Gideon
Levy, Haaretz,
23/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Tout rhétoricien sait que lorsque l’argument est faible, la solution consiste à augmenter le volume. Le ton de la conversation publique en Israël au cours des dernières semaines ne montre pas seulement la faiblesse de l’argumentation et la bassesse croissante du discours, il est également dangereux en soi.
Un homme discute avec un soldat israélien après avoir été empêché d’entrer dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie, lors d’une opération militaire en cours, au début de la semaine. Photo MOHAMMAD MANSOUR/AFP
Le discours public israélien a adopté le langage basique de l’incitation à la violence contre tous les Palestiniens et les Arabes. Du Premier ministre au plus humble des reporters de terrain bafouilleux de la télévision, tous se sentent obligés de déblatérer grossièrement contre le Hamas et la bande de Gaza autant que possible, comme si cela renforçait la validité de leurs arguments. On ne peut plus dire “Hamas” [en le prononçant Khamas, NdT] sans y accoler l’adjectif “nazi”, ni parler de Gaza sans dire “monstres” ; c’est cette façon de parler qui est proprement monstrueuse.
Après
que Benjamin Netanyahou a donné le ton, la compétition nationale de jurons et d’insultes
a commencé.
« Nous
sommes tous en colère contre les monstres du Hamas », a déclaré le premier
ministre le jour de la restitution des quatre corps des
otages , conformément au cessez-le-feu entre Israël et le
Hamas, et il a immédiatement promis d’“anéantir” les assassins.
Le
style, c’est l’homme, et ceux qui prononcent des mots tels que “monstres” et “anéantir”
en disent plus sur eux-mêmes que sur l’objet de leurs paroles. Le meurtre de la
famille Bibas était cruel et odieux. Mais celui qui parle de “monstres” décrit
aussi les actions de ses soldats, qui ont
tué des milliers d’enfants.
Lorsqu’il
a été annoncé que les restes présumés de Shiri Bibas n’étaient pas les siens, il
n’a plus pris de gants. Netanyahou a répété “monstres”, cette fois dans sa
langue officielle, l’anglais. L’armée des aboyeurs a suivi dans son sillage, et le
fait que le Hamas ait corrigé l’erreur du jour au lendemain n’y a rien changé. Monstres
ils étaient, monstres ils restent.
Les
cérémonies de remise d’otages, y compris les cérémonies émouvantes de samedi,
ont également attesté du “nazisme” et de la “monstruosité” du Hamas. Ceux qui
organisent de telles cérémonies sont des nazis - on ne sait pas trop pourquoi -
et ceux qui exploitent ce moment à des fins de propagande sont aussi,
apparemment, des nazis. Seul Israël est autorisé à exploiter le retour des
otages à des fins de propagande.
La
vérité doit être dite : la plupart des remises d’otages se sont déroulées sans
heurts, même si les Israéliens n’aiment pas voir un otage déposer un baiser sur
le front de ses deux ravisseurs, comme l’a
fait l’un d’entre eux samedi. Les présentateurs des journaux
télévisés se sont empressés de rassurer les téléspectateurs : le baiser a été
forcé, même si cela ne semblait pas être le cas.
Pourquoi
font-ils cela ? Après tout, le mal du Hamas est évident dans ses actions : pourquoi
tout le monde, de l’armée au journaliste israélien Amnon Abramovich,
ajoute-t-il de l’incitation à la haine ? Netanyahou, qui se nourrit de l’incitation
pour ses besoins politiques, est une chose, mais pourquoi les médias ? Mais
seulement pour trouver des faveurs, pour recevoir une tape dans le dos de la
part des masses enflammées.
Le
Hamas n’est pas à défendre. Il s’agit d’une organisation dépravée [sic] qui a mené
une attaque dépravée [resic] contre Israël. Mais le discours contaminé aura un prix
élevé. Un cinquième des Israéliens sont des Palestiniens : Comment allons-nous
vivre avec eux alors que leurs frères sont des monstres nazis ? La moitié des
personnes vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée sont des Palestiniens
: comment allons-nous vivre à leurs côtés ? Israël a lancé cette terrible
attaque sur Gaza avant que le discours sur les “monstres” ne commence.
Le 7
octobre 2023 a semé le trouble dans la conscience des
Israéliens, et la rhétorique incendiaire des politiciens et des médias y a
ajouté. L’humanité n’existe plus en Israël, car il n’y a plus de
non-combattants à Gaza. Pas même les nourrissons qui sont morts à peine nés. Ni
même les hommes de paix et de sagesse de Gaza (oui, il y en a aussi).
Ajoutez
à cela le discours empoisonné de ces dernières semaines et imaginez à quoi
ressemblera la prochaine guerre, qui sera dirigée non seulement contre le Hamas
mais aussi contre les monstres nazis.
Imaginez les pensées qui traversent la tête d’un soldat envahissant une maison en Cisjordanie, alors que cette incitation coule dans ses veines. S’il croit entrer dans la maison de monstres nazis, comment traitera-t-il ses habitants ? Il détruira davantage et tuera davantage, d’une manière plus brutale que jamais.
Un jour, nous regretterons la délicatesse et la retenue morale de Tsahal dans la guerre actuelle, avec seulement la moitié de la bande de Gaza détruite et seulement 15 000 enfants morts. Attendez la prochaine guerre que nous mènerons contre les nazis.
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