Le président usaméricain considère ce territoire bombardé comme un bien immobilier de premier ordre. Mais les Palestiniens n’iront nulle part ailleurs.
Soumaya Ghannouchi, MiddleEast Eye ,4/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
« Les gens se déplacent vers le nord pour rentrer chez eux et voir ce qui s’est passé, puis ils font demi-tour et partent... il n’y a pas d’eau ni d’électricité ».
Steve Witkoff, promoteur immobilier milliardaire et envoyé du président Donald Trump au Moyen-Orient a prononcé ces mots à Axios comme s’il décrivait un malheureux désagrément. Mais en y regardant de plus près, vous verrez leur plan.
C’est le résultat que veut Trump, et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyaohu, a déjà mis les choses en route. Gaza n’a jamais été destinée à être reconstruite. Elle était destinée à être vidée, aplatie, effacée.
Et qui mieux que les magnats de l’immobilier pour superviser ce nettoyage ? Pour Trump et Witkoff, Gaza n’est pas la patrie d’un peuple ; c’est une opportunité de développement, une portion de côte méditerranéenne de premier ordre qui attend d’être « réaffectée » une fois que ses habitants auront été chassés.
Trump n’a jamais caché qu’il considérait Gaza comme un bien immobilier de premier ordre, s’émerveillant de sa « situation phénoménale » sur la mer et de son « meilleur temps », comme s’il arpentait un terrain pour une station de luxe.
Il ne considère pas Gaza comme faisant partie de la Palestine. Il ne la considère pas comme une patrie appartenant à son peuple. Il y voit une opportunité inexploitée pour les riches, un terrain de jeu pour les investisseurs, une future station balnéaire pour les touristes et les étrangers - tout le monde sauf les Palestiniens de Gaza.
Mais Gaza n’est pas un bien immobilier à vendre. Ce n’est pas un projet de développement. Ce n’est pas un lieu de villégiature pour les étrangers. Gaza fait partie de la Palestine.
Ils vont le faire
Les USA n’ont pas dépensé des milliards de dollars, déployé des milliers de tonnes de bombes et supervisé l’anéantissement de 70 pour cent des bâtiments de Gaza pour que le territoire puisse être reconstruit.
Les bombes n’ont jamais été destinées à faire place à la reconstruction. Elles visaient à faire en sorte qu’il ne reste rien. L’idée que la population survivante de Gaza, celle que les bombes n’ont pas réussi à tuer, serait autorisée à récupérer ses terres, n’a jamais fait partie du plan.
Et Trump l’a dit clairement : il n’y a pas d’alternative. Lors d’une récente conférence de presse, un journaliste l’a interrogé sur sa suggestion d’envoyer les Palestiniens de Gaza en Jordanie ou en Égypte Il a également demandé si des pressions, telles que des droits de douane, pouvaient être exercées pour leur forcer la main.
La réponse de Trump, dégoulinante d’arrogance, a fait froid dans le dos par sa certitude : « ls vont le faire. Ils le feront. Ils vont le faire ».
Il ne s’agissait pas d’une suggestion ou d’une négociation, mais d’une déclaration - une hypothèse selon laquelle le pouvoir, la pression et la simple force de volonté peuvent faire bouger les nations, comme des pièces sur un échiquier. Que les gens peuvent être transférés, déplacés, effacés - tout cela parce que lui le dit.
Il ne s’agit pas d’une stratégie politique, mais d’une guerre biblique. Il s’agit d’une déclaration selon laquelle les Palestiniens de Gaza ne doivent pas simplement être contrôlés, contenus ou occupés, mais plutôt expulsés
Trump a construit tout son héritage politique sur la lutte contre l’immigration, la fermeture des frontières, la construction de murs, l’interdiction des réfugiés et le traitement de l’immigration comme une menace existentielle pour les USA. Il parle des demandeurs d’asile dans son pays comme d’une invasion de criminels qu’il faut arrêter et expulser.
Pourtant, lorsqu’il s’agit des Palestiniens, il est l’architecte de la migration forcée.
Il ne s’agit pas seulement d’hypocrisie, mais aussi d’un renversement de l’ « accord du siècle » conclu par Trump lui-même. Ce plan, bien qu’il soit majoritairement en faveur d’Israël, incluait nominalement la création d’un État palestinien. Il reconnaissait Gaza comme faisant partie de ce futur État - une entité faible et fragmentée conçue pour exister sous la coupe d’Israël.
