Le chercheur et activiste social Hani Zubida refuse d’accepter les stéréotypes sur les Mizrahim et aime jouer avec la double identité que suggère son nom tout en cherchant à promouvoir un nouveau discours ethnique israélien.
Ronen
Tal, Haaretz, 15/2/2025
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Hani Zubida
a l’habitude d’être automatiquement traité comme un suspect dans les aéroports
à cause de son nom, mais lors de l’interrogatoire de sécurité auquel il a été
soumis à son entrée en Israël lors de sa dernière visite, il a estimé que les
émissaires de l’État avaient exagéré.
« Ils nous
ont soumis à trois contrôles. Aviva, ma femme, a failli craquer d’angoisse »,
raconte-t-il. « Une fille de 21 ans pensait que je suis arabe. Elle est allée
parler aux responsables et cela a pris des heures. Elle est partie, revenue,
puis repartie. Zubida. Arabe. Terroriste. Elle a des tonnes de questions. «
Êtes-vous mariés ? » Oui. « Avez-vous des enfants ? » Oui. « Comment s’appellent
les enfants ? » »
Zubida a
affirmé à maintes reprises qu’en tant que Juif né en Irak, il vivait en
harmonie avec son identité arabe. Mais cela ne signifie pas qu’il veut qu’on
lui rappelle à chaque fois la procédure humiliante que subissent 20 % des
citoyens israéliens lorsqu’ils ont l’envie de partir en vacances à l’étranger.
« Ils nous
rendent toujours fous. Je comprends la question de la sécurité. Avant, j’essayais
de garder mon calme, mais cette fois-ci, je n’ai vraiment pas trouvé ça drôle.
Ce qui me met en colère, c’est l’ignorance qui permet que cela se produise.
Mais d’un autre côté, ça équilibre ma perception du monde. J’ai un doctorat en
sciences politiques, j’ai fait de la télévision, je suis célèbre, mais au
final, tu as un nom arabe, alors calme-toi, tu n’es pas vraiment Israélien. »
Quand il n’est
pas en train d’attendre pour s’enregistrer, Zoubi aime en fait défier le public
avec sa double identité. « Je vais parler dans les zones périphériques, et ils
me voient et s’énervent. Tout de suite, ils me disent : « Tu aimes les Arabes.
» Je leur dis [en chuchotant] : « Ne le dites à personne, mais [en criant] vous
êtes aussi des Arabes. Quand vous rentrez chez vous, quelle langue parlez-vous
? » Je sors le téléphone et je mets de la musique de Farid El Atrache, et tout
le monde apprécie. « Alors, ça suffit. Vous êtes arabes. Quand allez-vous
réaliser que vous êtes arabes ? »
La routine
automatique du contrôle de sécurité - un homme d’apparence moyen-orientale
soupçonné d’être arabe - aurait pu faire l’objet d’un article dans le recueil d’essais
récemment publié par Zubida, coédité avec le Dr Reut Reina Bendrihem, Brique noire : les Juifs mizrahim écrivent
une nouvelle réalité israélienne (en hébreu). C’est un livre
ambitieux, d’une ampleur sans précédent (557 pages), qui cherche à proposer un
nouveau discours ethnique israélien, inclusif et ouvert, en lieu et place de l’approche
actuelle, exclusive, qui encourage la haine et sert principalement les
politiciens et les pourvoyeurs de poison. Les 80 articles du livre ont été
écrits par des universitaires, des intellectuels, des artistes et des militants
sociaux, parmi lesquels Yehouda Shenhav-Shahrabani, Merav Alush Levron, Ishak
Saporta, Yifat Bitton et Carmen Elmakiyes.
Le livre
couvre presque tous les aspects imaginables de la vie israélienne : de l’éducation
à la télévision, du système
judiciaire au logement social, de l’affaire
des enfants yéménites à l’équipe
de football Betar de Jérusalem, du Shas aux kibboutzim, de la féminité à la
masculinité, de la nourriture
au design. Parmi les auteurs figurent également des Ashkénazes, des membres de
la communauté éthiopienne et des Arabes.
« Nous
voulions donner une tribune aux écrivains issus de groupes marginaux qui ont
été exclus de l’écriture de l’histoire collective d’Israël », écrivent les
éditeurs dans l’avant-propos. Il en ressort un panorama critique qui élargit la
discussion et l’ouvre également à des groupes qui ne sont pas mizrahim, c’est-à-dire
des Juifs dont les origines se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
On y trouve une voix féministe prononcée, des expressions de solidarité avec
les citoyens palestiniens d’Israël et un appel à une véritable égalité, le tout
dans un contexte d’introspection, de reconnaissance des torts qui ont été
commis et de volonté d’engager un dialogue sincère à leur sujet.
