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03/07/2025

HAARETZ
“C’est un champ de mise à mort” : des soldats israéliens ont reçu l’ordre de tirer délibérément sur des Gazaouis non armés qui attendaient l’aide humanitaire
Témoignages sur des crimes de guerre avérés

Des officiers et des soldats de l’armée israélienne ont déclaré à Haaretz qu’ils avaient reçu l’ordre de tirer sur des foules non armées près des sites de distribution de nourriture à Gaza, même en l’absence de menace. Des centaines de Palestiniens ont été tués, ce qui a incité le parquet militaire à demander une enquête sur d’éventuels crimes de guerre Netanyahou et Katz rejettent ces accusations, les qualifiant d’ accusation calomnieuses”


Des Palestiniens se rassemblent à un point de distribution d’aide mis en place par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), une organisation privée, près du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le nord de la bande de Gaza, le 25 juin 2025. Photo par Eyad BABA / AFP)

 

Nir Hasson, Yaniv Kubovich et Bar Peleg, Haaretz, 27/6/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

 

Écouter résumé audio


Des soldats israéliens à Gaza ont déclaré à Haaretz que l’armée avait délibérément tiré sur des Palestiniens près des sites de distribution d’aide au cours du mois dernier.

Des conversations avec des officiers et des soldats révèlent que les commandants ont ordonné aux troupes de tirer sur la foule pour la repousser ou la disperser, même s’il était clair qu’elle ne représentait aucune menace.

Un soldat a décrit la situation comme un effondrement total des codes éthiques des Forces de défense israéliennes à Gaza.

Selon le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas, 549 personnes ont été tuées près des centres d’aide et dans les zones où les habitants attendaient les camions de nourriture de l’ONU depuis le 27 mai. Plus de 4 000 personnes ont été blessées, mais le nombre exact de personnes tuées ou blessées par les tirs de l’armée israélienne reste incertain.

Haaretz a appris que le procureur général militaire a chargé le mécanisme d’évaluation des faits de l’état-major de l’armée israélienne, un organisme chargé d’examiner les incidents impliquant des violations potentielles du droit de la guerre, d’enquêter sur les crimes de guerre présumés commis sur ces sites.

Dans une déclaration publiée à la suite de la publication de cet exposé, le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense Israel Katz ont rejeté ces accusations, qu’ils ont qualifiées d’ “accusations calomnieuses”.

Les centres d’aide de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) ont commencé à fonctionner dans la bande de Gaza à la fin du mois de mai. Les circonstances de la création de cette fondation et son financement sont obscurs : on sait qu’elle a été mise en place par Israël en coordination avec des évangéliques usaméricains et des sociétés de sécurité privées. Son PDG actuel est un leader évangélique proche du président Trump et de Netanyahou.



Des Palestiniens se rassemblent pour recevoir des vivres à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, le 25 juin 2025. Photo DAWOUD ABU ALKAS/
REUTERS

La GHF gère quatre sites de distribution alimentaire – trois dans le sud de Gaza et un dans le centre – connus au sein de l’armée israélienne sous le nom de « centres de distribution rapide » (Mahpazim). Ils sont gérés par des travailleurs USaméricains et palestiniens et sécurisés par l’armée israélienne à une distance de plusieurs centaines de mètres.

Des milliers, voire parfois des dizaines de milliers de Gazaouis se rendent chaque jour sur ces sites pour y récupérer de la nourriture.

Contrairement aux promesses initiales de la fondation, la distribution est chaotique, la foule se précipitant sur les piles de cartons. Depuis l’ouverture des centres de distribution rapide, Haaretz a recensé 19 incidents impliquant des coups de feu à proximité. Si l’identité des tireurs n’est pas toujours claire, l’armée israélienne n’autorise pas la présence d’individus armés dans ces zones humanitaires sans en être informée.

Les centres de distribution n’ouvrent généralement qu’une heure chaque matin. Selon les officiers et les soldats qui ont servi dans ces zones, l’armée israélienne tire sur les personnes qui arrivent avant l’ouverture pour les empêcher de s’approcher, ou à nouveau après la fermeture des centres, pour les disperser. Comme certains incidents impliquant des tirs ont eu lieu la nuit, avant l’ouverture, il est possible que certains civils n’aient pas pu voir les limites de la zone désignée.

