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05/06/2025

VERA WEIDENBACH
La position de l’Allemagne à l’égard d’Israël est devenue un dilemme politique sans précédent

Vera WeidenbachHaaretz, 3/6/2025

Vera Weidenbach est une auteure et journaliste indépendante allemande qui vit à Berlin. En tant que reporter, elle écrit sur la politique nationale allemande. Son livre „Die unerzählte Geschichte - Wie Frauen die moderne Welt erschufen und warum wir sie nicht kennen“ [L’histoire cachée : comment les femmes ont créé le monde moderne et pourquoi nous l’ignorons] a été publié en 2022. Elle a étudié la philosophie, la biologie et la politique à l’université Humboldt de Berlin et au King’s College de Londres avant de fréquenter l’école de journalisme de Munich.

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Malgré la volonté du nouveau gouvernement de Berlin de critiquer la conduite de la guerre de Gaza par Israël, ce dernier n’a encore subi aucune répercussion de la part de l’Allemagne. Le chancelier Friedrich Merz devra finir par choisir entre des menaces en l’air et la sauvegarde du droit humanitaire.

Le changement était la plus grande promesse de Friedrich Merz lorsqu’il a fait campagne pour devenir chancelier de l’Allemagne. Les temps d’hésitation et de stagnation seraient révolus, promettait-il, lorsque son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) de centre-droit, prendrait la tête du pays. Finies les querelles qui ont finalement entraîné la chute de ce que les Allemands appellent la coalition feu tricolore - l’union des partis soc-dém, libéral et vert, dirigée plus récemment par l’ancien chancelier Olaf Scholz. Merz s’est engagé à faire avancer les choses et à agir rapidement.


C’est un génocide
ou de la légitime défense ?
Contentons tout le monde et disons que c'est les deux
Dans ce cas, on a besoin d'une nouvelle terminologie
Je propose “légitime défense génocidaire”
ça devrait donner du grain à moudre aux deux parties
Dessin de Joe Sacco

De nombreux Allemands ont été surpris de constater que le plus grand changement opéré par Merz après trois semaines de mandat était une violation de l’un des principes directeurs de la politique étrangère de l’Allemagne : ne pas critiquer Israël trop intensément. Plus sévère que tous les chanceliers allemands avant lui, Merz a critiqué le gouvernement israélien pour sa conduite de la guerre en cours et la situation humanitaire désastreuse dans la bande de Gaza.

Dans une interview accordée le 27 mai, il a estimé que l’offensive actuelle d’Israël “n’est plus compréhensibleet a déclaré : « Porter atteinte à la population civile dans une telle mesure, comme cela a été de plus en plus souvent le cas ces derniers jours, ne peut plus être justifié comme une lutte contre le terrorisme du Hamas ».

Pendant sa campagne et lors de l’accord conclu avec les sociaux-démocrates (SPD) pour former son gouvernement de coalition, Merz s’est positionné comme étant fortement pro-israélien et a souligné ses relations personnelles étroites avec le Premier ministre Benjamin Netanyahou - qui, selon Merz, l’a appelé pour le féliciter juste après qu’il eut remporté les élections de février. Au cours de ce long appel téléphonique, Merz a déclaré qu’il avait promis à Netanyahou de « trouver les moyens de lui permettre de se rendre en Allemagne et de pouvoir repartir sans être arrêté ».

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Cette déclaration a suscité l’indignation des autres partis politiques, l’Allemagne étant l’un des plus grands soutiens de la Cour pénale internationale, qui a a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de Netanyahou en novembre, en raison des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’il aurait commis à Gaza.

Le revirement rhétorique de Merz à l’égard d’Israël intervient dans un contexte de pression politique croissante en Allemagne et dans toute l’Europe pour condamner l’offensive israélienne en cours à Gaza. L’UE a annoncé son intention de réexaminer la base juridique de son accord d’association de 1995 avec Israël. Entre-temps, le Royaume-Uni a suspendu ses négociations commerciales. Et L’Espagne a intensifié ses efforts diplomatiques pour inciter ses alliés européens à imposer des sanctions à Israël.

