Le chercheur et activiste social Hani Zubida refuse d’accepter les stéréotypes sur les Mizrahim et aime jouer avec la double identité que suggère son nom tout en cherchant à promouvoir un nouveau discours ethnique israélien.
Ronen
Tal, Haaretz, 15/2/2025
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Hani Zubida
a l’habitude d’être automatiquement traité comme un suspect dans les aéroports
à cause de son nom, mais lors de l’interrogatoire de sécurité auquel il a été
soumis à son entrée en Israël lors de sa dernière visite, il a estimé que les
émissaires de l’État avaient exagéré.
« Ils nous
ont soumis à trois contrôles. Aviva, ma femme, a failli craquer d’angoisse »,
raconte-t-il. « Une fille de 21 ans pensait que je suis arabe. Elle est allée
parler aux responsables et cela a pris des heures. Elle est partie, revenue,
puis repartie. Zubida. Arabe. Terroriste. Elle a des tonnes de questions. «
Êtes-vous mariés ? » Oui. « Avez-vous des enfants ? » Oui. « Comment s’appellent
les enfants ? » »
Zubida a
affirmé à maintes reprises qu’en tant que Juif né en Irak, il vivait en
harmonie avec son identité arabe. Mais cela ne signifie pas qu’il veut qu’on
lui rappelle à chaque fois la procédure humiliante que subissent 20 % des
citoyens israéliens lorsqu’ils ont l’envie de partir en vacances à l’étranger.
« Ils nous
rendent toujours fous. Je comprends la question de la sécurité. Avant, j’essayais
de garder mon calme, mais cette fois-ci, je n’ai vraiment pas trouvé ça drôle.
Ce qui me met en colère, c’est l’ignorance qui permet que cela se produise.
Mais d’un autre côté, ça équilibre ma perception du monde. J’ai un doctorat en
sciences politiques, j’ai fait de la télévision, je suis célèbre, mais au
final, tu as un nom arabe, alors calme-toi, tu n’es pas vraiment Israélien. »
Quand il n’est
pas en train d’attendre pour s’enregistrer, Zoubi aime en fait défier le public
avec sa double identité. « Je vais parler dans les zones périphériques, et ils
me voient et s’énervent. Tout de suite, ils me disent : « Tu aimes les Arabes.
» Je leur dis [en chuchotant] : « Ne le dites à personne, mais [en criant] vous
êtes aussi des Arabes. Quand vous rentrez chez vous, quelle langue parlez-vous
? » Je sors le téléphone et je mets de la musique de Farid El Atrache, et tout
le monde apprécie. « Alors, ça suffit. Vous êtes arabes. Quand allez-vous
réaliser que vous êtes arabes ? »
La routine
automatique du contrôle de sécurité - un homme d’apparence moyen-orientale
soupçonné d’être arabe - aurait pu faire l’objet d’un article dans le recueil d’essais
récemment publié par Zubida, coédité avec le Dr Reut Reina Bendrihem, Brique noire : les Juifs mizrahim écrivent
une nouvelle réalité israélienne (en hébreu). C’est un livre
ambitieux, d’une ampleur sans précédent (557 pages), qui cherche à proposer un
nouveau discours ethnique israélien, inclusif et ouvert, en lieu et place de l’approche
actuelle, exclusive, qui encourage la haine et sert principalement les
politiciens et les pourvoyeurs de poison. Les 80 articles du livre ont été
écrits par des universitaires, des intellectuels, des artistes et des militants
sociaux, parmi lesquels Yehouda Shenhav-Shahrabani, Merav Alush Levron, Ishak
Saporta, Yifat Bitton et Carmen Elmakiyes.
Le livre
couvre presque tous les aspects imaginables de la vie israélienne : de l’éducation
à la télévision, du système
judiciaire au logement social, de l’affaire
des enfants yéménites à l’équipe
de football Betar de Jérusalem, du Shas aux kibboutzim, de la féminité à la
masculinité, de la nourriture
au design. Parmi les auteurs figurent également des Ashkénazes, des membres de
la communauté éthiopienne et des Arabes.
« Nous
voulions donner une tribune aux écrivains issus de groupes marginaux qui ont
été exclus de l’écriture de l’histoire collective d’Israël », écrivent les
éditeurs dans l’avant-propos. Il en ressort un panorama critique qui élargit la
discussion et l’ouvre également à des groupes qui ne sont pas mizrahim, c’est-à-dire
des Juifs dont les origines se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
On y trouve une voix féministe prononcée, des expressions de solidarité avec
les citoyens palestiniens d’Israël et un appel à une véritable égalité, le tout
dans un contexte d’introspection, de reconnaissance des torts qui ont été
commis et de volonté d’engager un dialogue sincère à leur sujet.
L’idée,
explique Zubida, 58 ans, a vu le jour il y a six ans lors d’une rencontre
sociale. « C’était à Nes Tziona, dans l’appartement de [l’intellectuel
politique] Benny Nurieli et [de l’anthropologue] Reut Reina Bendrihem, qui
étaient alors en couple. Une réunion autour d’un café et d’une bière, au cours
de laquelle une conversation s’est engagée sur ce qui manquait à la société
israélienne. J’ai dit que ce qui manquait, c’était un nouveau contenu, que nous
utilisions des concepts obsolètes pour voir le monde contemporain, et que nous
devions les mettre à jour.
J’ai suggéré
de publier un recueil d’articles. Qu’il devrait contenir au moins 50 % de
femmes et que je voulais également une représentation de l’Éthiopie, de l’ex-Union
soviétique et des pays arabes. Le but de ce livre n’est pas de dénigrer
davantage. Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec ce que je dis, mais
parlons-en, et pas dans des cercles de dialogue où le fort vient vers le faible
et lui dit : « Viens, assieds-toi, défoule-toi, puis retourne retrouver tes
amis. »