Même cette illusion d’un État était trop difficile à soutenir pour Trump. En approuvant le retrait forcé de la population de Gaza, il ne se contente pas de modifier son plan, il l’abandonne complètement.
La solution à deux États, aussi faible et illusoire qu’elle ait été dans sa vision, est désormais entièrement effacée au profit de la doctrine prônée par Netanyahou et le ministre des finances Bezalel Smotrich : le déplacement permanent et l’épuration ethnique.
Justification religieuse
En janvier 2024, lors d’une conférence d’extrême droite avec la participation de ministres du gouvernement israélien, l’avenir de Gaza a été discuté dans les termes les plus explicites : pas de reconstruction, pas d’occupation, mais l’expulsion.
Le transfert massif de Palestiniens hors du territoire a été présenté comme un mandat divin, le livre des Nombres étant invoqué: « Si vous ne chassez pas devant vous les habitants du pays, ceux que vous laisserez seront comme des épines dans vos yeux et comme des aiguillons dans vos flancs, et ils vous harcèleront dans le pays où vous habitez ».
Il ne s’agit pas d’une stratégie politique, mais d’une guerre biblique. Il s’agit d’une déclaration selon laquelle les Palestiniens de Gaza ne doivent pas simplement être contrôlés, contenus ou occupés, mais plutôt expulsés - une continuation de la même idéologie qui a conduit 0 la Nakba et la logique qui a justifié des décennies de colonisation, de dépossession et de massacres.
Lors de sa récente visite, Witkoff a non seulement rencontré des responsables israéliens, mais il a également rencontré des otages israéliens et leurs familles. Les familles des otages israéliens et de leurs familles ont été invitées à participer à des réunions d’information, de sympathie et de solidarité. Aucune réunion de ce type n’a été organisée avec les familles palestiniennes, pas même pour la forme. Il n’a fait aucun geste de sollicitude à l’égard des familles des milliers de civils qui ont péri dans les bombardements incessants d’Israël, ni à l’égard de ceux qui sont affamés, déplacés et systématiquement anéantis.
C’est parce que dans le monde de Trump, certaines vies comptent et d’autres sont jetables. Lorsque Witkoff s’est entretenu avec des responsables israéliens, une chose est ressortie : sa rencontre avec Smotrich, le ministre d’extrême droite qui avait été boycotté par l’administration usaméricaine précédente en raison de ses opinions ouvertement racistes et éliminationnistes.
Après l’annonce par Trump qu’il demandait à l’Égypte et à la Jordanie d’accueillir les Palestiniens de Gaza, Smotrich a publié une déclaration qui fait l’éloge des solutions « hors normes ». Smotrich a utilisé la même la même phrase après avoir rencontré Witkoff.
En d’autres termes, préparez-vous à un nettoyage ethnique. L’équipe de Trump ne se contente plus de tolérer l’extrême droite israélienne, elle s’aligne activement sur elle. L’idée de dépeupler Gaza - de rendre la vie si insupportable que ses habitants n’aient d’autre choix que de partir - est ancrée dans la politique israélienne depuis des décennies.
Échos de l’histoire
Après 1967, lorsqu’Israël a occupé Gaza, le Premier ministre de l’époque, Levi Eshkol - chef de file des soi-disant modérés de gauche - a parlé de « vider Gaza » et de travailler « tranquillement, calmement et secrètement » pour atteindre cet objectif.
Eshkol n’était pas le seul à penser ainsi. L’ancien ministre de la défense Moshe Dayan a suggéré que seul un quart de la population de Gaza devrait rester sur place, tandis que le reste « doit être évacué de là, quel que soit l’accord conclu" » Il n’a pas mâché ses mots en ce qui concerne ses ambitions: « Si nous pouvons expulser 300 000 réfugiés de Gaza vers d’autres lieux, nous pourrons annexer Gaza sans problème ».
Eshkol est allé encore plus loin, estimant que des souffrances délibérées pousseraient les Palestiniens à partir. Il a exposé son plan en des termes pratiques qui font froid dans le dos : « Il est possible que si nous ne leur donnons pas assez d’eau, ils n’auront pas le choix, car les vergers jauniront et se dessécheront ».