Pour la nouvelle coalition gouvernementale CDU-SPD, le sujet présente un potentiel de conflit, une impression que Merz souhaite éviter. Lars Klingbeil, chef de file du SPD et ministre des Finances, a annoncé que la coalition avait l’intention d’accroître la pression politique sur Israël. « Nous devons également faire comprendre à nos amis, compte tenu de la responsabilité historique que nous portons à l’égard d’Israël, ce qui n’est plus acceptable », a déclaré Klingbeil. le 26 mai, ajoutant que ce point a été atteint.

À la différence de plusieurs hauts responsables du SPD, Klingbeil s’est toutefois abstenu d’appeler à un embargo sur les armes à destination d’Israël. Le manque d’unité des sociaux-démocrates sur cette question donne à la CDU une plus grande marge de manœuvre.

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Zeitenwende, Peter Wall, Allemagne, 2024. Acrylique sur toile 100 x 120 cm

Merz s’est engagé à devenir un “Außenkanzler” [“exochancelier”], c’est-à-dire qu’il s’est engagé à faire de son mandat de chancelier une affaire de politique étrangère. Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, la CDU dirige le ministère des Affaires étrangères. L’ancien chancelier Olaf Scholz est largement considéré comme n’ayant pas tenu sa promesse de “Zeitenwende” (tournant historique, changement d’époque) concernant le rôle de l’Allemagne en tant que puissance de premier plan en Europe et l’augmentation de ses capacités militaires pour contrer l’agression russe contre l’Ukraine.

Et c’est là que le soutien de l’Allemagne à Israël entre en conflit non seulement avec les principes normatifs de l’Allemagne, mais aussi avec ses intérêts politiques, explique Maya Sion-Tzidkiyahu, maîtresse de conférences à l’Université hébraïque de Jérusalem et directrice du programme de relations Israël-Europe de la boîte à idées Mitvim. Elle souligne qu’en Europe, les attentes à l’égard de Merz ne concernent pas principalement Israël.

« Un alignement non critique sur Israël risque de miner la crédibilité de l’Allemagne et de l’exposer à des accusations croissantes de deux poids-deux mesures. Cela pourrait diminuer la crédibilité de l’Allemagne dans l’arène géopolitique au sens large, notamment en ce qui concerne la guerre entre la Russie et l’Ukraine », dit Sion-Tzidkiyahu.

Merz a clairement l’ambition de faire de l’Allemagne un acteur diplomatique de premier plan, ce qui est étroitement lié au fait de jouer un rôle important dans la fin de la guerre en Ukraine. Depuis son entrée en fonction, le nouveau chancelier allemand a rencontré à deux reprises le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy et a promis d’accroître le soutien militaire de l’Allemagne.

Selon Mme Sion-Tzidkiyahu, la mise en œuvre par l’Allemagne de mesures politiques à l’encontre d’Israël dépendra en grande partie de la manière dont le gouvernement Netanyahou choisira de poursuivre la guerre à Gaza. Si la guerre se transforme en une occupation à long terme - ce qui est de plus en plus probable au vu de l’évolution de la situation sur le terrain, car Israël continue de repousser les civils de Gaza dans trois zones tout en exerçant un contrôle militaire sur 75 % de la bande. Cela pourrait amener Netanyahou à suivre les demandes de ses copains de la coalition d’extrême droite, qui rêvent de voir Tsahal administrer Gaza de la même manière que la Cisjordanie.

« Si ce scénario devait se réaliser, l’Allemagne serait confrontée à de sérieuses difficultés politiques et juridiques pour justifier la poursuite des exportations d’armes vers Israël », prédit Sion-Tzidkiyahu. « « Dans ce cas, la question dépasserait le stade de la rhétorique et entrerait dans le domaine des changements politiques concrets.

Portes fermées, téléphones ouverts

Par le passé, Merz s’était largement abstenu de critiquer publiquement le gouvernement israélien, privilégiant ce que lui et son ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, appellent la “diplomatie des portes fermées”, c’est-à-dire que l’Allemagne fait part de ses préoccupations dans le cadre de discussions directes, plutôt qu’en public.