L’idée,
explique Zubida, 58 ans, a vu le jour il y a six ans lors d’une rencontre
sociale. « C’était à Nes Tziona, dans l’appartement de [l’intellectuel
politique] Benny Nurieli et [de l’anthropologue] Reut Reina Bendrihem, qui
étaient alors en couple. Une réunion autour d’un café et d’une bière, au cours
de laquelle une conversation s’est engagée sur ce qui manquait à la société
israélienne. J’ai dit que ce qui manquait, c’était un nouveau contenu, que nous
utilisions des concepts obsolètes pour voir le monde contemporain, et que nous
devions les mettre à jour.
J’ai suggéré
de publier un recueil d’articles. Qu’il devrait contenir au moins 50 % de
femmes et que je voulais également une représentation de l’Éthiopie, de l’ex-Union
soviétique et des pays arabes. Le but de ce livre n’est pas de dénigrer
davantage. Vous n’êtes pas obligés d’être d’accord avec ce que je dis, mais
parlons-en, et pas dans des cercles de dialogue où le fort vient vers le faible
et lui dit : « Viens, assieds-toi, défoule-toi, puis retourne retrouver tes
amis. »
« Brique noire » s’ouvre sur un poème de Mois Bennaroch, né au Maroc, intitulé « Le problème n’existe pas », qui résume en quelques lignes pleines d’ironie le recul de la société israélienne face à une discussion ouverte et franche sur la blessure qui la touche au cœur. « Parce que le problème n’existe pas / Il ne faut pas en parler / Parce que si tu en parles / Cela signifie qu’il existe / Et que tu oses / Parler d’un problème inexistant / Nous te fermerons la bouche / Nous te liquiderons / Nous veillerons à ce que tu sois licencié / Pour que les gens apprennent / À ne pas parler de problèmes qui n’existent pas » [traduction de Ralph Mandel].
Le poète Mois
Bennaroch. Si vous parlez d’un problème, c’est qu’il existe. Photo : Yael
Engelhart
Y a-t-il
eu des soumissions que vous avez rejetées ?
Zubida : «
Il y avait un article qui traitait, dans les grandes lignes, du sujet de la
psychologie et de la sexualité. Il y avait des choses qui n’étaient pas
conciliables. J’ai entamé un dialogue avec l’auteur, et à ma grande surprise,
il n’y avait aucune marge de négociation. »
Quelque
chose du genre « Tous les hommes ashkénazes sont des violeurs de femmes
mizrahim » ?
« C’est un
euphémisme. »
Ce que le
livre ne contient pas, c’est une haine vengeresse des Ashkénazes sous couvert
de discours sur l’hégémonie, ou de menaces de régler des comptes lorsque la
droite arrivera vraiment au pouvoir.
« Je suis
marié à une femme ashkénaze, qui est à mes yeux la femme la plus intelligente,
la plus belle et la plus étonnante du monde. Nous sommes ensemble depuis 30 ans
», dit Zubida, parlant d’ Aviva Zeltzer, née en Union soviétique, titulaire d’un
doctorat en sociologie et qui a occupé un poste de haut rang au sein de l’Agence
juive.
« Une fois,
quelqu’un m’a dit : « Hé, tu détestes les Ashkénazes, alors comment se fait-il
que tu en aies épousé une ? » Comment peut-on dire une chose pareille ? Mes
enfants sont à la fois ashkénazes et mizrahim. Dieu me garde de haïr les
ashkénazes. N’y pensez même pas. Les ashkénazes sont mes frères et sœurs, tout
comme les Éthiopiens, les Palestiniens et les personnes LGBTQ – ils font tous
partie de moi. Un système qui gère les choses d’une manière offensante est
autre chose. Je lutte contre cela. Mais cela n’a rien à voir avec les
individus. »
Une
fenêtre sur le Moyen-Orient
Les
personnes qui ont vu Zubida, par exemple, lorsqu’il était commentateur
politique et animateur sur la chaîne de la Knesset, se souviennent sans aucun
doute de sa personnalité charismatique. Il réfléchit et parle vite, il connaît
aussi bien l’argot de la rue que le jargon académique, et il a des envolées d’autodérision
et un style comique qui pourraient lui valoir une émission spéciale sur
Netflix.
