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27/05/2023

LINDA MAGGIORI
Inondations en Émilie-Romagne : pour les animaux d’élevage, la Vallée de la Bouffe est devenue la Vallée de la Mort

Linda Maggiori, il manifesto, 27/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans l’Italie submergée, des milliers d’animaux enfermés dans des camps* d’élevage intensifs ont été noyés : « Ne dédommagez pas les éleveurs qui auraient pu les sauver », demandent les défenseurs des animaux.


Porcs morts dans un élevage intensif - Photo Selene Magnolia/Essere Animali

De la Food Valley à la Death Valley :  les images des camps d’élevage inondés sont effroyables : des milliers d’animaux morts noyés, flottant dans la boue, empilés. Beaucoup d’entre eux étaient enfermés dans des enclos et des cages exigus, spécialement conçus pour les empêcher de s’échapper.

La Coldiretti (Confédération nationale des agriculteurs) estime qu’il y a environ 250 000 bovins, porcs, moutons et chèvres et 400 élevages de volailles dans les zones inondées. Dans les montagnes et les zones isolées, il y a maintenant une pénurie d’eau et de foin. La Coldiretti estime que des milliers de ruches ont été détruites. L’Émilie-Romagne est l’une des régions qui comptent le plus grand nombre d’animaux d’élevage et de structures intensives, avec plus de 20 millions de volailles, 1 million de porcs et 579 000 bovins (base de données du registre zootechnique national).

« À BERTINORO, lors d’une reconnaissance effectuée quelques jours après l’inondation, explique Chiara Caprio, porte-parole d’Essere Animali [Être Animaux, organisation de défense des droits des animaux], notre équipe d’enquêteurs a filmé une centaine de porcs morts à l’extérieur d’un hangar dans une exploitation comptant des milliers de porcs. À Bagnacavallo, près de Ravenne, les porcs nageaient dans des enclos inondés. Dans une ferme de San Lorenzo in Noceto, trois hangars ont été inondés et plus de 60 000 poules sont mortes. Plusieurs porcs sont également morts à Lugo. Malheureusement, ces animaux sont confinés dans des camps où il n’existe souvent aucun plan d’évacuation en cas d’urgence ».

« APRÈS LES INONDATIONS, nous avons sauvé des porcs, des chevaux, des ânes, des poneys, des volailles, des chèvres, des moutons issus de fermes pédagogiques ou de petits troupeaux », expliquent des jeunes de l’association Horse Angels, « il a été plus compliqué de sauver les animauux des élevages intensifs . À Villanova di Bagnacavallo, nous avons été appelés par des habitants, mais quand nous sommes arrivés à la ferme inondée, avec les porcs à l’intérieur, le propriétaire nous a empêchés d’entrer, il y a eu des moments de tension, et même la police est intervenue », racontent Carmelo, Alex et Nicolas.

L’association a écrit au président [de la région Émilie-Romagne] Bonaccini : « Nous demandons que les éleveurs qui n’ont rien fait ou ont même empêché le sauvetage de leurs animaux ne soient pas indemnisés, lorsqu’il peut être prouvé qu’ils auraient pu ouvrir les portes et les libérer, ou les déplacer ailleurs, et qu’ils ne l’ont pas fait dans un but lucratif » [proposition de bombardement électronique au gouverneur ici :

La Regione Emilia Romagna a chi darà gli aiuti? A chi poteva salvare i maiali e non ha fatto nulla per trarli in salvo, o solo a chi ha richiesto aiuto ma non è stato possibile intervenire?

