Paulo Slachevsky, 15/4/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
« Le déni et la dissimulation des violations systématiques des droits de l’homme : l’interdiction d’entrée des journalistes étrangers et les plus de 170 journalistes, photographes et communicateurs assassinés depuis octobre 2023, dont beaucoup étaient des cibles directes des missiles, sont la preuve de la même stratégie de dissimulation par Israël que par les nazis, et par tant de dictatures comme celle sous laquelle nous avons vécu nous-mêmes »
Paulo Alejandro Slachevsky Chonchol (Santiago du Chili, 1961) est un photographe et éditeur chilien, fondateur en 1990 avec Silvia Aguilera des éditions LOM, membre du Groupe (antisioniste) juif Diana Arón, portant le nom d’une militante du MIR victime de la dictature de Pinochet. Co-éditeur du livre Palestina Anatomía de un Genocidio (LOM, 2024)
Le 19 avril 1943, des résistants juifs se sont soulevés contre les nazis dans le ghetto de Varsovie. Depuis la fin de l’année 1940, plus de 400 000 Juifs de la capitale et d’autres villes polonaises s’y entassaient, emprisonnés sur 300 hectares. La famine, les épidémies et les déportations vers les camps de la mort avaient déjà décimé une grande partie des habitants.
En janvier 1943, un premier soulèvement armé contre les nazis réussit à stopper brièvement les déportations. Pour se venger, les nazis assassinent un millier de Juifs sur la place principale du ghetto. Dans les mois qui suivent, les résistants préparent la défense de ceux qui restent en vie.
Lorsque, le 19 avril, les troupes allemandes entrent avec plus de 2 000 soldats, officiers, commandos SS et collaborateurs polonais pour procéder à la dernière déportation de ceux qui restent dans le ghetto, elles se heurtent à une résistance acharnée qui les oblige à battre en retraite.
Pendant un mois, les survivants ont mené une lutte héroïque et inégale. Le 16 mai 1943, le ghetto n’était déjà plus qu’un champ de ruines. On estime qu’environ 13 000 Juifs ont été tués dans les combats.
82 ans plus tard, alors que nous sommes témoins de ce que vivent les Palestiniens à Gaza, une terre historique aujourd’hui ravagée par les bombes, les chars et les bulldozers, et où plus de 60 000 Palestiniens ont été tués par les troupes israéliennes - pour la plupart des filles, des garçons et des femmes - il est impossible de ne pas voir le lien dramatique qui existe entre un événement et l’autre :
Gaza est aujourd’hui le ghetto de Varsovie du XXIe siècle.
Exécutions massives et aveugles : dans le ghetto comme à Gaza, la mort rôde à chaque coin de rue. L’occupant agit avec un pouvoir omnipotent sur la vie et la mort comme un simple caprice, l’arbitraire est imposé, ainsi qu’un système sadique qui terrorise et écrase les civils sans raison apparente, les faisant fuir d’un côté à l’autre, exterminant des familles entières, avec les grands-parents, les parents, les enfants et ceux qui leur sont proches et avec qui ils vivent.
La famine est une autre similitude dramatique : tant dans le ghetto qu’à Gaza, hier les nazis, aujourd’hui les Israéliens, ont mené une politique explicite consistant à affamer la population, à contrôler l’apport alimentaire minimal et à l’interrompre complètement en cas de confrontation directe.
C’est la réalité vécue par les habitants du ghetto de Varsovie et c’est ce que vit aujourd’hui Gaza depuis plus d’un mois, où Israël a interdit tout accès à l’aide humanitaire, après presque deux ans d’interruptions constantes et des décennies d’approvisionnement minimal.
À cela s’ajoutent la destruction et la coupure de l’approvisionnement en eau par Israël, cet élément fondamental de la vie, ce qui constitue un autre crime de guerre et un crime contre l’humanité.
L’absence d’accès aux soins médicaux : ni les enfants, ni les personnes âgées, ni les blessés, ni les malades ne peuvent bénéficier de soins médicaux en raison de l’absence d’approvisionnement, ainsi que de la destruction des installations sanitaires, de la déportation, de l’emprisonnement et de l’assassinat de médecins et de personnel de santé, réalités dans lesquelles l’horreur et la cruauté des occupants d’hier et d’aujourd’hui se valent.

Affiche de la Żydowska Organizacja Bojowa (ŻOB), l’Organisation juive de combat. Le texte dit : “Tous les hommes sont frères : les jaunes, les bruns, les noirs et les blancs. Parler de peuples, de couleurs, de races, c’est une histoire inventée !”
Racisme, suprématie et cruauté extrême et inhumaine dans le traitement d’autrui : ces marques du nazisme, qui ont conduit à l’enfermement des Juifs d’hier dans des ghettos et des camps de concentration, se sont malheureusement enracinées depuis longtemps dans la société israélienne et s’expriment dans toute leur férocité à Gaza et en Cisjordanie à l’encontre des Palestiniens d’aujourd’hui.
Traitant leurs semblables comme des animaux, des terroristes et des sous-hommes, ils se permettent de franchir toutes les limites de ce que nous avons compris comme étant l’humanité, agissant de manière sadique et brutale envers ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis.
C’est une double tragédie, lorsque ceux qui pratiquent cette politique criminelle sont les descendants d’un peuple qui en a fait l’expérience, osant le faire au nom du judaïsme, ce qui salit la mémoire de ceux qui ont connu la même oppression.
Le combat inégal : des pierres, des cocktails Molotov, quelques pistolets, fusils de chasse et mitrailleuses, contre des chars, des canons et des troupes expérimentées sur le champ de bataille des rues de Varsovie.