Wadephul a assuré qu’il était en contact téléphonique quasi quotidien avec des responsables israéliens pour discuter des préoccupations de l’Allemagne. Lors de sa visite en Israël il y a deux semaines, le ministre a publiquement appelé à une augmentation de l’aide humanitaire à Gaza, tout en acceptant largement les justifications du gouvernement israélien pour la guerre en cours. Mercredi, son homologue israélien Gideon Sa’ar se rendra à Berlin et les deux hommes auront à nouveau l’occasion de discuter de cette question en face à face.


Staatsräson, par Peter Wall, 2013

Depuis la reprise des combats à Gaza, Wadephul décrit la position de l’Allemagne à l’égard d’Israël comme un dilemme politique et moral. Le principe selon lequel la sécurité d’Israël est une raison d’État - Staatsräson, une idée lancée par l’ancienne chancelière Angela Merkel en 2008 en référence à la responsabilité historique de l’Allemagne après l’Holocauste - contredit l’engagement de l’Allemagne à respecter le droit humanitaire et international.

Malgré cette nouvelle volonté du gouvernement allemand de critiquer plus ouvertement, les conséquences concrètes restent assez vagues. Wadephul a rejeté un embargo sur les armes proposé par le gouvernement espagnol, en évoquant la responsabilité de l’Allemagne en matière de sécurité d’Israël. Dans une récente interview, le ministre a laissé entendre que le Conseil fédéral de sécurité, un comité du cabinet qui décide des livraisons d’armes, examinera si l’utilisation d’armes allemandes dans la bande de Gaza est conforme au droit international.

Un arrêt des livraisons d’armes allemandes à Israël ne semble pas très probable dans un avenir proche, d’autant plus qu’il existe une résistance au sein de la CDU et de la CSU, la branche bavaroise la plus conservatrice du parti.

 

“Espérons que ça marche !”. Sur la caisse : ARMES - SEULEMENT POUR LES GENTILS ! À  N'UTILISER QUE CONTRE DES MÉCHANTS !
Dessin d'ERL, 2014

D’octobre 2023 à la mi-mai 2025, l’Allemagne a exporté pour 485 millions d’euros d’armes vers Israël, ce qui la met en deuxième position après les USA. 73 % des Allemands souhaitent un contrôle plus strict des exportations d'armes vers Israël, dont 30 % sont favorables à une interdiction totale, selon un sondage réalisé mercredi. [NdT]

29/05/2025

GIDEON LEVY
L’asservissement de l’Allemagne à son passé l’a maintenue trop longtemps dans le silence sur Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 29/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’Allemagne a trahi la mémoire de l’Holocauste et ses leçons. Un pays qui considérait comme son devoir suprême de ne pas oublier a oublié. Un pays qui s’était promis de ne jamais se taire est silencieux. Un pays qui avait dit « Plus jamais ça » dit aujourd’hui « encore », avec des armes, avec des fonds, avec son silence. Aucun pays ne devrait être mieux placé que l’Allemagne pour « discerner les processus nauséabonds ». Tous les Allemands en savent beaucoup plus à leur sujet que Yair Golan. Ici, en Israël, ils sont en pleine action, mais l’Allemagne ne les a pas encore reconnus pour ce qu’ils sont. Ce n’est que récemment qu’elle s’est réveillée, trop tard et sans grand effet.


Lorsque l’Allemagne voit la marche des drapeaux à Jérusalem, elle doit voir la Nuit de cristal. Si elle ne voit pas les similitudes, elle trahit la mémoire de l’Holocauste. Quand elle regarde Gaza, elle doit voir les camps de concentration et les ghettos qu’elle a construits. Quand elle voit les Gazaouis affamés, elle doit voir les survivants misérables des camps. Quand elle entend les discours fascistes des ministres israéliens et d’autres personnalités publiques sur les meurtres et le transfert de population, sur le fait qu’il n’y a « pas d’innocents » et sur le meurtre de bébés, elle doit entendre les voix effrayantes de son passé, qui disaient la même chose en allemand.

Elle n’a pas le droit de se taire. Elle doit porter le drapeau de la résistance européenne face à ce qui se passe dans la bande de Gaza. Pourtant, elle continue de traîner derrière le reste de l’Europe, même si cela la met mal à l’aise, non seulement à cause de son passé, mais aussi à cause de sa responsabilité indirecte dans la Nakba, qui n’aurait probablement pas eu lieu sans l’Holocauste. L’Allemagne a également une dette morale partielle envers le peuple palestinien.