« C’est un champ de mise à mort », a déclaré un soldat. « Là où j’étais stationné, entre une et cinq personnes étaient tuées chaque jour. Elles sont traitées comme une force hostile – aucune mesure de contrôle des foules, pas de gaz lacrymogène – juste des tirs à balles réelles avec tout ce qui est imaginable : mitrailleuses lourdes, lance-grenades, mortiers. Puis, une fois que le centre ouvre, les tirs cessent et les gens savent qu’ils peuvent s’approcher. Notre forme de communication, ce sont les tirs. »

Le soldat a ajouté : « Nous ouvrons le feu tôt le matin si quelqu’un tente de faire la queue à quelques centaines de mètres de distance, et parfois nous chargeons simplement à bout portant. Mais il n’y a aucun danger pour les forces. » Selon lui, « je ne connais pas un seul cas de riposte. Il n’y a pas d’ennemi, pas d’armes. » Il a également déclaré que l’activité dans sa zone de service est appelée « Opération Poisson salé », du nom de la version israélienne du jeu pour enfants « Feu rouge, feu vert ».

Des officiers de l’armée israélienne ont déclaré au journal Haaretz que l’armée n’autorisait ni le public israélien ni celui étranger à voir les images de ce qui se passe autour des sites de distribution de nourriture. Selon eux, l’armée estime que les opérations de la GHF ont empêché l’effondrement total de la légitimité internationale de la poursuite de la guerre. Ils pensent que l’armée israélienne a réussi à transformer Gaza en « arrière-cour », en particulier depuis le début de la guerre avec l’Iran.


Des Palestiniens transportent des colis d’aide humanitaire distribués par la GHF à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le jeudi 26 juin 2025. Photo Abdel Kareem Hana/AP

 « Gaza n’intéresse plus personne », a déclaré un réserviste qui a terminé une nouvelle période de service dans le nord de la bande de Gaza cette semaine. « C’est devenu un endroit avec ses propres règles. La perte de vies humaines n’a aucune importance. Ce n’est même plus un « incident malheureux », comme on disait autrefois. »

Un officier chargé de la sécurité d’un centre de distribution a décrit l’approche de l’armée israélienne comme profondément défaillante : « Travailler avec une population civile alors que votre seul moyen d’interaction est d’ouvrir le feu, c’est pour le moins très problématique », a-t-il déclaré à Haaretz. « Il n’est ni éthiquement ni moralement acceptable que des personnes doivent atteindre, ou ne parviennent pas à atteindre, une [zone humanitaire] sous le feu des chars, des snipers et des obus de mortier. »

L’officier a expliqué que la sécurité sur les sites est organisée en plusieurs niveaux. À l’intérieur des centres de distribution et du « couloir » qui y mène se trouvent des travailleurs usaméricains, et l’armée israélienne n’est pas autorisée à opérer dans cet espace. Un niveau plus externe est constitué de superviseurs palestiniens, dont certains sont armés et affiliés à la milice Abou Shabab.

Le périmètre de sécurité de l’armée israélienne comprend des chars, des tireurs embusqués et des mortiers dont le but, selon l’officier, est de protéger les personnes présentes et de garantir la distribution de l’aide.

« La nuit, nous ouvrons le feu pour signaler à la population qu’il s’agit d’une zone de combat et qu’elle ne doit pas s’approcher », a déclaré l’officier. « Une fois, a-t-il raconté, les mortiers ont cessé de tirer et nous avons vu des gens commencer à s’approcher. Nous avons donc repris le feu pour leur faire comprendre qu’ils n’avaient pas le droit de s’approcher. Finalement, l’un des obus a atterri sur un groupe de personnes. »

Dans d’autres cas, a-t-il déclaré, « nous avons tiré avec des mitrailleuses depuis des chars et lancé des grenades. Il y a eu un incident au cours duquel un groupe de civils a été touché alors qu’il avançait à couvert dans le brouillard. Ce n’était pas intentionnel, mais ce genre de choses arrive. »

Il a souligné que ces incidents avaient également fait des morts et des blessés parmi les soldats de l’armée israélienne. « Une brigade de combat ne dispose pas des outils nécessaires pour gérer une population civile dans une zone de guerre. Tirer des mortiers pour éloigner des personnes affamées n’est ni professionnel ni humain. Je sais qu’il y a des membres du Hamas parmi eux, mais il y a aussi des personnes qui veulent simplement recevoir de l’aide. En tant que pays, nous avons la responsabilité de veiller à ce que cela se fasse en toute sécurité », a déclaré l’officier.

L’officier a souligné un autre problème lié aux centres de distribution : leur manque de cohérence. Les habitants ne savent pas quand chaque centre ouvrira, ce qui ajoute à la pression sur les sites et contribue à nuire aux civils.