PROPOSTA DI MAIL BOMBING

segreteriapresidente@regione.emilia-romagna.it

Egregio Governatore della Regione Emilia Romagna Stefano Bonaccini
Sono indignat* per la morte di tanti maiali senza soccorsi nelle aziende sunicole.
Mi appello a lei perché non siano risarciti quegli allevatori che non hanno fatto nulla per soccorrere i maiali, affinché sia impedito che ricevano il risarcimento dalla comunità Europea laddove possa essere dimostrato che costoro avrebbero potuto aprire i cancelli e liberare gli animali, oppure trasferirli altrove, e che volutamente non hanno adempiuto a ciò con lo scopo di lucro.
Confidando che gli aiuti siano dati solo o con priorità agli allevatori meritevoli, dotati di umanità nei confronti della specie zootecnica allevata e del benessere dei propri animali in allevamento,
In attesa di riscontro
Data luogo e firma

Animaliberaction a également pris des mesures pour trouver un nouveau foyer à une quarantaine de lapins, perdus dans la campagne au milieu de l’eau et de la boue et sauvés par des bénévoles.

A FAENZA, 600 porcs sont morts dans un élevage intensif, les animaux qui ont réussi à se sauver se sont échappés dans la campagne. Le témoignage d’Elena est émouvant : « Quelques jours après l’inondation, alors que nous nettoyions la maison de l’eau et de la boue, dans un scénario d’après-guerre, nous avons entendu un bruit derrière une haie et vu s’échapper d’une ferme un cochon qui commençait à ronger une porte en bois entraînée là par l’inondation à cause de la faim. Nous l’avons appelé Alfred, nous l’avons nourri, il nous a tenu compagnie et nous a rassérénés. Une ferme pédagogique devait l’accueillir, mais il était porteur d’une puce électronique et son propriétaire est venu le chercher pour le ramener au camp, destination l’abattoir. Ils nous l’ont pratiquement arraché, il criait et pleurait, nous aussi. Parce qu’au milieu de toute cette merde, sauver une vie était quelque chose qui ramenait un peu de sens et d’espoir. Nous voulions le sauver d’une industrie qui a matériellement contribué à la destruction de la planète et à l’altération du climat, avec les conséquences que nous connaissons tous les jours ».

LE SECTEUR ZOOTECHNIQUE contribue à hauteur de 14,5 % aux émissions de gaz à effet de serre, selon la FAO et le GIEC, tout en aggravant la pollution de l’air et de l’eau. Une grande partie des zones touchées par les inondations étaient déjà des ZVN, des zones vulnérables aux nitrates, en raison des effluents agricoles, avec des eaux souterraines fortement contaminées. Après une telle catastrophe, avec les eaux usées, les carcasses et les produits chimiques qui s’écoulent dans la boue, la pollution de l’eau ne peut qu’empirer.

NdT
* J’ai traduit ainsi l’original recinti (enclos), à mon sens bien trop neutre. « Pour toutes ces créatures, tous les humains sont des nazis ; pour les animaux, c’est un éternel Treblinka. »
Isaac Bashevis Singer, The Letter Writer, Collected Stories, 1982, p.71

 

24/05/2023

WU MING
Ce n’est pas du “mauvais temps”, c’est une malgouvernance de territoire. Qui est responsable de la catastrophe en Émilie-Romagne ? Les porcs-épics ou les bétonneurs fous ?

Wu Ming, Giap, 17/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Español : No es mal tiempo, sino «mal territorio». Las culpas del desastre en Emilia-Romaña

Ελληνικά: Δεν είναι ο κακός καιρός, είναι τo κακοποιημένο έδαφος. Οι ευθύνες για την καταστροφή στην Emilia-Romagna (Mετάφραση: Καλλιόπη Ράπτη)

Le récit des inondations en Émilie-Romagne est toxique et cache les vraies responsabilités. Des responsabilités qui ne relèvent pas de la “météo”. Ni, d’une manière générale, du “climat”, un terme utilisé par les administrateurs et les journalistes plus ou moins comme synonyme de “poisse”.