L’occupation israélienne n’aurait pas eu lieu sans le soutien des USA et de l’Allemagne. Tout au long de cette période, l’Allemagne a été considérée comme le deuxième meilleur ami d’Israël. Son soutien était inconditionnel et sans réserve. Aujourd’hui, l’Allemagne va payer le prix de ses longues années d’autocensure sévère, durant lesquelles il était interdit de critiquer Israël, le sacrifice sacré.

Toute critique d’Israël était qualifiée d’antisémitisme. La lutte légitime pour les droits des Palestiniens était criminalisée. Un pays où un grand empire médiatique exige encore de ses journalistes qu’ils s’engagent à ne jamais remettre en cause le droit d’Israël à exister comme condition d’emploi ne peut prétendre respecter la liberté d’expression. Et si les politiques actuelles d’Israël mettent en danger son existence, ne devraient-ils pas avoir le droit de le critiquer ?

En Allemagne, il est difficile, voire impossible, de critiquer Israël, quoi qu’il fasse. Ce n’est pas de l’amitié, c’est un asservissement à un passé qui doit prendre fin face à ce qui se passe à Gaza. La « relation spéciale » ne peut inclure un blanc-seing pour les crimes de guerre. L’Allemagne n’a pas le droit d’ignorer la Cour pénale internationale, qui a été créée en réponse à ses crimes, en débattant du moment où elle invitera un Premier ministre israélien recherché pour crimes de guerre. Elle n’a pas le droit de répéter les clichés du passé et de déposer des fleurs à Yad Vashem, à 90 minutes de route de Khan Younès.


 Inas Abu Maamar, 36 ans, se penche sur le corps de sa nièce Saly, 5 ans,  tuée avec neuf membres de sa famille lorsqu'une roquette israélienne a frappé leur maison à Khan Younès. Cette photo de Mohammed Salem pour Reuters a remporté le premier prix du concours World Press Photo 2024

L’Allemagne est aujourd’hui confrontée à son plus grand défi moral depuis l’Holocauste. Quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, c’est l’Allemagne qui a pris la tête des sanctions contre la Russie. Vingt mois après l’invasion de Gaza, l’Allemagne n’a toujours pris aucune mesure contre Israël, se contentant de déclarations de pure forme, à l’instar des autres pays européens.

L’Allemagne doit changer, non pas malgré son passé, mais à cause de lui. Il ne suffit pas que le chancelier Friedrich Merz déclare qu’il n’est plus possible de justifier le bombardement de Gaza. Il doit prendre des mesures pour aider à y mettre fin. Il ne suffit pas que le ministre des Affaires étrangères Johann Wadephul déclare que l’Allemagne ne se laissera pas « mettre dans une position où elle doit faire preuve d’une solidarité forcée ».

Il est temps que l’Allemagne exprime sa solidarité avec les victimes, qu’elle se libère des chaînes du passé qui l’éloignent des leçons de l’Holocauste. L’Allemagne ne peut pas continuer à rester les bras croisés et se contenter de condamnations tièdes. Compte tenu de la gravité de la situation à Gaza, c’est un silence, un silence honteux de la part de l’Allemagne.


12/09/2022

SHIMON STEIN / MOSHE ZIMMERMANN
Le fossé entre Allemands et Israéliens ne cesse de se creuser

Shimon Stein et Moshe Zimmermann, Frankfurter Rundschau, 9/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Shimon Stein a été ambassadeur d'Israël en Allemagne (2001-2007) et est actuellement chercheur principal à l'Institut d'études de sécurité nationale (INSS) de l'Université de Tel Aviv.

Moshe Zimmermann est professeur émérite à l'Université hébraïque de Jérusalem.