« Quand Ron Kahlili a réalisé la série [documentaire] « Arsim et Frehot » [termes péjoratifs désignant les Mizrahim – en gros, des voyous et des bimbos], j’ai mentionné l’affirmation selon laquelle il existe aussi des arsim ashkénazes », se souvient-il. « J’ai dit : « Prenez-moi avec ma peau foncée et mes tatouages sur les bras et les jambes, déshabillez-moi jusqu’à mes sous-vêtements, mettez un sac en papier sur ma tête et faites des fentes pour les yeux et le nez. Et puis placez à côté de moi un type blanc ashkénaze, sans éducation, au chômage. Deux personnes sont là, une blanche et une noire - demandez aux gens de deviner laquelle est l’âne. Je vous parie que 98 personnes sur 100 diront que c’est moi, qui ai un doctorat et deux maîtrises, qui suis le trouduc. »
Zubida
connaît également les affirmations de certains selon lesquelles non seulement
les Mizrahim ne sont pas victimes de discrimination, mais qu’ils
ont en fait gagné : la culture populaire en Israël a laissé derrière elle
ses racines d’Europe de l’Est et est devenue de plus en plus « mizrahi ». La
pop israélienne est une musique méditerranéenne, et presque tous les chanteurs
d’ici font des zagharid [youyous]. La sitcom Savri Maranan,
qui tourne autour de deux familles, l’une ashkénaze, l’autre mizrahie, dont les
enfants se sont mariés entre eux, est l’une des émissions les plus populaires
de l’histoire de la télévision israélienne. Le traditionalisme juif attribué
aux Mizrahim a également gagné en visibilité. Presque tous les participants aux
émissions de téléréalité israéliennes embrassent des mezouzot, mettent des tephillin [phylactères] (s’ils
sont des hommes) et récitent le kiddouch
le vendredi soir.
Peut-être
avez-vous vraiment gagné ?
« Pas
vraiment. C’est une victoire à la Pyrrhus. Un mensonge. Une illusion. Ce qui
est présenté comme une victoire n’est que du pain et des jeux du cirque. C’est “prends
les miettes qui sont sous la table et disparais de ma vue”. On parle toujours
de musique populaire, pas du canon musical. Nous ne sommes pas les chansons d’Eretz
Yisrael, pas la haute culture. Nous sommes une fenêtre sur le Moyen-Orient,
nous sommes dépourvus d’israélité.
« C’est vous
qui l’avez faite, l’élite. Vous avez décidé que c’était ce que vous vouliez de
nous. Vous avez donné des millions aux fascistes messianiques pour installer
des stands de tephillin partout. Je viens d’une famille communiste laïque.
Vous m’avez arrêté dans la rue, mis un pistolet sur ma tempe, chargé la balle,
et avec un doigt tremblant sur la gâchette, vous me dites : “Enfoiré, mets des
tephillin ou je te tire dans la tête”. Mais je ne sais pas comment faire.
Tire-moi dessus. À cause des coalitions politiques et de l’incapacité à nous
inclure, vous avez fait en sorte que toutes ces choses se produisent. »
L’un des
articles marquants du livre, et le seul qui n’ait pas été écrit spécialement
pour lui, est « Le
pacte du silence », publié à l’origine dans Haaretz en décembre
1996. Dans cet article, le sociologue et intellectuel public Yehouda Shenhav-Shahrabani
lance des accusations contre la gauche sioniste et les « nouveaux historiens »
qui, malgré leur enthousiasme à vouloir lutter contre l’oppression des
Palestiniens, ont ignoré et continuent d’ignorer l’hégémonie ashkénaze qui a
conduit à l’exclusion et à l’oppression des Mizrahim. Certaines parties de cet
article, qui a déclenché une tempête de protestations publiques à l’époque,
restent douloureusement d’actualité aujourd’hui.
On retrouve
une contemporanéité similaire dans l’essai «À travers et au-delà du rideau
de fer : les Mizrahim et le monde universitaire », de Zvi Ben-Dor Benite,
professeur d’histoire de la Chine et du Moyen-Orient à l’université de New
York. L’essai aborde le pourcentage de professeurs mizrahim dans le milieu
universitaire israélien, qui est resté pratiquement inchangé au cours des
dernières décennies, et la réticence des universités à rendre publiques les
données sur le sujet.