« Je ne sais pas qui prend les décisions, mais nous donnons des instructions à la population, puis soit nous ne les suivons pas, soit nous les modifions », a-t-il déclaré.

« Au début du mois, nous avons été informés qu’un message avait été diffusé indiquant que le centre ouvrirait dans l’après-midi, et les gens se sont présentés tôt le matin pour être les premiers à recevoir de la nourriture. Comme ils sont arrivés trop tôt, la distribution a été annulée ce jour-là. »

Les sous-traitants comme shérifs

Selon les témoignages des commandants et des combattants, l’armée israélienne était censée maintenir une distance de sécurité entre les zones peuplées par les Palestiniens et les points de distribution de nourriture. Cependant, les actions des forces sur le terrain ne correspondent pas aux plans opérationnels.

« Aujourd’hui, tout entrepreneur privé travaillant à Gaza avec du matériel d’ingénierie reçoit 5 000 shekels [environ 1 250 €] pour chaque maison qu’il démolit », a déclaré un combattant chevronné. « Ils font fortune. De leur point de vue, chaque instant où ils ne démolissent pas de maisons est une perte d’argent, et les forces doivent sécuriser leur travail. Les entrepreneurs, qui agissent comme une sorte de shérif, démolissent où ils veulent sur tout le front. »

En conséquence, a ajouté le combattant, la campagne de démolition des entrepreneurs les amène, avec leurs équipes de sécurité relativement réduites, à proximité des points de distribution ou le long des itinéraires empruntés par les camions d’aide humanitaire.

 

Un Palestinien porte un sac de farine alors que des gens se rassemblent pour recevoir des vivres à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 26 juin 2025. Photo Hatem Khaled/REUTERS

 « Afin que [les entrepreneurs] puissent se protéger, une fusillade éclate et des personnes sont tuées », a-t-il déclaré. « Ce sont des zones où les Palestiniens sont autorisés à se trouver – c’est nous qui nous sommes rapprochés et avons décidé qu’ils représentaient un danger pour nous. Ainsi, pour qu’un entrepreneur gagne 5 000 shekels supplémentaires et démolisse une maison, il est jugé acceptable de tuer des personnes qui ne cherchent qu’à se nourrir. »

Un officier supérieur dont le nom revient régulièrement dans les témoignages sur les fusillades près des sites d’aide humanitaire est le brigadier général Yehuda Vach, commandant de la division 252 de l’armée israélienne. Haaretz a déjà rapporté comment Vach a transformé le corridor de Netzarim en une route mortelle, mis en danger les soldats sur le terrain et été soupçonné d’avoir ordonné la destruction d’un hôpital à Gaza sans autorisation.

Aujourd’hui, un officier de la division affirme que Vach a décidé de disperser les rassemblements de Palestiniens qui attendaient les camions d’aide humanitaire de l’ONU en ouvrant le feu. « C’est la politique de Vach », a déclaré l’officier, « mais de nombreux commandants et soldats l’ont acceptée sans poser de questions. [Les Palestiniens] ne sont pas censés être là, donc l’idée est de s’assurer qu’ils partent, même s’ils ne sont là que pour la nourriture. »



La division de Vach n’est pas celle qui opère dans la région. Elle est responsable du nord de Gaza, et la politique de Vach concerne donc ceux qui pillent les camions d’aide humanitaire de l’ONU, et non les sites du GHF.

Un soldat de réserve de la division blindée qui a récemment servi dans la division 252 dans le nord de Gaza a confirmé ces informations et a expliqué la « procédure de dissuasion » de l’armée israélienne pour disperser les civils qui se rassemblent en violation des ordres militaires.

« Les adolescents qui attendent les camions se cachent derrière des monticules de terre et se précipitent vers eux lorsqu’ils passent ou s’arrêtent aux points de distribution », a-t-il déclaré. « Nous les voyons généralement à des centaines de mètres de distance ; ils ne représentent pas une menace pour nous. »

Lors d’un incident, le soldat a reçu l’ordre de tirer un obus en direction d’une foule rassemblée près du littoral. « Techniquement, il s’agit d’un tir d’avertissement, destiné soit à repousser les gens, soit à les empêcher d’avancer », a-t-il déclaré. « Mais ces derniers temps, tirer des obus est devenu une pratique courante. Chaque fois que nous tirons, il y a des blessés et des morts, et quand quelqu’un demande pourquoi un obus est nécessaire, il n’y a jamais de bonne réponse. Parfois, le simple fait de poser la question agace les commandants. »