La disproportion brutale des moyens dans la bataille menée dans le ghetto, comme à Gaza, où les milices sont confrontées aux missiles, aux avions et aux dernières technologies israéliennes d’armement et de surveillance, ne permet pas de parler de guerre, mais d’extermination génocidaire face à la résistance désespérée des victimes.
La volonté expresse des oppresseurs - les nazis hier, l’État d’Israël aujourd’hui - d’éliminer tous les habitants du territoire martyrisé, en procédant à un nettoyage ethnique criminel : un autre élément commun aux deux drames.
Les éléments qui scellent l’analogie sont malheureusement innombrables.
Les mêmes images se répètent lorsque l’on voit ces armées, parmi les plus modernes et les mieux préparées de leur temps, anéantir des peuples entiers réduits à l’impuissance. Hier et aujourd’hui, des dizaines de milliers de visages sont marqués par la douleur et la catastrophe. Et malheureusement, à chaque fois, les puissances internationales soutiennent l’oppresseur ou sont complices de son inaction.

“J’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence”.- Général Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense, 9 octobre 2023 [inculpé par la CPI]
“Au cours de l’opération d’aujourd’hui, plusieurs blocs de bâtiments ont été incendiés. C’est la seule et dernière méthode qui oblige ces déchets et cette sous-humanité à remonter à la surface”.- SS-Gruppenführer Jürgen Stroop, Varsovie, 26 avril 1943 [pendu le 6 mars 1952]
La Convention sur le génocide et la législation sur les crimes contre l’humanité n’existaient pas à l’époque. Ces règles ont été mises en place dans la justice internationale pour que les crimes commis par les nazis contre les Juifs, les Tziganes et les résistants pendant la Seconde Guerre mondiale ne se répètent pour aucun peuple.
Lorsque les nazis ont anéanti la rébellion du ghetto de Varsovie, Szmul Zygielbojm a écrit :
La responsabilité du crime d’extermination totale des populations juives de Pologne incombe en premier lieu aux fauteurs du massacre, mais elle pèse indirectement sur l’humanité entière, sur les peuples et les gouvernements des nations alliées qui n’ont, jusqu’ici, entrepris aucune action concrète pour arrêter ce crime ; Je ne peux ni me taire ni vivre lorsque les derniers vestiges du peuple juif, que je représente, sont tués. Mes camarades du ghetto de Varsovie sont tombés les armes à la main, dans leur dernière lutte héroïque. Je n'ai pas eu la chance de mourir comme eux, avec eux. Mais ma place est avec eux, dans leurs fosses communes. Par ma mort, je souhaite exprimer ma plus profonde protestation contre l'inaction avec laquelle le monde observe et permet la destruction du peuple juif. Je suis conscient du peu de valeur de la vie humaine, surtout aujourd'hui. Mais puisque je n'ai pas pu y parvenir de mon vivant, peut-être que ma mort sortira de leur léthargie ceux qui peuvent et qui doivent agir maintenant, afin de sauver, au dernier moment possible, cette poignée de Juifs polonais qui sont encore en vie.
Szmul Zygielbojm, député du Bund au parlement polonais en exil à Londres, s’est suicidé à Londres le 11 mai 1943. Ses paroles pourraient être reprises pour décrire ce qui se passe aujourd’hui en Palestine.
Le Bund, Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie (Algemeyner Yidisher Arbeter Bund in Lite, Poyln un Rusland), avait fait sortir clandestinement Szmul de Varsovie occupée après sa résistance farouche et publique à l’enfermement des Juifs dans un ghetto.
Avant la Seconde Guerre mondiale, le Bund était la plus grande organisation de la gauche juive dans le Yiddishland, le monde juif des pays de l’Est.
En Pologne, en 1938, le Bund était également la principale force parmi les Juifs : sur les 138 conseillers municipaux juifs élus lors des élections de cette année-là, 97 étaient issus du Bund. Ils étaient antifascistes, antinazis et antisionistes.
Aujourd’hui, par une triste ironie de l’histoire, ces glorieux Juifs rouges et résistants au nazisme seraient accusés d’antisémitisme par Israël et de nombreux pays européens pour leur position clairement antisioniste.
Marek Edelman, l’un des jeunes dirigeants du Bund, était à l’âge de 20 ans commandant adjoint de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Survivant du nazisme, Edelman a toujours porté haut les bannières du mouvement, luttant contre toutes les oppressions, y compris le sionisme : « Être juif signifie être toujours avec les opprimés, jamais avec les oppresseurs « ,disait-il.
Le ghetto de Varsovie est une autre page d’horreur de l’histoire, mais au sein de cette horreur, la résistance des partisans juifs est commémorée avec gloire : il en va de même pour Gaza aujourd’hui.
Tout comme l’infamie nazie est universellement condamnée comme l’expression ultime du mal et de l’horreur, et que les résistants au nazisme sont loués pour leur héroïsme, l’histoire condamnera Israël et ses complices comme génocidaires et criminels de guerre.
Les Palestiniens qui ont héroïquement résisté à leur machine de mort resteront dans la mémoire de la lutte pour la dignité humaine.
Nous ne pouvons qu’espérer que cette reconnaissance juste et nécessaire n’arrivera pas trop tard, et que les gouvernements du monde et la justice internationale mettront fin à leur passivité actuelle, arrêteront le génocide et le nettoyage ethnique, et permettront au peuple palestinien d’avoir enfin la justice et la paix qu’il mérite.
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