Selon les
études citées par Ben-Dor Benite, entre 7 et 10 % des enseignants
universitaires sont des Mizrahim, et la proportion de femmes mizrahim est
encore bien inférieure, à 1,5 %. « Les femmes et les hommes mizrahim sont
exclus du monde universitaire d’une manière ou d’une autre, et leur nombre est
faible », écrit Ben-Dor Benite. « Dans un tel contexte, il s’avère que le
discours autour du nombre de Mizrahim dans le monde universitaire est
précisément un sujet qui appelle à la recherche. »
Les
biographies des auteurs du livre fournissent des preuves qui soutiennent les
affirmations de Ben-Dor Benite. Bon nombre des contributeurs sont des
universitaires mizrahi qui occupent des postes d’enseignement et de recherche
dans des universités prestigieuses aux USA et dans d’autres pays, mais dont les
noms ne sont pas familiers à la plupart des Israéliens.
Feu Amnon
Rubinstein, juriste et ancien ministre de l’Éducation, se souvient que Zubida «
avait un bureau à côté du mien lorsque j’enseignais au Centre
interdisciplinaire [à Herzliya, aujourd’hui appelé Université Reichman]. En
tant que ministre de l’Éducation [au milieu des années 1990], il était chargé d’ouvrir
des universités dans la périphérie du pays. On disait à l’époque que cela
ferait progresser les Mizrahim. Il s’est avéré que deux types d’établissements
ont été créés : des établissements privés riches et des établissements
négligeables dans les zones périphériques.
« Mais même dans les établissements périphériques, sans parler des universités, la majorité du corps professoral était également ashkénaze. Une fois, j’étais assis à côté d’Amnon lors d’une conférence. Il a regardé autour de lui et m’a dit : “Tu es le seul Mizrahi ici” ».
À ce stade
de la conversation, l’argument suivant est généralement avancé : Zubida, qui
est issu d’une famille d’immigrants irakiens démunis, a réussi à briser le
plafond de verre, a été un étudiant exceptionnel et a reçu des bourses, a
obtenu un poste de haut rang dans le monde universitaire et a même été une star
de la télévision.
« Tout ça
est vrai, et c’est exactement la raison pour laquelle il devrait y avoir 52 %
de personnes comme moi, car je ne suis pas du tout spécial. Nous sommes censés
être là, censés faire partie [du tout], mais nous ne sommes pas vraiment là.
Pas vraiment Israéliens. C’est l’absent présent mizrahi. Il y a des exceptions,
et tout le monde aime les montrer du doigt. »
Quel est
le mécanisme qui perpétue l’exclusion ?
« C’est
comme le mécanisme masculin qui laisse les femmes de côté. Aucun conseil des
sages ne se réunit pour dire : « Baisons les Mizrahim ». Cela dépend de la
façon dont on a grandi et de l’endroit où on a grandi. C’est un [processus]
répétitif qui élimine presque toute possibilité de créativité, de changement ou
de mobilité. Même si ce n’est pas fait intentionnellement, les systèmes ne
bougent pas assez vite. »
Choisiriez-vous
quelqu’un pour un poste convoité uniquement parce qu’il est mizrahi ?
« Si je
faisais partie d’un comité et que deux candidats se présentaient – un Mizrahi
médiocre et un bon Ashkénaze – je prendrais le bon Ashkénaze. Mais s’il y avait
deux candidats de même niveau, je choisirais le Mizrahi. Cela ne se produit pas
aujourd’hui dans les universités. Il y a une majorité d’Ashkénazes dans les
comités, et le choix se porte généralement sur le candidat ashkénaze. Il n’y a
pas d’échappatoire. Après tout, ce n’est pas parce que nous sommes tous
stupides et ratés, mais parce qu’à l’étranger, ils veulent toujours de nous. »
La
discussion sur le pourcentage de Mizrahim aux postes universitaires se répète
presque mot pour mot en ce qui concerne la Cour suprême. « Beaucoup de gens s’en
servent pour fustiger l’establishment [juridique]. Allô, je ne suis pas idiot.
Je veux un tribunal fort en Israël, mais je veux aussi l’égalité », souligne
Zubida. « Il y avait autrefois un juge de la Cour suprême nommé Edmond Levy, un
Mizrahi qui portait également une kippa. S’il avait été une personne transgenre
ayant subi une opération de changement de sexe et étant devenu récemment
religieux, il aurait été parfait - il aurait correspondu à une centaine de
catégories [minoritaires]. Maintenant, nous avons Yosef Elron et Gila Canfy
Steinitz [tous deux Mizrahim] à la Cour suprême. Et que font-ils avec Elron ?