Dans ce cas précis, certaines personnes ont commencé à fuir après le tir d’obus et, selon le soldat, d’autres forces ont ensuite ouvert le feu sur elles. « Si c’est censé être un tir d’avertissement, et que nous les voyons courir vers Gaza, pourquoi leur tirer dessus ? », a-t-il demandé. « Parfois, on nous dit qu’ils se cachent toujours et que nous devons tirer dans leur direction parce qu’ils ne sont pas partis. Mais il est évident qu’ils ne peuvent pas partir si, dès qu’ils se lèvent et courent, nous ouvrons le feu. »

Le soldat a déclaré que cela était devenu une routine. « Vous savez que ce n’est pas juste. Vous sentez que ce n’est pas juste, que les commandants ici prennent la loi entre leurs mains. Mais Gaza est un univers parallèle. Vous passez rapidement à autre chose. La vérité, c’est que la plupart des gens ne s’arrêtent même pas pour y réfléchir. »

Au début de la semaine, des soldats de la division 252 ont ouvert le feu à un carrefour où des civils attendaient des camions d’aide humanitaire. Un commandant sur le terrain a donné l’ordre de tirer directement au centre du carrefour, causant la mort de huit civils, dont des adolescents. L’incident a été porté à l’attention du chef du commandement sud, le général de division Yaniv Asor, mais jusqu’à présent, mis à part un examen préliminaire, il n’a pris aucune mesure et n’a pas demandé d’explications à Vach concernant le nombre élevé de victimes dans son secteur.

« J’étais présent lors d’un événement similaire. D’après ce que nous avons entendu, plus de dix personnes ont été tuées là-bas », a déclaré un autre officier supérieur de réserve commandant les forces dans la région. « Lorsque nous avons demandé pourquoi ils avaient ouvert le feu, on nous a répondu que c’était un ordre venant d’en haut et que les civils représentaient une menace pour les troupes. Je peux affirmer avec certitude que les gens n’étaient pas proches des forces et ne les mettaient pas en danger. C’était inutile, ils ont été tués pour rien. Cette pratique consistant à tuer des innocents est devenue normale. On nous répétait sans cesse qu’il n’y avait pas de non-combattants à Gaza, et apparemment, ce message a été bien compris par les troupes. »

Un officier supérieur familier avec les combats à Gaza estime que cela marque une nouvelle détérioration des normes morales de l’armée israélienne. « Le pouvoir que les commandants supérieurs exercent sur le commandement général menace la chaîne de commandement », a-t-il déclaré.

Selon lui, « ma plus grande crainte est que les tirs et les dommages causés aux civils à Gaza ne soient pas le résultat d’une nécessité opérationnelle ou d’un mauvais jugement, mais plutôt le produit d’une idéologie défendue par les commandants sur le terrain, qu’ils transmettent aux troupes sous forme de plan opérationnel ».

Bombardements

Au cours des dernières semaines, le nombre de victimes près des zones de distribution alimentaire a fortement augmenté : 57 le 11 juin, 59 le 17 juin et environ 50 le 24 juin, selon le ministère de la Santé de Gaza. En réponse, une discussion a eu lieu au Commandement sud, où il est apparu que les troupes avaient commencé à disperser les foules à l’aide d’obus d’artillerie.

« Ils parlent d’utiliser l’artillerie sur un carrefour rempli de civils comme si c’était normal », a déclaré une source militaire qui a assisté à la réunion. « Toute la conversation porte sur le bien-fondé ou non de l’utilisation de l’artillerie, sans même se demander pourquoi cette arme était nécessaire au départ. Ce qui préoccupe tout le monde, c’est de savoir si cela nuira à notre légitimité de continuer à opérer à Gaza. L’aspect moral est pratiquement inexistant. Personne ne s’arrête pour se demander pourquoi des dizaines de civils à la recherche de nourriture sont tués chaque jour. »

 



Un autre officier supérieur familier avec les combats à Gaza a déclaré que la normalisation des meurtres de civils avait souvent encouragé les tirs à leur encontre près des centres de distribution d’aide humanitaire.