D’autres ministres de l’époque, tels que Yosef Sapir, ont été encore plus explicites quant à leurs intentions. Il a proposé : « Nous devrions les prendre par la peau du cou et les jeter sur la rive orientale [du Jpourdain], et je ne sais pas qui les acceptera, en particulier les réfugiés de Gaza »
Un autre ministre, Yigal Allon, s’est montré tout aussi direct quant à la nécessité d’un déplacement massif : « Nous devons gérer [les migrations vers l’étranger] aussi sérieusement que possible" » Il a ensuite fait valoir que le Sinaï pourrait absorber la totalité de la population de Gaza : « L’ensemble de la région du Sinaï, et pas seulement El Arish, permet l’installation de tous les réfugiés de Gaza et, à mon avis, nous ne devrions pas attendre. Nous devons commencer à les installer ».
Ces paroles, prononcées en 1967, sont aujourd’hui reprises - presque mot pour mot - par les hommes politiques israéliens d’extrême droite, Smotrich et Itamar Ben Gvir pour promouvoir la « migration volontaire » des Palestiniens de Gaza, un transfert forcé présenté comme une solution humanitaire.
Le langage a changé. L’objectif reste le même.
Les repousser à la mer, dans le désert, partout sauf ici. En 1948, en 1967 ou aujourd’hui, la politique reste la même : éliminer, déplacer, effacer.
Retour à la maison
Et pourtant, malgré tout - les bombes, la famine, la dévastation - les habitants de Gaza reviennent.
Des centaines de milliers d’entre eux ont marché vers le nord, sur l’axe de Netzarim, affirmant leur droit au retour sur les ruines de leurs maisons. Ils ne marchent pas vers un abri, mais vers des cratères de poussière ; ils ne marchent pas vers la sécurité, mais vers les tombes de leurs proches, toujours enterrés sous les décombres. Ils marchent dans ce qui devait être leur cimetière.
Et pourtant, ils marchent - parce que l’histoire n’appartient pas à l’occupant. Comme l’a déclaré Nizar Noman, un Palestinien retournant dans ce qui reste de sa maison : « Comme j’appartiens à ma patrie, ma patrie m’appartient. Je ne voulais pas perdre un instant loin de ma maison à nouveau ... Le président Trump se fait des illusions en pensant que les habitants de Gaza peuvent partir, même si c’est un gâchis comme il l’a décrit ».
Les habitants de Gaza ont répondu, avec leurs corps, avec leurs voix, avec leur marche à travers les ruines, avec leur refus de fuir la terre qui est la leur
Tout comme la tentative d’Eshkol de forcer les Palestiniens à partir s’est effondrée sous le poids de la réalité, il en sera de même pour le plan de nettoyage ethnique de Trump. Il y a un demi-siècle, lorsqu’Eshkol a conçu son plan, la population de Gaza s’élevait à 400 000 personnes. Il a échoué. Aujourd’hui, ils sont plus de deux millions - et Trump échouera lui aussi.
Ziad Al Husseini (1943-1971), dirigeant des Forces populaires de libération, nées après 1967 de la Force Aïn Jalout de l'Armée de libération palestinienne créée par les dirigeants arabes Nasser et Assad, mystérieusement assassiné dans la maison du maire de Gaza, Rashad al-Shawwa, “l'homme de la Jordanie”
En 1971, après l’assassinat du chef gazaoui de la résistance palestinienne Ziad al-Husseini (Forces populaires de libération), le poète Mahmoud Darwich a écrit: « Gaza n’est plus une ville. C’est un champ de bataille brûlant où les victoires, les espoirs et les valeurs de l’adversaire sont mis à l’épreuve... Les faits illusoires sur le terrain qu’il tente de créer, pensant que le temps est de son côté, seront tournés en dérision par ce même temps, ainsi que par la série de défaites écrasantes que les envahisseurs du passé ont subies dans les ruelles de Gaza aux mains de ses fils et de ses filles ».
En effet, la mort de Husseini n’a pas marqué la fin de la lutte de libération de Gaza. La résistance ne s’est pas éteinte, elle s’est développée.
Trump peut le répéter 100 fois : « Prenez ces gens. Prenez ces gens. Prenez ces gens ».
Mais les habitants de Gaza ont répondu, avec leurs corps, avec leurs voix, avec leur marche à travers les ruines, avec leur refus de fuir la terre qui est la leur : « Nous ne partirons pas ».
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