Il est utilisé pour livrer bataille contre la Cour. » [Une partie du récent
retard dans la nomination d’un nouveau président de la Cour suprême était liée
à la décision d’Elron de soumettre sa candidature au poste, alors que la
tradition a toujours été donnée au juge le plus ancien de la Cour, qui dans ce
cas était Isaac Amit.]
Et il a
accepté. Il aurait pu dire d’emblée qu’il soutenait la nomination d’Isaac Amit
à la présidence de la Cour en raison de son ancienneté, et le chaos aurait été
évité.
« Je n’ai
pas de réponse. »
Yosef Elron :
Zubida : « Il est utilisé pour livrer bataille contre la Cour. » Photo : Oren
Ben Hakoo
La marque
de Caïn
Zubida est
arrivé en Israël en provenance d’Irak avec sa famille à l’âge de 6 ans. C’était
en 1971, après que son oncle David Dallal, ainsi que 13 autres personnes, avaient
été arrêtés pour espionnage au profit d’Israël et exécutés par pendaison. Il a
grandi à Petah Tikvah, a étudié les sciences politiques à l’université de Tel
Aviv, puis a obtenu un doctorat à l’université de New York en 2006. Après une
décennie à New York, où ses deux fils sont nés, la famille est revenue en
Israël. Dans les années qui ont suivi, Zubida a enseigné dans les départements
de sciences politiques du Centre interdisciplinaire et du Yezreel Valley
College.
En 2017, il
a coédité, avec Raanan Lipshitz, « Stop – Pas de frontière devant vous !
», un recueil d’articles en hébreu traitant de la manière dont les frontières d’Israël
ont été façonnées par les élites dirigeantes avec une belligérance qui visait à
la fois les pays voisins et les groupes de population les plus faibles d’Israël,
qui se sont retrouvés envoyés dans les régions frontalières.
Parallèlement
à ses travaux universitaires, Zubida était un activiste social très actif. Il a
été l’un des fondateurs de la Coalition démocratique arc-en-ciel mizrahie
[Keshet, 1996], a participé à la lutte pour empêcher le déplacement des
habitants défavorisés du quartier de Givat Amal à Tel Aviv, qui a été démoli au
profit d’un quartier résidentiel de grand standing, et dans le quartier
populaire de Hatikva, il s’est activement efforcé d’intégrer les travailleurs
migrants et les réfugiés sur le marché du travail israélien, prêchait la
coexistence avec les Arabes et publiait de nombreux articles d’opinion sur ces
sujets et d’autres dans Haaretz (certains coécrits avec Benny Nurieli).
Zubida était
également très présent dans les médias. Il faisait partie de l’équipe de «
Songs and Goals », l’émission de radio emblématique du samedi après-midi qui
rendait compte en direct des matchs de football en cours ; et avec la chanteuse
Margalit Tzan’ani, il animait l’émission de radio « This Isn’t Europe Here ».
En 2022, « One City, Two Peoples », une série télévisée qu’il a créée, qui
traite du tissu complexe des relations entre Juifs et Arabes dans les villes
mixtes du pays, et de l’impact sur eux des groupes de colons Garin Torani,
a été diffusée sur la chaîne Knesset.
Il y a deux
ans, Zubida et sa femme ont déménagé aux USA, où il vit entre Miami et New
York, et participe à divers projets en tant qu’auteur ou consultant. La
principale motivation de ce déménagement était le désir d’être proche des
enfants. Ohad, 27 ans, est doctorant en sociologie à Princeton ; et Idoh, 19
ans, a déménagé à l’âge de 13 ans à la Casa Grande, en Arizona, la branche de
la Barça Academy, la seule des écoles de formation résidentielles du FC
Barcelone aux USA. Idoh Zeltzer-Zubida joue actuellement avec l’équipe de
deuxième division de l’Inter Miami, dont l’équipe principale comprend des
superstars du football telles que Luis Suárez, Sergio Busquets et bien sûr
Lionel Messi.
Le 7 octobre
2023, Zubida et Aviva étaient à Miami. « Brique noire » est dédié à une amie du
couple, Yasmin Zohar, qui, avec sa famille – son mari Yaniv et leurs filles
Tehelet et Keshet – a été assassinée ce jour-là au kibboutz Nahal Oz. Ce ne
sont pas les seules victimes qu’il a connues. « Le neveu d’un ami a été
assassiné, des amis de mes fils étaient au Nova. Lorsque nous nous sommes
réveillés ce matin-là en Floride, il était déjà midi en Israël. Mon téléphone
explosait de messages.