« Le fait que des tirs réels soient dirigés contre une population civile – que ce soit avec de l’artillerie, des chars, des tireurs d’élite ou des drones – va à l’encontre de tout ce que l’armée est censée représenter », a-t-il déclaré, critiquant les décisions prises sur le terrain. « Pourquoi des personnes qui collectent de la nourriture sont-elles tuées simplement parce qu’elles ont dépassé la ligne ou parce qu’un commandant n’aime pas qu’elles doublent tout le monde ? Pourquoi en sommes-nous arrivés à un point où un adolescent est prêt à risquer sa vie juste pour prendre un sac de riz dans un camion ? Et c’est contre lui que nous tirons avec l’artillerie ? »

Outre les tirs de l’armée israélienne, des sources militaires affirment que certaines des victimes près des centres de distribution d’aide humanitaire ont été tuées par des tirs provenant de milices soutenues et armées par l’armée. Selon un officier, l’armée israélienne continue de soutenir le groupe Abou Shabab et d’autres factions.

« Il existe de nombreux groupes qui s’opposent au Hamas, mais Abou Shabab est allé plus loin », a-t-il déclaré. « Ils contrôlent des territoires où le Hamas ne pénètre pas, et l’armée israélienne encourage cela. »

Un autre officier a fait remarquer : « Je suis stationné là-bas, et même moi, je ne sais plus qui tire sur qui. »

Lors d’une réunion à huis clos cette semaine avec des hauts responsables du bureau du procureur général militaire, organisée à la lumière des dizaines de morts quotidiennes de civils près des zones d’aide, les responsables juridiques ont demandé que les incidents soient examinés par le mécanisme d’évaluation et d’enquête de l’état-major de l’armée israélienne. Cet organisme, créé après l’incident de la flottille Mavi Marmara, est chargé d’examiner les cas où il y a suspicion de violation des lois de la guerre, afin de repousser les demandes internationales visant à enquêter sur les soldats de l’armée israélienne pour crimes de guerre présumés.

Au cours de la réunion, les hauts responsables juridiques ont déclaré que les critiques internationales concernant les meurtres de civils s’intensifiaient. Les officiers supérieurs de l’armée israélienne et du commandement sud ont toutefois affirmé que ces cas étaient isolés et que les tirs visaient des suspects qui représentaient une menace pour les troupes.

Un jeune homme transporte un carton contenant des fournitures humanitaires de la GHF, dimanche. Photo AFP

 Une source ayant assisté à la réunion a déclaré à Haaretz que les représentants du bureau du procureur général militaire avaient rejeté les affirmations de l’armée israélienne. Selon eux, ces arguments ne tiennent pas face aux faits sur le terrain. « L’affirmation selon laquelle il s’agit de cas isolés ne correspond pas aux incidents au cours desquels des grenades ont été larguées depuis les airs et des mortiers et des tirs d’artillerie ont été dirigés contre des civils », a déclaré un responsable juridique. « Il ne s’agit pas de quelques personnes tuées, mais de dizaines de victimes chaque jour. »

Bien que le procureur général militaire ait chargé le mécanisme d’évaluation et d’enquête d’examiner les récents incidents de tirs, ceux-ci ne représentent qu’une petite partie des cas dans lesquels des centaines de civils non impliqués ont été tués.


Yaniv Asor : sa place est à La Haye, devant la CPI

De hauts responsables de l’armée israélienne ont exprimé leur frustration face au fait que le commandement sud n’ait pas enquêté de manière approfondie sur ces incidents et ignore les morts civiles à Gaza. Selon des sources militaires, le chef du commandement sud, le général de division Yaniv Asor, ne mène généralement que des enquêtes préliminaires, s’appuyant principalement sur les témoignages des commandants sur le terrain. Il n’a pris aucune mesure disciplinaire à l’encontre des officiers dont les soldats ont blessé des civils, malgré des violations manifestes des ordres de l’armée israélienne et des lois de la guerre.

Un porte-parole de l’armée israélienne a répondu : « Le Hamas est une organisation terroriste brutale qui affame la population de Gaza et la met en danger afin de maintenir son pouvoir dans la bande de Gaza. Le Hamas fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la distribution de nourriture à Gaza et perturber l’aide humanitaire. L’armée israélienne autorise l’organisation civile américaine (GHF) à opérer de manière indépendante et à distribuer de l’aide aux habitants de Gaza. L’armée israélienne opère à proximité des nouvelles zones de distribution afin de permettre la distribution tout en poursuivant ses activités opérationnelles dans la bande de Gaza.

