Le 29 novembre, l'auteur-compositeur-interprète, guitariste et poète cubain Silvio Rodríguez Domínguez a 75 ans. Ci-dessous un hommage plein de souvenirs à ce géant de la Nueva Trova, par un de ses camarades et amis - FG, Tlaxcala
En 1980 paraît l'album
"Rabo de Nube" de Silvio Rodríguez. L'une de ses chansons est
"Testamento". Contrairement à la tradition, dans son testament,
Silvio ne parle pas de ce qu'il va quitter, mais de ce qu'il lui reste à
faire, ce qui n'est pas rien si l'on considère
qu'à cette époque il n'a pas encore 35 ans. On dit qu'il a écrit cette chanson
parce que son déplacement en Angola, en pleine guerre contre le colonialisme et
l'apartheid, a rendu réelle et objective une éventuelle rencontre avec la mort.
Plus de 40 ans ont passé, la vie a continué à tracer son chemin, les années montrent que l'on est plus proche de la fin que du début. Je ne suis pas un chanteur, j'essaie de parler par écrit et dans cette mesure - en paraphrasant Silvio - je dois dire que je lui dois une chronique à un moment où j'ai également fait mon testament sur les choses que je dois encore faire.
J'écris ces lignes quelques jours avant le 75e anniversaire de Silvio. En fait, j'aurais dû le faire il y a cinq ans, lorsqu'il est entré dans sa huitième décennie de vie, mais le départ prématuré de Fidel nous a ébranlés - lui et moi. Je le lui ai dit quand nous avons parlé quelques jours plus tard. Il a été très laconique : « Nous ne sommes pas ici pour faire la fête ». Et c'est ainsi que la douleur nous a rongés, paralysant tout effort créatif. Il vaut donc la peine maintenant, en guise de souvenir, de raconter quelques anecdotes peu connues qui dépeignent l'être humain que j'apprécie, entremêlé au compositeur et au poète qui manque à tout le monde.
J'ai rencontré Silvio au milieu des années 1970, alors que je vivais encore dans l'appartement de l’avenue 23 à La Havane. Bien que nous ne nous soyons pas rencontrés fréquemment, les fois où je l'ai fait, nous avons eu des discussions intenses sur mon travail "étrange". C'était l'époque où je faisais les premiers pas dans ma formation militaire. L'étrangeté était due à mon statut d'étranger qui avait accès aux académies militaires cubaines.
Dans ces premières conversations, j'ai pu percevoir la qualité d'un être exceptionnel. Bien que sa musique ait commencé à m'accompagner et ait été présente dans ma vie depuis ce moment jusqu'à aujourd'hui, je ne pense pas l'avoir approché tant pour sa condition de musicien incomparable que pour sa condition humaine et son extraordinaire sensibilité qui lui fait posséder un esprit internationaliste, détenteur d'un sentiment de solidarité indéfectible avec ceux qui luttent "où que ce soit" car nous sommes leurs frères, comme l'a souligné Camilo [Cienfuegos].
En arrière-plan, je pouvais deviner que Silvio était envieux des possibilités que la vie m'avait offertes. J'étais très jeune, je n'étais personne (je ne suis toujours personne) et il était déjà SILVIO RODRÍGUEZ, avec une majuscule, bien qu'il ne s'intéressât pas, ni alors, ni aujourd'hui, à le faire sentir à qui que ce soit. À cette époque, je n’avais pas la capacité rhétorique ni la faculté de discernement que les années procurent, mais je pouvais percevoir que Silvio aspirait à libérer ce sentiment internationaliste avec autre chose que la guitare. Il le dit dans son testament :
« Je
dois une chanson à une balle
à un projectile
qui devait m'attendre dans une jungle.
Je te dois une chanson désespérée
Désespérée de ne pas pouvoir la voir ».
Puis vinrent la guerre et la révolution au Nicaragua. Après le triomphe du 19 juillet, en septembre, un ami qui travaillait à l'époque à la transformation de la défunte "Radiodifusora Nacional" en "La Voz de Nicaragua", sachant que je me rendrais à Cuba, m'a demandé de lui apporter des disques de l'île car il avait été chargé de créer une bibliothèque musicale. Quand je suis arrivé à La Havane, je suis allé voir Silvio et lui ai parlé de ma mission. Il m'a demandé quand je rentrais à Managua et m'a dit de passer la veille. Entretemps, il s'était chargé d'enregistrer sur cassettes un large éventail de musique cubaine (pas seulement la sienne), qui ferait partie des premiers morceaux constituant la collection de la nouvelle station de radio du Nicaragua révolutionnaire.