Une étude sur la position des Allemand·es à l'égard d'Israël et de sa politique donne des résultats qui ont de quoi dégriser

Plus la commémoration du 50e anniversaire de la prise d’otages de Munich se rapprochait, plus les relations germano-israéliennes revenaient en une des médias. C'est pourquoi l'étude de la Fondation Bertelsmann « L'Allemagne et Israël aujourd'hui : entre connexion et distanciation » a pu trouver son chemin dans les médias. Dans la plupart des journaux et des chaînes de télévision, la nouvelle est apparue à peu près sous le titre : « Les Israéliens regardent l'Allemagne de manière plus positive que l'inverse. » Cela n'est pas surprenant, car cette conclusion a déjà été tirée par des sondages antérieurs menés par d'autres instituts de sondage.

Günther Schäfer, La Patrie, East Side Gallery, Berlin

Mais en examinant de plus près les résultats, un message plus important transpire : en ce qui concerne les relations de l'Allemagne avec Israël, le fossé entre la politique et la société menace de créer une situation explosive. Le mot distanciation (Entfremdung] apparaît déjà dans le sous-titre de l'étude, et la postface de Dan Diner souligne à juste titre le « hiatus d’ambiance » entre la société et la politique, comme le confirme également un récent « sondage Israël » d'Elnet (European Leadership Network).

Depuis 2008, les politiciens allemands citent la déclaration d'Angela Merkel : la sécurité d'Israël est la raison d'État allemande. La responsabilité envers Israël et le soutien aux intérêts israéliens – pour cela, il y a une grande majorité parmi les députés du Bundestag, selon le « sondage Israël ». Cependant, pour l'Allemand·e lambda, la mise en œuvre de ce mantra s'avère très problématique. Si Israël répondait aux ambitions nucléaires de l'Iran par une frappe militaire, seuls 13 % des Allemands seraient prêts à soutenir Israël (selon l'étude Bertelsmann). Et si Israël décidait de faire un pas de plus vers l'annexion des territoires palestiniens, les Allemands ne l'avaleraient pas en tant que raison d'État allemande – le nombre de partisan·es de la solution à deux États parmi eux·elles est trois fois et demie plus élevé que celui de leurs adversaires ! La classe politique sera-t-elle en mesure, même dans ces cas, de tenir les promesses de raison d'État de Merkel contre la volonté des citoyen·nes ?

Alors que la politique met en avant le soutien absolu à l'État juif, l'étude Bertelsmann montre que 83 % des Allemand·es ont une attitude qui va de la neutralité à l’indifférence face au conflit israélo-palestinien. En général, seulement un huitième des citoyen·nes allemand·es estiment que le gouvernement fédéral devrait soutenir Israël. Il serait toutefois erroné de rejeter globalement cette attitude des Allemand·es comme l'expression d'un antisémitisme généralisé lié à Israël : 90 % des personnes interrogées considèrent l'antisémitisme comme un problème et estiment en outre que « les Juifs font naturellement partie de l'Allemagne ». Environ un cinquième de la population est sensible aux préjugés antisémites – pas plus que la moyenne européenne et pas plus que les dernières décennies. En outre, beaucoup plus (43%) estiment que les élèves apprennent trop peu sur l'Holocauste que ceux (8%) qui affirment le contraire.

Un exemple de ce que toutes les attitudes critiques vis-à-vis d’Israël ne renvoient pas à un antisémitisme lié à Israël : si environ un tiers des Allemand·es ne ressentent pas de responsabilité particulière envers Israël et le peuple juif, il s'agit d'un manque évident de conscience historique. Mais ce déficit ne concerne pas seulement les Juifs et Israël – un tiers des personnes interrogées ont également répondu négativement à la question sur la « responsabilité vis-à-vis des personnes fuyant la guerre et la persécution dans le monde ».

Il est évident que la sympathie relativement faible pour Israël, telle que nous le révèle l'étude, résulte plutôt de l'attitude d'Israël envers le conflit israélo-palestinien : si 45% des Israéliens rejettent la solution à deux États et seulement 17% des Allemands sont de cet avis, le chemin vers le hiatus est ouvert. L'opinion des Allemand·es, poursuit l'étude, « sur le gouvernement israélien (43% plutôt mauvaise/très mauvaise) » est « encore plus négative que sur le pays dans son ensemble ».