« Dans le cadre de leurs opérations menées à proximité des principales voies d’accès aux centres de distribution, les forces de défense israéliennes (FDI) mènent des processus d’apprentissage systématiques afin d’améliorer leur réponse opérationnelle dans la région et de minimiser autant que possible les frictions potentielles entre la population et les forces de défense israéliennes. Récemment, les forces ont travaillé à la réorganisation de la zone en installant de nouvelles clôtures, des panneaux de signalisation, en ouvrant des routes supplémentaires, etc. À la suite d’incidents au cours desquels des civils se rendant dans les centres de distribution auraient été blessés, des enquêtes approfondies ont été menées et des instructions ont été données aux forces sur le terrain sur la base des enseignements tirés. Ces incidents ont été soumis à l’examen du mécanisme de débriefing de l’état-major général. »

L’armée israélienne a publié une réponse supplémentaire à la suite de la publication de cet article, affirmant qu’elle « rejette fermement l’accusation soulevée dans l’article : l’armée israélienne n’a pas donné pour instruction à ses forces de tirer délibérément sur des civils, y compris ceux qui s’approchaient des centres de distribution. Pour être clair, les directives de l’armée israélienne interdisent les attaques délibérées contre des civils ».

L’armée a ajouté que « toute allégation de violation de la loi ou des directives de l’armée israélienne fera l’objet d’un examen approfondi et des mesures supplémentaires seront prises si nécessaire. Les allégations de tirs délibérés sur des civils présentées dans l’article ne sont pas reconnues sur le terrain ».

Circulez, ya rien à voir [NdT]

13/06/2025

YOSSI MELMAN
“Quel mal il y a à ça ?” : Comment Israël a formé et armé une milice gazaouie liée à Daech

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a approuvé cette opération secrète visant à soutenir une milice palestinienne pour garder l’aide humanitaire - tout en cachant la vérité au public


“Quel mal il y a à ça ?”

Yossi Melman, Haaretz, 11/6/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

“Quel mal il y a à ça ?” Avec ces quatre mots soi-disant innocents, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a causé des dommages supplémentaires à toute chance de mettre fin à la guerre à Gaza et de restituer les otages. C’est ainsi qu’il a réagi la semaine dernière à la révélation du député Avigdor Lieberman selon laquelle les services de sécurité israéliens géraient une milice armée à Gaza, dont le personnel était affilié à Daech. Le chef de cette milice est Yasser Abou Shabab, membre d’une grande famille bédouine de Rafah.

Netanyahou a accusé Lieberman de révéler un secret d’État, mais en confirmant l’information, le premier ministre s’est lui-même rendu complice. Cela pourrait entraver les efforts futurs des services de renseignement israéliens pour recruter des agents et des collaborateurs.



Photo tirée de Facebook montrant des miliciens d’Abou Shabab. Ils ont été formés par le Shin Bet.

Selon Tamir Hayman, ancien chef de la direction du renseignement militaire et actuel directeur exécutif de l’Institut d’études de sécurité nationale de Tel-Aviv, « toute la force de cette idée réside dans la dissimulation de toute action de ce type, de manière à la faire paraître authentique et populaire, motivée par la souffrance des habitants de Gaza des habitants de Gaza qui en ont assez du régime du Hamas ».

L’idée d’armer le clan Abou Shabab n’est pas nouvelle - elle a été évoquée peu après le massacre du 7 octobre. Cette décision a été prise par défaut, dans les deux sens du terme. En déclarant que Gaza « ne sera ni le Hamastan ni le Fatahstan », Netanyahou a condamné l’Autorité palestinienne et a rejoint le programme d’annexion et de transfert de population de Bezalel Smotrich, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie.

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Le vide créé à Gaza par la perte de gouvernance du Hamas suite aux succès des Forces de défense israéliennes sur le champ de bataille a également été renforcé par le refus du gouvernement Netanyahou d’autoriser les forces des pays arabes modérés tels que l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite à pénétrer dans la bande de Gaza. C’est ainsi qu’Israël s’est retrouvé désespérément à la recherche d’une alternative pour nourrir 2,2 millions de bouches affamées.

Face à ces contraintes imposées par Netayahou et son gouvernement d’extrême droite, le ministre de la défense Yoav Gallant, qui a démissionné il y a quelques mois, a eu l’idée de mettre en place un régime des milices et des clans dans la bande de Gaza. Gallant avait déclaré qu’Israël devrait utiliser des éléments locaux, affiliés à Ramallah et coordonnés avec l’(in)Autorité palestinienne. En d’autres termes, Gallant essayait d’introduire l’(i)AP par des moyens détournés.

Troisième tentative

Gallant et l’establishment de la défense ont tenté d’exécuter ce mouvement pour la première fois en février 2024. Cependant, lorsque des camions transportant de l’aide humanitaire sont entrés dans l’enclave, ils ont été attaqués par le Hamas et la tentative de les protéger a échoué. Un autre échec s’est produit lorsqu’Israël a tenté de mettre en place une milice armée issue du même clan dans les camps de réfugiés du centre de Gaza. C’est la troisième fois qu’Israël tente le même coup, cette fois-ci après l’occupation de Rafah par ses troupes.