« Aviva s’est
assise devant la télévision et s’est lancée dans une frénésie de deux semaines.
Elle ne pouvait pas arrêter de pleurer. Pendant des années, j’ai écrit un
million d’articles sur l’effondrement de l’État. J’ai écrit que l’État n’existait
pas dans le Néguev, qu’il n’existait pas dans le nord – et voilà, il n’existe
vraiment pas. Mais de toute ma vie, je n’aurais jamais pu imaginer un scénario
d’horreurs comme celui-là. »
Zubida n’est
pas prêt à défendre, et encore moins à pardonner, la réponse honteuse d’une
grande partie de la gauche universitaire aux USA, y compris de personnes qu’il
connaissait bien ou qu’il avait rencontrées lors de conférences
professionnelles, au massacre du Hamas. « Les gens ont essayé de justifier un
acte inadmissible. Je n’ai jamais eu de problème à critiquer Israël, je ne
regarde pas avant de sauter. Mais mon oncle a été pendu en Irak, ma famille a
souffert pendant le Farhud [le pogrom de juin 1941 contre les Juifs de Bagdad].
Je suis toujours conscient du fait qu’il doit y avoir un État juif, un endroit
qui sera un point d’ancrage pour moi en tant que Juif. Les gens pensent que la
critique de cet endroit par moi et d’autres est due au fait que nous pensons qu’il
ne devrait pas exister. C’est exactement le contraire.
Comment
expliquez-vous la réaction de la gauche usaméricaine ?
« Elle est
en partie une réaction à l’approche qui existait envers Israël après la guerre
des Six Jours. Israël pouvait tout faire ; nous étions les meilleurs aux yeux
du monde. Personne ne parlait de l’occupation, du fait que des centaines de
milliers d’Arabes sans citoyenneté vivent à Jérusalem, derrière des barrages
routiers et avec des eaux usées dans les rues, et peuvent être arrêtés à tout
moment. Toute la gauche usaméricaine a été inondée de Juifs. Ces dernières
années, beaucoup ont ressenti le besoin de contrebalancer ce soutien sans
réserve, et ce que vous voyez maintenant est l’exact opposé, un changement à
180 degrés.
« Ce n’est
pas seulement une conspiration du silence », poursuit-il. « Ils ont soutenu un
crime brutal, et c’est une marque de Caïn qui ne pourra jamais être effacée. Il
y a des gens avec qui je ne m’assiérai jamais. Des gens qui ont soutenu le
massacre. J’ai vu beaucoup de merde dans ma vie, mais ce qui s’est passé ici
est lié à la décence humaine fondamentale. On peut dire que l’occupation est un
phénomène déraisonnable, mais le 7 octobre n’était même pas sur la grille, il
était en dehors de l’équation. »
La même
vieille élite
Dans l’article
qu’il a écrit pour le nouveau livre, Zubida s’en prend à la dichotomie
permanente entre la gauche et la droite en Israël. En politique, affirme-t-il,
« il existe un large centre idéologique d’hommes juifs, sionistes et ashkénazes
qui se chamaillent entre eux alors même qu’ils soumettent les autres groupes à
leur volonté et à leurs caprices ». Selon lui, il n’y a pas eu de
bouleversement politique en 1977, lorsque Menahem Begin et le Likoud sont
arrivés au pouvoir pour la première fois. « Aucune élite n’a changé... Aucun
changement significatif n’est intervenu dans l’ordre des priorités ou dans le
système économique. Pour les femmes, les Arabes, les Mizrahim ou tout autre
groupe qui ne fait pas partie de l’élite, la mer était la même mer, et le ciel
était le même ciel. »
Un grand
nombre de personnes d’origine mizrahie votent pour le Likoud ; pour elles, la
distinction entre la gauche et la droite existe bel et bien et est très
importante.
« Je ne dis
pas que la distinction n’existe pas, seulement qu’elle doit être réexaminée. Il
faut comprendre : le but est de générer un discours. J’ai délibérément poussé
le bouchon jusqu’à écrire que la gauche-droite est un mensonge, qu’elle n’existe
pas. Alors venez prouver que la [dichotomie] gauche-droite existe bel et bien.