En outre, l'approbation (43%) de l'affirmation « Le gouvernement israélien contribue à … l'antisémitisme », couplé à 0% (!), qui ont une « très bonne opinion du gouvernement israélien actuel », indique que les critiques à l'égard de l'État juif sont principalement dirigées contre la politique gouvernementale israélienne. Même si les préjugés antisémites jouent un rôle, une chose est claire : le fossé entre la République fédérale officielle et la vox populi n'est pas négligeable.

A cela s'ajoute le fait que structurellement, « la distanciation » et « le hiatus » s'expriment non seulement dans la comparaison entre la politique et l'opinion publique en Allemagne, mais aussi dans la perspective d'un ancrage démocratique dans les deux pays. Dans les deux sociétés, seuls 3 % rejettent la démocratie comme « meilleure forme d'État », mais alors qu'en Allemagne, seuls 28 % aspirent à un « homme fort », en Israël, ils sont 77 % ! Pas de surprise pour les observateurs des faiblesses de la « seule démocratie du Moyen-Orient ».

L'étude a également souligné à juste titre les particularités du secteur juif religieux, qui a une opinion très négative sur l'Allemagne (39%, contre 13% chez les Juifs laïcs), et s'oppose fermement à la solution à deux États. Compte tenu de la part croissante de ce groupe, on peut s'attendre à une distanciation progressive entre Allemands et Israéliens. La proposition de l'étude Bertelsmann de « faire des efforts pour inclure les Israéliens qui se définissent comme religieux » est naïve, car une opinion fondée sur la foi ne peut pas être changée de cette façon.

L'AfD incarne un paradoxe des relations germano-israéliennes : la direction du parti est particulièrement pro-israélienne. De ce parti, même les colons juifs reçoivent un soutien. Donc, absurdement, l'AfD pourrait-elle devenir le moyen de surmonter le hiatus israélo-allemand ? Mais l'étude doit être lue comme un avertissement pour les Allemands et les Israéliens en même temps : les aéfdéistes de base sont ceux qui considèrent le moins la démocratie comme la meilleure forme d'État, et souhaitent le plus un « Führer fort ». A la question : « Le souvenir de l'Holocauste devrait-il jouer un ... rôle dans la politique allemande actuelle et future ? », 81% des aéfdéistes répondent « aucun ou un petit rôle ». Ils sont les plus nombreux à rejeter la responsabilité historique (allemande) pourIsraël (68%),un partisan de l'AfD sur deux croit au préjugé antisémite selon lequel « les Juifs ont trop d'influence dans le monde ». Que les Juifs ne font pas partie de l'Allemagne, 31% d'entre eux le pensent. À un moment donné, le masque tombera et posera également la question de la proximité entre ce parti et ses sympathisants en Israël.

Les études nous donnent donc une leçon dégrisante : dans le contexte du conflit israélo-palestinien, l'écart entre la politique et l'opinion publique en Allemagne, ainsi qu'entre le système de valeurs israélien et allemand, ne cesse de se creuser. Les deux champs relationnels semblent courir le risque de transformer l'écart en un fossé profond. Pour arrêter la dégringolade, les discours solennels au Bundestag ne suffisent pas. Ce qu’il faudrait, ce serait plutôt un tournant dans la politique israélienne.

 

 

02/07/2021

Communiqué de la Communauté palestinienne d'Allemagne sur les déclarations de Steinmeier en Israël


Communauté palestinienne d'Allemagne (PGD e.V.), 1/7/2021

Traduit par Fausto Giudice

 La Communauté palestinienne d'Allemagne considère que les déclarations faites par le président allemand Steinmeier lors de sa visite en Israël ne favorisent pas la paix dans le conflit du Moyen-Orient.

Dans le quotidien israélien Haaretz du 30/06/2021, le président allemand a répondu comme suit à la question de savoir si la Cour pénale internationale devait étendre sa juridiction à l'Etat de Palestine : « La position du gouvernement fédéral est que la Cour pénale internationale n'est pas compétente dans cette affaire en raison de l'absence d'État palestinien ».