Il y a environ un an, des agents de terrain du district sud du service de sécurité Shin Bet ont reformulé l’idée en action opérationnelle. Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a soutenu le plan, qui a été approuvé par Netanyahou et le ministre de la défense, Israel Katz. Les ministres du gouvernement ont été tenus dans l’ignorance. À cette époque, le chef de district, A., a pris sa retraite du Shin Bet après avoir assumé la responsabilité de l’échec du 7 octobre. Il a été remplacé par S., qui a commencé à faire avancer le plan et, en octobre 2024, il a été décidé de le mettre en pratique.


Soldats des FDI de la brigade Golani opérant dans la zone de Rafah, à Gaza.

Le plan a été soutenu par les FDI, à l’époque sous le commandement du chef d’état-major Herzl Halevi, par le nouveau chef de la direction du renseignement militaire, le général de division Shlomi Binder, et par le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, le général de division Ghassan Alian. Un autre grand partisan de l’initiative était le général de division Roman Gofman, secrétaire militaire de Netanyahou.

Les instructeurs du Shin Bet ont formé les membres du clan Abou Shabab et les ont équipés d’armes légères - fusils d’assaut Kalachnikov et armes de poing - saisies au Hamas depuis le début de la guerre de Gaza. Après que l’organisation non gouvernementale Hatzlaha a menacé de saisir la justice, les FDI ont fourni des données partielles sur le nombre d’armes à feu légères saisies depuis le début de la guerre : quelque 2 500 fusils et armes de poing. Israël verse également des salaires aux miliciens, grâce à l’argent confisqué depuis le début de la guerre - les FDI ont saisi plus de 100 millions de shekels (environ 24 millions d’€) en différentes devises.

La tâche principale de la milice est de sécuriser le transfert de l’aide humanitaire vers les centres d’approvisionnement alimentaire et d’empêcher le Hamas de la piller [sic; lisez : la distribuer]. La question de l’aide humanitaire est également entourée de mystère et se déroule de manière détournée, caractéristique du gouvernement de Netanyahou depuis le début de la guerre. Israël a décidé de mettre fin aux activités de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, parce que certains de ses employés palestiniens étaient des activistes du Hamas ou coopéraient avec l’organisation. Israël a également eu du mal à mobiliser les organisations d’aide internationale parce qu’elles refusaient de coopérer avec lui. En outre, certains ministres du gouvernement, principalement ceux contrôlés par l’extrême droite messianique, ont appelé à affamer les habitants de Gaza.


Roman Gofman, secrétaire militaire du Premier ministre Benjamin Netanyahu, lors d’un événement.

C’est ainsi qu’Israël s’est retrouvé pris au piège. En raison de la pression exercée par l’administration Trump, qui a promis qu’il ne laisserait pas les habitants de la bande de Gaza mourir de faim, Israël a dû proposer une solution de type “Israbluff”. Netanyahou et ses ministres se sont engagés à ce que le contribuable israélien ne finance pas l’acheminement de nourriture et de médicaments aux habitants de Gaza, mais très vite ils n’ont pas tenu leur promesse.

Afin de cacher la vérité au public et de minimiser l’embarras des ministres d’extrême droite, il a été décidé de dissimuler le fait que le ministère des finances avait déjà alloué quelque 700 millions de shekels [=168 M€] à cette entreprise. Au lieu de cela, le gouvernement présente faussement l’argent comme provenant d’une d’une organisation non gouvernementale basée en Suisse. Cette organisation a engagé une société de sécurité usaméricaine qui emploie des vétérans de l’armée et d’agences de sécurité US.

Mais une fois de plus, c’est Lieberman qui a démasqué le mensonge. Il a déclaré que le Mossad, spécialisé dans la création de sociétés écrans anonymes, était à l’origine de l’organisation suisse et de son enregistrement à l’étranger (le Mossad s’est refusé à tout commentaire). Il a également été affirmé que des magnats juifs usaméricains affiliés à la droite israélienne ont contribué aux activités de l’organisation et lui ont peut-être aussi fourni un financement provisoire.

Cet exercice détourné du ministère des finances, qui manque de transparence et frise la criminalité, découle de la volonté de contourner la loi sur les procédures d’appel d’offres. Selon cette loi, le ministère aurait dû annoncer un appel d’offres international, afin que plusieurs entreprises puissent concourir pour le contrat.