Qui est socialiste ? Qui est en faveur d’une économie de marché ? La personne
qui vend le parti aux magnats ? Netanyahou ? Quel parti a démantelé la
Histadrout [fédération du travail] et liquidé les organismes de santé ? Qui est
responsable de l’absence d’hôpitaux dans le nord ? Nous vivons dans un système
néolibéral où tout le monde tient le même discours. »
Manifestation
à Tel Aviv, avec la députée Naama Lazimi, l’année dernière. « Elle inspire le
respect. » Photo : Tomer Appelbaum
La gauche
israélienne a négligé l’élément social. Mais depuis plusieurs décennies, la
division entre la gauche et la droite concerne davantage les relations avec les
Palestiniens et l’aspiration à la paix.
« Génial. Je
comprends. Yair Lapid est-il de gauche ? »
Non. Mais
il est ashkénaze et originaire de Tel-Aviv, ce qui revient presque au même.
« Benjamin
Netanyahou est un ashkénaze de Jérusalem ; [le ministre de la Justice] Yariv
Levin est un ashkénaze de Jérusalem ; [le ministre des Affaires étrangères]
Gideon Sa’ar est originaire de Tel-Aviv. Tous les maires de Tel Aviv depuis «
Chich » [Shlomo Lahat, maire de la ville de 1974 à 1993] étaient des
révisionnistes avec une vision du monde Mapai [en référence aux précurseurs,
respectivement, du Likoud et du Parti travailliste]. Tout ce discours est très
restreint et très problématique. Il y a surtout de la haine, de l’incitation,
aucune idéologie et beaucoup de fonctionnalisme. Je peux compter sur les doigts
d’une main les membres de la Knesset qui vous aideront si vous les appelez. »
Nommez-en
un.
« Gilad
Kariv [travailliste/démocrate], un rabbin réformé. Il est mon négatif : un
homme ashkénaze qui porte une kippa, mais il me représente à la Knesset plus
que beaucoup d’autres. Je crois qu’il veut le bien collectif. Ça se voit chez
lui. Ou Naama Lazimi [travailliste/démocrate]. Elle est comme une sœur pour
moi, je la connais depuis qu’elle est toute petite. Quand elle se tient à la
tribune de la Knesset, elle inspire le respect. Quand nous nous sommes battus
contre l’expulsion des habitants de Givat Amal et de Yad Eliahu, Dov Khenin et
Gaby Lasky [anciens députés de Hadash et Meretz, respectivement] se sont battus
à nos côtés. Avec tous les autres, ce sont des intérêts étroits et la survie.
Il y a à la Knesset des Mizrahim qui se lèvent et parlent au nom de la lutte,
et j’ai l’impression que quelqu’un me tire une balle dans la tête chaque fois
qu’ils parlent. »
Dudi
Amsalem ? May Golan ? [Tous deux du Likoud]
« Entre
autres. Encore une fois, le racisme existait et existe toujours, mais est-ce
une façon de parler aux gens ? C’est comme une profanation du nom de Dieu. Ces
gens n’essaient pas d’améliorer les choses ici. Ce qu’ils font, c’est exploiter
la haine et attiser un groupe dans le seul but de maintenir un système
fondamentalement défectueux. Dudi Amsalem a comparé les manifestants [contre le
coup d’État judiciaire de 2023] à des [propriétaires de] montres Rolex. J’ai
envie de me passer le corps au peigne fin pour oublier cette remarque. Même si
vous n’êtes pas d’accord avec eux, comment pouvez-vous dire une chose pareille
à propos de personnes qui se tiennent [lors des manifestations] de manière
désintéressée, semaine après semaine, par désir d’améliorer la société
israélienne.
« Êtes-vous
déjà allé à Kaplan [rue au centre des manifestations de Tel Aviv] ? Des gens de
tous les groupes de la population s’y trouvent... Les personnes qui parlent
ainsi sont exactement celles qui devraient avoir peur de ce qui est écrit dans
notre livre. Parce que, si les gens le lisent, ils verront qu’il existe une
meilleure façon de faire les choses. »
Vous avez
parlé d’individus ayant un intérêt direct dans la survie politique. Mais c’est
bien plus émotionnel que cela. Cela ressemble à de la vengeance, à de la haine.