Les pluies de ces derniers jours surprennent, elles semblent plus exceptionnelles qu’elles ne le sont en réalité, parce qu’elles surviennent après un hiver et un début de printemps marqués par une sécheresse prolongée et inquiétante. Et en soi, ce ne serait pas du tout du “mauvais temps”, un concept trompeur, dérisoire et dommageable. Comme l’a dit John Ruskin, « le mauvais temps ça n’existe pas, il n’y a que différentes sortes de beau temps ». Ce qui est mauvais, c’est la situation que le temps trouve.

Nous sortons de longs mois de sécheresse : montagnes sans neige, torrents et rivières tragiquement à sec, végétation et faune en grande difficulté, agriculteurs désespérés, perspectives sombres pour l’été à venir (l’été dernier a déjà été très dur)... En théorie, nous devrions accueillir les pluies avec jubilation.

Jubilation modérée, bien sûr : ceux qui connaissent la situation savent que, pour diverses raisons, ces pluies concentrées en quelques jours ne compenseront pas la sécheresse. Cette dernière reviendra nous frapper. Dans le nord de l’Italie - l’arc alpin et la vallée du Pô - les précipitations de 2022 ont été jusqu’à 40 % inférieures aux moyennes des vingt années précédentes. C’est le nouveau climat, et il est là pour durer. Mais ce n’est pas tout : une grande partie de l’eau qui est tombée ces jours-ci ne servira à rien (nous y reviendrons dans un instant).

Malgré tout, à proprement parler, c’est une bonne chose qu’il pleuve enfin. Tout le monde aime que l’eau sorte quand on ouvre le robinet, n’est-ce pas ? D’où vient-elle, cette eau, si ce n’est du ciel ?

La raison pour laquelle la pluie a des conséquences néfastes et parfois mortelles est vite énoncée : elle tombe sur un sol asphalté, cimenté, imperméabilisé, qui ne peut en absorber une seule goutte, de sorte que cette eau non seulement ne régénère pas la vie, non seulement ne recharge pas les nappes phréatiques, mais s’accumule en surface et ruisselle, à grande vitesse, en submergeant ce qu’elle trouve. Elle déborde souvent de cours d’eau dont les berges - et souvent aussi le lit - ont été cimentées, et dont les cours mêmes ont été “rectifiés”. Des cours d’eau autour desquels, sans raison, on a construit et on construit encore.

Émilie-Romagne, territoire malgouverné

L’Émilie-Romagne est une terre de grands travaux d’assèchement, c’est pourquoi, en plus des nombreux fleuves et rivières qui descendent des Alpes et des Apennins, elle possède des milliers et des milliers de kilomètres de canaux de drainage et d’irrigation. Elle possède l’un des systèmes hydrogéologiques les plus artificiels du monde et, par conséquent, malgré une autonarration fanfaronne, bien incarnée par son guvernadåur Bonaccini, sa structure est extrêmement fragile.

Avec ces prémisses, notre territoire devrait être très peu cimenté. Mais non : l’Émilie-Romagne est la troisième région la plus cimentée d’Italie, avec environ 9 % de sols imperméabilisés - contre 7,1 % au niveau national, ce qui est déjà un pourcentage très élevé - et la troisième pour l’augmentation de la consommation de sols en 2021 : plus de 658 hectares supplémentaires couverts, ce qui équivaut à 10,4 % de la consommation de sols au niveau national cette année-là.

En 2017, l’administration Bonaccini a produit une loi définie, dans une parfaite novlangue à la 1984, “contre la consommation des sols”. Une loi faux-cul, arnaqueuse, dont le but réel était de permettre la cimentation, comme l’ont dénoncé en vain de nombreux experts - géographes, urbanistes, architectes, historiens du foncier - et associations environnementales. Voir l’ouvrage collectif Consumo di luogo. Regresso neoliberista nel disegno di legge urbanistica dell’Emilia-Romagna (Pendragon, Bologne 2017, disponible en pdf ici).

Comme on pouvait s’y attendre, même grâce à cette loi, la construction et l’asphaltage se sont poursuivis, dans un véritable délire. Et où a-t-on construit ? C’est ce que rappelle dans Altreconomia Paolo Pileri, professeur de planification territoriale et environnementale à l’école polytechnique de Milan :

« dans les zones protégées (plus de 2,1 hectares en 2020-2021), dans les zones à risque de glissement de terrain (plus de 11,8 hectares en 2020-2021), dans les zones à risque hydraulique où l’Émilie-Romagne peut se vanter d’un véritable record, étant la première région d’Italie pour la cimentation dans les zones inondables : plus de 78,6 hectares dans les zones à risque hydraulique élevé ; plus de 501,9 dans les zones à risque moyen, ce qui représente plus de la moitié de la consommation nationale de sol avec ce degré de risque hydraulique : dingue ».

C’est ce qui se passe dans nos régions, en particulier en Romagne. Il ne s’agit pas d’un “mauvais temps” mais d’une malgouvernance de territoire. Il s’agit de mille et une saloperies qui émergent, les entourloupes d’une gestion idiote et prédatrice, menée depuis des décennies par une classe dirigeante - politique et entrepreneuriale – éperdument amoureuse de l’asphalte et du ciment.

Un trio dynamique : Elly Schlein, secrétaire générale du PD, Bolonaise, Stefano Bonaccini, PD, président (gouverneur) de l’Émilie-Romagne, et Matteo Lepore, PD, maire de Bologne

Love Sory : le PD et le béton

Il s’agit d’un amour toxique, bien pire que celui du film de Caligari. Un amour qui n’est pas près de s’éteindre, car la classe dirigeante susmentionnée réserve à cette région toujours plus d’asphalte, toujours plus de ciment.

Ce qui attend le territoire bolonais - mais Bologne et son agglomération ne sont que l’épicentre, le raz-de-marée d’asphalte atteindra jusqu’à Ferrare et la Romagne - nous l’avons décrit en détail ici. Et il ne s’agit là que de la bétonnisation à grande échelle, avec un impact molaire sur le territoire. Il y a aussi la bétonnisation moléculaire, capillaire, faite de spéculation et d’urbanisation moins visible, qui s’insinue partout et dont personne ou presque ne parle. À Bologne, l’administration Lepore-Clancy [maire et vice-mairesse] poursuit un surdéveloppement violent des dernières parties de la banlieue qui n’ont pas encore été livrées à la construction.

Telle est la réalité des faits que le PD, à l’aide de médias obnubilés et souvent asservis, couvre de greenwashing et de schleinwashing.

Des “lavages” qui vont de pair avec des lavages de conscience par le biais d’un transfert de responsabilité des plus grotesques. Le maire PD de Massa Lombarda a eu son quart d’heure de célébrité nationale en attribuant les inondations aux porcs-épics et à leurs terriers*. Mais si vingt-quatre heures de pluie suffisent à provoquer des morts et des disparitions dans la région de Ravenne, il semble plus probable que les causes soient autres. Comme le rappelle Pileri,

« la province de Ravenne est la deuxième province régionale en termes de consommation de sols en 2020-2021 (plus de 114 hectares, soit 17,3 % de la consommation régionale) avec une consommation par habitant très élevée (2,95 mètres carrés par habitant et par an) ; elle est quatrième en termes de sols imperméables par habitant (488,6 m²/habitant) ».

Si ce ne sont pas les porcs-épics, alors c’est “le climat”

Ensuite, il y a la tendance à hausser les épaules et à dire : « c’est le changement climatique ». Comme pour dire : ce n’est pas de notre faute, que pouvons-nous y faire ?

Sauf que, oui, c’est de “notre” faute, ou plutôt la faute de ceux qui ont porté et portent encore sans esprit critique ce modèle de développement, alors que les effets possibles du réchauffement climatique sont évoqués depuis des décennies

Par ailleurs, il convient de préciser que cette utilisation du climat est une manœuvre de diversion.