Mercenaires

Abou Shabab, le chef de la milice, qui est âgé d’une trentaine d’années, était à la tête d’une bande criminelle composée de trafiquants d’armes et de drogue et de voleurs de nourriture et d’équipement. Bien qu’il soit douteux qu’Abou Shabab, âgé d’une trentaine d’années, ait une idéologie politique ou religieuse, son nom et celui de plusieurs de ses hommes ont déjà été associés à Daech.

Certains membres de la milice étaient auparavant des partisans du Fatah qui s’opposaient au Hamas et étaient emprisonnés dans les prisons de la bande de Gaza. Dans le chaos créé par la guerre, des centaines d’entre eux ont réussi à s’échapper. Avant et pendant la guerre, le Hamas a exécuté certains membres du clan Abou Shabab pour avoir coopéré avec Israël. Abou Shabab a également fait des allers-retours dans les prisons du Hamas. Il est donc plus probable que la milice ait également des liens avec les agences de sécurité de l’Autorité palestinienne, qui continuent à coopérer étroitement avec Tsahal et le Shin Bet.


Des membres du Hamas se préparent à exécuter des Palestiniens qu’ils soupçonnent de collaborer avec Israël, en 2014. Photo Reuters

Il s’agit d’une milice mercenaire similaire à celles mises en place par les régimes coloniaux. La France y a eu recours en Algérie et en Syrie, les Britanniques dans leurs colonies d’Afrique et d’Asie, et les USA par l’intermédiaire de la CIA au Vietnam, en Afghanistan et en Irak. Israël a agi de la même manière dans les années 1970 lorsqu’il a mis en place les ligues villageoises palestiniennes en Cisjordanie, les Phalangistes et l’Armée du Sud-Liban au Liban, ainsi que des vigies villageoises sur les hauteurs du Golan syrien, à proximité de la frontière israélienne. Dans la plupart des cas de ce phénomène en Israël et dans le monde, la création de milices composées de collaborateurs et de mercenaires a échoué.

3J’ai du mal à comprendre la logique qui sous-tend cette expérience vouée à l’échec », dit Michael Milshtein, chercheur au centre Moshe Dayan d’études moyen-orientales et africaines de l’université de Tel-Aviv, ancien colonel et chef du département des affaires palestiniennes au sein de la division de recherche des services de renseignement de l’armée. « Nous ne devons pas oublier la nature de ce gang et éviter d’imaginer un Robin des Bois gazaoui - ce qui a déjà été dit dans certains cercles - et nous devons nous souvenir des précédents historiques amers où nous avons fait des affaires avec des éléments douteux qui se sont rapidement retournés contre nous, comme les phalangistes au Liban ».


Michael Milshtein, chercheur au Centre Moshe Dayan d’études moyen-orientales et africaines de l’Université de Tel-Aviv. Photo : Tomer Appelbaum

« En général, il vaut mieux s’abstenir de tenter d’influencer la pensée de nos ennemis et de jouer les faiseurs de roi. Le Hamas est en effet blessé comme jamais auparavant, mais il vaut mieux éviter les éloges funèbres prématurés (comme ce fut le cas à de nombreuses reprises au cours de cette guerre, lorsque les signes de l’effondrement du groupe semblaient évidents). Même si nous supposons que le Hamas finira par s’effondrer, il vaut mieux penser à ce qui se passerait si Gaza se remplissait de groupes semblables à celui d’Abou Shabab - une réalité qui nous rappelle la Somalie ».

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Bien que Hayman ait également des doutes quant au succès de cette initiative, il est prêt à lui donner une chance. « Je ne suis pas un puriste. L’Autorité palestinienne est faible et dépourvue de tout cadre politique sérieux, et toutes les initiatives et possibilités visant à stabiliser Gaza doivent être poursuivies », dit-il. « Toutefois, ajoute-t-il, je suis conscient que toute tentative israélienne de façonner le Moyen-Orient, à l’instar des efforts israéliens au Liban dans les années 1970 et 1980 et en Syrie pendant la guerre civile il y a dix ans, est vouée à l’échec. Seules les superpuissances peuvent le faire. Nous sommes trop petits pour le faire ». L’ancien chef de la direction du renseignement militaire estime que la création de la milice « est une mission tactique qui permet une activité opérationnelle, et rien de plus ».

Le bureau du Premier ministre n’a pas répondu à la demande de Haaretz. Les porte-parole de Tsahal et du Shin Bet se sont refusés à tout commentaire.