrestations massives et indiscriminées auxquelles Israël procédait également en Cisjordanie. Son interrogatoire a été bref. Après tout, qu’y avait-il de plus à demander après tous les interrogatoires précédents ? Jarrar, qui a été légalement élue à l’Assemblée législative palestinienne et n’a jamais été condamnée pour autre chose que « l’appartenance à une association illégale » - sous un régime où toute association palestinienne est illégale - a de nouveau été enlevée à son domicile de Ramallah.

Elle a d’abord été incarcérée à la prison de Damon, avec d’autres femmes détenues pour des raisons de sécurité, mais le 12 août 2024, l’administration pénitentiaire a décidé de la punir, d’abord sans aucune explication, en la plaçant à l’isolement, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Pour cela, elle a été transférée à Neve Tirtza, qui héberge des femmes criminelles, et non des détenues de sécurité.

Ghassan, qui est presque devenu avocat à la suite des nombreuses arrestations de sa femme, a expliqué à l’époque qu’avant d’imposer l’isolement, la loi exige qu’une audience soit organisée pour le détenu afin qu’il puisse se défendre. L’audience de Khalida n’a eu lieu que le 19 septembre, soit 37 jours après qu’elle a été coupée du monde, ce qui n’est pas tout à fait conforme au protocole. Selon l’explication donnée ce jour-là, quelques détenues avaient témoigné qu’elle avait tenté de les pousser à se rebeller contre les autorités pénitentiaires. D’où l’isolement.

Les conditions : une cellule de 2,5 x 1,5 mètres, un lit en béton avec un mince matelas, une couverture et demie, selon Ghassan, pour lutter contre le froid hivernal ; des toilettes sans porte, pas d’eau la majeure partie de la journée, pas d’ouverture, pas même une fente. À un moment donné, Ghassan nous a dit que l’avocate de Khalida lui avait dit que sa femme malade s’allongeait souvent à côté de la porte, essayant de respirer un peu d’air frais à travers l’espace étroit entre la porte et le sol.


Ghassan, le mari de Khalida Jarrar, à droite, avec son frère. Photo Alex Levac

« Je n’ai pas d’air à respirer », a dit Khalida à son avocate - un commentaire qui a pris une certaine importance mythologique, devenant un hashtag sur les médias sociaux palestiniens. [lire ici]

Ghassan a raconté qu’au début, Khalida n’avait pas de matériel de nettoyage à utiliser pour nettoyer la cellule, qui puait. Elle n’a reçu une brosse à cheveux qu’il y a quelques semaines et n’a pas toujours reçu ses médicaments contre la tension artérielle, le diabète et l’anémie. Bien qu’elle ait été autorisée, après une courte période, à se rendre dans une cour de prison vide pendant 45 minutes par jour, il lui était interdit d’entrer en contact avec qui que ce soit. Il en a été ainsi jusqu’à sa libération cette semaine - près de cinq mois de coupure totale avec le monde.

Cette semaine, tard dans la nuit, sur la place de Beitunia, Khalida et Ghassan ont été réunis. La vidéo de leur première étreinte est aussi émouvante que les clips de nos otages libérés avec leurs familles. Il pleure, elle est plus calme. Elle a ensuite été examinée à l’hôpital gouvernemental de Ramallah - comme nos captives l’ont été au centre médical de Sheba -, a été libérée peu après, puis convoquée de nouveau en urgence en raison des résultats de l’un des tests ; elle a finalement été libérée à l’aube.

Le couple s’est d’abord rendu au cimetière, où Khalida a déposé une rose rouge sur la tombe de sa fille Suha. Ils se sont également rendus sur la tombe d’un autre membre de leur famille, qu’ils avaient élevé comme un fils et qui est également décédé jeune. Elles se sont ensuite rendues dans un salon de beauté ouvert spécialement pour Khalida - les salons de Ramallah sont fermés le lundi. Lorsqu’ils sont arrivés à l’église, Khalida avait été virtuellement transformée, ses cheveux étant à nouveau teints en noir.

Lorsqu’on lui demande depuis combien de temps ils sont mariés, Ghassan répond « un mois ». « Je respire Khalida et je vis Khalida. Et lorsqu’elle est arrêtée, mon temps s’arrête », explique-t-il. C’est ce qu’il ressent, après 40 ans de mariage, de lutte et de séparation. « Chaque année, je l’aime de plus en plus », murmure-t-il. En mai, il prévoit de se rendre au Canada pour voir leur autre fille, Yafa, puis de la ramener à Ramallah pour rendre visite à sa petite-fille, Suha, âgée de presque deux ans et demi et nommée d’après sa tante. Pour sa part, Khalida n’a pas le droit de quitter la Cisjordanie : elle est trop dangereuse.

Y aura-t-il une sixième arrestation ? Ghassan : « Je ne la laisserai pas continuer. Je suis inquiet pour son bien-être. Nous avions convenu de ne jamais intervenir dans les activités de l’autre, mais cette fois-ci, j’userai de mon influence. »


26/11/2023

GIDEON LEVY
Est-il permis de se réjouir de la joie des Palestinien·nes libérés des prisons israéliennes ?