Certes, l’alternance de longues périodes de sécheresse et de pluies intenses concentrées sur quelques jours fait partie du changement climatique, mais...

Mais, le fait qu’au printemps, il puisse pleuvoir plusieurs jours d’affilée est également mentionné dans les proverbes. L’un d’entre eux est le suivant : « Aprile, o una goccia o un fontanile  [Avril, soit une goutte, soit une fontaine] ». Que cela puisse arriver surtout après un hiver sec, idem : "Hiver doux, printemps sec ; hiver rude, printemps pluvieux". Et l’on pourrait en citer bien d’autres, dans bien des langues.

La culture européenne nous offre d’innombrables témoignages de longues pluies et d’averses au printemps. L’un des plus grands classiques du cinéma italien, Riz amer, se déroule au printemps - à la saison de la récolte du riz, en fait - et montre une pluie diluvienne qui dure plusieurs jours, battante, interminable.

Si ces pluies ont des effets de plus en plus dévastateurs en un temps de plus en plus court, c’est parce que la terre est de plus en plus défigurée. Et c’est contre ceux qui la défigurent qu’il faut se battre.

“Béton rapide pour l'aéroport de Bologne: photo de pub d’Italcementi, filiale du groupe allemand Heidelberg Cement (devenu Heidelberg Materials), 2ème plus grand groupe cimentier du monde après Lafarge

Post-scriptum

Désormais, dès que les prévisions annoncent de la pluie, les écoles sont fermées, comme cela vient d’être le cas à Bologne. Auparavant, elles ne fermaient qu’en cas de fortes chutes de neige.

À l’heure où nous bouclons cet article, en ce début d’après-midi du 17 mai, nous apprenons que la municipalité de Bologne - une ville où il bruine actuellement et où les transports publics ont continué à fonctionner - a également fermé des bibliothèques, des musées et des centres sportifs. Si vous avez une impression de déjà-vu, c’est parce que, oui, nous l’avons déjà vu.

Ces ordonnances sont justifiées par le fait que lorsqu’il pleut et que la nappe phréatique déborde - au cours du XXe siècle, les administrations bolonaises ont enterré et bétonné tous les canaux et cours d’eau qui traversaient la ville, y compris le torrent Ravone, qui a débordé ces derniers jours - la circulation est immédiatement congestionnée. Un trafic essentiellement privé et automobile, qui est à la fois la conséquence et la cause rétroactive des politiques démentes menées sur le territoire : nouvelle urbanisation, routes de plus en plus nombreuses, demande induite de déplacements en voiture, etc.

La classe dirigeante responsable de ces politiques, face aux désastres qu’elles produisent, a pour seule et automatique réponse l’Urgence. Et peut-être, plus précisément, DAD [enseignement à distance]  à chaque fois qu’il pleut.

L’urgence - comme nous l’avons vu dans les années Covid - sert à ne pas s’attaquer aux causes des problèmes, ni maintenant, parce que les événements sont pressants, ni plus tard, parce que lorsque le danger n’est plus immédiat, on passe à autre chose... jusqu’à la prochaine catastrophe.

À moins que nous ne rompions ce cercle vicieux.

NdT

* « Les techniciens à qui j’ai parlé », a déclaré le maire Daniele Bassi, « pensent que le pertuis par lequel l’eau est arrivée pourrait avoir été créé par les terriers des porcs-épics, qui sont plus larges et plus profonds que ceux creusés par d’autres animaux tels que les ragondins et les renards. On pense souvent aux ragondins, mais les porcs-épics ont également coutume de creuser des terriers sur les berges des égouts, des canaux et des rivières ».[sic, sic et resic]

 

16/05/2023

GIANFRANCO LACCONE
Qui sème le vent récolte la tempête
Les catastrophes agricoles ne tombent pas du ciel

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 11/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Depuis quelque temps, on évoque à grands cris le danger de disparition de la production agricole italienne : de ceux lancés lors de la journée nationale des fruits et légumes (Adieu aux 100 millions de plantes fruitières ! ), à l'appel au soutien de la production nationale de blé dur lancé par une organisation d'agriculteurs des Pouilles, jusqu'aux déclarations faites il y a quelques jours à Macfrut (une importante foire des fruits et légumes qui se tient à Rimini), devant le président Mattarella auquel, paradoxalement, on a exposé les problèmes causés par la sécheresse qui a frappé l'agriculture de la région ces derniers mois, au moment même où se produisaient des pluies diliuviennes qui auraient fait tomber en deux jours la quantité de pluie qui aurait du tomber au cours des mois précédents.


Au cours des 15 dernières années, 100 000 hectares de cultures fruitières auraient disparu. Mais quelle en est la cause ? On ne parle pas de l'utilisation des terres agricoles à d'autres fins, de l'urbanisation effrénée et, à la base, du système économique du marché libre qui, en visant le profit maximum, concentre la production là où elle est la plus rentable, souvent en dehors de l'Italie.

 

C'est cette même concurrence effrénée qui amène du blé bon marché (et de moins bonne qualité) dans les produits de grande consommation (pâtes, boulangerie et biscuits), qui met les agriculteurs (italiens et polonais) en crise, mais pas l'industrie alimentaire - dominée par les marques italiennes - qui, hier, exploitait les produits d'autres parties du monde et qui, aujourd'hui, exploite les lots importés d'Ukraine. Vous souvenez-vous de la campagne visant à libérer les céréales bloquées dans le port d'Odessa ? Elles étaient censées être envoyées aux populations nécessiteuses d'Afrique, mais il est presque certain qu'elles ont fini par devenir un produit d'exportation pour le monde entier, y compris pour nous, bien sûr.

 

Certaines questions telles que la disparition des cultures ou la crise de certains secteurs sont dangereusement utilisées pour protéger un système de marché (la véritable cause de la crise), même avec des motifs “écologiques”, craignant une dégradation de l'environnement en raison de la réduction de la capacité d'absorption du CO2 : une plante adulte capte 100/250 g de poussière et de smog par an, et moins de plantes signifie moins de dépollution. Un discours valable s'il s'agissait de plantes sans intervention humaine ; mais un verger ne naît pas avec un impact nul, car la quantité de smog créée pour obtenir une production agricole (entre celle nécessaire aux intrants productifs et celle nécessaire à leur distribution) réduit fortement la capacité d'absorption : les agriculteurs et les populations vivant dans les zones à plus forte concentration productive le savent bien.  C'est pourquoi il est essentiel de développer un discours agroécologique, dans lequel la réduction des intrants (et donc la réduction des polluants) est combinée à une présence accrue des plantes sur le territoire.

 

Motivées par de nobles objectifs “écologiques”, il y a aussi les demandes très pressantes, aujourd'hui, de soutien aux zones touchées par des “catastrophes environnementales”, de création de réservoirs qui serviraient à collecter et à régimenter l'eau, et de subventions visant à protéger l'agriculture, considérée comme la gardienne de la terre. Là aussi, il y a des incohérences et des non-dits qu'il convient de clarifier, en démystifiant certains clichés.


 

Les inondations d'il y a quelques jours ont touché la région de l'Émilie-Romagne, à la pointe de la production agricole italienne. Le fait que cette région ait été touchée en dit long sur la faiblesse du système mis en place. De même que le Covid a frappé de plein fouet la région de Lombardie, dotée du système de santé le plus “avancé”, montrant ainsi l'incapacité à protéger la masse des populations avec un tel système, aujourd'hui les dégâts causés par un événement qui n'était en rien imprévisible, montrent l'incapacité des systèmes hautement productifs à protéger le territoire et, avec lui, les populations qui y habitent. Il s'agit de repenser l'ensemble du système de production, en éliminant de la perspective la présence de territoires avec des zones cultivées avec un seul type de culture, voire avec une seule variété, pire, avec des plantes toutes dérivées d'un seul clone.  La solution proposée par les partisans de cette planification consiste, en se déchargeant de toute responsabilité, à augmenter les investissements et la dépendance vis-à-vis de mécanismes gérés par d'autres (comme dans le cas de la gestion de l'eau et des réservoirs) en augmentant leur présence sur le territoire : c'est comme si, face à un plafond troué, on augmentait le nombre de bassins sous les trous.