La Communauté palestinienne d'Allemagne souhaite clarifier ce qui suit :

1. L'Assemblée générale de l'ONU a approuvé le 29/11/2012 la demande de l'OLP D4AACCEPTER la Palestine en tant qu'État observateur au sein de l'ONU : 138 des 193 États membres ont voté pour une revalorisation du statut des Palestinien·nes en droit international en tant qu'État observateur dans les frontières de 1967, donc dans les frontières d'avant la guerre des 6 jours. Cela inclut la Cisjordanie, la Bande de Gaza et la partie arabe orientale de Jérusalem. L'Allemagne s'est abstenue de voter. Cela ne donne pas à M. Steinmeier le droit de nier la compétence de la CPI sur la Palestine. Il s'agit d'une adoption claire de la position politique israélienne.

2. Le Président fédéral a en outre répondu : « L'État palestinien et la définition des frontières territoriales ne peuvent être réalisés que par des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens ».

En tant que communauté palestinienne d'Allemagne, nous avons le sentiment que les dirigeants politiques allemands ne regardent que d'un œil ce qui se passe dans les territoires palestiniens occupés depuis 28 ans. Le vol de terres, la construction continue de nouvelles colonies, les démolitions quotidiennes de maisons, les arrestations (surtout d'enfants et de femmes), les attaques constantes contre ceux qui prient dans la mosquée Al Aqsa, dans l'église du Saint-Sépulcre et, plus récemment, le nettoyage ethnique dans les quartiers environnants de Jérusalem-Est. Selon le slogan du nouveau gouvernement israélien, ces zones doivent devenir et rester « libres d’Arabes ».

Israël torpille toute solution politique par ses représailles et ses politiques inhumaines. Que pense le président Steinmeier du fait que des organisations internationales de défense des droits humains comme Human Rights Watch (HRW) et la célèbre organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'tselem décrivent Israël comme un État d'apartheid ?

La PGD est d'avis que les déclarations de M. Steinmeier ne font que couvrir la politique agressive d'Israël et ne peuvent être utiles pour la paix.

15/06/2021

L'accusation d'antisémitisme en action : en Allemagne, il est interdit de critiquer l'État d'Israël

Suitbert Cechura, Telepolis, 13/6/2021

Traduit par Fausto Giudice

Le Dr. Suitbert Cechura, est un psychologue diplômé et psychothérapeute allemand, professeur de travail social (soins de santé/médecine sociale) à l'université protestante des sciences appliquées de Rhénanie-Westphalie-Lippe à Bochum.

Toute personne qui, en tant qu'Allemande, exprime des doutes sur l'État d'Israël et ses activités politico-militaires court le risque d'être qualifiée d'antisémite. Car, encore et toujours, la critique d'Israël est assimilée à la critique raciste des Juifs, à la haine des Juifs.

Alors les différenciations, que les experts connaissent bien sûr, cessent immédiatement. Dans l'opinion publique, la différence entre la condamnation générale des juifs - égale à l'antisémitisme - et une évaluation critique de la politique israélienne ou de la raison d'être de cet État - égale à l'antisionisme - est alors volontairement amenée à disparaître. C'était le cas ces dernières semaines, lorsque le conflit au Moyen-Orient s'est aggravé et que des manifestations et des rassemblements ont eu lieu dans les rues d'Allemagne.

Les raisons de cette situation devraient être examinées de plus près, et sans les aprioris partisans prescrits sur le sujet dans ce pays.

Adenauer et Ben-Gourion, 1960

 Le point de départ : une manifestation contre une fête de la guerre

Suite à la provocation d'Israël à la mosquée Al-Aqsa, à l'obstruction faite aux musulmans palestiniens de prier à cet endroit, et à l'expulsion des Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem-Est, une confrontation militaire a eu lieu entre Israël et le Hamas. Cela a également déclenché une série de manifestations en Allemagne - notamment des marches et des jets de pierres devant des synagogues, des discours contre les Juifs et l'incendie de drapeaux israéliens.

La presse ne nous apprend pas grand-chose sur ce dont les Juifs sont accusés, on est surtout informé sur le fait des discours de haine. Les politiciens ont immédiatement pris la parole, y compris le président fédéral Frank-Walter Steinmeier :

« La haine des Juifs - peu importe par qui, nous n’en voulons pas et ne la tolérerons pas dans notre pays », a déclaré M. Steinmeier au journal Bild. Il a ajouté que rien ne justifiait la menace pesant sur les Juifs en Allemagne ou les attaques contre les synagogues dans les villes allemandes.