 Gideon Levy, Haaretz, 26/11/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Ce week-end a été marqué par des montagnes russes qui n’ont laissé personne indifférent. Les images des otages libérés, des vieilles femmes et des petits enfants, étaient dignes d’un millier de telenovelas à la fin heureuse.

Emad Hajjaj, Jordanie

Voir Emilia, six ans, pleurer ; voir Ohad, neuf ans, frissonner ; voir la libération d’Hannah Katzir, déclarée morte par le Djihad islamique palestinien, et de Yaffa Adar, qui a survécu à la captivité à l’âge de 85 ans, et avoir la gorge nouée.

Le fait que tous soient en bon état de santé est un motif de soulagement et de bonheur. C’est à cela que ressemble la joie nationale, mélangée au chagrin, à l’anxiété et à la déconfiture qui ont prévalu en Israël depuis le 7 octobre. Qu’ils reviennent tous, tout simplement.

Israël dans sa joie mitigée, et les Palestiniens dans leur joie mitigée. Est-il permis de se réjouir de leur joie ? Qui a même le droit de se réjouir dans ce pays ? La police des émotions a fixé des limites : Les Palestiniens ne peuvent pas se réjouir.

Des représentants de la police israélienne ont visité les maisons des personnes libérées à Jérusalem-Est, avertissant les occupants de s’abstenir de toute manifestation de joie. Nous avons le droit de nous réjouir du retour de nos enfants ; ils n’ont pas le droit de se réjouir du retour des leurs. Mais l’interdiction ne s’arrête pas là. Nous n’avons pas non plus le droit de les regarder se réjouir.

Le lendemain du retour des otages, le soleil s’est levé sur Gaza. C’était le premier matin depuis 50 jours consécutifs que le ciel de Gaza n’était pas couvert de panaches de fumée et de poussière dus aux bombardements. Les gens ne fuyaient pas pour sauver leur vie, tentant impuissants d’échapper aux bombes qui pouvaient tomber à tout moment sans avertissement. Les enfants, inquiets la nuit, mouillent encore leur lit (pour ceux qui en ont un), mais moins qu’avant. Est-il permis de se réjouir de cela en Israël ?

Enterrement de personnes tuées lors du bombardement israélien de l'hôpital Al Shifa, dans une fosse commune dans la ville de Khan Younès, au sud de la bande de Gaza, mercredi 22 novembre 2023. Mohammed Dahman/AP Photo

À une heure de route des hôpitaux où les familles ont été réunies, suscitant une joie nationale, des scènes similaires ont été observées à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Un père qui n’avait pas vu sa fille depuis huit ans l’a retrouvée dans une étreinte déchirante. Une femme a couru hystériquement vers sa fille, incarcérée depuis sept ans.

J’ai vu la mère de Malek Salman, de Beit Safafa, étreindre sa fille en pleurant et en criant. “Mama, mama”, a crié Malek, et j’ai ressenti de la joie. Est-ce une transgression ? Un défaut psychologique ? Un défaut moral ?

Trente-neuf femmes et mineurs palestiniens ont également quitté la prison pour retrouver leur famille et la liberté. Certains ont été condamnés pour des attaques à l’arme blanche, la possession d’un couteau ou une tentative de meurtre, d’autres pour des jets de pierres ou des peccadilles mineures. Aucun n’est innocent du crime de résistance violente contre l’occupation, et l’État était en droit de les juger et de les punir [sic]. Mais ce sont aussi des êtres humains.

Les enfants sont certainement des enfants, même lorsqu’il s’agit de jeunes lanceurs de pierres, condamnés en Israël à des peines de prison disproportionnées et à des conditions bien pires que les accusés juifs de leur âge. J’ai également été heureux de les voir sortir libres. Je sais que ce n’est pas permis.

Dans l’un des moments exceptionnels de la couverture télévisée péniblement unilatérale en Israël, Channel 13 News a montré un très bref moment de joie palestinienne au retour d’une fille. Almog Boker, journaliste de terrain dans l’âme, qui, de guerre en guerre, devient de plus en plus nationaliste et ne peut prononcer le mot Hamas sans y adjoindre le mot “nazis”, s’est écrié, indigné : “Nous ne devons pas montrer çà !”

Le journaliste Raviv Drucker a tenté de le convaincre qu’il est important de montrer que les Palestiniens sont heureux afin de révéler leur vrai visage - après avoir échoué à le persuader que tout doit être rapporté, tout simplement parce que c’est la raison d’être du journalisme.

Boker pense qu’en temps de guerre, les seules choses qui doivent être montrées sont celles qui servent les intérêts d’Israël. Et en effet, dans les médias israéliens, non seulement la souffrance de Gaza est bannie de l’écran, mais la joie des parents au retour de leur fille de prison l’est aussi, de peur que nous ne soyons tentés de penser qu’ils sont aussi des êtres humains, avec des sentiments et tout le reste.

C’est l’époque des grandes fluctuations émotionnelles. Les montagnes russes montent et descendent, et il est normal d’y laisser une petite place pour la petite joie des Palestiniens. La guerre, nous répète le gouvernement, n’est que contre le Hamas.

 

Kenny Tosh, Nigeria