 

Il serait nécessaire de réduire la pression de la production, de différencier la production et les cultures, en insérant dans la même zone des plantes aux systèmes racinaires plus ou moins profonds, aux comportements différents face aux précipitations et aux températures, capables d'atteindre concrètement la résilience ; au lieu de cela, nous sommes toujours à la recherche de quelque chose qui représente la solution finale, à vendre aux agriculteurs par le biais d'une marque brevetée.

 

Le discours économique est encore plus déformé. Une région, un secteur productif, entre en crise : on en cherche alors les raisons parmi les causes “naturelles” (une maladie, une sécheresse, une inondation) et il est inutile d'ajouter que dans ces cas-là, on classe la région comme “touchée par une catastrophe naturelle”, ce qui est suivi par la déclaration de l'état d'urgence et le décompte des dommages, sans aucune autre mesure qui tende à supprimer les causes profondes. Pour les situations de crise qui ne peuvent être attribuées à des causes “naturelles”, on cherche frénétiquement le coupable, presque toujours un agent extérieur, un ennemi de nos productions qui, il va sans dire, sont les meilleures ; enfin, tout cela est une attaque contre notre façon d'être, contre le label “Made in Ital”, fleuron de nos exportations, et contre la culture italienne.

 

Même si le discours semble paradoxal et peut faire sourire, il est proposé dans des termes similaires par des représentants autorisés du monde agroalimentaire qui, face au changement climatique, ne savent pas comment mieux manifester leur surprise face à ce soi-disant “événement tragique” auquel, de temps en temps, même les animaux contribueraient, expression de cette “nature sauvage” que notre civilisation cherche à dominer.

 

Sans la moindre ironie, certains ont attribué ces derniers jours l'effondrement des digues en Émilie-Romagne aux ragondins et aux porcs-épics qui, par leurs tunnels, auraient sapé les travaux de remise en état. Les entreprises, le système de la chaîne d'approvisionnement, la recherche frénétique de l'exportation de la production sont les outils proposés au lieu de garantir une meilleure qualité et une sécurité des revenus pour la vente locale des produits. Quant à la propension écologique des entreprises, elle se réduit souvent à la recherche de compensations adéquates par des contributions extraordinaires ou des “titres” pour pouvoir nettoyer ou polluer ailleurs.

 

L'agriculture italienne n'a pas d'ennemis extérieurs qui la mettent en danger, elle est elle-même, conduite de manière hyper-productive et exportatrice, la cause des dangers qui la minent. C'est ce type d'agriculture qui est le danger, et pour en éliminer les causes, il faut au moins avoir l'humilité d'admettre les erreurs du passé, les sous-estimations, le manque de prévision et de planification et, enfin, le manque d'entretien, principal élément de conservation de ce qui existe. La situation d'alternance de périodes de sécheresse et d'épisodes nuageux est une manifestation du changement climatique, et il est nécessaire de pouvoir vivre avec de telles situations, qui devraient se succéder au cours des prochaines décennies.

Les seuls qui semblent s'en préoccuper sont les jeunes de Fridays For Future ou Ultima Generazione [Last Generation] dont les actions, même si on ne les partage pas entièrement, sont les seules à signaler l'absence, sur ce terrain, des institutions et des organisations sociales (syndicats de travailleurs et de patrons).