« Dans mon
article, je cite Malcolm X, qui, dans l’un de ses discours, a parlé de « l’esclave
domestique » : [lisant son essai] « Un homme noir qui s’identifie à ses maîtres
blancs jusqu’à ce qu’il perde l’image qu’il a de lui-même et devienne une
partie de la machine blanche. Il y a aussi des Mizrahim, des Arabes et des
femmes en Israël qui continuent à sanctifier le système gauche-droite et se
battent en son sein avec une vision étroite des intérêts acquis et la conviction
que les changements de personnel sont la chose principale. Ils sapent toute
initiative de changement importante qui délogerait l’ordre existant. Le Likoud
a pris un système mapainik [travailliste], l’a amélioré et a créé le plus grand
employeur d’Israël. Ils donnent du travail à tout le monde dans le bordel qu’ils
ont ouvert. Vous votez pour eux parce que ça vous rapporte. »
Avishay Ben
Haim. Son essai sur le Shas n’est pas critique, dit Zubida. Photo : Emil Salman
On ne peut
que spéculer sur le fait que Zubida inclut le journaliste-universitaire
populaire Avishay Ben Haim lorsqu’il fait référence à un « esclave domestique
». Ben Haim est représenté dans le livre par un article qu’il a écrit sur la
révolution du Shas. Il la
qualifie, à juste titre, de mouvement qui « a relevé la tête » et décrit ses
premiers membres comme « les plus importants combattants mizrahim pour l’égalité
en Israël ». D’un autre côté, Ben Haim ignore le fait que dans la lutte pour l’égalité,
le Shas ultra-orthodoxe continue d’exclure les femmes, et lorsqu’il aborde la
question des matières fondamentales dans les écoles, il note qu’à la veille de
l’entrée en prison d’Arye Dery, en 2000, il a expliqué que les Shasniks n’enseignent
pas les matières fondamentales aux enfants, car il faut d’abord amener les
garçons et les filles séfarades à croire en eux-mêmes. C’était il y a 25 ans,
et à en juger par les résultats sur le terrain, les enfants mizrahim ne sont
toujours pas à la hauteur des apprentissages fondamentaux.
« Je connais
bien Avishay, dit Zubida. Beaucoup de gens ont gobé sa vision du Premier Israël
et du Second Israël [qui considère les Ashkénazes-Mizrahim comme la principale
faille de la société israélienne] comme s’il s’agissait d’un trésor. Il est
peiné par la fracture que ses propos ont provoquée, mais il ne comprend pas le
rôle qu’il y a joué. Je peux témoigner qu’il est une très bonne personne, mais
je dirai gentiment, sans vouloir offenser, que son argument a eu l’effet
inverse de celui qu’il pensait. C’est une thèse qui entre en conflit avec ce
que notre livre propose, car elle ne constitue pas une ouverture au dialogue. C’est
une justification de la mauvaise situation qui a été créée ici. »
Ne
pensez-vous pas que la bataille dans la société israélienne est déjà gagnée et
que les vainqueurs sont les « Bibiistes » et les « messianiques » ?
« Absolument
pas. Je ne dois en aucun cas penser cela. Ces gens ont jusqu’à présent gagné la
bataille de la conscience parce que personne ne leur a tenu tête et dit « Assez
». Personne ne leur a tenu un miroir. Il y a ici un groupe qui empoisonne le
terrain, qui donne à tout le monde le sentiment d’être des ennemis les uns des
autres. Avez-vous déjà rêvé qu’il y aurait des Israéliens retenus en otage et
que les ministères inciteraient les familles à demander leur libération ?
« J’étais
sur la place des Otages [à Tel Aviv], et certaines personnes insultaient Einav
Zangauker [mère militante de Matan Zangauker, un otage]. Je suis allé leur
parler. Ils m’ont dit : « Vous êtes de gauche ». J’ai répondu : « C’est vrai,
et vous êtes de droite, et si vos enfants avaient été enlevés, ne seriez-vous
pas ici à manifester pour leur libération ? » ça
fait partie du poison. Je sais, mais qui suis-je ? Je suis Hani Zubida, un type
qui a une grande gueule et qui dit des choses que les gens n’aiment pas, un
autre type ésotérique. Mais si je cède et que Gilad Kariv et Naama Lazimi
cèdent, il ne nous restera plus rien.
Certains
disent que la solution est le mariage mixte, comme le vôtre : dans une autre
génération, plus personne ne parlerait de Mizrahim et d’Ashkenazim.
« Savez-vous
quel est le pourcentage d’enfants nés en Israël d’un mariage mixte ? Il est de
11 % [une faible proportion]. Ce sont les données de l’Institut national d’assurance.
Un beau chiffre. Ma partenaire, le Dr Aviva Zeltzer-Zubida, a écrit que ce n’est
qu’en Israël que les mariages entre Juifs sont appelés mariages mixtes. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire